Résumé de l'entretien avec Juliette FROPIER
- Ministère de la Transition Ecologique
L'argent : Une interrogation récurrente est
celle du ROI du numérique responsable, passant par plusieurs axes :
attirer des investisseurs, attirer des clients, fidéliser les
collaborateurs (marque employeur),
Annexe 1 - Résumé de l'entretien avec Christophe
PHAM (décembre 2023) CEO - Infogreen Factory
Présentation de Christophe PHAM
Christophe Pham a commencé sa carrière en
business development dans des ESN (Entreprises de Service
Numérique). Suite à une prise de conscience écologique, il
a souhaité agir au sein des organisations où il travaillait, mais
sans résultat. Il a donc décidé de créer Infogreen
Factory (IF) pour travailler sur les volets d'éthique, d'inclusion et
d'écologie dans le numérique. IF est organisé en
collectifs d'entrepreneurs et d'acteurs engagés dans le but de valoriser
la coopération.
Présentation d'Infogreen Factory
La moitié de l'activité d'IF est
dédiée à la formation sur le numérique responsable
et la conception responsable. Ils ont par exemple travaillé avec une
entité du Crédit Agricole pour former les équipes à
la conception responsable de services numériques. En parallèle,
IF a une branche de conseil dans le domaine du numérique responsable.
Exemple d'acteurs s'impliquant dans le numérique
responsable
En Nouvelle Aquitaine a été créé
un pôle de compétitivité nommé ENTER et dont
l'idée est de favoriser l'innovation frugale et sobre en matière
de numérique. Il y a donc un vivier qui émerge, avec des
financements.
La grande problématique reste pourtant la
détermination des critères. C'est un sujet qui est par exemple
traité par des personnalités comme Côme GIRSHIG dans des
structures telles que Tech for Climate.
Les débats sur la place du numérique pour
la transition écologique
Avant toute chose, il faut remarquer que peu d'acteurs se
rendent actuellement compte que le numérique a un impact
écologique. Il commence à y avoir une prise de conscience, mais
il règne essentiellement un point de vue techno-solutionniste.
IT for Green : Il s'agit souvent de
«l'arbre qui cache la forêt» et qui permet de justifier toute
innovation en prouvant son utilité. C'est une stratégie
techno-solutionniste, en mettant en avant les impacts positifs, et en omettant
de parler de tous les cas où l'impact est négatif (et c'est
généralement majoritaire).
Green IT : L'objectif est de rendre
l'IT plus vertueux et gagner en efficacité environnementale et que
ça ait moins d'impact.
Actuellement, le monde suppose que les ressources sont
illimitées : l'électricité est abondante, tout comme les
minerais et les métaux rares (lithium, argent...), nous occultons les
problèmes de sécheresse et la gêne des populations
vis-à-vis des pollutions des mines et des décharges sauvages de
déchets électroniques. Il s'agit de «l'angle mort du
numérique», comme le traite la dernière étude de
l'ARSEP.
Les principaux freins au déploiement du
numérique durable
Le changement: Demander de reconsidérer la
façon dont on mène un projet informatique est un effort
important. Il faut donc accompagner au changement.
anticiper la réglementation, assurer la
sécurité des solutions. Ce dernier point réside notamment
dans le fait d'avoir des codes plus courts, et donc plus sobres, ce qui limite
les zones à risque dans l'algorithme et le rend plus robuste. Chez IF
est utilisée la méthode du Green Soft Model, pour
arriver à avoir des algorithmes qui suivent cette logique de
sobriété.
De plus en plus, les entreprises veulent également que
la conception numérique responsable leur rapport du carbone.
La mesure : Les entrepreneurs ont besoin de quantifier
les apports des changements. Alain Supiot traite par exemple de la question de
la gouvernance par les chiffres : comme beaucoup de personnes manquent de sens,
elles choisissent d'être gouvernées par les chiffres. Nous
constatons une perte de temps importante à s'interroger sur la mesure et
non sur le sens (cf. «Ce qui ne se mesure pas ne s'améliore
pas» de W. DEMING).
Les équipes, sans être formées, se
mettent à utiliser de nouveaux indices tels que l'EcoIndex ou Green
IT-Analysis. Les gens ne savent pas comment les manipuler et y consacrent du
temps, alors que ce n'est pas le coeur : il faut surtout limiter le
développement de logiciels et sites web.
Il faut également se méfier de l'effet rebond
dans la conception responsable : en étant plus efficace, on
développe encore plus. Christophe Pham s'interroge donc sur sa
participation à l'effet rebond.
