A. Les droits économiques du citoyen
Les droits économiques du citoyen peuvent être
définis comme des droits dont la mise en oeuvre concourt à
l'amélioration des conditions de vie du citoyen en termes de
satisfaction de ses besoins élémentaires. Outre ceux qui sont
expressément énoncés par la loi constitutionnelle du 18
janvier 1996, à savoir le droit de propriété (1) et le
droit au travail (2), nous mentionnerons aussi la liberté d'entreprendre
(3).
1. Le droit de
propriété
Le droit de propriété est un droit sacré.
En effet, « A côté de la liberté individuelle
proprement dite, qui assure la sauvegarde physique de l'individu, le droit de
propriété assure sa sauvegarde économique et
matérielle »98 . Toutes les Constitutions du Cameroun
ont toujours reconnu ce droit comme étant fondamental. C'est ainsi que
la loi constitutionnelle du
95 Voir l'art.175 al.2 du code électoral.
96 Voir l'art. 251du code électoral.
97 Voir l'art 251 al. 2 du code électoral.
98 Louis Trotabas, Paul Isoart, Droit public,
Paris, L.G.D.J., 24e éd., 1998, p. 140.
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18 janvier 1996 dispose tout aussi que : « La
propriété est le droit d'user, de jouir et de disposer des biens
garantis à chacun par la loi. Nul ne saurait en être privé
si ce n'est pour cause d'utilité publique et sous la condition d'une
indemnisation dont les modalités sont fixées par la loi ».
De cet énoncé, il ressort que le droit de propriété
est le principe et l'expropriation l'exception.
Par ailleurs, le droit au logement est un corollaire du droit
de propriété. Le droit au logement est le droit reconnu à
chacun des citoyens de disposer d'un logement décent. De manière
simple, c'est le « droit à l'abri ».
L'Etat doit oeuvrer afin de permettre l'accès de ses
citoyens au logement : c'est la raison d'être des logements sociaux par
exemple, qui constituent un pilier du droit au logement.
De même, l'Etat facilite l'accès au logement
à travers la mise en oeuvre de programmes d'aide à la
construction. C'est à cet objectif que répond la création
au Cameroun du crédit foncier, qui est chargé de percevoir un
impôt et de le redistribuer ensuite à tous les citoyens sous forme
de prêt servant à l'accès au logement.
Dans le cadre de la décentralisation, ce rôle est
partagé entre l'Etat central et les collectivités territoriales
décentralisées. Ces dernières disposent, en matière
de logement, de nombreuses prérogatives relatives à l'occupation
du sol, à la planification urbaine etc.
En outre, il est à noter que l'exercice du droit de
propriété n'est pas géographiquement limité.
Autrement dit tout citoyen peut s'en prévaloir dans n'importe quelle
partie du territoire national. Il en est ainsi parce qu'aux termes de la
Constitution camerounaise, tout homme a le droit de se fixer en tout lieu sur
le territoire national.
Malgré tout, il est à noter que le droit de
propriété n'est pas absolu, car son exercice ne saurait
être contraire à l'utilité publique ou porter atteinte aux
droits de propriété et au logement d'autrui. Ainsi,
l'expropriation pour cause d'utilité publique doit automatiquement
donner lieu à une juste et préalable indemnisation.
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2. Le droit au travail
Aux termes de la Constitution, « Tout homme a le droit
[...] de travailler »99. Le droit au travail est le droit
d'accéder à un emploi et de jouir des conditions de travail
justes, c'est-à-dire le droit à un salaire équitable et
régulier, à la promotion sociale, aux congés payés
et à la rémunération des jours fériés
notamment. La notion de travail fait d'ailleurs partie des trois concepts qui
constituent la devise de la République du Cameroun, à savoir
« Paix-Travail-Patrie ». Cela témoigne de l'importance du
droit au travail dans la logique des rapports entre l'Etat et ses citoyens. En
effet, le travail, outre une activité physique ou intellectuelle
exercée par une personne, moyennant une rémunération, est
aussi et surtout un facteur de cohésion sociale et de
développement économique et social du pays.
De toute évidence, l'Etat ne saurait assurer le
bien-être de tous ses citoyens s'il ne met en oeuvre des conditions
concrètes permettant l'accès de ceux-ci aux emplois
décents et qui leur confèrent une sécurité
sociale100. En fait, les travailleurs doivent pouvoir
bénéficier de mesures assurant leur protection vis-à-vis
de certains évènements ou risques sociaux liés à
leur activité professionnelle, tels que les accidents de travail, les
congés, la maladie, le décès et certaines charges
familiales.
