B. Les droits politiques du citoyen
A l'origine de la citoyenneté, les droits politiques
étaient considérés comme la pierre angulaire du statut de
citoyen ; car ils « font de lui un acteur de la cité, partie
prenante à l'exercice du pouvoir »72. Autrement dit,
« la liberté politique est le droit, pour les citoyens, de
participer au gouvernement de l'Etat, c'est-à-dire de désigner et
de révoquer leurs gouvernants »73. Relèvent
essentiellement de la famille des droits politiques, le droit de vote (1) et le
droit à l'éligibilité (2).
1. Le droit de vote
Les autorités détentrices du pouvoir politique
au sein de l'Etat, tiennent leur pouvoir du peuple à travers la voie des
élections au suffrage universel direct ou indirect74. Ainsi,
« Le vote est égal et secret ; y participent tous les citoyens
âgés d'au moins vingt (20) ans »75. Par le moyen
du suffrage universel, les citoyens contribuent à la formation du destin
commun et de la volonté générale. Ce raisonnement est
partagé par Yves Déloye et Olivier Ihl, qui affirment que :
« le vote relie des gens qui ont peu en commun »76. Ils
ajoutent par ailleurs que l'acte de vote « procure aux citoyens le
sentiment d'appartenir à une même communauté nationale
»77.A la lecture de l'art. 2al. 3 de la loi constitutionnelle
du 18 janvier 1996 sus, les caractères du vote renvoient à
l'égalité, au secret et à la condition d'âge.
70 Le préambule de la Constitution
énonce en effet que « L'Etat est laïc. La neutralité et
l'indépendance de l'Etat vis-à-vis de toutes les religions sont
garanties »
71 Jérôme Francis Wandji K., « La
déclaration française des droits de l'homme et du citoyen du 26
août 1789 et l'Etat en Afrique », Revue française de
droit constitutionnel, 2014/3, no 99, pp.e1-e28,
(spéc. p. e10).
72 Ibid., p. e17.
73 Jean Gicquel, Jean-Eric Gicquel, Droit
constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien,
20è éd., 2005, p. 83.
74 Voir art. 2 al.2 de la Constitution du Cameroun.
75 Voir art. 2 al.3 de la Constitution du Cameroun.
76 Yves Déloye, Olivier Ihl, L'acte de
vote, Paris, Presses de sciences po, 2008, p. 46.
77 Ibid., p. 47.
24
L'égalité du vote, encore appelée
égalité de suffrage, se résume par la formule « Un
homme, une voix ». Elle signifie que tous les citoyens-électeurs
participent égalitairement à la désignation des dirigeants
de l'Etat. Autrement dit, l'évaluation numérique du suffrage
valablement exprimé ne se fait pas en considération de la
condition sociale ou économique encore moins de la race, de la religion
ou de l'origine de l'électeur. Selon Elisabeth Zoller, le suffrage doit
être égal en ce sens que « l'électeur doit être
équitablement et effectivement représenté
»78. Ainsi, « Dire que le suffrage doit être
égal signifie au minimum que chaque voix doit peser d'un poids identique
à l'autre ou, si l'on préfère, que chaque voix doit
compter pour un vote, non pour une moitié de vote ou pour deux votes
»79. Le principe de l'égalité du vote exclut donc
automatiquement le vote familial, le suffrage multiple et le suffrage
plural80. La technique du découpage électoral
participe de la mise en oeuvre de la règle de l'égalité de
vote. Dans ce cadre, le nombre de sièges par circonscription
électorale est attribué sur la base de l'importance
démographique de celle-ci81.
Le secret du vote signifie que le vote est caché de la
vue, qu'il est confidentiel. Sur le plan pratique, ce sont entre autres la
présence d'un isoloir dans le bureau de vote, la mise du bulletin de
vote dans une enveloppe qui permettent de garantir la confidentialité du
vote.
