La CEEAC et la problématique des élections présidentielles au Tchad: implication et impact sur le processus d'intégration régionale en Afrique Centralepar Kissalaye LOPSOU Institut des Relations Internationales du Cameroun (IRIC)/Université de Yaoundé 2 - Master en Relations Internationales, Option : Intégration Régionale et Management des Institutions Communautaires 2023 |
Section 2ème :LES ASPCTES AMELIORATIFSPOUR UNE IMPLICATION EFFICACE DES MISSIONS DE LA CEEAC DANS L'OBSERVATION DES ELECTIONS PRESIDENTIELLES AU TCHADLes aspects amélioratifs pour une implication efficace des missions de la CEEAC dans l'observation des élections présidentielles au Tchad font référence aux mesures et actions qui peuvent être mises en place pour améliorer le processus d'observation des élections présidentielles dans le pays. Ils comprennent la mise en place d'un cadre juridique clair pour l'observation des élections753(*), la formation des observateurs électoraux, la coordination efficace entre les différents acteurs impliqués dans le processus d'observation et la diffusion rapide et transparente des résultats électoraux754(*), mais aussi la nécessité de garantir la sécurité des observateurs électoraux, d'assurer l'accès à l'information et de renforcer la participation citoyenne dans le processus électoral,l'utilisation de technologies modernes755(*) telles que les systèmes de suivi électronique des résultats électoraux pour garantir la transparence et l'intégrité des élections756(*). Il s'agit dans cette section de proposer une réorientation de l'implication de la CEEAC à travers le renforcement des dispositifs normatif, logistique et la médiation en période électorale pour un meilleur résultat (Paragraphe 1er) et une meilleure prise en compte des volets opératoires et des conditions sécuritaires des missions d'observation électorale (Paragraphe 2ème). Paragraphe 1er :Une réorientation de l'implication de la CEEAC à travers le renforcement des dispositifs normatif, logistique et la médiation en période électorale pour un meilleur résultatUne réorientation deson implication signifie que la CEEAC devrait changer sa façon d'agir en renforçant ses dispositifs normatifs (règles et normes), logistiques (moyens matériels et humains) et en jouant un rôle plus actif dans la médiation en période électorale757(*). Cela permettrait d'améliorer les résultats des élections dans la région et de promouvoir une meilleure gouvernance démocratique758(*). En effet, la CEEAC pourrait jouer un rôle important en veillant à ce que les élections se déroulent dans un environnement pacifique et transparent, en encourageant le respect des droits de l'homme et en fournissant une assistance technique pour la gestion des élections759(*). Il s'agit ici d'encourager la révision du dispositif normatif régissant l'organisation des élections en réorientant les pouvoirs des missions d'observation préélectorale (A) et proposer la médiation en période électorale comme une solution à la montée des crises électorales et politiques (B). A. Larévision du dispositif normatif régissant l'organisation des élections et la réorientation des pouvoirs des missions d'observation préélectorale La révision du dispositif normatif régissant l'organisation des élections et la réorientation des pouvoirs des missions d'observation préélectorale font référence aux changements qu'il faut apporter aux lois et règlements qui régissent les élections dans les pays de l'Afrique centrale760(*), ainsi qu'à la modification des rôles et responsabilités des missions d'observation préélectorale761(*). Cette révision vise à améliorer la transparence et l'intégrité du processus électoral762(*), à renforcer la confiance des citoyens dans les institutions démocratiques763(*) et à prévenir les conflits post-électoraux764(*). Le renforcement des instruments juridiques pour une meilleurs prise en compte des réalités sociopolitiques (1) et la révision du cahier de charge et des pouvoirs des missions préélectorales (2) sont de meilleures recommandations pour l'amélioration des qualités des élections présidentielles au Tchad. 