WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'alternance démocratique en afrique subsaharienne : cas de la république de guinée de 1990 à 2020


par Abdallah Moilimou
Université General Lansana Conté de Sonfonia/Conakry  - Diplôme de Master 2  2020
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Section 4 : Les facteurs du manque d'alternance politique en Guinée

4-1- Fraudes électorales comme stratégie de conservation du pouvoir : Il convient, d'emblée, de définir ce qui constitue, objectivement, une « fraude électorale ». Cette définition permettra, ensuite, d'analyser certaines des pratiques considérées comme telle. Ceci à travers des approches normative ou juridique, sociologique et stratégique. Cette démarche est d'autant plus nécessaire que la plupart des rapports ou déclarations faisant état de fraude électorale de la part des partis au pouvoir proviennent souvent des partis de l'opposition « victimes » et observateurs électoraux qui ne font pas, adéquatement, une différence entre ce qui constitue

33 Lehoucq Fabrice, « Electoral Fraud : Causes, Types, and Consequences, » Annual Review of political Science, 2003, pp. 233-256.

51

une fraude électorale et ce qui relève de la stratégie politique, « machiavélienne » que soit-elle34.

Fabrice Lehoucq définit la fraude électorale comme des « efforts clandestins déployés en violation des règles établies dans le but d'influencer le résultat des scrutins électoraux. » Il est vrai que des actes de truquage peuvent apparaître comme flagrants et être facilement détectés. Mais il n'est pas moins vrai que les truqueurs essaient toujours de cacher leurs actes, et nient même, en cas de découverte, d'avoir commis les faits qui leur sont reprochés. Ainsi, la clandestinité ou l'intention de cacher et l'illégalité sont deux conditions importantes pour établir, de façon objective, le caractère « frauduleux » d'un acte en jeu compétitif.

Pour nombre d'analystes et d'observateurs de la politique africaine, la principale stratégie qu'emploient les partis au pouvoir afin de conserver celui-ci est la fraude électorale, soutient que les partis au pouvoir en Afrique ont développé des techniques de fraude électorale très sophistiquées et subtiles, rendant difficile la détection de certaines pratiques aussi bien par le chercheur que par les observateurs électoraux. Selon une déclaration de Pascal Lissouba, l'ancien président congolais, « les régimes africains au pouvoir n'organisent pas les élections pour les perdre ». Kokoroko part de cette déclaration, qu'il utilise pour introduire son article qui porte sur les élections dans ce qu'il appelle l'Afrique noire francophone. Ainsi, il soutient que, dans la pratique, l'élection libre et honnête semble démentie dans la plupart de ces pays, ce qui justifierait, selon lui, qu'on se pose la question de savoir si les élections qui se déroulent dans ces pays sont des moyens crédibles de promotion des alternances démocratique et politique.

Ceci rejoint les arguments avancés pour justifier le désintérêt, pour très longtemps, de la recherche africaniste occidentale en science politique aux scrutins africains. Car ces scrutins n'étaient pas jugés libres et transparents dans la plupart des cas. La recherche africaniste n'avait donc pas jugé opportun d'élaborer une problématique générale visant à expliquer leur sens, leur déroulement ou leur rôle dans le processus de démocratisation, contrairement à l'intérêt porté aux échéances électorales ayant lieu dans les démocraties occidentales stables, voire dans les pays sud-américains35. Élargissant son analyse à l'ensemble de l'Afrique, note que la plupart des processus électoraux qu'a connus le continent depuis les années 1990 ont

34 Ninsin Kwame, « Introduction: The Contradictions and Ironies of Elections in Africa, » Africa Development, 2006, pp. 1-10.

35 Shedler, Andreas, « The Menu of Manipulation, » Journal of Democracy, juin 2002, pp. 36-50.

52

été entachés d'énormes irrégularités, « lesquelles non seulement se généralisent, mais aussi se diversifient à toutes les étapes du processus électoral ».

Ces étapes du processus électoral seraient au nombre de quatre, selon Daniel Calingaert. Il s'agit des phases de recensement des électeurs, de la campagne électorale, des procédures du jour de scrutin et, enfin, de la comptabilisation et la proclamation des résultats (Calingaert, 2006). C'est l'ensemble de ces techniques qu'Andreas Schedler (2002) dénomme « menu de la manipulation».