Manque de conviction : Pour certains, la prise de
conscience n'a pas encore eu lieu. IF a donc pour objectif d'attirer les
«infiltrés» dans les entreprises clientes : même s'ils
ne portent pas le même maillot, ils sont dans la même équipe
dans la même équipe, avec un objectif commun. Ces
«infiltrés» sont indispensables pour générer
l'adhésion des collaborateurs. Ces personnes sont en dissonance
cognitive avec la majorité des salariés de leur groupe, et ils
essaient de faire avancer le sujet.
Nous parlons de plus en plus de stratégie RNE
(Responsabilité Numérique des Entreprises) pour être plus
spécifique que la RSE.
Les réglementations contraignantes
Il y a notamment deux éléments:
l Le plus récent, la loi REEN (Réduction de
l'Empreinte Environnementale du Numérique);
l Depuis plus de dix ans, il existe la loi sur
l'accessibilité qui est très peu appliquée, même par
l'Etat (pour la lecture audio d'un site internet via une console par
exemple).
Annexe 2 - Résumé de l'entretien avec Virgile
BAUDROT (février 2024) CEO - Qonfluens
Présentation de Qonfluens
Qonfluens est un bureau d'études en écologie et
agro-écologie avec deux principaux domaines d'expertise : l'analyse de
données et l'étude des dynamiques de populations.
L'entreprise débute les démarches pour devenir une
SCOP, pour trois raisons majeures:
l La mise en avant de la dimension éthique,
correspondant aux valeurs de l'entreprise et pouvant être valorisé
pour lors de recrutement;
l Une volonté politique de faire primer un choix
démocratique entre les collaborateurs;
l Un gain de reconnaissance par des instituts externes, tout
en évitant d'être une niche d'investissements.
Utilisation de l'IA chez Qonfluens
L'IA est utilisée à plusieurs niveaux :
inférence bayésienne (probabilités), modèle
hiérarchique (étude de la variabilité des données),
gestion des incertitudes.
Alors que l'écologie était jusqu'à
récemment un domaine où il fallait aller sur le terrain, elle
commence à avoir un champ théorique. Cela passe est notamment
possible grâce aux nouvelles données récoltées (ADN
de sol, échantillon de l'océan...) et à l'imagerie
satellite/radar (notamment pour l'agronomie). Cela nous permet de travailler
sur des suivis de la biodiversité (analyse de données).
Eventuels effets rebonds
L'écologie théorique se développe mais
cela engendre de nouveaux coûts importants comme la multiplication des
recours à des techniques ADN (impliquant en sus l'utilisation de
produits chimiques et de plastiques en grandes quantités).
Par ailleurs, ce type d'analyse de données est long et
implique l'utilisation de serveurs de calcul puissants. Or, ces serveurs ne
sont pas dans les locaux de Qonfluens et sont peu coûteux, donc leur
utilisation n'est pas toujours surveillée, même si l'entreprise
tente de privilégier des infrastructures locales.
Virgile BAUDROT souligne l'absence de label de certification
permettant de s'assurer de la qualité environnementale des serveurs
informatiques.
Perceptions extérieures de l'activité de
Qonfluens
Le projet de Qonfluens est «à la mode» donc
ouvre plus facilement des portes. Il s'agit de deux sujets brûlants mais
peu étudiés. Toutefois, des freins sont rencontrés
puisqu'il s'agit d'études représentant des charges, et dont les
résultats sont généralement porteurs de résultats
négatifs.
Implantation territoriale
L'implantation locale de Qonfluens facilite les travaux avec
les laboratoires et permet d'avoir des liens avec la BPI. En revanche, il reste
difficile d'approcher le milieu des associations environnementales, assez
craintives face au modèle et la culture des startups.
Annexe 3 - Résumé de l'entretien avec Faustin
DUBOUIS (mars 2024) Chef de projet - Eficia
Présentation d'Eficia
Eficia a été fondée avec l'objectif
d'installer des systèmes GTB (Gestion Technique des Bâtiments) en
s'appuyant sur la domotique pour piloter automatiquement les équipements
(éclairage, chauffage, climatisation...). La clientèle cible est
essentiellement des entreprises, qu'il s'agisse de chaînes de magasins ou
d'entrepôt.
Une grande partie du pilotage automatique se fait grâce
au machine learning ; l'objectif est d'analyser les données
passées pour identifier les moments d'allumage des dispositifs. Par
exemple, à partir des températures actuelles, des temps de
chauffe, et d'une température cible, il est possible de
déterminer le moment optimal pour allumer le système de
chauffage.
