Section 9 : L'alternance démocratique en
République de Guinée
Cependant, l'usage populaire de l'expression en donne un sens
qui va au-delà du changement de personnalités d'un même
groupe dirigeant à un véritable changement d'équipe
gouvernementale. Ainsi, Jean-Louis Quermonne définit l'alternance au
pouvoir comme « un changement de rôle entre les forces politiques
situées dans l'opposition, qu'une élection au suffrage universel
fait accéder au pouvoir, et d'autres forces politiques qui renoncent
provisoirement au pouvoir pour entrer dans l'opposition. » C'est la
même définition que lui donne Michael Bratton65 dans
son article visant à analyser l'effet de l'alternance sur la perception
des Africains de la démocratie. C'est en ce sens que le terme est
employé dans la présente étude, c'est-à-dire le
remplacement des anciennes autorités par de nouvelles élites
appartenant à un parti de l'opposition ou une coalition de partis
d'opposition." Et étant donné que chacun la Guinée a un
système présidentiel, l'alternance ainsi définie ne peut
s'effectuer qu'à travers les élections présidentielles.
Ceci exclut donc de notre calcul les élections législatives. Mais
même en considérant ces dernières, l'analyse des
différentes échéances
64 Faye, « Guinée : Chronique d'une
démocratie annoncée », Canada, Trafford, 2007.
65 Michael Bratton Dictionnaire de la science
politique et des institutions politiques, Paris, Armand Colin (2004, pp.
147-158)
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électorales qui ont eu lieu dans notre pays durant la
période examinée montre que le vainqueur du scrutin
présidentiel s'est toujours imposé au Parlement.
En ce sens, 1' « alternance au pouvoir » peut
s'appliquer à la fois au changement de la composition partisane de la
législature (Parlement) ainsi que le remplacement d'une équipe
dirigeante de l'exécutif par une autre. Dans ce dernier cas, elle peut
signifier simplement le remplacement de l'occupant du plus haut poste
exécutif par une autre personnalité. C'est le sens que semble lui
donner Jeffrey Herbst dans son état des lieux sur la
libéralisation politique en Afrique. Car l'auteur, en parlant des
changements de régimes, ne cite que les changements de leaders qui ont
perdu des élections et, par conséquent, ont quitté le
pouvoir.
Il est vrai qu'il y a eu des alternances au sommet de
l'État, par exemple au Bénin, mais tous ceux qui sont venus au
pouvoir dans ce pays depuis 1991 sont des candidats indépendants qui
n'étaient pas présentés par des partis politiques. Et la
Guinée était dirigée par le Parti de l'unité et du
progrès (PUP) lequel est d'ailleurs l'avatar de l'ancienne junte
militaire à la tête du pays depuis avril 1984 -depuis
l'introduction du multipartisme dans le pays en 1991. Ce sont la mort, le 22
décembre 2008, du président Lansana Conté, et la prise du
pouvoir, le lendemain, par une junte militaire qui ont mis fin au règne
du PUP. C'est pour dire qu'aucun parti d'opposition n'y a réussi
à conquérir le pouvoir dans la période
considérée. Sauf le parti du (RPG) en 2010 diriger par
l'ex-président Alpha Condé après plus 40 ans d'opposition.
Que dire alors de ces variations ?
Pourquoi en est-il ainsi ? Les partis au pouvoir seraient-ils
plus solides, mieux organisés, voire plus populaires que les partis
d'opposition ? Y aurait-il un déficit organisationnel ou
déficience stratégique de la part des partis d'opposition ? Pour
bon nombre d'observateurs de la politique africaine et presque tous les leaders
vaincus de l'opposition, la réponse est simple : les partis au pouvoir
s'y maintiennent grâce au truquage des processus électoraux ;
Ainsi, les partis d'opposition contestent souvent les résultats et
crient à la manipulation.
D'autre part, l'alternance voulue est-elle ethnique ou
idéologique ? Ces interrogations sont toutes légitimes dans un
débat libre et démocratique. En effet, jamais dans son histoire
politique, la Guinée n'a connu l'alternance démocratique au
sommet de l'État. Aucun président au pouvoir n'a encore perdu une
élection permettant à son concurrent de prendre sa place.
L'ouverture démocratique initiée par le Général
Lansana Conté après la prise du pouvoir par l'armée a
certes permis la tenue de plus d'une élection présidentielle,
mais elle
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n'a pas empêché ce dernier à demeurer
jusqu'à son dernier souffle le maître suprême du palais
présidentiel. Avant lui, le Président Ahmed Sékou
Touré était à la tête d'un régime où
il était suicidaire de se déclarer opposant66.