Tous les spécialistes reconnaissent que la plupart des régimes au pouvoir en Afrique font ou tentent souvent de faire recours à une ou plusieurs de ces techniques de truquage électoral. Dans le cadre des pays d'étude, les partis d'opposition guinéens et plusieurs observateurs de la politique guinéenne ont dénoncé ce qu'ils estiment être des pratiques de fraude électorale du parti au pouvoir, le Parti de l'Unité et du Progrès.36 De même, au Bénin, les candidats du parti la Renaissance du Bénin (PRB), Nicéphore Soglo, et du Parti du renouveau démocratique (PRD), Adrien Houngbedji, arrivés respectivement en 2ème et 3ème positions du scrutin présidentiel de mars 2001, ont décidé de boycotter le second tour en raison d'allégations de fraude à l'encontre du régime au pouvoir. Curieusement, les partisans de Soglo, alors président sortant, reprochent à Kérékou alors dans l'opposition et les siens de lui avoir « volé» la victoire du scrutin présidentiel de mars 1996.

Il convient d'analyser certains de ces actes à la lumière de la définition et à l'aide des approches susmentionnées. Ainsi, des actes comme la manigance des listes électorales afin d'en exclure certains électeurs éligibles, l'interdiction aux autres leaders politiques d'accéder à certaines parties du territoire national aux fins de campagne électorale en temps régulier, et le bourrage des urnes constituent des actes de fraude électorale s'ils ont été commis délibérément afin d'influencer les résultats. Ces actes sont interdits dans les codes électoraux de presque tous les États, et dans notre pays d'étude37. Quant aux actes comme 1' « achat de votes » aussi appelé « corruption morale », « don électoral » ou « marchandisation du vote » et la cooptation des éléments de l'opposition par le parti au pouvoir, ceux-ci sont des actes qui doivent faire l'objet de plusieurs lectures. Étant donné que chacun de ces actes prennent des formes multiples, l'analyse doit porter sur les différentes manifestations de l'acte et les traiter

36 Banégas Richard, « Mobilisations sociales et oppositions sous Kérékou, » Politique Africaine, octobre 1995, pp. 25-44

37 Bebel Bernd et Alexandra Scacco, « What the Numbers Say: A Digit-Based Test for Election Fraud Using New Data from Nigeria », Communication présentée à la conférence annuelle de American Political Science Association, Boston, août 2008.

53

au cas par cas. Il y en a qui sont prohibés par les règles électorales ou constitutionnelles en vigueur, et ceux-ci sont illégaux et relèvent donc de la fraude électorale.

Par exemple, dans une requête qu'il a déposée à la Cour constitutionnelle le 8 mars 2001, Mathieu Kérékou, le candidat sortant à l'élection présidentielle de mars 2001 au Bénin, a demandé à la Cour d'annuler les votes au niveau de certains bureaux de vote. Il justifiait sa requête par des irrégularités électorales que ses agents auraient constatées au niveau de ces bureaux de vote lors du premier tour du scrutin, le 4 mars. Les irrégularités évoquées comprenaient, par exemple, le fait que des « militants du parti d'opposition la Renaissance du Bénin distribuait du riz au gras aux électeurs » le jour du scrutin. Dans sa décision à propos de cette requête, la Cour a reconnu l'irrégularité de ces actes et noté qu'ils avaient été déjà pris en compte, examinés et sanctionnés avec l'annulation des voix au niveau des bureaux de vote où les irrégularités ont été établies38.

S'agissant de l'achat de votes ou don électoral, s'il n'est pas proscrit par les règles en vigueur, il n'est pas évident qu'il constitue un fait de fraude électorale. Vu sous un prisme normatif, cependant, éthique enseignerait l'évitement d'un tel acte. Sauf que l'analyse sociologique dédramatise les conclusions de ce regard normatif. En effet, l'on assiste, depuis quelques années, à une monétarisation extrême des relations sociales dans la plupart des sociétés africaines, y compris dans les mariages, les rapports conjugaux des femmes refusant de se marier qu'au plus offrant, les amitiés et même les relations entre parents. Or la conduite des politiques est influencée, dans une grande mesure, par les matrices morales de la société qu'ils représentent. Ainsi, s'inscrivant parfaitement dans la logique de la « politique du ventre », la plupart des électeurs africains considèrent la promesse ou l'offre d'argent et autres faveurs en période électorale comme une vertu éthique et civique, et n'y voient rien d'anormal. Il est même possible d'arguer que certains les considèrent comme une obligation que leur doivent les politiques. Dans les canevas de questionnaire de nos enquêtes de terrain figurait les questions suivantes : « Qu'est-ce qui vous a convaincu d'adhérer à ce parti ? » et « Qu'est-ce qui vous a convaincu de soutenir une personnalité indépendante comme Boni (pour les militants de Yayi Boni au Bénin) ? » La question conséquente que nous posions souvent était : « pourquoi pas supporter tel ou tel autre candidat ? » Les réponses de certains informateurs étaient révélatrices à cet égard. En Guinée, le premier élément évoqué par la plupart des militants et sympathisants du parti au pouvoir était de dire que « Lansana Conté est un homme de paix qui a préservé la stabilité en Guinée malgré les crises politiques qui prévalaient dans

