Section 8 : La formation de coalitions comme technique
électorale
Peut-on établir, à partir de ce qui
précède, une certaine corrélation, voire un lien de
causalité, entre la stratégie de formation de coalitions et la
possibilité de victoire électorale des partis d'opposition en
Afrique subsaharienne ? Nicolas Van de Walle pense qu'il y a une
corrélation entre les deux mais que le lien causal est moins
prégnant. Il conditionne la corrélation au niveau de la
démocratisation dans le pays concerné. Ainsi, pour lui, la
probabilité de fraude électorale dépend du niveau de
démocratisation dans un pays, et celui-ci, à son tour,
détermine la probabilité qu'une coalition de l'opposition
aboutisse ou non à la victoire électorale. Certes, le lien causal
est moins clair, mais la corrélation est plus évidente que
l'auteur ne veut l'admettre ou qu'il n'a pu la remarquer. Cet argument est
basé selon laquelle l'alternance n'est possible que dans un
système bipartisan (Duverger, 1973) ou bipolarisé (Quermonne,
1988).
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Chacun de ces deux systèmes comprend une certaine
notion de coalition. Le premier sous-entend l'existence de deux grandes
coalitions plus ou moins durables, tandis que la notion de coalition est
presqu'explicite dans le second. Compris en ce sens, il est possible de
démontrer, à partir des 30 expériences d'alternance au
pouvoir « par les partis d'opposition » en Afrique subsaharienne
entre 1990 et 2020 en particulier notre cher pays d'étude la
Guinée. La formation de coalition est une condition nécessaire,
quoique pas suffisante, pour la victoire électorale de l'opposition.
Par exemple, les cas d'alternance au pouvoir par un parti
d'opposition advenus en Afrique entre 1990 et 2020 sont intervenus dans des
systèmes bipartisans et/ou grâce à une coalition
formée par un certain nombre de partis d'opposition63. Les
deux seules exceptions à cette affirmation sont la victoire
électorale de Bakili Muluzi de l'UDF au Malawi en mai 1994, et celle de
Laurent Gbagbo du FPI en Côte d'Ivoire en octobre 2000. Dans ce dernier
cas, l'élection avait été boycottée par le Parti
démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI), l'ancien parti au pouvoir,
et le candidat populaire du Rassemblement des républicains (RDR),
Alassane Ouattara, n'avait pas été autorisé par la junte
au pouvoir (sous le Général Robert Gueï) à contester
le scrutin.
Quant au cas malawite, il convient de rappeler que le scrutin
a été disputé entre trois principaux partis politiques et
un quatrième parti « mineur ». Les trois sont le Front
démocratique uni (UDF) de Muluzi, qui l'a remporté avec 47% des
voix ; le Parti du congrès malawite (MCP) du président sortant,
Hastings Banda, qui s'est placé en deuxième position avec 33,45%
des voix ; et l'Alliance pour la démocratie, du syndicaliste Chakufwa
Chihana, qui a eu 19% des voix. Ces résultats présentent un
système plutôt « tripartite », donc multipartite, ce qui
semble contredire notre argument à propos de la nécessité
du bipartisme ou de la bipolarisation pour effectuer l'alternance.
Ces exemples montrent bien l'impact positif de la formation de
coalitions sur les chances de l'opposition d'effectuer dans l'alternance au
pouvoir. Il est fort possible d'en déduire presqu'une
impossibilité, pour les partis d'opposition des pays multipartistes,
d'effectuer l'alternance sans se coaliser. L'exemple précité de
l'élection présidentielle Comorienne de 24 mars 2016 illustre
bien ce constat. Les résultats de l'élection
présidentielle gabonaise d'août 2009 offrent un autre cas de
figure. Le système électoral y étant plural taire, Ali
Bongo, le candidat du Parti démocratique du Gabon (PDG, au pouvoir) l'a
remportée avec seulement
63 Quermonne, Jean-Louis, « L'alternance au
pouvoir », Paris, PUF, 1988.
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41,5%, selon la Commission électorale. Or ses deux plus
grands adversaires ont obtenu, chacun, 25% des voix. Avec un total de 50% des
voix (soit 8% de plus que celui du candidat du parti au pouvoir), une coalition
entre ces deux personnalités aurait très vraisemblablement
assuré la victoire à l'opposition.