1. Le renforcement des instruments juridiques pour une meilleure prise en compte des réalités sociopolitiques Il est important de souligner que l'amélioration des conditions logistiques et de communication pour les missions d'observation électorale est cruciale pour garantir leur efficacité et leur crédibilité. Cela peut être réalisé grâce à une coopération étroite entre les autorités électorales nationales et les organisations régionales telles que la CEEAC, ainsi qu'à l'utilisation de technologies modernes pour faciliter la collecte et la transmission des données765(*). En outre, il est essentiel de renforcer les instruments juridiques pour une meilleure prise en compte des réalités sociopolitiques dans les missions d'observation électorale de la CEEAC au Tchad. Cela pourrait inclure l'adoption de normes et de directives claires sur les critères d'évaluation des élections, ainsi que la mise en place d'un mécanisme de suivi et de rapport pour garantir que les recommandations des missions d'observation sont effectivement mises en oeuvre. Il convient de souligner que la participation active de la société civile et des acteurs politiques locaux dans les missions d'observation électorale est également essentielle pour garantir leur impartialité et leur transparence. En encourageant une participation plus large et diversifiée, les missions d'observation électorale peuvent mieux refléter les réalités locales et contribuer à renforcer la démocratie et l'état de droit dans le pays. Le renforcement et la réforme des instruments juridiques peuvent aider à mieux atteindre les objectifs pour les missions d'observation électorale de la CEEAC au Tchad en fournissant des normes et des directives claires sur les critères d'évaluation des élections, ainsi qu'en mettant en place un mécanisme de suivi et de rapport pour garantir que les recommandations des missions d'observation sont effectivement mises en oeuvre766(*). Cela permettrait d'améliorer l'efficacité et la crédibilité des missions d'observation électorale, en assurant une meilleure prise en compte des réalités sociopolitiques dans le pays767(*). 2. Une révision du cahier de charge et des pouvoirs des missions préélectorales La révision du cahier de charge et des pouvoirs des missions préélectorales renvoie à la nécessité de clarifier les rôles et les responsabilités des missions d'observation électorale avant, pendant et après les élections. Cela implique notamment de définir les critères d'évaluation des élections, les méthodes d'observation et d'analyse des données, ainsi que les mécanismes de suivi et de rapport pour garantir que les recommandations des missions d'observation sont effectivement mises en oeuvre768(*). Cette révision peut également inclure des mesures visant à renforcer l'indépendance et l'impartialité des missions d'observation, ainsi qu'à assurer leur financement durable et leur coordination efficace avec d'autres acteurs impliqués dans le processus électoral769(*). La révision du cahier de charge et des obligations des missions d'observation électorale de la CEEAC au Tchad est nécessaire pour clarifier leurs rôles et responsabilités avant, pendant et après les élections. Cette clarification permettra de définir les critères d'évaluation des élections, les méthodes d'observation et d'analyse des données, ainsi que les mécanismes de suivi et de rapport pour garantir que les recommandations des missions d'observation sont effectivement mises en oeuvre. Cette révision peut également inclure des mesures visant à renforcer l'indépendance et l'impartialité des missions d'observation, ainsi qu'à assurer leur financement durable et leur coordination efficace avec d'autres acteurs impliqués dans le processus électoral. B. La réorientation de l'implication de la CEEAC dans les processus électoraux : la médiation en période électorale comme solution à la montée des crises électorales et politiques « La médiation électorale est le recours à une tierce personne pour régler les conflits relatifs au processus électoral ».770(*) Il s'agit pour le médiateur de servir d'intermédiaire entre les différents acteurs impliqués dans ce processus afin de régler les conflits (pré et post-électoraux) et de formuler des propositions relatives au bon fonctionnement des élections. Comme l'admet Robert PASTOR771(*), son implication peut conduire à la réussite d'une élection en aidant le gouvernement et l'opposition à s'accorder sur des points divergents en vue de l'organisation des élections libres et transparentes et de garantir la sécurité des populations. Elle est définie par Directives pour les missions d'observation et de suivi des élections de l'Union Africaine772(*), au point 4.3, comme « l'intervention d'une tierce partie dans le contentieux électoral afin d'aider les parties en litige à