Les deux présidents ont ainsi régné
pendant un peu plus d'un demi-siècle sans que les guinéens ne
vivent une seule fois l'alternance démocratique par la voie des urnes.
À la mort de Lansana Conté, le Capitaine Moussa Dadis Camara
à la tête d'une junte militaire avait au départ promis la
transmission du pouvoir aux civils avant de se rétracter et d'être
lui-même intéressé par celui-ci. Il a fallu l'entrée
en scène du Général Sékouba Konaté,
après la mise à l'écart de Dadis pour que les
guinéens puissent voter en 2010 leur président, en la personne du
Professeur Alpha Condé, dans le cadre d'une élection
réunissant plusieurs candidatures concurrentes. Il ressort très
clairement de ce cheminement historique que les chefs d'État
guinéens se sont succédé à la tête du pays
soit par suite d'une mort naturelle (cas de Sékou Touré et
Lansana Conté), soit par une mise à l'écart
provoquée par autrui (cas de Dadis Camara) et soit par un retrait
volontaire (cas de Sékouba Konaté) après la tenue d'une
élection qui a propulsé Alpha Condé à la tête
du pays.
Ainsi, la Guinée a plutôt connu une succession de
chefs d'État par différents mécanismes mais non par une
alternance démocratique dans le sens d'une victoire électorale
remportée par un président entrant contre un président
sortant. L'autre question soulevée par la nécessité de
l'alternance démocratique est de savoir ce que sera sa valeur
ajoutée compte tenu de la nature du combat politique en Guinée.
Ce combat se résume dans ses grandes lignes par une confrontation
essentiellement ethnique. Les formations politiques les plus importantes du
pays ne se définissent pas par leurs positionnements idéologiques
ou leurs visions en faveur du développement. Au contraire, elles se
distinguent par leurs capacités d'instrumentalisation des groupes
ethniques auxquels appartiennent leurs leaders et qui forment autour d'eux un
bloc homogène rigide. Cela est rendu possible par le fait que
l'État en Guinée est encore et toujours dans sa forme
néo-patrimoniale du pouvoir. C'est pour vous dire que, malgré
toutes les techniques d'une coalition électorale de partis de
l'opposition, on à remarquer c'est toujours le parti du pouvoir qui
gagne l'élection depuis 1990 à 2020 dans notre pays
d'étude la Guinée. Il est régi par un régime
où ceux qui ont accès aux ressources nationales se
préoccupent tout d'abord de « prendre soin » des leurs. Cette
logique aboutit à la mise en place d'un système de redistribution
où seuls auront accès aux postes de responsabilité les
66 Bratton Michael, « l'effet d'alternance en
Afrique revue de la démocratie », 2004, pp. 147-158.
membres du réseau clientéliste constitué
principalement des membres de l'ethnie auquel appartient le chef d'État.
Et ce dernier n'a qu'un souci : demeurer à vie au pouvoir. C'est la
seule garantie que lui et les siens continueront de bénéficier de
leurs privilèges. Ils passeront ainsi la part la plus productive de leur
temps à simuler des subversions et des complots, attribués
à d'autres groupes ethniques dont le crime serait de rêver de
prendre leur place. Ainsi, l'alternance recherchée ressemble fort
à une alternance ethnique qui dans le fond, ne change pas grand-chose
dans les maux de la société67.
Ce type de combat ramène perpétuellement sur la
scène publique les mêmes problèmes d'unité et de
cohésion sociale auxquels les citoyens sont confrontés dans
l'ensemble. Dans ces conditions, le risque pour les nouveaux venus, à la
suite d'une alternance même régulière, d'être
combattus pour les mêmes raisons est énorme. Les partis
politiques, les plus significatifs par le nombre, se battent en
réalité pour les mêmes raisons : conquérir le
pouvoir, s'y maintenir et s'approprier ses privilèges à titre
exclusif et jamais dans l'intérêt collectif. C'est du moins
l'impression qui se dégage en observant de près le combat
politique en Guinée.
Or, il y a nécessité que le combat politique
mute Guinée. Que la confrontation idéologique se substitue
à la confrontation ethnique afin que l'alternance gagne en
crédibilité et devienne la source d'évolution de nos
moeurs politiques rétrogrades. C'est aussi à cette condition que
l'alternance souhaitée pour la vitalité de la démocratie
dans notre pays apportera un profond changement de notre système de
gouvernance et renforcera l'unité nationale, qui reste le plus grand
défi de la Guinée depuis plus de 60 années d'existence en
tant qu'État.
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67 Shedler, Andreas, « le menu de la
manipulation, journal de la démocratie » juin 2002, pp. 36-50.
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