La CEEAC et la problématique des élections présidentielles au Tchad: implication et impact sur le processus d'intégration régionale en Afrique Centralepar Kissalaye LOPSOU Institut des Relations Internationales du Cameroun (IRIC)/Université de Yaoundé 2 - Master en Relations Internationales, Option : Intégration Régionale et Management des Institutions Communautaires 2023 |
Section 2ème :LES FONDEMENTS JURIDIQUES ET INSTITUTIONNELS DE L'IMPLICATION DE LA CEEAC DANS L'OBSERVATION DES ELECTIONS PRESIDENTIELLES AU TCHADLa construction de la légitimité des règles électorales en Afrique centrale peut s'observer à travers des cadres normatifs codifiés par des textes juridiques qui intègrent non seulement des droits et devoirs d'un citoyen et d'un Etat mais aussi leurs libertés. Ces textes juridiques sont donc des points de repère pour toute initiative en faveur de la promotion des libertés, la bonne gouvernance, la démocratie, aussi bien au niveau international, continental (Paragraphe 1), que contractuel (Paragraphe 2). Paragraphe 1er : Le cadre internationalde l'implication de la CEEAC dans l'observation électoralePar ces termes, nous voulons dire des instruments juridiques dont nous ferons mention ici qu'ils relèvent soit de l'initiative des Nations unies, soit encore de plateformes internationales culturelles et/ou communautaires. Dans ce paragraphe, il sera question de présenter le cadre universel de la légitimité de l'observation électorale internationale (A) et du cadre juridico-institutionnel continental africain (B). A. Le cadre universel de la légitimité de l'observation électorale internationale Il s'agit de présenter, en premier lieu, la DUDH, et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1), deuxièmement, la déclaration de principes pour l'observation internationale des élections et le code de conduite à l'usage des observateurs électoraux internationaux (B). 1. La DUDH et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH) est adoptée par l'Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU) le 10 Décembre 1948 par la résolution 217(III). Elle précise les droits fondamentaux de l'Homme, et ont une valeur universelle. La DUDH est définie dans son préambule comme « un idéal commun à atteindre par tous les peuples de toutes les nations »417(*). Elle codifie l'ensemble des droits civils, politiques, sociaux, économiques et culturels inhérents à toute personne humaine. Bien qu'ayant servi de modèle à de nombreux textes et mécanismes de protection des droits humains, elle sert de base de tout instrument concernant le combat pour la défense des droits de l'homme. Cette déclaration a relativement une faible portée juridique car il s'agit d'une résolution de l'Assemblée Générale des Nations Unies, elle n'a donc pas de valeur contraignante. Nonobstant sa portée juridique limitée, la DUDH est le principal instrument universel qui pose les bases d'une élection honnête en garantissant les droits des citoyens à participer pleinement à la gestion des affaires publiques418(*). Aux termes de l'article 21 : « Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis. Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d'égalité, aux fonctions publiques de son pays. La volonté du peuple est le fondement de l'autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s'exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote »419(*). Tout comme la DUDH, le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP)420(*)est considéré au même titre que la DUDH comme la base de tout instrument de promotion des droits de l'homme, et de la démocratie. Signé et ratifié par plus de 160 Etats, il est structuré en six (06) parties comportant cinquante-trois (53) articles dont les plus illustratifs sont les articles 19 21 et 22 et 25.Ces dispositions font de cet instrument une garantie de la liberté d'expression, d'opinion, d'association et de réunion, ainsi que le droit de vote, faisant également des élections l'élément clé de la gouvernance démocratique. Aux termes de l'article 19, « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions. Toute personne a droit à la liberté d'expression... »421(*). L'article 21 quant à lui dispose que : « Le droit de réunion pacifique est reconnu. L'exercice de ce droit ne peut faire l'objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l'ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d'autrui »422(*). L'article 25 se réfère à ce que « Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l'article 2 et sans restrictions déraisonnables, de prendre part à la direction des affaires publiques... »423(*). En plus de ces deux instruments, d'autres instruments internationaux relatifs à la promotion de la démocratie, de la bonne gouvernance et de l'Etat de droits ont été signés et ratifiés par les Etats membres de la CEEAC. La Déclaration de Bamako signée en novembre 2000 à Bamako au Mali est le premier texte normatif dont s'est dotée l'OIF dans le domaine de la démocratie et des droits de l'homme424(*). Elle se fonde sur les dispositions de la charte de la Francophonie qui consacrent comme objectifs prioritaires l'aide à l'instauration et au développement de la démocratie, la prévention des conflits et le soutien à l'Etat de droit et aux droits de l'Homme. 