La CEEAC et la problématique des élections présidentielles au Tchad: implication et impact sur le processus d'intégration régionale en Afrique Centralepar Kissalaye LOPSOU Institut des Relations Internationales du Cameroun (IRIC)/Université de Yaoundé 2 - Master en Relations Internationales, Option : Intégration Régionale et Management des Institutions Communautaires 2023 |
Paragraphe 2ème : Le cadre contractuel et les instruments juridiques nationaux régissant l'organisation des élections au TchadIl s'agit, dans ce paragraphe, de présenter les engagements du Tchad sur le plan sous régional, régissant l'organisation et l'observation des élections (A) et les différents textes et instruments nationaux encadrant l'organisation et l'observation électorale internationale (B). A. Les engagements du Tchad sur le plan sous régional régissant l'observation des élections en Afrique centrale par la CEEAC Ces engagements sont entre autres : le Traité révisé de la CEEAC et le Protocole révisé du Conseil de Paix et de sécurité de l'Afrique centrale (COPAX) (1) et les décisions, déclarations et directives de la CEEAC relatives à l'appui aux élections (2). 1. Le traité révisé de la CEEAC et le Protocole Révisé du Conseil de Paix et de Sécurité de l'Afrique Centrale (COPAX) Le traité de la CEEAC a été révisé le 18 décembre 2019. Ce changement a été opéré dans le cadre d'une réforme institutionnelle de cette Communauté afin de relancer sa dynamique d'intégration. C'est ainsi que l'on remarque clairement dès son Préambule, qu'elle affirme : « CONSIDERANT que la promotion d'une culture démocratique forte par l'organisation d'élections libres, transparentes et régulières, le respect des droits de l'homme et de l'Etat de droit, la lutte contre la corruption et l'impunité, ainsi que l'élaboration des politiques de promotion du développement durable, sont essentiels à la sécurité collective, la paix et la stabilité de la région ; (...)446(*) ». La CEEAC déclare en son texte liminaire se baser sur la Charte des Nations Unies et l'Acte Constitutif de l'Union Africaine qui sont des instruments majeurs pour la promotion de la démocratie. Les principes énoncés dans ce traité447(*) exposant les valeurs de maintien de la paix, de souveraineté, d'élections libres, de bonne gouvernance et de sécurité collective montre un caractère panafricain, politique et sécuritaire plus prononcé au sein de la déclinaison de la dynamique d'intégration de la CEEAC. Et l'article 36 vient confirmer la vocation et la volonté de la CEEAC de faire de la sous-région, un espace de constructions de valeurs démocratiques partagées en présentant les engagements des Etats dans la promotion de la démocratie. Le Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité de l'Afrique centrale (COPAX) retienne parmi ses principes « la promotion et la consolidation des institutions démocratiques (...) »448(*). Dans ce protocole, les Etats, « Conscients que la démocratie, la bonne gouvernance, la construction et l'affermissement de l'Etat de droit sont essentiels à l'établissement du développement durable et à la prévention des conflits... »449(*), s'engagent à observer « la solidarité à travers l'engagement de la communauté à fournir l'assistance mutuelle à un Etat membre qui en exprime le besoin, y compris le droit des Etats membres de solliciter l'intervention de la communauté pour maintenir ou restaurer la paix et la sécurité en cas de crise ou den conflit conformément à la responsabilité collective exprimée par les Chefs d'Etats et de gouvernements quant au principe de non indifférence... »450(*). 