Lors de nos enquêtes de terrain, nous posions aux
militants et sympathisants des partis d'opposition la question suivante :
« Selon vous, qu'est-ce qui explique la ténacité du
régime au pouvoir et quelles sont les principales faiblesses de
l'opposition ? » Une réponse courante était de dire que
le parti au pouvoir truque les élections et l'exemple
précité de l'élection présidentielle
Guinéenne sont celles de 1993 ; de 1998 et de 2003. Le parti au pouvoir
(PUP) a réussi à altérer les élections ; ainsi que,
l'élection présidentielle de 2010 ; 2015 et 2020 le parti au
pouvoir (RPG) a fait la même chose (modifier les élections). Mais
beaucoup de militants guinéens ajoutaient la désunion des partis
d'opposition et leur échec de former des coalitions électorales.
Le manque d'unité était d'ailleurs la seule réponse pour
certains. Bon nombre de personnes en Guinée ont
régionalisé la réponse à la seconde partie de la
question, blâmant la faiblesse de l'opposition sur le « manque
d'attente entre les Sudistes », étant donné que les leaders
de tous les principaux partis d'opposition sont du Sud du pays.
Conscients de ce fait, les partis d'opposition guinéens
ont tenté, à plusieurs reprises, de former des coalitions
électorales contre le régime de Lansana Conté. Faye (2007,
p. 53-82) en recense au moins sept entre 1992 et 2006. Mais aucune de ces
coalitions n'a réussi à se maintenir ou à présenter
un candidat -de poids unique. Pour un membre du Bureau politique national (BPN)
de l'Union pour le progrès et le renouveau (UPR), les partis
d'opposition guinéens n'ont jamais formé d'alliance, proprement
dite, car toutes les expériences sont des groupements
préélectoraux dont les membres ont leurs stratégies et
leurs programmes particuliers.
Presque toutes les personnes que nous avons
interviewées ont reconnu l'égoïsme des leaders d'opposition
comme l'une des principales raisons de l'échec de ces tentatives. Quatre
jeunes étudiants interviewés en groupe ciblés à
l'Université de Conakry en septembre 2015 se sont dits
déçus par les leaders de l'opposition. Deux d'entre eux avaient
décidé de se désengager de leur parti (UFDG), tandis que
deux autres n'avaient jamais appartenu à un parti politique. À
notre question de savoir pourquoi ils avaient démissionné de leur
parti ou n'adhéraient pas à un, ils ont répondu dans les
propos suivants :
Moi, je me suis rendu compte que tous ces leaders sont les
mêmes ; ils veulent tous le pouvoir, aucun ne veut s'effacer pour
l'autre, même si qu'il sait bien qu'il n'a aucune chance.
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C'est pourquoi ils ne s'entendent jamais entre eux. C'est la
raison pour laquelle moi j'ai décidé de ne plus jamais les
suivre. Maintenant, je m'occupe de mes études supérieures.
Lansana CONTE était là depuis 1984 jusqu'à en 2008 et
aujourd'hui, Alpha CONDE va s'en aller quand Dieu voudra, car ces opposants ne
pourront jamais le battre s'ils ne se donnent pas la main (Entrevue le 7
novembre 2021).
Pour l'un des deux qui n'appartiennent pas à un
parti64: « Bon, pour moi, je pense qu'ils voudraient bien
former une coalition ; ils l'ont tenté plusieurs fois.... Mais je pense
que le problème est que chacun veut être le chef de la coalition,
et c'est là le problème. Bon, à vrai dire, je comprends
parfois, c'est la politique ; mais nous nous voudrions qu'ils mettent
l'intérêt national avant leurs calculs politiciens. C'est vraiment
dommage. » Mais un membre du BPN du Rassemblement du peuple de
Guinée (RPG) soutient que l'infiltration des alliances par des partis
satellitaires agissant au compte du régime au pouvoir aurait souvent
joué contre les alliances. Peu importe les raisons de cet échec
et leur pertinence, la conclusion est que l'échec de former de
coalitions a contribué à l'échec des tentatives des partis
d'opposition visant à conquérir le pouvoir en Guinée.
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