Eficia dispose également d'une équipe de
R&D parmi ses 200 salariés, dans le but d'améliorer les
produits actuels, mais également d'en produire de nouveau. Par exemple,
on peut retrouver:
l Le perfectionnement des systèmes automatisés
pour augmenter le gain énergétique des entreprises
déjà abonnées aux services d'Eficia ;
l L'arrivée de problématiques liées
à la gestion de l'eau.
Le choix de l'IA
La première raison qui a poussé Eficia à
l'utilisation de l'IA est pour rester compétitifs ; des modèles
statistiques plus traditionnels ne nous auraient pas permis de rester des
concurrents au niveau. L'IA présente aussi l'avantage de ne pas avoir
besoin de ré-analyser les données à chaque mise à
jour, mais de perfectionner le modèle à chaque étape.
Par ailleurs, aujourd'hui, le recours à l'IA est un
argument commercial assez vendeur.
Contraintes de déploiement de la
solution
L'installation des capteurs de mesure chez les clients
représente un important temps de travail. Eficia installe
également les automates informatiques qui se connectent aux actionneurs
de chaque élément domotique.
Il y a donc une importante phase de choix des capteurs, selon
les exigences du client, les contraintes règlementaires (notamment en
cas d'accueil du public) et les préconisations d'un ingénieur se
rendant dans les locaux pour y apporter son expertise. Le client doit au moins
installer un capteur de température (relevé toutes les 10 min) et
d'humidité ; mais il est possible d'ajouter la mesure du CO2, de la
présence, de la luminosité... Ces données sont
complétées par les relevés des compteurs.
Eficia équipe actuellement environ 5000 sites.
Réflexion écologique au sein
d'Eficia
Le dirigeant d'Eficia incarne une réelle
volonté de prise en compte des enjeux écologiques. L'entreprise y
accorde donc une réelle importance, notamment pour les deux
éléments les plus impactants : les trajets chez les clients et
l'achat de matériel. Les données, peu nombreuses, sont peu
impactantes. En outre, l'entreprise s'auto-évalue sur le sujet, ce qui a
pu lui permettre d'atteindre un niveau d'exigence générant
l'obtention de plusieurs labels écologiques.
Effet rebond chez les clients
Les clients d'Eficia sont rarement à l'origine
d'effets rebonds puisque l'économie d'énergie et l'installation
d'un système GTB sont des obligations légales. Cela est notamment
lié à l'existence des décrets BACS et Tertiaire.
Cependant, la démarches des entreprises est rarement
à but écologique, mais principalement économique,
notamment depuis la forte augmentation des prix de l'énergie. En
revanche, les clients intéressés par le dispositif pour des
raisons écologiques sont de plus en plus nombreux à demander un
système similaire pour l'eau.
Annexe 4 - Résumé de l'entretien avec Mme X (mars
2024) Ingénieure - Accenta
Présentation d'Accenta
Accenta a été fondée en 2016 avec la
volonté de démocratiser le bâtiment bas carbone, en tentant
de rendre plus intelligent l'usage des énergies renouvelables afin de
limiter les coûts associés. Les principaux axes de travail sont
donc sur la climatisation et le chauffage, en s'appuyant essentiellement sur la
géothermie ( à travers le géostockage) et
l'aérothermie.
La majorité des clients d'Accenta sont très
variés, parmi lesquels on retrouve des entrepôts ou des
entreprises du secteur tertiaire, comme Eurovia, Fnac, Darty ou encore la ville
de Roubaix.
La startup est en forte croissance, en passant à une
vingtaine de salariés début 2020, à près de 180
aujourd'hui. Ils sont répartis sur plusieurs sites en France (Lille,
Troyes, région parisienne). L'entreprise a consacré les trois
premières années après sa création à la
R&D, qui regroupe aujourd'hui une trentaine de salariés. Depuis
l'entreprise a développé bien d'autres postes comme:
l Energy managers, qui analysent les données clients,
effectuent des recommandations et assurent le suivi des performances;
l Chargés d'étude, qui échangent avec le
client pour identifier les besoins et dimensionnent les installations en
utilisant les outils développés par la R&D.
L'utilisation de l'IA
L'IA est développée et utilisée dans de
multiples outils et solutions Accenta, dont notamment sur deux axes que
sont:
l Le dimensionnement du système à fournir pour
répondre aux besoins du bâtiment selon ses caractéristiques
;
l La gestion du stockage d'énergie
(géostockage) en temps réel, selon plusieurs paramètres
tels que la météo ou la consommation.