2. Les décisions, déclarations et directives relatives aux élections en Afrique centrale En Afrique centrale, le Tchad participe pleinement aux initiatives visant à promouvoir l'organisation d'élections crédibles dans les Etats membres. Il s'agit, entre autres, de : · La Déclaration sur l'appui au processus électoral dans les Etats membres de la CEEAC signée à Brazzaville le 7 juin 2005 Par cette déclaration, les Chefs d'Etats et des Gouvernements des Etats membres de la CEEAC, déclarent promouvoir et intensifier la coopération entre les Etats membres en matière électorale d'une part et avec les organisations internationales et régionales d'autre part451(*). Par ailleurs, ils donnent mandat à la CEEAC, d'intégrer dans ses missions, l'appui au processus électoral452(*) et au Secrétariat Général de la CEEAC, de mettre en place une structure appropriée453(*). · La Décision n° 04/CEEAC/CCEG/XII/05 relative à la création de l'Unité d'appui électoral aux Etats membres au sein du Secrétariat général de la CEEAC Réaffirmant son attachement au principe de l'alternance politique par la voie démocratique consacré par l'acte constitutif de l'Union Africaine et se référant à la déclaration de Lomé sur les changements anticonstitutionnels des régimes en Afrique454(*), la Conférence des Chefs d'Etats et de Gouvernements de la CEEAC décide de créer une unité d'appui électoral455(*) pour les Etats qui en font la demande456(*). Cet appui consiste en une assistance technique dont le contenu sera convenu entre l'Etat membre demandeur et le Secrétariat Général, matérielle et/ou financière, en envoyant une mission d'observation et d'évaluation des besoins, en l'envoi de missions d'observation457(*). · La Décision N°07/CEEAC/SG/2005 du 17 novembre 2005 portant organisation, fonctionnement et attributions de l'Unité d'Appui électoral Cet instrument présente l'organisation de l'unité d'appui électoral qui est composée d'un Chef d'Unité, de deux assistants et d'un Secrétaire458(*). Elle présente en outre ses missions qui sont la gestion des calendriers électoraux, l'assistance technique souhaitée et l'envoi des missions d'observation, la coordination des missions internationales et l'analyse prospective sur la gouvernance et l'alternance démocratique459(*). · La Décision n°19/CEEAC/CCEG/XII/07 relative à l'envoi des missions internationales d'observation électorale dans les Etats membres signée à Brazzaville le 30 octobre 2007 Dans son préambule, cette décision rappelle les principes de l'Union africaine et de la CEEAC relatifs à la gouvernance démocratique et affirme dans son article 1er : « La demande d'envoi d'une mission d'observation électorale doit parvenir au Secrétariat Général au moins quatre-vingt-dix jours avant la date prévue du scrutin »460(*).Ici, la CEEAC peut s'auto saisir d'un dossier électoral et proposer des actions d'appui, y compris l'envoi de missions d'observation ou de médiation électorale. Contrairement aux instruments internationaux et continentaux auxquels le Tchad est partiequi l'obligent, les déclarations et décisions de la CEEAC expriment des engagements politiques sans force contraignante. Voilà pourquoi ils informent le cadre juridique en vigueur au plan national. B. Le cadre législatif et règlementaire national encadrant l'organisation et l'observation internationale des élections au Tchad Le cadre législatif et règlementaire national encadrant la promotion de la démocratie, l'organisation et l'observation internationale des élections présidentielles au Tchad est constitué des différentes lois fondamentales que sont les constitutions de 1996 et 2018 (1) et des codes électoraux et autres textes (2). 1. Les différentes constitutions du 31 mars 1996 et 04 mai 2018 Les lois fondamentales qui ont servi de base juridique pour les missions internationales d'observation électorale de la CEEA sont : la Constitution du 31 mars 1996 et celle de la quatrième République du 04 mars 2018, issu du Forum National Inclusif qui s'est tenu du 19 au 27 mars 2018 à N'Djaména461(*).Les fondements de l'observation électorale dans les constitutions du Tchad de 1996 et 2018 reposent sur le principe de transparence et d'impartialité des élections pour assurer une gouvernance démocratique. Dans la Constitution tchadienne de 1996, l'article 33 stipule que « le droit de vote est universel, égal et direct. Il est