Section : 6 Le poids des acteurs internationaux et
l'alternance politique
Compte tenu de la dépendance politique et
économique un peu disproportionnée de la plupart des pays
africains de l'étranger, le poids de ce dernier semble constituer un
facteur important dans l'explication de la situation politique par rapport aux
processus de libéralisation dans bon nombre de ces pays africains. Ceci
est vrai aussi bien au stade de libéralisation et de transition
qu'à la phase de consolidation, ce qui nécessite un rappel du
débat sur les origines ou «facteurs catalyseurs » des
changements politiques qui ont rythmé la vie politique de plusieurs pays
africains au début des années 199056.
Ainsi, dans son analyse des conditionnalités politiques
de la coopération allemande en Afrique entre 1990 et 1994, Gerhard
Boké semble accorder une grande importance au rôle de ces
conditionnalités dans l'avènement de la démocratie en
Afrique, des conditionnalités qui s'étaient longtemps
heurtées « aux intérêts divergents qui
prévalaient dans les rapports entre l'Ouest et l'Est tout au long de la
guerre froide ». Pour sa part, Goldsmith voit une corrélation entre
le niveau de libéralisation du système politique dans les pays
africains et le volume d'aides étrangères dont ces derniers ont
bénéficié au début des années 1990.
Mais en quoi concrètement le poids politique et
économique de l'étranger serait-il important pour l'alternance au
pouvoir dans ces pays ? Selon Moss, le rôle de l'étranger se
manifeste de deux manières principales : Par la « politique du
bâton », d'une part et, par celle « de la carotte »,
d'autre part. Dans le premier cas, il s'agit de conditionner l'offre
d'assistance aux régimes africains par la démocratisation au
stade de libéralisation. Aux stades de la transition et de la
consolidation, il s'agit d'exiger que les pays africains jouent par les
règles démocratiques déjà établies. Dans le
second cas, c'est une question de promettre une aide accrue aux pays qui
s'engagent dans la voie de la démocratie pour soutenir et encourager
leurs efforts.
Goldsmith ajoute deux autres stratégies par lesquelles
les pays donateurs ou institutions financières internationales peuvent
influencer l'attitude des régimes africains par rapport à la
démocratisation. Une de ces deux stratégies est le soutien que
certains donateurs accordent
56 Moss, Todd J., « politique américaine
et démocratisation en Afrique les limites de l'universalisme
libéral revue d'étude africaines modernes » 1995, pp.
189-209.
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aux organisations de la société civile qui
luttent pour la démocratie et le respect des droits humains dans les 173
pays africains. Hearne attribue un rôle important à de tels
groupes dans l'avènement des réformes politiques successives
intervenues au Ghana dans les années 1990. L'autre stratégie
qu'identifie Goldsmith est celle qu'il considère comme «
accidentelle », c'est-à-dire les réformes politiques
qu'entreprennent des régimes africains afin de satisfaire aux exigences
« économiques » et « techniques » que leur imposent
les programmes d'ajustement structurel des institutions financières
internationales. Bon nombre de pays, comme le Ghana, ont adopté ces
programmes à partir de la seconde moitié des années
1980.
Sans nier la possibilité que les stratégies
mentionnées plus haut des acteurs externes puissent avoir un impact sur
l'alternance au pouvoir dans des pays africains, il importe de nuancer les
arguments précédents par deux principales remarques. D'abord, il
n'est pas évident que les « conditionnalités » des pays
occidentaux dans l'octroi de leurs fonds d'assistance s'appliquent à
tous les pays ou de la même manière. Leurs effets « positifs
» ou objectifs escomptés ne sont pas non plus évidents,
même quand on les applique de façon directe.
Alors, où est-ce que le poids de l'étranger peut
compter concrètement dans la problématique d'alternance en
Afrique et comment ? Il est possible d'arguer que cela réside davantage
dans son effet « négatif » que dans son hypothétique
effet « positif ». En d'autres termes, le poids de l'étranger
compte davantage lorsque des puissances étrangères se rangent au
côté du régime au pouvoir ou demeurent indifférentes
aux appels de l'opposition par rapport aux manquements de ce régime aux
règles démocratiques, rendant ainsi extrêmement difficile
l'avènement de l'alternance, sans qu'elle ne soit pour autant
impossible. Ce soutien « négatif » de l'extérieur peut
n'avoir aucun lien direct avec le paysage politique à l'intérieur
du pays. Cependant, il peut s'avérer important dans la mesure où
il peut constituer un support psychologique non négligeable pour le
pouvoir en place. Dépendamment des stratégies que ce dernier
emploiera ensuite pour exploiter cette situation, les actions du régime
en place peuvent constituer un obstacle majeur en face des partis d'opposition
dans leur quête pour le pouvoir.