Les données sont traitées directement chez le
client. Toutefois, elles sont également récupérées
par Accenta, en étant cryptées, afin de permettre un
perfectionnement des modèles algorithmiques.
Accenta propose également une prestation d'analyse de
données de consommation et de recommandations. L'amélioration des
modèles permet donc de faire progresser les deux offres.
Conscience écologique au sein
d'Accenta
Accenta incite ses salariés à la
sobriété (dans les modes de transport ou le nombre de
déplacements par exemple), mais la majorité sont bien souvent
déjà sensibles à cette cause, et c'est d'ailleurs souvent
en partie pour cette raison qu'ils rejoignent l'entreprise. La direction de
l'entreprise a pris plusieurs décisions allant dans ce sens:
l Réalisation d'un bilan carbone, par l'entreprise Aktio
;
l Création d'un forfait mobilité durable pour les
collaborateurs;
l Mise en place d'une démarche d'achats responsables,
passant notamment par l'évaluation des partenaires et de leur impact;
l Évaluation des impacts écologiques (en tonnes
de CO2) de chaque technologie créée par Accenta.
Les analyses internes des impacts écologiques ont
révélé que le matériel était bien plus
polluant que les travaux informatiques. Les équipes tentent de faire des
codes les plus efficaces possibles, mais avec une optique de performances avant
celle d'écologie.
Effet rebond chez les clients
Il n'y a pas d'analyse sur l'effet rebond puisque la
majorité des clients d'Accenta sont liés à des
constructions neuves : il n'y a donc pas d'antécédents de
consommation. En effet, pour installer des solutions de géothermie, il
faut disposer d'un terrain adapté et les travaux se font plus rarement
sur des structures existantes.
Motivations des clients
Les clients semblent essentiellement vouloir
bénéficier d'une image positive (liée à
l'installation d'une telle infrastructure). Toutefois, ce choix reste un choix
engagé car, même si des subventions existent, la mise en oeuvre
coûte plus cher qu'un chauffage traditionnel au gaz par exemple. En
outre, il est possible d'identifier plusieurs autres motivations chez les
clients, telles que :
l L'indépendance vis-à-vis des énergies
fossiles;
l L'application de la réglementation (décret
tertiaire, décret BACS, taxonomie européenne, CSRD) ;
l La limitation de la dépréciation du bien
à cause d'un impact carbone élevé.
Annexe 5 - Résumé de l'entretien avec Gilles
ALLAIN (avril 2024) CEO - DeepHawk
Pouvez-vous vous présenter et présenter
l'entreprise?
Gilles Allain est cofondateur et CEO de DeepHawk. Avant cela,
il a travaillé dans plusieurs entreprises, de taille variable, à
la fois sur les aspects techniques (grâce à sa formation
d'ingénieur) et business.
DeepHawk a été créée en mai 2022.
La société développe et commercialise un logiciel
spécialisé dans la détection d'anomalie pour l'industrie
manufacturière. Ce logiciel utilise l'IA pour analyser des images et
vidéos de nature variée (parfois rayons-X, thermiques,
microscopiques...), de façon à détecter des défauts
visuels, même discrets, qui pourraient conduire au rejet du produit en
contrôle qualité.
Définition de l'IA frugale
L'IA a pour objectif de consommer moins de ressources
informatiques, qu'il s'agisse de la puissance de calcul (computing power)
ou du stockage des données. La solution proposée par
DeepHawk réduit les besoins en ressources d'un facteur de 375.
L'IA frugale s'oppose au deep learning, qui apprend
sur une très grande quantité de données. L'objectif est
ici d'avoir de plus petits réseaux de neurones dont la structure permet
d'apprendre sur une plus faible quantité de données. Le
fonctionnement se rapproche donc de celui du cerveau humain, cherchant à
travailler le plus intelligemment possible. Pour cela, DeepHawk part notamment
de l'analyse d'image de situations de conformité des produits,
plutôt que d'un apprentissage de l'ensemble des défauts
possibles.
Aujourd'hui, les LLM sont très répandus mais
essentiellement appliqués au texte. Or, ils nécessitent d'avoir
une très grande base de données pour fournir des réponses
de qualité. Leur application au cas des images semble donc
matériellement impossible, car les ressources qui seront alors
nécessaires deviendront trop importantes. Or, la société
actuelle collecte de plus en plus de données, dans le but de pouvoir les
traiter. Le seul support qui serait compatible est l'ordinateur quantique, mais
il ne se propagera pas dans la société avant une dizaine
d'années.
