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IA et startups: une technologie et un modèle économique à  façonner autour de l'écologie


par Sibyline MOUKARZEL
Sciences Po Rennes - Master Management des Organisations et des Projets 2024
  

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Annexes

Annexe 1

Résumé de l'entretien avec Christophe PHAM - Infogreen Factory

Annexe 2

Résumé de l'entretien avec Virgile BAUDROT - Qonfluens

Annexe 3

Résumé de l'entretien avec Faustin DUBOUIS - Eficia

Annexe 4

Résumé d'un entretien anonymisé - Accenta

Annexe 5

Résumé de l'entretien avec Gilles ALLAIN- DeepHawk

Annexe 6

Résumé de l'entretien avec Juliette FROPIER - Ministère de la Transition Ecologique

L'argent : Une interrogation récurrente est celle du ROI du numérique responsable, passant par plusieurs axes : attirer des investisseurs, attirer des clients, fidéliser les collaborateurs (marque employeur),

Annexe 1 - Résumé de l'entretien avec Christophe PHAM (décembre 2023) CEO - Infogreen Factory

Présentation de Christophe PHAM

Christophe Pham a commencé sa carrière en business development dans des ESN (Entreprises de Service Numérique). Suite à une prise de conscience écologique, il a souhaité agir au sein des organisations où il travaillait, mais sans résultat. Il a donc décidé de créer Infogreen Factory (IF) pour travailler sur les volets d'éthique, d'inclusion et d'écologie dans le numérique. IF est organisé en collectifs d'entrepreneurs et d'acteurs engagés dans le but de valoriser la coopération.

Présentation d'Infogreen Factory

La moitié de l'activité d'IF est dédiée à la formation sur le numérique responsable et la conception responsable. Ils ont par exemple travaillé avec une entité du Crédit Agricole pour former les équipes à la conception responsable de services numériques. En parallèle, IF a une branche de conseil dans le domaine du numérique responsable.

Exemple d'acteurs s'impliquant dans le numérique responsable

En Nouvelle Aquitaine a été créé un pôle de compétitivité nommé ENTER et dont l'idée est de favoriser l'innovation frugale et sobre en matière de numérique. Il y a donc un vivier qui émerge, avec des financements.

La grande problématique reste pourtant la détermination des critères. C'est un sujet qui est par exemple traité par des personnalités comme Côme GIRSHIG dans des structures telles que Tech for Climate.

Les débats sur la place du numérique pour la transition écologique

Avant toute chose, il faut remarquer que peu d'acteurs se rendent actuellement compte que le numérique a un impact écologique. Il commence à y avoir une prise de conscience, mais il règne essentiellement un point de vue techno-solutionniste.

IT for Green : Il s'agit souvent de «l'arbre qui cache la forêt» et qui permet de justifier toute innovation en prouvant son utilité. C'est une stratégie techno-solutionniste, en mettant en avant les impacts positifs, et en omettant de parler de tous les cas où l'impact est négatif (et c'est généralement majoritaire).

Green IT : L'objectif est de rendre l'IT plus vertueux et gagner en efficacité environnementale et que ça ait moins d'impact.

Actuellement, le monde suppose que les ressources sont illimitées : l'électricité est abondante, tout comme les minerais et les métaux rares (lithium, argent...), nous occultons les problèmes de sécheresse et la gêne des populations vis-à-vis des pollutions des mines et des décharges sauvages de déchets électroniques. Il s'agit de «l'angle mort du numérique», comme le traite la dernière étude de l'ARSEP.

Les principaux freins au déploiement du numérique durable

Le changement: Demander de reconsidérer la façon dont on mène un projet informatique est un effort important. Il faut donc accompagner au changement.

anticiper la réglementation, assurer la sécurité des solutions. Ce dernier point réside notamment dans le fait d'avoir des codes plus courts, et donc plus sobres, ce qui limite les zones à risque dans l'algorithme et le rend plus robuste. Chez IF est utilisée la méthode du Green Soft Model, pour arriver à avoir des algorithmes qui suivent cette logique de sobriété.

De plus en plus, les entreprises veulent également que la conception numérique responsable leur rapport du carbone.

La mesure : Les entrepreneurs ont besoin de quantifier les apports des changements. Alain Supiot traite par exemple de la question de la gouvernance par les chiffres : comme beaucoup de personnes manquent de sens, elles choisissent d'être gouvernées par les chiffres. Nous constatons une perte de temps importante à s'interroger sur la mesure et non sur le sens (cf. «Ce qui ne se mesure pas ne s'améliore pas» de W. DEMING).