38 Déposition de la Cour constitutionnelle beninoise, 2001.

54

les pays voisins. » Mais le deuxième élément de réponse de bon nombre d'entre eux, et le premier même pour certains, était de dire que Conté lui-même ou un membre influent de son parti « est très bienfaisant et généreux ». Trois personnes à Conakry ont dit qu'ils n'étaient que sympathisants avec le PUP mais qu'elles sont dorénavant très engagées parce que le Président Conté a fait partir leurs parents à la Mecque pour le pèlerinage musulman.

Au Bénin, quatre militants du PRD ont reconnu qu'ils soutiennent le programme politique du leader de leur parti, mais qu'ils déplorent le fait qu'il ne se montre pas suffisamment généreux. À propos des difficultés non politiques auxquelles ils font face, presque tous les leaders de l'opposition au Bénin, en Guinée et au Ghana (notamment les petits partis) ont mis l'accent sur la question de financement. Demandés pourquoi ils ne mobilisaient pas suffisamment de fonds à partir des cotisations de leurs militants, la réponse d'environ les deux tiers des Guinéens et des Béninois et la moitié des Ghanéens était de dire que « les militants ne sont pas bien engagés, ils sont pauvres et beaucoup s'attendent d'ailleurs à ce que le parti leur fasse des faveurs pour leur engagement ».

Pour Richard Banégas, parlant du cas béninois, notamment lors des élections législatives de 1995, «la période électorale est en effet perçue par la majorité des citoyens comme le moment où l'on peut reprendre aux hommes politiques l'argent qu'ils ont accumulé depuis leur accession au pouvoir ou, plus généralement, depuis l'indépendance. » De ce fait, soutient-il : Dans certains cas, les paysans d'un quartier se sont organisés pour maximiser le profit tiré de la campagne électorale ... Mais, contrairement à ce que laisse accroire une image répandue, les citoyens ordinaires sont loin de se conformer passivement au vote obligé que leur proposent les donateurs de ces cadeaux ; ils monnayent âprement leur voix et veillent, chacun à leur niveau, à maximiser l'échange électoral39. Loin de consacrer la mise sous tutelle des électeurs, souvent évoquée dans les analyses du clientélisme, la relation client taire, instrumentalisée par les groupes populaires, apparaît à ce titre comme un des vecteurs majeurs d'initiation aux règles nouvelles du pluralisme40. Et loin d'être l'oeuvre des seuls partis au pouvoir, il faut reconnaître que les acteurs des partis d'opposition, qu'ils soient candidats à la présidence ou à la députation, s'adonnent également à cette pratique.

39 Mahiou Ahmed, « L'avènement du parti unique en Afrique noire, l'expérience des États d'expression française », Paris, LGDJ, 1969.

40 Banégas Michel, « Mobilisations sociales et oppositions sous Kérékou », Politique africaine, 1995, p. 78

55

Vue sous cet angle, l'offre du don électoral constitue pour les politiques une « stratégie rationnelle » qui vise à gagner des électeurs en étant sensibles à leurs désirs et préférences41. D'ailleurs, comme nous l'avons vu au premier chapitre, Weber (1971) reconnaît dans sa définition de parti politique le fait que les partis ont aussi pour but de procurer à leurs militants actifs « des chances idéales ou matérielles de poursuivre des buts et objectifs, d'obtenir des avantages personnels ou de réaliser les deux ensemble »42. Il est vrai que les partis au pouvoir, disposant de plus de moyens, bénéficient davantage de cette donne et de cette stratégie que les partis d'opposition.

précédent sommaire suivant






La Quadrature du Net

Ligue des droits de l'homme