trouver des issues ou solutions mutuellement acceptables à leur contentieux électoral ». Les médiations peuvent être classifiées, selon KOMI TSAKADI, selon leurs statuts (médiation électorale internationale faite par les Etats, les Organisations internationales, les ONG et la médiation interne faite par les acteurs locaux) et en fonction des étapes électorales (médiation pré-électorale, médiation durant le jour du scrutin, médiation post-électorale). L'effectivité d'un tel mécanisme peut pallier les limites des missions d'observation électorale en vue de prévenir les violences électorales. Ici, nous voulons montrer la portée et les objectifs de la médiation en période électorale (1) et ses impacts éventuels sur la pacification du Tchad (2). 1. La portée et les objectifs de la médiation en période électorale Selon KOMI TSAKADI, l'expérience a montré que l'observation internationale des élections ne remplissait pas véritablement les fonctions à elle, assignée, à savoir, la fonction de prévention des conflits, la fonction de légitimation et la fonction de délégitimation,773(*) surtout celle de prévenir les conflits en dissuadant les fraudes électorales774(*). Il propose d'ailleurs que soit repensée, la médiation électorale pour amener les acteurs politiques concurrents à la suite d'élections contestées et violentes pourtant observées en Afrique, à former un gouvernement d'union nationale, pour éviter qu'elle ne réconforte certains dirigeants dans leur obstination à refuser le verdict des urnes (l'alternance) pour négocier le partage du pouvoir avec l'opposition. En effet, tout comme dans les conflits armés internes en Afrique775(*), l'Etat tchadien est au coeur des conflits électoraux. La CEEAC devrait alors réorienter son implication en renforçant son institutionnalisation de la médiation en période électorale pour atteindre les objectifs suivants : · Rechercher la nature et l'origine des conflits électoraux ; · Renforcer les capacités de l'organe de gestion électorale à assurer des élections paisibles et transparentes ; · D'encourager une forte participation électorale par l'établissement d'un climat politique apaisé et convivial ; · De résoudre les conflits par les moyens pacifiques (médiation, facilitation et arbitrage) ; · Fonctionner comme un mécanisme d'alerte de conflits au bénéfice des acteurs électoraux ; · Impliquer la population dans l'effort de résolution des conflits et de pacification ; et · Compiler les statistiques et les bases des données sur la nature et les agents des conflits. 2. Les impacts éventuels et la nécessité de la médiation électorale sur le processus de pacification du Tchad Dans des situations pratiques, la médiation électorale a permis de faire parler ouvertement des conflits par les victimes qui sont le plus souvent des acteurs manipulés dans les conflits. C'est donc un moyen de résoudre ces mêmes conflits776(*). Un mécanisme de panélistes de médiation de conflits électoraux avait été mis en oeuvre par EISA en Afrique du Sud et au Lesotho et les « panels » permettaient la résolution des conflits et la réconciliation. En ce qui concerne leur rôle, ils mettaient de l'ordre dans les bureaux de vote, résolvaient les différends entre les délégués des partis politiques, constituaient une assistance pour les vieilles personnes, les handicapés, empêchaient la corruption, etc.777(*) Ce mécanisme a permis en Afrique du Sud de résoudre plus de 500 cas en 2004, lors de élections778(*). Toujours en Afrique du Sud, lors des premières élections multiraciales du 27 avril 1994, des « peace monitors » dans le cadre de « Local Dispute ResolutionCommitees » (LDRC) ou « Regional Dispute ResolutionCommitees » (RDRC)779(*) ont participé au bon fonctionnement du Scrutin par leur patrouille autour du bureau de vote afin de décourager les tentatives d'intimidations.780(*) Au Ghana, lors des élections du 7 décembre 2008, ayant débouché sur une deuxième alternance en moins de 10 ans, la société civile, notamment « Initiatives et changements », a lancé, avec le soutien de l'Eglise Méthodiste et de l'association des journalistes, une campagne pour des élections sans fraudes : « Clean Election Campaign », dont le thème est « Gagner dans l'honneur et perdre dans la dignité ».781(*) Ces initiatives, dans l'optique de promouvoir une dévolution démocratique du pouvoir, pourraient être adaptées au Tchad avec la volonté de tous les acteurs politiques. * 753International Foundation for