Les équipes, sans être formées, se mettent à utiliser de nouveaux indices tels que l'EcoIndex ou Green IT-Analysis. Les gens ne savent pas comment les manipuler et y consacrent du temps, alors que ce n'est pas le coeur : il faut surtout limiter le développement de logiciels et sites web.

Il faut également se méfier de l'effet rebond dans la conception responsable : en étant plus efficace, on développe encore plus. Christophe Pham s'interroge donc sur sa participation à l'effet rebond.

Manque de conviction : Pour certains, la prise de conscience n'a pas encore eu lieu. IF a donc pour objectif d'attirer les «infiltrés» dans les entreprises clientes : même s'ils ne portent pas le même maillot, ils sont dans la même équipe dans la même équipe, avec un objectif commun. Ces «infiltrés» sont indispensables pour générer l'adhésion des collaborateurs. Ces personnes sont en dissonance cognitive avec la majorité des salariés de leur groupe, et ils essaient de faire avancer le sujet.

Nous parlons de plus en plus de stratégie RNE (Responsabilité Numérique des Entreprises) pour être plus spécifique que la RSE.

Les réglementations contraignantes

Il y a notamment deux éléments:

l Le plus récent, la loi REEN (Réduction de l'Empreinte Environnementale du Numérique);

l Depuis plus de dix ans, il existe la loi sur l'accessibilité qui est très peu appliquée, même par l'Etat (pour la lecture audio d'un site internet via une console par exemple).

Annexe 2 - Résumé de l'entretien avec Virgile BAUDROT (février 2024) CEO - Qonfluens

Présentation de Qonfluens

Qonfluens est un bureau d'études en écologie et agro-écologie avec deux principaux domaines d'expertise : l'analyse de données et l'étude des dynamiques de populations.

L'entreprise débute les démarches pour devenir une SCOP, pour trois raisons majeures:

l La mise en avant de la dimension éthique, correspondant aux valeurs de l'entreprise et pouvant être valorisé pour lors de recrutement;

l Une volonté politique de faire primer un choix démocratique entre les collaborateurs;

l Un gain de reconnaissance par des instituts externes, tout en évitant d'être une niche d'investissements.

Utilisation de l'IA chez Qonfluens

L'IA est utilisée à plusieurs niveaux : inférence bayésienne (probabilités), modèle hiérarchique (étude de la variabilité des données), gestion des incertitudes.

Alors que l'écologie était jusqu'à récemment un domaine où il fallait aller sur le terrain, elle commence à avoir un champ théorique. Cela passe est notamment possible grâce aux nouvelles données récoltées (ADN de sol, échantillon de l'océan...) et à l'imagerie satellite/radar (notamment pour l'agronomie). Cela nous permet de travailler sur des suivis de la biodiversité (analyse de données).

Eventuels effets rebonds

L'écologie théorique se développe mais cela engendre de nouveaux coûts importants comme la multiplication des recours à des techniques ADN (impliquant en sus l'utilisation de produits chimiques et de plastiques en grandes quantités).

Par ailleurs, ce type d'analyse de données est long et implique l'utilisation de serveurs de calcul puissants. Or, ces serveurs ne sont pas dans les locaux de Qonfluens et sont peu coûteux, donc leur utilisation n'est pas toujours surveillée, même si l'entreprise tente de privilégier des infrastructures locales.

Virgile BAUDROT souligne l'absence de label de certification permettant de s'assurer de la qualité environnementale des serveurs informatiques.

Perceptions extérieures de l'activité de Qonfluens

Le projet de Qonfluens est «à la mode» donc ouvre plus facilement des portes. Il s'agit de deux sujets brûlants mais peu étudiés. Toutefois, des freins sont rencontrés puisqu'il s'agit d'études représentant des charges, et dont les résultats sont généralement porteurs de résultats négatifs.

Implantation territoriale

L'implantation locale de Qonfluens facilite les travaux avec les laboratoires et permet d'avoir des liens avec la BPI. En revanche, il reste difficile d'approcher le milieu des associations environnementales, assez craintives face au modèle et la culture des startups.

Annexe 3 - Résumé de l'entretien avec Faustin DUBOUIS (mars 2024) Chef de projet - Eficia

Présentation d'Eficia

Eficia a été fondée avec l'objectif d'installer des systèmes GTB (Gestion Technique des Bâtiments) en s'appuyant sur la domotique pour piloter automatiquement les équipements (éclairage, chauffage, climatisation...). La clientèle cible est essentiellement des entreprises, qu'il s'agisse de chaînes de magasins ou d'entrepôt.