Ainsi, il faut relever que l'effectivité du droit au
travail passe indéniablement par sa juxtaposition avec certains droits
comme la liberté syndicale et le droit de grève ; car ces
derniers permettent aux travailleurs, par l'entremise des syndicats
professionnels par exemple, de défendre leurs droits en revendiquant
simplement de meilleures conditions de travail ou de vie.
En outre, le droit au travail ne doit pas seulement être
envisagé comme un droit créance qui entraine une action ou une
intervention de l'Etat, mais il peut aussi être envisagé comme un
droit qui exige, pour sa mise en oeuvre, une abstention de l'Etat. En d'autres
termes, le droit au travail peut consister pour l'Etat à ne pas entraver
la liberté d'exercer une activité professionnelle.
99 Cf. le préambule de la Constitution
du 2 juin 1972, modifiée par la loi constitutionnelle du 18 janvier
1996.
100 Toutefois, le droit au travail qui est certes un droit
créance, ne signifie pas pour autant que l'Etat se hisse comme le seul
créateur d'emplois. Mais la liberté d'entreprendre qui permet aux
citoyens de générer eux-mêmes des emplois, nous
éloigne de la perspective où l'Etat est considéré
comme l'acteur exclusif du système d e création d'emplois.
31
1. La liberté d'entreprendre
Considérée comme la version moderne de la
liberté du commerce et de l'industrie reconnue en France après la
révolution de 1789101, la liberté d'entreprendre est
la faculté accordée à toute personne d'exercer telle
profession, art ou métier qu'elle trouve bon, sous la condition du
respect des lois et règlements. Autrement dit, la liberté
d'entreprendre permet le libre exercice de toute activité
économique ou entrepreneuriale, qui ne peut être restreinte que
pour des raisons d'intérêt général.
Elle tend à « la réalisation de sa
destinée personnelle, dans le domaine familial et professionnel
»102. Elle peut aussi impliquer la possibilité
d'exploiter tout patrimoine, car « la liberté d'exploiter
complète la liberté d'entreprendre ; en permettant à tout
entrepreneur de gérer son entreprise à sa guise » 103 . De
cette façon, considérée comme un moyen
d'épanouissement personnel, la liberté d'entreprendre est donc
nécessaire « à un individu qui souhaite réussir sa
vie sur le plan matériel »104 ; bien qu'elle «
comporte également la liberté de faire travailler autrui
»105.
Du point de vue économique, la liberté
d'entreprendre est un élément indispensable au fonctionnement de
l'Etat. En effet, le système économique basé sur le
principe de l'économie de marché est sous-tendu par la
liberté d'entreprendre. Elle est l'apanage des personnes aussi bien
physiques que morales.
B. Les droits sociaux
Les droits sociaux peuvent être entendus comme des
droits qui nécessitent la fourniture par l'Etat de services collectifs
destinés à assurer le bien-être de ses citoyens.
D'ailleurs, « Historiquement les droits sociaux ont joué un
rôle important, sinon crucial, pour le
101 La liberté du commerce et de l'industrie fut
consacrée en France par la loi des 2-17 mars 1791.
102 Jean Gicquel, Jean-Eric Gicquel, op. cit., p. 89.
103 Rémy Cabrillac, Marie-Anne Frison-Roche, Thierry
Revet (dir. ), Libertés et droits fondamentaux, Paris, Dalloz,
12e éd., 2006, p. 698.
104 Ibidem.
105 Jean Pélissier, Alain Supiot, Antoine Jeammaud,
Droit du travail, Paris, Dalloz, 23e éd. , 2006, p.
143.
32
développement de la citoyenneté
»106. Or, il apparaît souvent que les difficultés
économiques de l'Etat soient invoquées comme étant un
obstacle radical à leur effectivité107.
L'essentiel des droits sociaux sont le droit à la
santé (1) et le droit à l'éducation (2).
1. Le droit à la santé
Le droit à la santé est un droit dont la
protection est essentielle, car la santé touche à tous les
aspects de la vie de l'individu. En vue d'assurer le bien-être de ses
citoyens, l'Etat doit notamment leur garantir le droit à la
santé, qui « se décompose en un droit à
l''accès aux soins et un droit à bénéficier d'un
environnement sain »108, ceci sur toute l'étendue du
territoire national. Dans cette optique, le système sanitaire national
doit permettre une couverture sanitaire universelle pour tous.
Mais en plus, comme tous les autres droits du citoyen, le
droit à la santé doit, dans sa mise en oeuvre, répondre au
souci de garantir l'égalité de tous les citoyens,
c'est-à-dire un accès égal aux soins de santé.
C'est à cet objectif que répondent la création des
hôpitaux et centres de santé sur toute l'étendue du
territoire national aussi bien en zone urbaine que rurale, la subvention ou la
réduction des coûts de traitement de certaines maladies graves et
la mise sur pied d'une couverture vaccinale universelle pour l'ensemble des
citoyens.