Concrètement, à l'issue de la phase de campagne
électorale, après la ventilation des programmes et des
professions de foi des candidats, l'électeur se retrouvera tout seul
dans l'isoloir le jour du scrutin pour faire son choix entre plusieurs
bulletins de vote, cela loin des influences des médias et des groupes de
pression. Nul ne peut donc déterminer le bulletin qu'il a introduit dans
l'enveloppe. Le secret du vote permet donc de protéger
l'indépendance
78 Elisabeth Zoller, Droit constitutionnel,
Paris, Puf, 1è éd. 1998, p. 503.
79Ibidem.
80 En fait, Le vote familial est un système
de vote dans lequel le chef de famille détient un nombre de voix qui
correspond à l'importance numérique de cette famille.
Quant au suffrage multiple, c'est un système qui permet
à une catégorie d'électeurs, en raison du fait qu'ils
remplissent certaines conditions, de voter dans plusieurs circonscriptions lors
d'une même élection. Il était en vigueur en Grande Bretagne
jusqu'en 1951.
Le suffrage plural enfin est celui qui attribue une ou
plusieurs voix supplémentaires aux électeurs qui ont un
intérêt spécial dans les affaires de l'Etat, il peut s'agir
des diplômés, des propriétaires, des chefs de famille
nombreuse, des opérateurs économiques, etc.
81 En ce qui concerne notamment l'élection
municipale, l'art. 173 al.1de la loi n° 2012/001 du 19 avril 2012, portant
code électoral, prévoit par exemple que pour : Les communes de
moins de cinquante mille habitants, le nombre de conseillers municipaux est de
vingt-cinq ; pour les communes de cinquante mille à cent mille
habitants, le nombre de conseillers est de trente et un ; alors que pour les
communes de cent mille un à deux cent mille habitants, le nombre de
conseillers est de trente-cinq.
25
de l'électeur. Ainsi, « pour les citoyens, il est
indispensable que le vote soit secret pour préserver leur liberté
et éviter les pressions »82.
Le Pr. Marie-Anne Cohendet pense par contre que le vote ne
devrait pas être secret pour les élus car la publicité de
leur vote est « nécessaire pour qu'ils respectent leurs engagements
et assument leurs responsabilités devant leurs électeurs
»83.
Un minimum de maturité intellectuelle et de conscience
politique sont nécessaires pour pourvoir participer aux élections
de manière éclairée. Longtemps fixée à 21
ans84, la majorité électorale a été
abaissée à 20 ans depuis la loi constitutionnelle du 18 janvier
196085.
Conformément à cette disposition
constitutionnelle, l'art. 45 de la loi no 2012/001 du 19 avril 2012,
portant Code électoral, prescrit que seuls les citoyens
âgés de 20 ans révolus peuvent être inscrits sur les
listes électorales86.
La condition d'âge est une exigence fondamentale du
droit électoral camerounais. C'est
fort de cela que les requêtes de deux parties
politiques, à savoir le SDF et de l'UNDP, portant sur l'annulation des
élections législatives et municipales du 30 juin 2002 dans la
circonscription électorale de la Mefou et Akono au motif qu'avaient pris
part au vote des jeunes âgés de moins de 20 ans. Au final, le juge
électoral, par l'arrêt no 32/CE/01-02 du 17 juillet
2002, avait donné une suite favorable à ces requêtes en
décidant de l'annulation et de la reprise des élections dans
ladite circonscription.
2. Le droit à
l'éligibilité
En principe, tout citoyen peut librement se porter candidat
à une élection nationale ou locale. Tel est en effet le sens du
droit à l'éligibilité, qui est le corolaire du droit de
vote ; car en effet, tout électeur à une élection peut
potentiellement être candidat à la même élection.
C'est dans ce sens qu'Elisabeth Zoller disait que : «
Théoriquement, les conditions d'éligibilité devraient
coïncider avec celles de l'électorat en ce sens que tout
électeur inscrit
82 Marie-Anne Cohendet, Droit
constitutionnel, Paris, Montchrestien, 3e éd, 2006, p.
149.
83 Ibidem.
84 Voir l'art. 2 de la Constitution camerounaise du 02
juin 1972.