Electoral Systems (IFES) (2019). "Évaluation de la fiabilité des systèmes de suivi électronique des résultats électoraux". Disponible en ligne: https://www.ifes.org/sites/default/files/ifes_evaluation_de_la_fiabilite_des_systemes_de_suivi_electronique_des_resultats_electorau.pdf * 754CEEAC (2016). "Rapport final de la mission d'observation électorale de la CEEAC pour l'élection présidentielle au Tchad du 10 avril 2016". Disponible en ligne: https://www.ceeac-eccas.org/fr/publications/rapports-dobservation-electorale/rapports-dobservation-electorale-du-tchad/rapport-final-de-la-mission-dobservation-electorale-de-la-ceeac-pour-lelection-presidentielle-au-tchad-du-10-avril-2016. * 755Abdoul Aziz Moussa ADAM, « Aspects amélioratifs pour une implication efficace des missions de la CEEAC dans l'observation des élections présidentielles au Tchad ». Revue Africaine de Droit Electoral, vol. 6, no. 1, 2021, pp. 63-78. * 756 Entretien avec BAIDESSOU SOUKOLGUE... * 757 Gabin KASSA, « La CEEAC et la promotion de la démocratie en Afrique centrale », Revue africaine de droit international et comparé, vol. 25, n° 2, 2018. * 758 Fabrice ROUBELAT, « La CEEAC et les élections en Afrique centrale : état des lieux et perspectives », Cahiers d'études africaines, vol. 60, n° 240, 2020. * 759 Jean-Baptiste NATAMA, « La CEEAC et la consolidation de la paix en Afrique centrale », Revue internationale et stratégique, n° 98, 2015. Hugues Moutouh, « La CEEAC face aux défis de la paix et de la sécurité en Afrique centrale », Politique étrangère, n° 4, 2017. * 760 Mamoudou GAZIBO, « La réforme électorale en Afrique : défis et perspectives », Revue canadienne d'études africaines, vol. 50, n° 1, 2016. * 761 Hélène THIOLLET, « L'observation électorale en Afrique : entre transparence et manipulation », Politique africaine, n° 155, 2019. * 762 Richard JOSEPH, « Renforcer l'intégrité électorale en Afrique : le rôle des missions d'observation », Journal of Democracy, vol. 27, n° 1, 2016. * 763 Jean-Michel KASONGO KASHAMA, « Réformes électorales et consolidation de la démocratie en Afrique : le cas de la République démocratique du Congo », Revue internationale de droit comparé, vol. 70, n° 4, 2018. * 764 Abdoulaye SOMA, « Les enjeux de l'observation électorale en Afrique », Revue internationale de politique comparée, vol. 25, n° 3, 2018. * 765"Renforcer la crédibilité des missions d'observation électorale en Afrique centrale" (CEEAC, 2018) * 766"Observation électorale en Afrique : enjeux et défis" (PNUD, 2016) * 767"Observation électorale en Afrique centrale : enjeux et perspectives" (IFRI, 2015) * 768"Renforcer la crédibilité des missions d'observation électorale en Afrique centrale" (CEEAC, 2018) * 769"Observation électorale en Afrique centrale : enjeux et perspectives" (IFRI, 2015) * 770 KOMI TSAKADI, « La médiation électorale en Afrique », chap. in Jean-Pierre VETTOVAGLIA et al, Démocratie et élections dans l'espace francophone, Bruxelles, Emile Bruylants, 2010, Tome 1, pp.828-846, p 830. * 771 Robert A. PASTOR, « Mediating elections », Journal of democracy, Vol. 9, N°1, January, 1998, pp. 154-163. * 772 Approuvées par le Comité Exécutif de l'UA en juillet 2004. * 773 KOMI TSAKADI, L'observation internationale des élections en Afrique subsaharienne (1990-2005), Mémoire pour l'obtention du certificat « Administrateur d'élections », Université Panthéon-Assas, Paris 2, 2005, p.73. * 774 KOMI TSAKADI, « La médiation électorale en Afrique », op. cit. p.829. * 775 Thierry VIRCOULOUN, « Au coeur des conflits, l'Etat », Afrique contemporaine, n°180, octobre-décembre 1996, pp.199-206. * 776 Entretien avec Bonheur DJERABE DJATTO, Chef de service observation, expert Tic au MARAC (Mécanisme d'Alerte Rapide d'Afrique Centrale), le 15 décembre 2022. * 777 Digitalcongo.net, « les « panélistes » de médiation des conflits électoraux en séminaire national d'évaluation après leur première expérience sur le terrain », article publié sur le site www.digitalcongo.net. * 778 Digitalcongo.net, « L'Afrique du Sud partage avec la RDC son expérience sur la gestion des conflits électoraux grâce à une session de formation organisée par EISA », article publié sur le site www.digitalcongo.net. * 779 Nés de l'accord national de paix du 14 septembre 1991. * 780 Armand DE GRANGE, « Les comités de paix sud-africains : un mode de résolution transposable en Afrique ?, Défense nationale, n°6, juin 1995, pp.159-160 * 781 http://www.iofc.org/fr/node/38656. |
|