Par ailleurs, en tant qu'il est le garant de la santé
publique, l'Etat doit élaborer et mettre en oeuvre des politiques de
prévention des pandémies et des épidémiques. Au
rang des mesures s'inscrivant dans ce cadre, nous pouvons mentionner
l'organisation de campagnes de vaccination gratuite contre certaines maladies.
Ces campagnes sont principalement destinées aux enfants, aux femmes
enceintes et aux personnes âgées, en raison notamment du
caractère vulnérable qu'engendre leur situation.
Toujours pour garantir le droit de ses citoyens à la
santé, l'Etat peut, à travers ses différents
démembrements organiques, prendre toutes mesures visant à
empêcher que toute situation ne vienne nuire à la santé de
ses citoyens. Ces mesures peuvent, de par leur contenu,
106 Michel Coutu, « Introduction : Droits fondamentaux et
citoyenneté », op. cit., p. 15.
107 La possibilité de recourir à des dispositifs
institutionnels et normatifs pour assurer la protection des droits sociaux est
souvent limitée. En général, l'on pense que ces droits ne
peuvent être pleinement garantis que progressivement dans le temps en
fonction du niveau de développement du pays.
108 Arlette Heymann-Doat, Gwénaëlle Calvès,
Libertés publiques et droits de l'homme, op. cit., p. 215.
33
porter atteinte à d'autres droits ou libertés.
Dans ce sillage, l'Etat peut par exemple interdire la commercialisation de
certains produits alimentaires, pharmaceutiques ou industriels
présentant des risques de trouble de la santé
publique109.
Il est important de mentionner que la garantir du droit
à la santé se fait aussi en amont à travers le
système de sécurité sociale auquel participe, au travers
des cotisations sociales, l'ensemble des citoyens, sinon la majorité
d'entre eux. Lequel système constitue ainsi un des instruments majeurs
de financement du système de santé publique.
2. Le droit à
l'éducation
Dans l'ordre juridique camerounais, le droit à
l'éducation revêt une valeur constitutionnelle. La loi
fondamentale énonce en effet dans son préambule que : «
L'Etat assure à l'enfant le droit à l'instruction. L'enseignement
primaire est obligatoire. L'organisation et le contrôle de l'enseignement
à tous les degrés sont des devoirs impérieux de l'Etat
».
Ainsi, la consécration des caractères
obligatoire et gratuit de l'enseignement primaire s'inscrit notamment dans
l'optique d'assurer la formation des citoyens afin de les rendre capables
à terme de conduire les affaires de l'Etat.
Cela constitue aussi la traduction concrète du concept
de l'école républicaine, qui est construite notamment autour du
principe de l'école pour tous. En d'autres termes, l'instruction doit
être accordée à tous sans discrimination liée au
statut socio-économique, au sexe, à la religion, à la
race, à la tribu etc. En un mot, la mise en oeuvre effective du droit
à l'éducation passe par la démocratisation de
l'accès à l'école. De ce point de vue, l'on peut dire que
l'effectivité du droit à l'éducation est aussi une voie de
garantie du principe d'égalité de tous les citoyens. En effet, il
s'agit à travers l'école républicaine, de permettre
l'accès à l'instruction du plus grand nombre, d'autant plus que
l'école constitue un puissant instrument d'intégration et
d'épanouissement sociales et de formation à l'acquisition des
valeurs républicaines.
109 La protection de la santé publique peut aboutir par
exemple à prendre des mesures interdisant, suspendant ou limitant la
protection et/ou la publicité des produits comme le tabac, l'alcool ou
la drogue.
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De façon générale, l'on peut affirmer que
l'éducation au sens large du terme est un outil majeur de construction
de la citoyenneté, car elle « informe et forme les citoyens
»110. Elle permet en fait d'acquérir diverses
compétences et qualifications dont la mise en oeuvre est
nécessaire au progrès socio-économique et culturel du
pays.
Dans cette optique, il incombe à l'Etat de financer le
développement du secteur éducatif par la création
d'institutions d'enseignement primaire, secondaire et universitaire, par le
recrutement et la formation des ressources humaines et par le suivi et
l'harmonisation des programmes d'enseignement sur l'ensemble du territoire
national. Il est par ailleurs accompagné dans cette tâche par des
opérateurs privés, qui créent des établissements
d'enseignements à vocation laïque ou confessionnelle.
C. Les droits culturels du
citoyen
Les droits culturels peuvent être entendus comme des
« droits tenant à l'identité des personnes et des groupes,
à leur définition de soi, au respect d'un patrimoine particulier
de traditions et valeurs »111.