2. La Déclaration de principes pour l'observation internationale des élections et le code de conduite à l'usage des observateurs électoraux internationaux Il s'agit d'un instrument mis sur pied par les Nations Unies pour encadrer l'observation électorale dans les scrutins qui ont lieu dans le monde entier. Aussi, cette Déclaration de principes relative à l'observation internationale d'élections est associée au code de conduite à l'usage des observateurs électoraux internationaux. Elle a été adoptée lors de la commémoration de l'organisation des Nations Unies, le 27 octobre 2005 à New-York425(*), et souscrit par plusieurs organisations régionales, internationales, et non gouvernementales. Partant du fait que l'organisation d'élections honnêtes, démocratiques est une expression de souveraineté qui appartient aux citoyens d'un pays, l'autorité et la légitimité des pouvoirs publics reposent sur la volonté librement exprimée du peuple. Le droit de voter et celui d'être élu lors de scrutins démocratiques, honnêtes et périodiques sont des droits fondamentaux internationalement reconnus. De ce fait, La tenue de scrutins honnêtes et démocratiques est une condition préalable de la gouvernance démocratique car elle est l'instrument permettant aux citoyens de choisir librement, dans un cadre juridique établi, ceux qui, en leur nom les gouverneront légitimement et défendront leurs intérêts. Au demeurant, il ne peut y avoir d'élections honnêtes et démocratiques si un grand nombre d'autres libertés et droits fondamentaux ne peuvent être exercés de façon permanente, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue. Vingt-quatre (24) principes édictés par l'ONU encadrent cette déclaration, principes auxquels ont souscrit les OIG, les ONG et implémentés dans les Etats où ont lieu des scrutins. Ces principes vont de la nécessité d'adoption d'une telle déclaration, jusqu'à l'entière adhésion de toutes les parties concernées et leur engagement à ne ménager aucun effort pour respecter les dispositions de la déclaration et du code de conduite des observateurs électoraux internationaux qui l'accompagne426(*) en passant par la reconnaissance à tout citoyen de la faculté de jouir de ses droits civils et politiques conformément à la DUDH, et au PIDCP. Le Code de conduite des observateurs électoraux internationaux complète la déclaration de principes pour l'observation internationale d'élections, et dans son introduction il est rappelé que « les observations électorales internationales sont largement acceptées dans le monde »427(*) sur la base des principes suivants : - Respecter la souveraineté du pays hôte et les instruments internationaux relatifs aux droits de l'Homme ; - Respecter la législation du pays hôte et l'autorité des organes électoraux ; - S'abstenir de faire des observations en public ou aux médias avant que la mission n'ait fait de déclaration ; - Veiller à l'exactitude des observations et faire montre de professionnalisme dans l'établissement des conclusions. A côté des instruments internationaux, il existe sur le plan continental (Afrique) des instruments qui visent à garantir les élections libres et transparentes, la bonne gouvernance, la démocratie et l'Etat de droit. B. Le cadre juridico-institutionnel continental de l'observation électorale internationale par les organisations interétatiques Il est donc important de soulever les fondements de l'acte constitutif de l'UA et le rôle de la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance (CADEG) dans la construction de la crédibilité des scrutins en Afrique centrale qui constituent des documents juridiques solides, mieux des matrices normatives et novatrices qui encadrent la prise en charge de la bonne gouvernance, de la démocratie ainsi que les élections crédibles et transparentes en Afrique (1). Nous ferons ensuite une interprétation de la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance (2). 