Une grande partie du pilotage automatique se fait grâce au machine learning ; l'objectif est d'analyser les données passées pour identifier les moments d'allumage des dispositifs. Par exemple, à partir des températures actuelles, des temps de chauffe, et d'une température cible, il est possible de déterminer le moment optimal pour allumer le système de chauffage.

Eficia dispose également d'une équipe de R&D parmi ses 200 salariés, dans le but d'améliorer les produits actuels, mais également d'en produire de nouveau. Par exemple, on peut retrouver:

l Le perfectionnement des systèmes automatisés pour augmenter le gain énergétique des entreprises déjà abonnées aux services d'Eficia ;

l L'arrivée de problématiques liées à la gestion de l'eau.

Le choix de l'IA

La première raison qui a poussé Eficia à l'utilisation de l'IA est pour rester compétitifs ; des modèles statistiques plus traditionnels ne nous auraient pas permis de rester des concurrents au niveau. L'IA présente aussi l'avantage de ne pas avoir besoin de ré-analyser les données à chaque mise à jour, mais de perfectionner le modèle à chaque étape.

Par ailleurs, aujourd'hui, le recours à l'IA est un argument commercial assez vendeur.

Contraintes de déploiement de la solution

L'installation des capteurs de mesure chez les clients représente un important temps de travail. Eficia installe également les automates informatiques qui se connectent aux actionneurs de chaque élément domotique.

Il y a donc une importante phase de choix des capteurs, selon les exigences du client, les contraintes règlementaires (notamment en cas d'accueil du public) et les préconisations d'un ingénieur se rendant dans les locaux pour y apporter son expertise. Le client doit au moins installer un capteur de température (relevé toutes les 10 min) et d'humidité ; mais il est possible d'ajouter la mesure du CO2, de la présence, de la luminosité... Ces données sont complétées par les relevés des compteurs.

Eficia équipe actuellement environ 5000 sites.

Réflexion écologique au sein d'Eficia

Le dirigeant d'Eficia incarne une réelle volonté de prise en compte des enjeux écologiques. L'entreprise y accorde donc une réelle importance, notamment pour les deux éléments les plus impactants : les trajets chez les clients et l'achat de matériel. Les données, peu nombreuses, sont peu impactantes. En outre, l'entreprise s'auto-évalue sur le sujet, ce qui a pu lui permettre d'atteindre un niveau d'exigence générant l'obtention de plusieurs labels écologiques.

Effet rebond chez les clients

Les clients d'Eficia sont rarement à l'origine d'effets rebonds puisque l'économie d'énergie et l'installation d'un système GTB sont des obligations légales. Cela est notamment lié à l'existence des décrets BACS et Tertiaire.

Cependant, la démarches des entreprises est rarement à but écologique, mais principalement économique, notamment depuis la forte augmentation des prix de l'énergie. En revanche, les clients intéressés par le dispositif pour des raisons écologiques sont de plus en plus nombreux à demander un système similaire pour l'eau.

Annexe 4 - Résumé de l'entretien avec Mme X (mars 2024) Ingénieure - Accenta

Présentation d'Accenta

Accenta a été fondée en 2016 avec la volonté de démocratiser le bâtiment bas carbone, en tentant de rendre plus intelligent l'usage des énergies renouvelables afin de limiter les coûts associés. Les principaux axes de travail sont donc sur la climatisation et le chauffage, en s'appuyant essentiellement sur la géothermie ( à travers le géostockage) et l'aérothermie.

La majorité des clients d'Accenta sont très variés, parmi lesquels on retrouve des entrepôts ou des entreprises du secteur tertiaire, comme Eurovia, Fnac, Darty ou encore la ville de Roubaix.

La startup est en forte croissance, en passant à une vingtaine de salariés début 2020, à près de 180 aujourd'hui. Ils sont répartis sur plusieurs sites en France (Lille, Troyes, région parisienne). L'entreprise a consacré les trois premières années après sa création à la R&D, qui regroupe aujourd'hui une trentaine de salariés. Depuis l'entreprise a développé bien d'autres postes comme:

l Energy managers, qui analysent les données clients, effectuent des recommandations et assurent le suivi des performances;

l Chargés d'étude, qui échangent avec le client pour identifier les besoins et dimensionnent les installations en utilisant les outils développés par la R&D.