secret et à bulletin secret. Il peut être exercé par procuration dans les conditions fixées par la loi. Les opérations de vote sont publiques et transparentes ». Cette disposition permet de garantir la transparence des élections en permettant l'accès de tous à l'information sur les opérations de vote. La Constitution tchadienne de 2018 a renforcé ce principe en ajoutant l'article 171 qui énonce que « les élections sont organisées de manière impartiale, transparente et crédible ». Elle prévoit également la mise en place d'une Commission Électorale Indépendante Nationale (CENI) dont le rôle est de superviser les élections et de garantir leur transparence. L'article 174 de la Constitution de 2018 spécifie que la surveillance des élections est également ouverte aux organisations de la société civile et aux observateurs internationaux crédibles. En somme, les constitutions du Tchad de 1996 et 2018 insistent sur la nécessité de garantir la transparence et l'impartialité des élections pour assurer une démocratie solide. La surveillance des élections par des organisations de la société civile et des observateurs internationaux joue un rôle crucial dans ce processus. 2. Les codes électoraux et les autres textes régissant la gestion des élections Divers textes de loi régissent, à des degrés divers, l'organisation des élections au Tchad. Inspiré par le l'Accord politique du 13 août 2007, l'Etat tchadien a pris des mesures législatives allant dans le sens de la dissuasion des fraudes électorales, de l'impartialité de l'administration électorale et de la transparence de ses opérations. La loi n° 003/PR/2008 portant code électoral définit les conditions requises pour être électeur, les modalités de constitution des listes électorales, l'organisation des opérations de vote, les conditions d'éligibilité et d'inéligibilité des candidats, l'organisation de la campagne électorale, l'identification des signes et emblèmes des partis politiques et la gestion du contentieux. Les acteurs politiques et de la société civile ont, à l'occasion des missions d'observation déployées pendant les élections de 1996 et 2001, recommandé la révision de certaines de ses dispositions462(*).Les principales modifications que le code électoral a subies concernent le vote des forces de défense et de sécurité, celui des populations nomades et des Tchadiens de l'étranger celui des personnes en déplacement, les procurations, la participation des délégués des candidats aux délibérations de la CENI, l'usage du bulletin unique463(*). Critiqué pour ses nombreuses lacunes et insuffisances464(*), ce code a subi une modification de pas moins de 18 dispositions.Le code électoral définit également le mode de scrutinprésidentiel465(*), conformément à la Constitution du 31 mai 1996 révisée qui ajoute, suite au referendum constitutionnel de 2005, que le Président de la République est rééligible466(*). La loi n° 020/PR/2010 du 4 août 2009 portant création d'une Commission Electorale Nationale Indépendante est déterminante dans l'administration des élections. Elle définit l'organisation et les attributions d'une commission électorale paritaire majorité-opposition avec des pouvoirs considérablement accrus. Elle bénéficie, dans l'accomplissement de ses missions, de l'assistance d'une structure technique, le Bureau Permanent des Elections (BPE), qui en assure le secrétariat467(*). Les démembrements de la CENI ont été créés par le décret n° 394/PR/PM/2010 du 4 mai 2010 nommant les membres des démembrements sous-préfectoraux.La loi n°019/PR/2009 du 4 août 2009 portant Charte des partis politiques a été votée pour mieux réglementer la création et le fonctionnement des partis politiques au Tchad. Tout en réaffirmant la liberté reconnue aux citoyens de se regrouper dans les formations politiques, elle impose aux partis de contribuer à la promotion des valeurs démocratiques en proscrivant tout recours à la force pour la conquête du pouvoir.La loi n°020/PR/2009 portant statut de