CHAPITRE II : EVALUATION DE L'IDEE DE DEMOCRATIE EN
GUINEE
Section 1 : Démocratie en Afrique subsaharienne :
réalité, discours ou simple théorie ?
De nos jours, la démocratie est
généralement admise comme le mode de gouvernance par
excellence.18 Pour Abraham Lincoln, elle est le gouvernement du
Peuple, par le peuple et pour le peuple. Prise dans ce sens, la
démocratie s'oppose à tout pouvoir qui n'est pas
l'émanation du peuple. Cependant, force est de constater que dans les
pays en voie de développement, elle est trop souvent une façade
où le pouvoir provient finalement « du plus fort, par le plus fort
et pour le plus fort ». En ce sens, notre objet de recherche se
concentrera principalement sur la démocratie en Afrique. À ce
sujet, de nombreux auteurs ont des opinions divergentes sur cette question de
démocratie sur le continent noir. Pour certains auteurs, la
démocratie n'existe pas en Afrique noir. Ils citent des facteurs qui
entravent la démocratisation du continent noir. Il s'agit notamment du
facteur ethnique. Pour eux, « la démocratie d'un Etat fonctionne
relativement bien en premier lieu lorsqu'elle s'applique dans une nation, au
sens civique comme au sens ethnique ».
Partant de l'idée selon laquelle « Le
découpage territorial opéré par le colonisateur pour
créer de toutes pièces des États a été
effectué sans égards aux ensembles ethniques », ils
soutiennent que le parti au pouvoir ne représente
généralement qu'un groupe ethnique parmi l'ensemble de la nation.
Il est important de mentionner que l'on retrouve, dans la plupart des pays
africains, bon nombre de communautés ethniques divergentes. Le fait
d'avoir un parti au pouvoir qui représente son ethnie d'origine assure
à cette ethnie une certaine protection, la prospérité
économique et des faveurs sociales. Le parti au pouvoir, garantissant
les intérêts de l'ethnie dont il est issu, va tout faire pour
garder ce pouvoir plutôt que de le céder au profit d'un autre
parti qui représentera une autre ethnie.
Alors, il importe de comprendre que dans la plupart des pays
africains, le concept de nation étant donc très fortement
ethnique, le partage du pouvoir politique s'avère difficile, donnant
lieu à des conflits interethniques, des refus d'alternance en faveur de
« l'autre ». Le professeur Albert Bourgi nous éclaire sur ce
fait : « Les antagonismes ethniques ont été peu à peu
exacerbés par un exercice du pouvoir fondé sur l'accaparement de
tous les privilèges par le groupe dirigeant, et donc sur l'exclusion des
autres communautés, condamnées dès lors à ressasser
leurs frustrations et à cultiver leur soif de revanche. » Dans le
même ordre d'idée, nous expliquerons un peu plus bas comment le
facteur de pauvreté est en relation étroite aussi
18 Albert Bourgi et Avril Pierre, «Essais sur les
partis politiques», Paris, Payot, 1990, p.632
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avec ce concept de pluriethnicité19. Tout au
long de son histoire, le continent africain a été
confronté à divers problèmes sociaux. Actuellement, ces
problèmes sociaux sévissent avec une gravité alarmante
dans les populations des États africains. En effet, la pauvreté,
l'ignorance, la maladie, les conflits ainsi que l'analphabétisme font
rage sur le continent noir. Les spécialistes tels que Michal Bratton,
Jean-François Bayart, Samuel Fambon et Noél Kodia n'estiment que
ces nombreux problèmes sociaux qui ont un impact négatif sur
l'implantation de la démocratie en Afrique subsaharienne.
Cependant, les études de ces chercheurs ne tendent pas
vers une conclusion unanime. Cette partie est consacrée à
l'explication de l'impact de la pauvreté et du manque de scolarisation
sur la vie démocratique en Afrique noir. En relation avec la
pauvreté et le manque d'éducation, il faut comprendre que le taux
d'alphabétisation est un élément essentiel dans la
réussite d'une démocratie. Par exemple, « l'Afrique à
voir beaucoup dans ce domaine ; lorsqu'une population locale ne parvient pas
à bien apprécier un programme politique lors d'un vote »,
cette démocratie ne peut avoir un sens politique. Un autre
élément dans l'explication de l'échec de la
démocratie en Afrique réside dans l'incapacité chronique
à respecter l'alternance.
