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IA et startups: une technologie et un modèle économique à  façonner autour de l'écologie


par Sibyline MOUKARZEL
Sciences Po Rennes - Master Management des Organisations et des Projets 2024
  

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Introduction

L'activité humaine récente a bouleversé l'environnement sur Terre et impacte de plus en plus la vie des populations. Pour conserver un cadre de vie agréable dans les prochaines années, il est estimé que chaque personne ne doit être à l'origine que de 2 tonnes d'éq CO21 alors que la moyenne mondiale actuelle est de 5 (et presque 10 pour un Français). La cause souvent identifiée comme déclencheur de cette pollution à grande échelle est la Révolution Industrielle de la fin du XVIIIème siècle, marquant le début du productivisme. Le progrès technique incessant s'en suivant n'a fait qu'aggraver le phénomène, avant une prise de conscience récente de ses impacts sur l'environnement.

Aujourd'hui, de plus en plus d'interrogations se lèvent sur la compatibilité entre l'écologie et le fonctionnement de notre société. Notre modèle du «toujours plus» basé sur le progrès technique continu questionne sur sa capacité à être soutenable à l'avenir. Tous les secteurs d'activité se voient donc concernés et de plus en plus d'entreprises réintègrent les analyses d'impact au coeur de leur processus de développement.

Le numérique et l'informatique, bien que des secteurs récents à l'échelle de la planète, n'échappent pas à cette prise de conscience. Leur progression de masse les rend particulièrement impactant, notamment dans les années à venir. D'autres secteurs industriels traditionnels (métallurgie, transports...) sont actuellement plus regardés, notamment à cause de la pollution bien plus visible qu'ils génèrent. Toutefois, si le numérique tend à devenir un domaine d'étude en écologie, c'est parce que derrière ses concepts théoriques se cachent des moyens de mise en oeuvre lourds. En 2020 en France, il représentait ainsi 2,5% de l'empreinte carbone nationale et 10% de la consommation électrique2.

L'informatique n'est donc pas une industrie «verte» ; quel que soit son mode de fonctionnement, elle présente un impact environnemental négatif. En revanche, le numérique a comme particularité de pouvoir être mis au service de nombreux domaines. Il devient donc possible de minimiser son impact à la fois dans son mode de fonctionnement, mais également dans ses usages et applications.

Le sujet de l'intelligence artificielle (IA) ne fait pas exception dans cette réflexion. Son émergence aux yeux du grand public est particulièrement récente (fin des années 2010), et attire beaucoup au vu de sa variété d'utilisation. Le CNRS a d'ailleurs créé un Centre IA fin 2021 dans le but d'étudier les possibilités qu'offre cette nouvelle technologie dont tout est encore à découvrir. L'administrateur général du CEA, François JACQ, parle d'ailleurs de l'intelligence artificielle comme la source de nouvelles «préoccupations sociétales» qui génère une «transformation des usages»3.

1 L'unité éq CO2 est une abréviation pour "équivalent dioxyde de carbone" utilisée pour exprimer les émissions de gaz à effet de serre en termes de leur potentiel de réchauffement climatique par rapport au dioxyde de carbone.

2 ADEME. Arcep. Evaluation de l'impact environnemental du numérique en France et analyse prospective. Note de synthèse. 19 janvier 2022.

3 CNRS. IA : des ambitions européennes. CNRS Info. 14 mars 2022.

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Même si cette technologie génère un émerveillement de beaucoup d'observateurs grâce à ses capacités inédites, elle est également source d'interrogation. Son utilisation demande une quantité de ressources naturelles bien plus importante que n'importe quel autre secteur du numérique. Ce qui est souvent la cause de cela, c'est le deep learning, une manière de faire apprendre des informations aux modèles informatiques à partir d'immenses bases de données, bien que grandes que ce qu'exigeaient les méthodes traditionnelles de statistiques jusqu'à présent.

L'IA est notamment devenue un élément du quotidien avec l'apparition de ChatGPT4 par OpenAI. Pour la première fois, une intelligence artificielle grand public est mise en ligne et permet à chacun d'interagir sans nécessiter de connaissances informatiques. Toutefois, il est souvent oublié que sa mise en service et son utilisation représentent un coût environnemental non-négligeable : à titre d'exemple, l'entraînement (c'est-à-dire la préparation avant l'accès au public) de GPT-3 sur des GPU a nécessité 85 000 kg d'éq CO2, soit environ la pollution d'une voiture sur 700 000 km5.

Le secteur de l'intelligence artificielle est extrêmement varié, et se voit appliqué à une grande multitude de domaines. De l'énergie à l'agriculture, en passant par le commerce, l'industrie ou la culture, il permet de proposer une nouvelle approche de l'analyse dès lors que des données existent. En France et en Europe, peu de grandes entreprises en font un secteur d'activité à part entière, et c'est ce qui fait la spécificité de ce marché. Alors qu'aux Etats-Unis, la recherche en IA est portée par les géants du numérique, dont notamment Microsoft (étroitement lié à OpenAI), Google et Amazon, en Europe, c'est un dense tissu de startups qui fait avancer les travaux du domaine. Il n'existe pas sur le vieux continent d'entreprises largement dominantes qui guiderait les projets en IA et capable de rivaliser avec les concurrents américains.