l'opposition politique au Tchada le mérite de conférer un statut à l'opposition468(*) qui a désormais pour chef le président du parti politique qui a le plus grand nombre de députés élus à l'Assemblée nationale.La loi organique n° 25/PR/2009 déterminant les rapports entre les partis politiques et leurs militants élus traite spécifiquement de la question du « nomadisme politique469(*) » qui a longtemps préoccupé l'opposition470(*)et oblige les élus, tout en gardant leur liberté d'esprit et d'action, à rester liés à leur parti tout au long de l'exercice d'un mandat acquis sous ses couleurs. * 446 Préambule du Traité révisé de la CEEAC de 2019 * 447 Article 3, Traité révisé instituant la CEEAC, Libreville, le 18 décembre 2019. * 448 Article 3h) du Protocole relatif au COPAX, adopté par la Conférence des Chefs d'Etat et de gouvernement à Malabo, le 24 février 2000, faisant suite aux Décisions n°001/Y/fev et n°001/CCEG/IX/99 de la Conférence des Chefs d'Etat et de gouvernement de la CEEAC, portant respectivement création du COPAX (Sommet de Yaoundé, tenu le 25 février 1999) et intégration du COPAX au sein de la CEEAC (Conférence de Malabo, tenue le 26 juin 1999). * 449 Préambule du Protocole relatif au Conseil de paix et de sécurité de l'Afrique centrale révisé, du 18 décembre 2019. * 450 Ibid. Article 3 * 451 Déclaration sur l'appui au processus électoral dans les Etats membres de la CEEAC signée à Brazzaville le 7 juin 2005, point 8. * 452 Ibid. Point 9. * 453 Ibid. Point 11. * 454 Préambule de Décision n° 04/CEEAC/CCEG/XII/05 relative à la création de l'Unité d'appui électoral aux Etats membres au sein du Secrétariat général de la CEEAC * 455 Ibid. Article 1er * 456 Ibid. Article 2 * 457 Ibid. Article 3 * 458 Article 1er de Décision N°07/CEEAC/SG/2005 du 17 novembre 2005 portant organisation, fonctionnement et attributions de l'Unité d'Appui électoral au sein du Secrétariat général de la CEEAC * 459 Ibid. Article 3 * 460 Article 1er de Décision n°19/CEEAC/CCEG/XII/07 relative à l'envoi des missions internationales d'observation électorale dans les Etats membres signée à Brazzaville le 30 octobre 2007 * 461 Journal la voix, n° 532 du 4 au 10 Novembre 2020, p. 7. * 462 Lire, en particulier, le rapport d'observation de l'ONIPED pour l'élection présidentielle de 2001. * 463 Commission Electorale Nationale Indépendante, Rapport général sur le processus électoral 2009-2012, N'Djamena, novembre 2012, page 79. * 464 Il s'agit, par exemple, « de la redondance de certaines dispositions, de l'imprécision de certains termes utilisés, des délais parfois trop longs par rapport aux activités à réaliser, etc.» * 465 Le Président de la République du Tchad est élu au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Pour être déclaré élu au premier tour, le candidat doit réunir la majorité absolue des suffrages exprimés (article 136 du code électoral). * 466 La Constitution ne limite pas le nombre de mandats qu'il est appelé à exercer. * 467 Il s'agit là aussi d'une nouveauté qui a pu un temps laisser espérer que le Tchad envisageait l'instauration d'une administration électorale permanente. * 468 Il est à préciser que l'opposition dite politique désigne les partis ou regroupements de partis politiques qui ne participent pas au gouvernement et qui ne soutiennent pas son action. * 469 Jean-Claude MASCLET, « Nomadisme politique et clause de fidélité », chap. in in Jean-Pierre VETTOVAGLIA et al, Démocratie et élections dans l'espace francophone, op. cit. pp.477-487 * 470 Le vote de cette loi a donné lieu à une passe d'armes entre la majorité présidentielle souvent confortée par les défections des élus de l'autre camp et l'opposition, la principale victime de cette mobilité trans-partisane. La question de la constitutionnalité de cette loi a d'ailleurs fait l'objet d'âpres débats finalement tranchés avec l'apport de juristes mandatés par l'Organisation Internationale de la Francophonie. |
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