1. Les fondements de l'acte constitutif de l'UA, et le rôle de la CADEG dans l'observation des élections en Afrique centrale Les documents juridiques permettent d'encadrer les actions des différents acteurs pour éviter la confrontation de leurs intérêts428(*). C'est dans cette logique que l'Acte constitutif de l'UA a instauré un cadre de renforcement de la démocratie et de la bonne gouvernance429(*), la promotion et la protection des droits de l'homme et des peuples conformément à la CADEG et aux autres instruments pertinents relatifs aux droits de l'homme430(*). De même, elle promeut le respect des principes démocratiques, des droits de l'homme, de l'Etat de droit, de la bonne gouvernance431(*), ainsi que la condamnation et le rejet des changements anticonstitutionnels de gouvernements432(*). Cinq ans après sa création, elle a décidé de se doter d'un instrument juridique relatif à la promotion de la bonne gouvernance et de la démocratie. Ainsi, le 30 janvier 2007 à Addis Abeba (Éthiopie), les chefs d'Etats et de gouvernements réunis dans le cadre de la huitième session ordinaire de l'UA ont adopté une Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance. Il s'agit d'un cadre politique soutenu par une convention internationale propre au continent africain. La CADEG en tant que document juridique joue plusieurs rôles et sert à : - Promouvoir et renforcer l'adhésion au principe de l'Etat de droit fondé sur le respect et la suprématie de la Constitution et de l'ordre constitutionnel dans l'organisation politique des Etats parties ; - Promouvoir la tenue régulière d'élections transparentes, libres et justes afin d'institutionnaliser une autorité et un gouvernement légitimes ainsi que les changements démocratiques de gouvernement ; - Interdire, rejeter et condamner tout changement anticonstitutionnel de gouvernement dans tout Etat membre comme étant une menace grave à la stabilité, à la paix, à la sécurité et au développement ; - Instaurer, renforcer, et consolider la bonne gouvernance par la promotion de la pratique et de la culture démocratique, l'édification et le renforcement des institutions de gouvernance et l'inculcation du pluralisme et de la tolérance politiques ; - Promouvoir la création des conditions nécessaires pour faciliter la participation des citoyens, la transparence, l'accès à l'information, la liberté de presse et l'obligation de rendre compte de la gestion des affaires publiques ; - Promouvoir l'équilibre entre homme et femme ainsi que l'égalité dans les processus de gouvernance et de développement ; - Promouvoir les meilleures pratiques dans l'organisation des élections aux fins de stabilité politique et de bonne gouvernance. Cette Charte est à juste titre considérée comme un moyen d'autonomisation en matière de bonne gouvernance et de démocratie, ainsi que de respect de l'Etat de droit à tous les niveaux dans les Etats africains. L'interprétation des mesures prescrites par ladite Charte constitue un enjeu majeur pour faire ressortir son contenu épistémologique, mais aussi les différents contours qu'elle prévoit en matière de démocratie et de bonne gouvernance. 2. La compréhension du cadre de construction de la bonne gouvernance et de la démocratie en Afrique centrale par le biais de la CADEG La Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance constitue un fondement normatif solide pour l'observation par l'Afrique de ses élections et une référence centrale en matière de protection des droits de l'homme et de construction de sociétés démocratiques et résilientes sur ce continent433(*). Elle commence par un préambule. Elle présente aussi un ensemble de problèmes auxquels les Etats signataires s'engagent à apporter des solutions dans une action concertée. La Charte est divisée en (11) onze chapitres qui comprennent 53 articles. Les deux (2) premiers chapitres sont consacrés aux objectifs et principes de la Charte. Il s'agit de : (2) « Promouvoir et renforcer l'adhésion au principe de l'Etat de droit fondé sur le respect et la suprématie de la Constitution et de l'ordre constitutionnel dans l'organisation politique des Etats parties »434(*),(3) « Promouvoir la tenue régulière d'élections transparentes, libres et justes afin d'institutionnaliser une autorité et un gouvernement légitimes ainsi que les changements démocratiques de gouvernement »435(*). La charte fait référence au « respect des droits de l'homme et des principes démocratiques436(*) », « Interdit, rejette et condamne tout changement anticonstitutionnel de gouvernement dans tout Etat membre comme étant une menace grave à la stabilité, à la paix, à la sécurité et au développement »437(*). De même, elle prescrit « Le rejet et la condamnation des changements anticonstitutionnels de gouvernements »438(*). Les chapitres 4, 5, 6, et 7 s'attardent de façon globale sur la démocratie et tous ses corolaires439(*). Il s'agit pour « les Etats parties de s'engager à élaborer les cadres législatif et politique nécessaires à l'instauration et au renforcement de la culture de la démocratie et de la paix »440(*). Cet engagement de la CADEG doit également se matérialiser par la promotion d'institutions publiques qui assurent