Au regard du constitutionnalisme camerounais, les droits
culturels portent essentiellement sur la préservation des traditions,
c'est-à-dire les croyances, les valeurs, les us et coutumes des
citoyens, en tant que ceux-ci appartiennent chacun aux divers groupes ethniques
ou tribaux qui composent le pays.
Les droits culturels sont exercés sous réserve
de leur conformité à la loi et aux bonnes moeurs112.
Dans cet esprit, toute pratique traditionnelle ou culturelle quelconque qui
viole la dignité et l'honneur de l'homme ne saurait être admise.
C'est à ce titre par exemple que le gouvernement combat la pratique
coutumière de l'excision des jeunes filles, qui est propre à
certains groupes ethniques des régions septentrionales du
pays113.
110 Alain Marie Matigi, Problématique de la
politique de l'équilibre régional au Cameroun à
l'ère de la démocratie pluraliste : Analyse des bases
justificatives en matière de concours administratifs,
mémoire de DEA de l'université de Yaoundé II-Soa,
1998 / 1999, p. 83.
111 Guy Rocher, « droits fondamentaux, citoyens
minoritaires, citoyens majoritaires », op cit. , p. 37.
112 A ce propos, l'art. 1er de la constitution
affirme respectivement dans ses al. 2 et 3 que la République «
reconnait et protège les valeurs traditionnelles conformes aux principes
démocratiques, aux droits de l'homme et à la loi » et «
garantit le la protection et la promotion des langues nationales ».
113 L'interdiction de la pratique coutumière de
l'excision répond par ailleurs à l'objectif affirmé par le
préambule de la Constitution selon lequel « La nation
protège la femme ».
35
Puisque les droits culturels sont surtout des droits
collectifs, qui tiennent à l'identité culturelle des citoyens et
à leur appartenance à des groupes ethno-tribaux distincts, l'on
peut dire qu'ils sont bâtis du point de vue de la diversité ethno
culturelle du pays. De ce fait, chaque communauté ethnique ou tribale a
le droit de promouvoir les éléments de sa culture. A ce sujet, la
vitalité dans l'exercice des droits culturels au Cameroun est
perceptible au regard de la pérennisation et de la multiplication
d'évènements culturels114.
Ainsi, les droits culturels consistent en le droit de
développer une culture, le droit d'un peuple à ne pas se faire
imposer une culture étrangère, le droit de protection des oeuvres
artistiques, littéraires, scientifiques, le droit au respect du
patrimoine artistique, historique et culturel, le droit au respect de son
identité linguistique.
Dans cette logique, la Constitution prévoit que la
République du Cameroun « oeuvre pour la protection et la promotion
des langues nationales »115. C'est de toute évidence
l'une des raisons pour lesquelles il serait difficile, sur les deux-cent
quatre-vingt langues nationales environ existant au Cameroun pour autant
d'ethnies, d'adopter et surtout de faire légitimer comme langues
nationales officielles quelques-unes seulement d'entre elles.
Toutefois, l'exercice des droits culturels ne doit en aucun
cas constituer un ombrage à la prévalence de l'identité
culturelle nationale. Mais la diversité culturelle doit être en
somme un facteur d'intégration nationale, mieux encore, l'expression
d'une identité nationale commune plus englobante116. De cette
manière, si la diversité culturelle, par essence
différentialiste, est susceptible de séparer les citoyens les uns
des autres, comme l'induit d'ailleurs Guy Rocher, lorsqu'il dit que « la
dimension culturelle de la citoyenneté peut comporter une forte tendance
à la fragmentation sociale et politique »117,
l'identité nationale doit en ce moment servir à les unir ; car l'
« Identité nationale et citoyenneté sont souvent des termes
interchangeables. Ils
114 Nous pouvons citer à titre d'illustration, le
Ngondo, le Medumba, le Ngan Nkam, le Mbog Lia, le Ngouon, qui sont autant de
festivals cultutrels et traditionnels bénéficiant par ailleurs de
la participation et du soutien des pouvoirs publics.
115 Cf. art. 1er al. 3 de la Constitution.
116 C'est en effet sur la diversité culturelle du
Cameroun que le constituant a bâti son unité, car aux termes du
préambule de la Constitution, la République du Cameroun fait de
sa diversité linguistique et culturelle l'élément de sa
personnalité nationale, non sans réaffirmer l'unicité de
la nation.
117 Cf. Michel Coutu, « Introduction : Droits
fondamentaux et citoyenneté », op cit., p. 13.
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renvoient à la question fondamentale de savoir ce qui
unit les habitants partageant un même espace, qu'il soit politique,
culturel, social ou tout cela à la fois »118.
En somme, les droits culturels sont appelés à
s'épanouir en-dessous, sinon à l'intérieur de
l'identité nationale, et nullement l'inverse.
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