Si la pluralité d'acteurs en intelligence artificielle en France et en Europe permet l'émergence continue et foisonnante de nouvelles idées, elle présente aussi le défaut de ne pas pouvoir centraliser les moyens pour être à l'origine de travaux disruptifs. Ce mode de fonctionnement est donc original et mérite d'être analysé. Les startups sont souvent une source de créativité importante, portée par une grande agilité et mais également un manque de stabilité.

Leur diversité est indéniablement une force, pour toucher un grand nombre de secteurs d'activité, mais également une faiblesse, puisque leur poids individuel est assez négligeable. Il est indéniable que le dirigeant de Google aura un impact bien plus grand dans les décisions stratégiques de l'avenir de l'IA par rapport à celui d'une petite startup française de 12 salariés.

En outre, le contexte européen pose des contraintes différentes. L'organisation du marché, le rapport aux institutions et leur volonté de poser un cadre réglementaire a un impact non-négligeable sur le secteur. Qu'il s'agisse de limitations éthiques, sociétales ou environnementales, celles-ci se multiplient et imposent donc au secteur de s'adapter. L'enjeu

4 https://chatgpt.com/

5 PAULIAC-VAUJOUR, Emmanuel. ASSEMAN, Valentine. FRANCILLON, Louise. Adopter l'IA frugale : concepts, leviers et initiatives. France Science. 07 septembre 2023.

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écologique devient donc à la fois un impératif pour être en accord avec les valeurs des utilisateurs, mais aussi pour respecter le cadre juridique naissant.

Les startups dites «à impact», même si elles se multiplient, restent difficiles à identifier et à évaluer. La simple mesure de cet impact est un défi. Si l'intelligence artificielle représente à la fois un poids et une opportunité pour l'écologie, l'écosystème de startups dans lequel cette technologie croit est un paramètre fort de l'équation. Il est indéniable que son caractère protéiforme ne permet pas une analyse linéaire et traditionnelle du secteur. La mise en perspective doit être complète : scientifique, économique, politique et sociale.

Dans un pays surnommé la Startup Nation, être une startup est valorisée. En revanche, le défi reste de taille pour mettre à profit ses caractéristiques intrinsèques au service d'une technologie et d'une cause que sont respectivement l'IA et la transition écologique. Ce mémoire s'intéressera donc à la problématique suivante :

Dans un écosystème économique et technologique porté par les startups et face à une transition écologique nécessaire, dans quelle mesure l'intelligence artificielle peut-elle être mise au service de l'environnement?

L'étude dans le présent document portera essentiellement sur le cas français, même si celui s'ancre forcément dans un contexte européen. Par ailleurs, il pourra être pertinent d'effectuer des comparaisons avec des entreprises dans d'autres pays. L'ensemble des startups prises en exemple sont d'ailleurs présentées en fin de ce rapport.

Pour répondre à cette problématique, il conviendra tout d'abord de s'intéresser aux interactions qu'il peut exister entre l'écologie, les startups et l'intelligence artificielle. La première difficulté, au-delà de la définition de ces termes, et de comprendre comment ces trois éléments peuvent se retrouver mêlés. Ce mémoire a d'ailleurs pour but de multiplier les exemples afin d'illustrer les liens existants.

Même si l'IA, l'écologie et les startups ne paraissent pas antagonistes, des freins à leur coexistence existent. Une seconde partie de l'étude portera donc sur les incohérences qu'ils présentent et les difficultés qu'il peut y avoir à utiliser ces trois variables simultanément. Comprendre l'impact de l'IA, la sobriété chez les startups, et la mesure des coûts sont autant de limitations à analyser afin de tenter de les dépasser.

La dernière partie de ce mémoire aura donc vocation à apporter un point de vue plus large, en s'interrogeant sur ce que cet écosystème original peut favoriser pour permettre un développement technologique responsable. Qu'il s'agisse du cadre favorable pour la recherche scientifique, du contexte réglementaire ou des collaborations externes pouvant être mises en oeuvre, l'idée est de dresser un panorama des actions en cours et à venir pour tenter de concilier intelligence artificielle et écologie en France.

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1. IA, startups et écologie : trois clés de réussite dans un contexte favorable

Dans un contexte de défis environnementaux pressants, la propagation des nouvelles technologies telles que l'intelligence artificielle dans l'écosystème entrepreneurial semble évidente. Au coeur de cette convergence entre innovation, incarnée par les startups, et les enjeux écologiques cruciaux, de nouvelles dynamiques se créent entre des univers jusqu'ici distincts. Dans cette perspective, explorer les interactions entre IA, startups et écologie devient impératif pour appréhender leur comportement futur.

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