L'utilisation de l'IA

L'IA est développée et utilisée dans de multiples outils et solutions Accenta, dont notamment sur deux axes que sont:

l Le dimensionnement du système à fournir pour répondre aux besoins du bâtiment selon ses caractéristiques ;

l La gestion du stockage d'énergie (géostockage) en temps réel, selon plusieurs paramètres tels que la météo ou la consommation.

Les données sont traitées directement chez le client. Toutefois, elles sont également récupérées par Accenta, en étant cryptées, afin de permettre un perfectionnement des modèles algorithmiques.

Accenta propose également une prestation d'analyse de données de consommation et de recommandations. L'amélioration des modèles permet donc de faire progresser les deux offres.

Conscience écologique au sein d'Accenta

Accenta incite ses salariés à la sobriété (dans les modes de transport ou le nombre de déplacements par exemple), mais la majorité sont bien souvent déjà sensibles à cette cause, et c'est d'ailleurs souvent en partie pour cette raison qu'ils rejoignent l'entreprise. La direction de l'entreprise a pris plusieurs décisions allant dans ce sens:

l Réalisation d'un bilan carbone, par l'entreprise Aktio ;

l Création d'un forfait mobilité durable pour les collaborateurs;

l Mise en place d'une démarche d'achats responsables, passant notamment par l'évaluation des partenaires et de leur impact;

l Évaluation des impacts écologiques (en tonnes de CO2) de chaque technologie créée par Accenta.

Les analyses internes des impacts écologiques ont révélé que le matériel était bien plus polluant que les travaux informatiques. Les équipes tentent de faire des codes les plus efficaces possibles, mais avec une optique de performances avant celle d'écologie.

Effet rebond chez les clients

Il n'y a pas d'analyse sur l'effet rebond puisque la majorité des clients d'Accenta sont liés à des constructions neuves : il n'y a donc pas d'antécédents de consommation. En effet, pour installer des solutions de géothermie, il faut disposer d'un terrain adapté et les travaux se font plus rarement sur des structures existantes.

Motivations des clients

Les clients semblent essentiellement vouloir bénéficier d'une image positive (liée à l'installation d'une telle infrastructure). Toutefois, ce choix reste un choix engagé car, même si des subventions existent, la mise en oeuvre coûte plus cher qu'un chauffage traditionnel au gaz par exemple. En outre, il est possible d'identifier plusieurs autres motivations chez les clients, telles que :

l L'indépendance vis-à-vis des énergies fossiles;

l L'application de la réglementation (décret tertiaire, décret BACS, taxonomie européenne, CSRD) ;

l La limitation de la dépréciation du bien à cause d'un impact carbone élevé.

Annexe 5 - Résumé de l'entretien avec Gilles ALLAIN (avril 2024) CEO - DeepHawk

Pouvez-vous vous présenter et présenter l'entreprise?

Gilles Allain est cofondateur et CEO de DeepHawk. Avant cela, il a travaillé dans plusieurs entreprises, de taille variable, à la fois sur les aspects techniques (grâce à sa formation d'ingénieur) et business.

DeepHawk a été créée en mai 2022. La société développe et commercialise un logiciel spécialisé dans la détection d'anomalie pour l'industrie manufacturière. Ce logiciel utilise l'IA pour analyser des images et vidéos de nature variée (parfois rayons-X, thermiques, microscopiques...), de façon à détecter des défauts visuels, même discrets, qui pourraient conduire au rejet du produit en contrôle qualité.

Définition de l'IA frugale

L'IA a pour objectif de consommer moins de ressources informatiques, qu'il s'agisse de la puissance de calcul (computing power) ou du stockage des données. La solution proposée par DeepHawk réduit les besoins en ressources d'un facteur de 375.

L'IA frugale s'oppose au deep learning, qui apprend sur une très grande quantité de données. L'objectif est ici d'avoir de plus petits réseaux de neurones dont la structure permet d'apprendre sur une plus faible quantité de données. Le fonctionnement se rapproche donc de celui du cerveau humain, cherchant à travailler le plus intelligemment possible. Pour cela, DeepHawk part notamment de l'analyse d'image de situations de conformité des produits, plutôt que d'un apprentissage de l'ensemble des défauts possibles.