D'après Allain Gilles, la loi de Moore ne peut plus
s'appliquer tellement nous sommes arrivés à un degré de
miniaturisation (à l'échelle atomique).
L'IA frugale comme argument de vente
L'IA frugale (et l'argument du facteur de réduction de
375) est présentée aux clients mais ils n'y sont pas
forcément sensibles. Ils apprécient, mais préfèrent
surtout la performance du logiciel. Les arguments suivants sont notamment mis
en avant:
l La faible préparation nécessaire pour
disposer d'une base de données d'apprentissage, car celle-ci est de
taille réduite ;
l Le fait de ne pas avoir besoin d'un cloud pour y stocker
les données;
l Le fait que les opérations puissent être
réalisées sur des infrastructures informatiques accessibles, qui
permettent aux entreprises de les exécuter en interne, ce qui limite les
risques en matière de sécurité.
L'IA frugale dans les startups
La majorité des startups dans le domaine de l'IA
connaissent le concept d'IA frugale, même s'il est peu abordé chez
le grand public. Toutefois, ces solutions se propagent peu pour deux raisons
majeures:
l Les startups sont financièrement soutenus par les
géants du numérique (comme les GAFAM) qui, eux-mêmes,
vendent des solutions cloud et les encourageant donc fortement à les
utiliser (ces sociétés n'ont pas d'intérêt à
ce que l'IA frugale se développe trop rapidement);
l L'abondance des données et les facilités de
stockage n'encouragent pas à faire avec moins de ressources.
Le recours systématique à des grandes
quantités de données devient problématique uniquement
lorsqu'il y a des enjeux de sécurité (risque de piratage via un
cloud) ou lorsque les factures sont très importantes (souvent
pour des entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à
10 millions d'euros).
Écosystème startup et
écologie
Il y a indéniablement une faible prise en compte des
enjeux écologiques dans la société civile, même si
les jeunes améliorent la situation en étant de plus en plus
engagés.
Les startups ne sont pas incompatibles avec l'écologie
: le monde actuel est basé sur le fait qu'un problème (comme
l'est l'urgence écologique) peut être une opportunité
économique. Actuellement, il est nécessaire de changer de
nombreux aspects de la société, et de manière rapide, les
startups sont donc des acteurs centraux, à la fois innovants et agiles,
contrairement aux grands groupes qui ont plutôt tendance à
promouvoir le statu quo.
Toutefois, il est peut-être nécessaire de
repenser l'écosystème. Actuellement, si une startup est en
difficulté, elle reçoit des aides pour tenter de s'en sortir, ce
qui, souvent, repousse sa chute. Or, compte tenu de l'urgence actuellement, il
semblerait plus pertinent de laisser ces startups mourir afin de
réallouer les ressources à des projets plus prometteurs. Si une
startup a moins de difficulté qu'une autre, c'est probablement parce que
son projet est meilleur. Cette approche peut donc être assimilée
à du darwinisme.
Face à ces défis, les projets restent souvent
à leur prémisse, sous forme de POC (proof of concept),
sans être imaginés à long terme, par crainte de se
projeter.
Annexe 6 - Résumé de l'entretien avec Juliette
FROPIER (avril 2024)
Cheffe de projet IA & Transition écologique -
Ministère de la Transition Ecologique
Présentation
Juliette Fropier travaille au sein d'Ecolab, qui est un
laboratoire d'innovation au coeur du ministère de l'Ecologie, et
dépendant du Commissariat Général au Développement
Durable (CGDD).
Ecolab traite de deux enjeux principaux:
l L'innovation Greentech : Cette branche gère un label
qui a pour but de mettre en valeur des startups/PME éco-innovantes.
Elles candidatent donc et sont auditionnées pour assurer la
qualité de leur solution. Cette démarche a, entre autres, pour
but d'orienter la commande publique vers des petites entreprises, plutôt
que de s'adresser systématiquement à des grands groupes.
l Le pôle data/IA : Ce secteur, dans lequel travaille
Juliette Fropier, a pour but de monter des projets impliquant la data
et l'IA pour venir en aide aux collectivités (site
ecologie.gouv.fr, indicateurs
territoriaux de la transition écologique, liseuses intelligentes pour
parcourir rapidement des rapports pour les autorités
environnementales...).