À cet effet, « l'histoire africaine apporte des
éléments qui se superposent pour finalement expliquer la
situation actuelle. L'analyse de l'histoire de l'autorité en Afrique
avant la période coloniale met en lumière le fait que, dans la
plupart des pays du continent noir, l'alternance politique était chose
inconnue et très rarement la présence d'une autorité au
pouvoir durant plusieurs années était contestée. Puisque
les clans ou les ethnies étaient homogènes, la
légitimité du pouvoir en place était assurée :
Rares étaient les peuples qui se révoltaient contre leur
souverain pour une alternance. L'alternance «à l'africaine»
est régie par des traditions bien précises qui font que le
candidat à l'alternance est connu de longue date ». Les essayistes
et économistes Kodia et Martin se prononcent sur cette Question.
Pour autant, le respect de l'autorité est sacré
et l'alternance « démocratique » (dans l'acception actuelle du
terme) n'était pas exactement la caractéristique principale de ce
système. Le fort lien communautaire qu'on trouve en Afrique contraste
d'ailleurs avec l'individualisme en Occident qui a pu y permettre un
fonctionnement de la démocratie qui respecte les droits individuels et
qui circonscrit le pouvoir de l'autorité politique. Avec ces
institutions précoloniales autoritaires et communautaristes, le terrain
est donc déjà préparé en
19 Martin Pierre, « Les systèmes
électoraux et les modes de scrutin », Paris, Montchrestien,
3ème éd. 2006, p.19
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Afrique pour un futur autoritarisme « national »
À la lumière de ce passé politique précolonial, il
n'était pas réellement possible d'instaurer en Afrique une
démocratie dite occidentale. En fait, l'une des principales
difficultés à l'implantation de la démocratie sur le
continent réside dans le fait qu'on a « appliqué le
modèle occidental d'État nation « civique » sur des
territoires qui sont en réalité « plurinationaux ».
Bien entendu, il s'avèrera problématique «de forcer la
démocratie à l'occidentale dans des pays qui n'en ont pas la
culture et ont une histoire spécifique ».
Les sociologues appellent ce phénomène le
transplant institutionnel, c'est-à-dire l'exportation dans un pays, dit
«à développer», d'une ou plusieurs institutions en
provenance d'un autre pays, dit «développé». Le
professeur Lottieriet, analyste, jette le pavé dans la marre à
travers sa réflexion. Pour lui, si l'exportation se fait par le haut,
les institutions exportées devront remplir la même fonction que
dans leur contexte d'origine, leur « ordre institutionnel »
d'origine. Mais cela est justement impossible car les institutions dans un
contexte dépendent d'autres institutions pour assurer leur fonction. Si
ces autres institutions ne sont pas présentes dans l'ordre
institutionnel d'accueil, le transplant ne produira pas les effets
escomptés, et sans doute produira-t-il même des effets pervers.
Cependant, pour d'autres auteurs, la démocratie existe
bel et bien en Afrique subsaharienne. Selon eux, la démocratie en
Afrique, malgré ses faiblesses et lacunes, existe. Bien qu'elle soit
nettement différente des démocraties présentes dans le
monde occidental, une forme de démocratie existe bel et bien sur le
continent noir. L'histoire du continent confirme d'ailleurs la présence
de certaines formes de démocraties dans différentes
périodes. Cependant, ces auteurs estiment en revanche que l'implantation
démocratique sous la forme occidentale ne peut fonctionner dans des
États africains si différents des États du nord. En aucun
cas, cette démocratie ne peut être le système politique
adapté aux gouvernements africains.
Ces auteurs partent de l'organisation et du fonctionnement des
sociétés africaines précoloniales pour soutenir leur
thèse d'existence de la démocratie en Afrique subsaharienne. De
ce fait, voyons quelques-uns de leur argument.
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