Aujourd'hui, les LLM sont très répandus mais essentiellement appliqués au texte. Or, ils nécessitent d'avoir une très grande base de données pour fournir des réponses de qualité. Leur application au cas des images semble donc matériellement impossible, car les ressources qui seront alors nécessaires deviendront trop importantes. Or, la société actuelle collecte de plus en plus de données, dans le but de pouvoir les traiter. Le seul support qui serait compatible est l'ordinateur quantique, mais il ne se propagera pas dans la société avant une dizaine d'années.

D'après Allain Gilles, la loi de Moore ne peut plus s'appliquer tellement nous sommes arrivés à un degré de miniaturisation (à l'échelle atomique).

L'IA frugale comme argument de vente

L'IA frugale (et l'argument du facteur de réduction de 375) est présentée aux clients mais ils n'y sont pas forcément sensibles. Ils apprécient, mais préfèrent surtout la performance du logiciel. Les arguments suivants sont notamment mis en avant:

l La faible préparation nécessaire pour disposer d'une base de données d'apprentissage, car celle-ci est de taille réduite ;

l Le fait de ne pas avoir besoin d'un cloud pour y stocker les données;

l Le fait que les opérations puissent être réalisées sur des infrastructures informatiques accessibles, qui permettent aux entreprises de les exécuter en interne, ce qui limite les risques en matière de sécurité.

L'IA frugale dans les startups

La majorité des startups dans le domaine de l'IA connaissent le concept d'IA frugale, même s'il est peu abordé chez le grand public. Toutefois, ces solutions se propagent peu pour deux raisons majeures:

l Les startups sont financièrement soutenus par les géants du numérique (comme les GAFAM) qui, eux-mêmes, vendent des solutions cloud et les encourageant donc fortement à les utiliser (ces sociétés n'ont pas d'intérêt à ce que l'IA frugale se développe trop rapidement);

l L'abondance des données et les facilités de stockage n'encouragent pas à faire avec moins de ressources.

Le recours systématique à des grandes quantités de données devient problématique uniquement lorsqu'il y a des enjeux de sécurité (risque de piratage via un cloud) ou lorsque les factures sont très importantes (souvent pour des entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 10 millions d'euros).

Écosystème startup et écologie

Il y a indéniablement une faible prise en compte des enjeux écologiques dans la société civile, même si les jeunes améliorent la situation en étant de plus en plus engagés.

Les startups ne sont pas incompatibles avec l'écologie : le monde actuel est basé sur le fait qu'un problème (comme l'est l'urgence écologique) peut être une opportunité économique. Actuellement, il est nécessaire de changer de nombreux aspects de la société, et de manière rapide, les startups sont donc des acteurs centraux, à la fois innovants et agiles, contrairement aux grands groupes qui ont plutôt tendance à promouvoir le statu quo.

Toutefois, il est peut-être nécessaire de repenser l'écosystème. Actuellement, si une startup est en difficulté, elle reçoit des aides pour tenter de s'en sortir, ce qui, souvent, repousse sa chute. Or, compte tenu de l'urgence actuellement, il semblerait plus pertinent de laisser ces startups mourir afin de réallouer les ressources à des projets plus prometteurs. Si une startup a moins de difficulté qu'une autre, c'est probablement parce que son projet est meilleur. Cette approche peut donc être assimilée à du darwinisme.

Face à ces défis, les projets restent souvent à leur prémisse, sous forme de POC (proof of concept), sans être imaginés à long terme, par crainte de se projeter.

Annexe 6 - Résumé de l'entretien avec Juliette FROPIER (avril 2024)

Cheffe de projet IA & Transition écologique - Ministère de la Transition Ecologique

Présentation

Juliette Fropier travaille au sein d'Ecolab, qui est un laboratoire d'innovation au coeur du ministère de l'Ecologie, et dépendant du Commissariat Général au Développement Durable (CGDD).

Ecolab traite de deux enjeux principaux:

l L'innovation Greentech : Cette branche gère un label qui a pour but de mettre en valeur des startups/PME éco-innovantes. Elles candidatent donc et sont auditionnées pour assurer la qualité de leur solution. Cette démarche a, entre autres, pour but d'orienter la commande publique vers des petites entreprises, plutôt que de s'adresser systématiquement à des grands groupes.

l Le pôle data/IA : Ce secteur, dans lequel travaille Juliette Fropier, a pour but de monter des projets impliquant la data et l'IA pour venir en aide aux collectivités (site ecologie.gouv.fr, indicateurs territoriaux de la transition écologique, liseuses intelligentes pour parcourir rapidement des rapports pour les autorités environnementales...).

