Introduction
L'activité humaine récente a bouleversé
l'environnement sur Terre et impacte de plus en plus la vie des populations.
Pour conserver un cadre de vie agréable dans les prochaines
années, il est estimé que chaque personne ne doit être
à l'origine que de 2 tonnes d'éq CO21 alors que la
moyenne mondiale actuelle est de 5 (et presque 10 pour un Français). La
cause souvent identifiée comme déclencheur de cette pollution
à grande échelle est la Révolution Industrielle de la fin
du XVIIIème siècle, marquant le début du
productivisme. Le progrès technique incessant s'en suivant n'a fait
qu'aggraver le phénomène, avant une prise de conscience
récente de ses impacts sur l'environnement.
Aujourd'hui, de plus en plus d'interrogations se lèvent
sur la compatibilité entre l'écologie et le fonctionnement de
notre société. Notre modèle du «toujours plus»
basé sur le progrès technique continu questionne sur sa
capacité à être soutenable à l'avenir. Tous les
secteurs d'activité se voient donc concernés et de plus en plus
d'entreprises réintègrent les analyses d'impact au coeur de leur
processus de développement.
Le numérique et l'informatique, bien que des secteurs
récents à l'échelle de la planète,
n'échappent pas à cette prise de conscience. Leur progression de
masse les rend particulièrement impactant, notamment dans les
années à venir. D'autres secteurs industriels traditionnels
(métallurgie, transports...) sont actuellement plus regardés,
notamment à cause de la pollution bien plus visible qu'ils
génèrent. Toutefois, si le numérique tend à devenir
un domaine d'étude en écologie, c'est parce que derrière
ses concepts théoriques se cachent des moyens de mise en oeuvre lourds.
En 2020 en France, il représentait ainsi 2,5% de l'empreinte carbone
nationale et 10% de la consommation électrique2.
L'informatique n'est donc pas une industrie «verte»
; quel que soit son mode de fonctionnement, elle présente un impact
environnemental négatif. En revanche, le numérique a comme
particularité de pouvoir être mis au service de nombreux domaines.
Il devient donc possible de minimiser son impact à la fois dans son mode
de fonctionnement, mais également dans ses usages et applications.
Le sujet de l'intelligence artificielle (IA) ne fait pas
exception dans cette réflexion. Son émergence aux yeux du grand
public est particulièrement récente (fin des années 2010),
et attire beaucoup au vu de sa variété d'utilisation. Le CNRS a
d'ailleurs créé un Centre IA fin 2021 dans le but
d'étudier les possibilités qu'offre cette nouvelle technologie
dont tout est encore à découvrir. L'administrateur
général du CEA, François JACQ, parle d'ailleurs de
l'intelligence artificielle comme la source de nouvelles
«préoccupations sociétales» qui
génère une «transformation des
usages»3.
1 L'unité éq CO2 est une abréviation pour
"équivalent dioxyde de carbone" utilisée pour exprimer les
émissions de gaz à effet de serre en termes de leur potentiel de
réchauffement climatique par rapport au dioxyde de carbone.
2 ADEME. Arcep. Evaluation de l'impact environnemental du
numérique en France et analyse prospective. Note de synthèse. 19
janvier 2022.
3 CNRS. IA : des ambitions européennes. CNRS Info.
14 mars 2022.
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Même si cette technologie génère un
émerveillement de beaucoup d'observateurs grâce à ses
capacités inédites, elle est également source
d'interrogation. Son utilisation demande une quantité de ressources
naturelles bien plus importante que n'importe quel autre secteur du
numérique. Ce qui est souvent la cause de cela, c'est le deep
learning, une manière de faire apprendre des informations aux
modèles informatiques à partir d'immenses bases de
données, bien que grandes que ce qu'exigeaient les méthodes
traditionnelles de statistiques jusqu'à présent.
L'IA est notamment devenue un élément du
quotidien avec l'apparition de ChatGPT4 par OpenAI. Pour la
première fois, une intelligence artificielle grand public est mise en
ligne et permet à chacun d'interagir sans nécessiter de
connaissances informatiques. Toutefois, il est souvent oublié que sa
mise en service et son utilisation représentent un coût
environnemental non-négligeable : à titre d'exemple,
l'entraînement (c'est-à-dire la préparation avant
l'accès au public) de GPT-3 sur des GPU a nécessité 85 000
kg d'éq CO2, soit environ la pollution d'une voiture sur 700 000
km5.
Le secteur de l'intelligence artificielle est
extrêmement varié, et se voit appliqué à une grande
multitude de domaines. De l'énergie à l'agriculture, en passant
par le commerce, l'industrie ou la culture, il permet de proposer une nouvelle
approche de l'analyse dès lors que des données existent. En
France et en Europe, peu de grandes entreprises en font un secteur
d'activité à part entière, et c'est ce qui fait la
spécificité de ce marché. Alors qu'aux Etats-Unis, la
recherche en IA est portée par les géants du numérique,
dont notamment Microsoft (étroitement lié à OpenAI),
Google et Amazon, en Europe, c'est un dense tissu de startups qui fait avancer
les travaux du domaine. Il n'existe pas sur le vieux continent d'entreprises
largement dominantes qui guiderait les projets en IA et capable de rivaliser
avec les concurrents américains.