et soutiennent la promotion de la démocratie et de l'ordre constitutionnel441(*). Les chapitres 8, 9, 10, et 11 s'attardent sur les sanctions en cas de changements anticonstitutionnels de gouvernements, sur la gouvernance politique, économique et sociale, les mécanismes de mise en application, et enfin les dispositions finales. L'article 24 stipule :« Au cas où il survient, dans un Etat partie, une situation susceptible de compromettre l'évolution de son processus politique et institutionnel démocratique ou l'exercice légitime du pouvoir, le conseil de paix et de sécurité exerce ses responsabilités pour maintenir l'ordre constitutionnel conformément aux dispositions pertinentes du Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine... »442(*).De même, « la Conférence peut décider d'appliquer d'autres formes de sanctions à l'encontre des auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement, y compris des sanctions économiques »443(*). S'agissant des mécanismes de mise en application des prescriptions de la Charte, ils s'étendent à deux niveaux : au niveau de chaque Etat et au niveau de la Commission de l'UA.Relativement au premier niveau, « les Etats parties initient les actions appropriées, y compris les actions d'ordre législatif, exécutif et administratif afin de rendre leurs lois et les règlements nationaux conformes à la présente Charte »444(*).Au niveau de l'UA, « la Commission définit les critères de mise en oeuvre des engagements et principes énoncés dans la présente Charte et veille à ce que les Etats parties répondent à ces critères »445(*). Ensuite, à l'échelle régionale, les CERs mettent en oeuvre les principes fixés par la charte au niveau de chaque région tout en encourageant les Etats à la ratifier d'où l'intervention de l'UA dans la promotion des valeurs démocratiques et l'observation des élections. * 417 Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, adopté le 10 Décembre 1948. * 418 Manuel de formation des formateurs de la société civile tchadienne en observation électorale, p. 39. * 419 Article 21 d la DUDH adoptée le 10 Décembre 1948. * 420Adopté par l'AGNU, à la faveur de sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966 avant d'entrer en vigueur le 23 mars 1976. Arnaud Claude MBALLA, « la problématique de la protection des droits de l'homme dans les crises électorales en Afrique. Le cas de l'Afrique centrale depuis 1990 », Mémoire de Master en Relations Internaionales, IRIC, 2020, p.70. Article 19 du Pacte International relatif aux Droits Civiles et Politiques, adopté le 16 décembre 1966. * 421 Article 19 du Pacte International relatif aux Droits Civiles et Politiques, adopté le 16 décembre 1966. * 422 Article 21 du PIDCP, Op. Cit. * 423 Article 25 du PIDCP. * 424 « La déclaration de Bamako (Novembre 2000) », Hermès la Revue, 2004/3, n° 40, p. 23. * 425 Nations Unies, la déclaration de principes pour l'observation internationale d'élections et le code de conduite à l'usage des observateurs électoraux internationaux, commémoration à l'organisation des nations unies, le 27 octobre 2005 new York. p. 3. * 426 Principe 22 de la déclaration de principes pour l'observation internationale d'élections et le code de conduite à l'usage des observateurs électoraux internationaux, p.10. * 427 Nations Unies, la déclaration de principes pour l'observation internationale d'élections et le code de conduite à l'usage des observateurs électoraux internationaux, Op. Cit, p. 11. * 428 Alfred EKANI, « la politique de l'union africaine et la question de la prise en charge de la jeunesse », Mémoire de Master en relations internationales, IRIC, 2018. p. 58. * 429 Art 3 (g), Acte constitutif de l'Union africaine. * 430 Ibid, art 3 (h) * 431 Art 4 (m), Acteconstitutif de l'UnionAfricaine. * 432 Ibid, art 4 (p). * 433 C'est à l'intérieur des normes prescrites par la CADEG que les stratégies de promotion de la bonne gouvernance sont construites au niveau continental, et subsidiées aux régions et sous régions. Il s'y trouve également les différentes missions attribuées aux acteurs. * 434 Article 2 (2) de la CADEG. * 435 Article 2 (3) de la CADEG. * 436 Article 3 (1) de la CADEG. * 437 Article 2 (4) de la CADEG. * 438 Article 3 (10) de la CADEG. * 439 Notamment la paix, l'Etat de droit, les élections ainsi que les institutions démocratiques. Il s'agit donc des engagements pris par les Etats pour assurer la promotion de la démocratie, de l'Etat de droit, pour s'assurer que les citoyens jouissent de leurs libertés individuelles, ainsi que de leurs droits. * 440 Article 11 de la CADEG. * 441 Article 16 de la CADEG. * 442 Article 25 (6) de la CADEG. * 443 Article 30 de la CADEG. * 444 Ibid. (2, a) de la CADEG. * 445 Ibid. (2 b) de la CADEG. |
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