Juliette Fropier travaille essentiellement à un niveau stratégique, pour accompagner le pilotage de politiques publiques. Elle croise donc principalement deux types de projets:

l Les IA pour la transition écologique : L'objectif est de soutenir les collectivités en établissant à la fois des projets de développement spécifiques, mais aussi en établissant une offre de startups pouvant les accompagner. L'idée est donc de faire interagir des acteurs variés (plusieurs ministères, institutions publiques, entreprises privées...).

l L'étude de l'impact environnemental de l'IA : Face à une systématisation de la demande d'analyse des impacts de l'IA, il est nécessaire de disposer d'outils pour s'assurer que les technologies apportent plus qu'elles ne consomment. En parallèle, Juliette Fropier travaille donc avec plusieurs acteurs dont notamment l'AFNOR pour augmenter la connaissance dans le domaine et proposer un cadre normatif.

Le déploiement de l'IA

De manière générale, les projets d'IA se heurtent à trois problématiques principales :

l L'absence de gouvernance des données, car les organisations ne sont pas adaptées à la centralisation des informations, et il faut donc effectuer un important travail de prétraitement et de définition des canaux d'échange;

l La médiatisation à outrance, qui donne l'impression que l'IA est capable de tout, et qui génère une peur;

l La faible quantité d'experts en IA, et l'incertitude sur l'impact futur sur les secteurs d'emplois.

L'IA dans le Ministère de l'Ecologie

Au sein du ministère, l'IA est perçue comme un outil qui peut être intéressant mais dont la mise en place est lourde car elle nécessite beaucoup de prérequis. Juliette Fropier évoque quelques critères majeurs regardés avant une éventuelle installation :

l L'analyse coûts/bénéfices du point de vue environnemental;

l Le respect de l'éthique concernant le traitement des données personnelles;

l La présence d'experts disponibles pour s'en occuper;

l L'explicabilité et la transparence des modèles, notamment dans l'administration publique, pour ne pas prendre des décisions préjudiciables pour les usagers (se pose alors la question de la responsabilité en cas d'erreur commise par une IA) ;

l La réplicabilité et l'open sourcing, pour s'assurer que les modèles peuvent être utilisés dans des cas variés et que leur développement n'est pas trop spécifique (ce qui impacterait, entre autres, le coût lié à l'entraînement du modèle).

En outre, l'IA génère indéniablement des craintes, notamment liées aux emplois et aux compétences. Il y a donc un important besoin de formation et de pédagogie. Peu de personnes sont actuellement formées, ce qui limite les interlocuteurs en capacité de comprendre les enjeux et de les transmettre aux personnes de leur entourage.

Toutefois, même si l'IA peut être une aide pour la transition écologique, Juliette Fropier insiste sur le fait que ce n'est qu'un élément, et qu'il est nécessaire de déployer beaucoup d'autres solutions afin d'atteindre les objectifs de sobriété. Son utilisation ne doit pas être systématique mais déployée uniquement lorsque cela est nécessaire (contrairement au recours à ChatGPT dans la société civile actuellement par exemple) ; il est indispensable de pouvoir justifier la nécessité d'usage.

Travail conjoint avec l'AFNOR

Juliette Fropier a entamé un travail conjoint avec l'AFNOR pour établir un référentiel normatif sur l'IA frugale, avec l'objectif que celui-ci puisse atteindre le niveau européen. Ce travail part du constat qu'il est nécessaire d'étudier l'impact environnemental de l'IA, mais que peu d'outils performants sont disponibles. Actuellement, il existe principalement un seul outil pour calculer l'impact carbone des algorithmes : Green Algorithm ( calculator.green-algorithms.org). Cet outil est assez faible et regarde uniquement le coût lié à l'utilisation du modèle, mais non au matériel nécessaire pour le faire fonctionner. En outre, il est nécessaire d'homogénéiser la notion «d'entraînement», puisqu'il se déroule en trois phases qui se sont pas toutes intégrées:

l La création du modèle, pour imaginer son fonctionnement;

l La démarche itérative de détermination des principaux paramètres (hyperparamètres) du modèle;

l L'entraînement du modèle sur la version optimisée, avec les meilleurs hyperparamètres identifiés.

L'intérêt d'une telle association avec l'AFNOR est de bénéficier de la structuration existante de l'organisation, habituée à interagir avec des acteurs très variés (associations, laboratoires, startups, grandes entreprises...).

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