Juliette Fropier travaille essentiellement à un niveau
stratégique, pour accompagner le pilotage de politiques publiques. Elle
croise donc principalement deux types de projets:
l Les IA pour la transition écologique : L'objectif
est de soutenir les collectivités en établissant à la fois
des projets de développement spécifiques, mais aussi en
établissant une offre de startups pouvant les accompagner. L'idée
est donc de faire interagir des acteurs variés (plusieurs
ministères, institutions publiques, entreprises privées...).
l L'étude de l'impact environnemental de l'IA : Face
à une systématisation de la demande d'analyse des impacts de
l'IA, il est nécessaire de disposer d'outils pour s'assurer que les
technologies apportent plus qu'elles ne consomment. En parallèle,
Juliette Fropier travaille donc avec plusieurs acteurs dont notamment l'AFNOR
pour augmenter la connaissance dans le domaine et proposer un cadre
normatif.
Le déploiement de l'IA
De manière générale, les projets d'IA se
heurtent à trois problématiques principales :
l L'absence de gouvernance des données, car les
organisations ne sont pas adaptées à la centralisation des
informations, et il faut donc effectuer un important travail de
prétraitement et de définition des canaux d'échange;
l La médiatisation à outrance, qui donne
l'impression que l'IA est capable de tout, et qui génère une
peur;
l La faible quantité d'experts en IA, et l'incertitude
sur l'impact futur sur les secteurs d'emplois.
L'IA dans le Ministère de l'Ecologie
Au sein du ministère, l'IA est perçue comme un
outil qui peut être intéressant mais dont la mise en place est
lourde car elle nécessite beaucoup de prérequis. Juliette Fropier
évoque quelques critères majeurs regardés avant une
éventuelle installation :
l L'analyse coûts/bénéfices du point de vue
environnemental;
l Le respect de l'éthique concernant le traitement des
données personnelles;
l La présence d'experts disponibles pour s'en occuper;
l L'explicabilité et la transparence des
modèles, notamment dans l'administration publique, pour ne pas prendre
des décisions préjudiciables pour les usagers (se pose alors la
question de la responsabilité en cas d'erreur commise par une IA) ;
l La réplicabilité et l'open sourcing,
pour s'assurer que les modèles peuvent être utilisés
dans des cas variés et que leur développement n'est pas trop
spécifique (ce qui impacterait, entre autres, le coût lié
à l'entraînement du modèle).
En outre, l'IA génère indéniablement des
craintes, notamment liées aux emplois et aux compétences. Il y a
donc un important besoin de formation et de pédagogie. Peu de personnes
sont actuellement formées, ce qui limite les interlocuteurs en
capacité de comprendre les enjeux et de les transmettre aux personnes de
leur entourage.
Toutefois, même si l'IA peut être une aide pour
la transition écologique, Juliette Fropier insiste sur le fait que ce
n'est qu'un élément, et qu'il est nécessaire de
déployer beaucoup d'autres solutions afin d'atteindre les objectifs de
sobriété. Son utilisation ne doit pas être
systématique mais déployée uniquement lorsque cela est
nécessaire (contrairement au recours à ChatGPT dans la
société civile actuellement par exemple) ; il est indispensable
de pouvoir justifier la nécessité d'usage.
Travail conjoint avec l'AFNOR
Juliette Fropier a entamé un travail conjoint avec
l'AFNOR pour établir un référentiel normatif sur l'IA
frugale, avec l'objectif que celui-ci puisse atteindre le niveau
européen. Ce travail part du constat qu'il est nécessaire
d'étudier l'impact environnemental de l'IA, mais que peu d'outils
performants sont disponibles. Actuellement, il existe principalement un seul
outil pour calculer l'impact carbone des algorithmes : Green Algorithm
(
calculator.green-algorithms.org).
Cet outil est assez faible et regarde uniquement le coût lié
à l'utilisation du modèle, mais non au matériel
nécessaire pour le faire fonctionner. En outre, il est nécessaire
d'homogénéiser la notion «d'entraînement»,
puisqu'il se déroule en trois phases qui se sont pas toutes
intégrées:
l La création du modèle, pour imaginer son
fonctionnement;
l La démarche itérative de détermination
des principaux paramètres (hyperparamètres) du modèle;
l L'entraînement du modèle sur la version
optimisée, avec les meilleurs hyperparamètres
identifiés.
L'intérêt d'une telle association avec l'AFNOR
est de bénéficier de la structuration existante de
l'organisation, habituée à interagir avec des acteurs très
variés (associations, laboratoires, startups, grandes
entreprises...).