Par exemple, des faits historiques et socioculturels ont fait
que la plupart des réfugiés libériens et
sierra-léonais, fuyant la guerre civile dans leurs pays dans les
années 1990, ont choisi la Guinée comme lieu d'asile. Pour ces
raisons et autres considérations politiques, la Guinée fut
amenée à jouer un rôle important dans le maintien de la
paix et de la stabilité dans ces deux pays voisins, voire aussi en
Guinée-Bissau en 1998-99, sous l'égide de la
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CEDEAO57. Ceci, et le traitement appréciable
qu'ont reçu ces réfugiés en Guinée ont fait du
régime de Lansana Conté un « partenaire important » de
la communauté internationale soucieuse de rétablir la paix et la
stabilité dans la sous-région ouest-africaine.
Un autre facteur s'est ajouté à cela, notamment
vers la fin des années 1990 et le début du nouveau
millénaire. Il s'agit là de l'antagonisme entre Londres et
Washington, d'une part, et le régime de Charles Taylor au Liberia
d'autre part, en plus du fait que Taylor s'était fait une image d'ennemi
à Conakry en tentant de déstabiliser la Guinée en
septembre 2000. De cette dynamique s'est créée 176 alliance entre
Washington, Londres et Conakry contre Taylor, et cette alliance s'est traduite
par un soutien important de ces deux puissances pour le régime de
Lansana Conté afin d'éliminer Taylor. Or, les partis d'opposition
guinéens étaient au moins ambivalents à l'égard de
cette politique d'isolement de Taylor et du soutien militaire de la
Guinée pour les groupes armés libériens opposés
à Taylor. Certains s'y sont carrément opposés. Cela
explique peut-être la défense de ces deux puissances
étrangères de tout acte pouvant déstabiliser le
régime de Conakry, d'où leur indifférence, au moins
jusqu'au départ de Taylor du pouvoir en 2003, à l'égard
des appels des partis d'opposition qu'ils sont en face d'une dictature. Ceci a
eu pour conséquence un confort psychologique pour le régime de
Conté, car ce support lui aurait permis de maintenir le statu quo avec
un minimum de concessions.
Mais comme nous l'avons démontré plus haut, les
pressions en provenance de l'étranger peuvent avoir un effet «
positif » en faveur de l'opposition dans l'avènement de
l'alternance. Il semblerait, cependant, qu'une telle hypothèse est
conditionnée à au moins trois facteurs : que l'acteur
étranger ait déjà des bons rapports avec le régime
en place ; qu'il exerce cette pression de façon très
discrète mais ferme ; et, finalement, qu'il y ait une opposition
largement crédible et capable de battre le parti au pouvoir aux urnes
dès lors que cette dernière joue aux règles
démocratiques du jeu électoral.
Toutes ces trois conditions auraient été
réunies au Ghana à l'approche des élections
présidentielles de décembre 2000 qui ont vu le parti
d'opposition, NPP, venir au pouvoir, son
57 Annan Kofi, « Les causes des conflits et la
promotion d'une paix et d'un développement durables en Afrique »
Rapport du Secrétaire général de l'ONU, Éditions
Berger-Levrault, avril 1998.
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candidat ayant battu celui du parti au Pouvoir. Un autre
élément externe aux partis politiques est la situation
économique du pays58.
Un exemple frappant est le cas du Bénin et du Niger
étudié, en détail, par Gazibo (2005). Les indicateurs de
développement humain (IDH) du Programme des Nations Unies pour le
développement (PNUD) confirment ce constat. Par exemple, en 2000, quand
la première alternance au pouvoir est intervenue au Ghana, le PIB par
habitant de ce pays, selon le rapport 2000 du PNUD basé sur les
données de 1998 qui faisait 390$ contre 530$ pour la Guinée et
$380 pour le Bénin. L'argument devient d'ailleurs irréfutable
avec une vue d'ensemble sur le classement des pays africains dans ce rapport.
En effet, la Libye et l'Algérie, deux pays moins libéraux sinon
autocratiques occupent respectivement les 72ème et
107ème rangs sur 174 pays, loin devant le Ghana
12ème, le Bénin 157ème et le Mali
165ème libéraux. Aucune de ces conditions ne semble
être réunie en Guinée. Mais là aussi, les
stratégies des acteurs de l'opposition n'y sont pas pour rien.
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