Si la pluralité d'acteurs en intelligence artificielle
en France et en Europe permet l'émergence continue et foisonnante de
nouvelles idées, elle présente aussi le défaut de ne pas
pouvoir centraliser les moyens pour être à l'origine de travaux
disruptifs. Ce mode de fonctionnement est donc original et mérite
d'être analysé. Les startups sont souvent une source de
créativité importante, portée par une grande
agilité et mais également un manque de stabilité.
Leur diversité est indéniablement une force,
pour toucher un grand nombre de secteurs d'activité, mais
également une faiblesse, puisque leur poids individuel est assez
négligeable. Il est indéniable que le dirigeant de Google aura un
impact bien plus grand dans les décisions stratégiques de
l'avenir de l'IA par rapport à celui d'une petite startup
française de 12 salariés.
En outre, le contexte européen pose des contraintes
différentes. L'organisation du marché, le rapport aux
institutions et leur volonté de poser un cadre réglementaire a un
impact non-négligeable sur le secteur. Qu'il s'agisse de limitations
éthiques, sociétales ou environnementales, celles-ci se
multiplient et imposent donc au secteur de s'adapter. L'enjeu
4 https://chatgpt.com/
5 PAULIAC-VAUJOUR, Emmanuel. ASSEMAN, Valentine. FRANCILLON,
Louise. Adopter l'IA frugale : concepts, leviers et initiatives. France
Science. 07 septembre 2023.
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écologique devient donc à la fois un
impératif pour être en accord avec les valeurs des utilisateurs,
mais aussi pour respecter le cadre juridique naissant.
Les startups dites «à impact», même si
elles se multiplient, restent difficiles à identifier et à
évaluer. La simple mesure de cet impact est un défi. Si
l'intelligence artificielle représente à la fois un poids et une
opportunité pour l'écologie, l'écosystème de
startups dans lequel cette technologie croit est un paramètre fort de
l'équation. Il est indéniable que son caractère
protéiforme ne permet pas une analyse linéaire et traditionnelle
du secteur. La mise en perspective doit être complète :
scientifique, économique, politique et sociale.
Dans un pays surnommé la Startup Nation,
être une startup est valorisée. En revanche, le défi
reste de taille pour mettre à profit ses caractéristiques
intrinsèques au service d'une technologie et d'une cause que sont
respectivement l'IA et la transition écologique. Ce mémoire
s'intéressera donc à la problématique suivante :
Dans un écosystème économique et
technologique porté par les startups et face à une transition
écologique nécessaire, dans quelle mesure l'intelligence
artificielle peut-elle être mise au service de
l'environnement?
L'étude dans le présent document portera
essentiellement sur le cas français, même si celui s'ancre
forcément dans un contexte européen. Par ailleurs, il pourra
être pertinent d'effectuer des comparaisons avec des entreprises dans
d'autres pays. L'ensemble des startups prises en exemple sont d'ailleurs
présentées en fin de ce rapport.
Pour répondre à cette problématique, il
conviendra tout d'abord de s'intéresser aux interactions qu'il peut
exister entre l'écologie, les startups et l'intelligence artificielle.
La première difficulté, au-delà de la définition de
ces termes, et de comprendre comment ces trois éléments peuvent
se retrouver mêlés. Ce mémoire a d'ailleurs pour but de
multiplier les exemples afin d'illustrer les liens existants.
Même si l'IA, l'écologie et les startups ne
paraissent pas antagonistes, des freins à leur coexistence existent. Une
seconde partie de l'étude portera donc sur les incohérences
qu'ils présentent et les difficultés qu'il peut y avoir à
utiliser ces trois variables simultanément. Comprendre l'impact de l'IA,
la sobriété chez les startups, et la mesure des coûts sont
autant de limitations à analyser afin de tenter de les
dépasser.
La dernière partie de ce mémoire aura donc
vocation à apporter un point de vue plus large, en s'interrogeant sur ce
que cet écosystème original peut favoriser pour permettre un
développement technologique responsable. Qu'il s'agisse du cadre
favorable pour la recherche scientifique, du contexte réglementaire ou
des collaborations externes pouvant être mises en oeuvre, l'idée
est de dresser un panorama des actions en cours et à venir pour tenter
de concilier intelligence artificielle et écologie en France.
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1. IA, startups et écologie : trois clés
de réussite dans un contexte favorable
Dans un contexte de défis environnementaux pressants,
la propagation des nouvelles technologies telles que l'intelligence
artificielle dans l'écosystème entrepreneurial semble
évidente. Au coeur de cette convergence entre innovation,
incarnée par les startups, et les enjeux écologiques cruciaux, de
nouvelles dynamiques se créent entre des univers jusqu'ici distincts.
Dans cette perspective, explorer les interactions entre IA, startups et
écologie devient impératif pour appréhender leur
comportement futur.
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