85 Voir l'art. 2 al. 3 de la Constitution.
86 Toutefois, l'art. 46 al. 2 du code
électoral atténue un tout petit peu cette exigence en
prévoyant que : « Peuvent également être inscrits sur
les listes électorales, les citoyens qui, ne remplissant pas les
conditions d'âge [...] requises lors de la révision des listes,
les rempliront avant la clôture définitive des inscriptions ou le
cas échéant, le jour du scrutin ».
26
dans une circonscription donnée devrait pouvoir se
présenter à toutes les élections ayant lieu dans la
circonscription en question »87 . Mais dans la
réalité, il existe des conditions à l'exercice du droit
à l'éligibilité. Elles sont prévues par la loi et
sont cumulatives. Il s'agit entre autres de L'âge, de la jouissance de
ses droits civiques et politiques ou de la résidence.
S'agissant de la condition d'âge, il faut relever que
conformément aux art. 6 al. 5 de la Constitution et 117 du code
électoral, les candidats à l'élection
présidentielle doivent avoir 35 ans révolus à la date de
l'élection. Il est à noter que depuis la Constitution du 04 mars
1960 jusqu'à celle du 02 juin 1972 en passant par les réformes
constitutionnelles du 18 janvier 1996 et du 14 avril 2008, l'âge minimum
exigé pour être candidat à cette élection est
demeuré maintenu à 35 ans.
En ce qui concerne des élections législatives,
sénatoriales, régionales ou municipales, l'âge requis pour
être candidat diffère en fonction du scrutin. En effet, les
candidats aux élections législatives, municipales et
régionales doivent avoir au moins 23 ans révolus à la date
de l'élection88. L'on remarque à propos de ces trois
scrutins que la tendance est à la juvénilisation.
Pour le cas des élections sénatoriales, «
Les candidats à la fonction de sénateur, ainsi que les
personnalités nommées à ladite fonction, doivent avoir
quarante (40) ans révolus à la date de l'élection ou de la
nomination »89. Manifestement la tendance est de faire du
sénat une chambre composée de personnes d'un âge plus ou
moins avancé. En tout cas, le moins qu'on puisse dire c'est que
l'âge minimal requis pour prétendre à la fonction de
sénateur est supérieur par rapport à celui exigé
pour autres les autres fonctions suscitées. Cela confortant ainsi
l'idée selon laquelle le sénat est une chambre de
gérontocrates.
De ce qui précède, force est de constater que
l'âge minimum requis pour être électeur, c'est-à-dire
vingt ans, ne coïncide pas avec celui exigé pour être
candidat à l'une ou l'autre des élections évoquées
ci-haut.
Le candidat à une élection doit jouir de la
plénitude de ses droits civiques et politiques. Aussi, ne peut
être candidat à une élection nationale ou locale,
l'individu frappé d'incapacité mentale ou d'indignité.
L'incapacité mentale renvoie à la situation des
aliénés mentaux ou des
87 Elisabeth Zoller, Droit constitutionnel,
Paris, Puf, 1e éd., 1998, p. 532.
88 Voir les art. 156, 175 al. 1 et 252 du code
électoral camerounais.
89 Cf. art.220 al.1 du code électoral
camerounais
27
faibles d'esprit. Il s'agit de personnes mentalement
défaillantes, qui ne peuvent de ce fait raisonnablement exprimer leurs
choix, et, a fortiori exercer la fonction de représentation de
leurs concitoyens ; car un minimum de discernement est requis dans ce cadre.
Quant à l'indignité, elle renvoie à la
situation des personnes qui, soit sont ou ont été sous le coup
d'une condamnation pénale, soit sont coupables de complot ou de trahison
contre l'Etat. De ce point de vue, l'altération de la qualité de
citoyen de la République, être épris de valeurs communes,
par la personne même des individus rendus indignes, dissout le droit
à l'éligibilité. Le code électoral camerounais se
montre d'ailleurs clair à ce sujet en énonçant que sont
inéligibles à toutes les fonctions politiques nationales ou
locales90, « les personnes qui, de leur propre fait, se sont
placées dans une situation de dépendance ou d'intelligence
vis-à-vis d'une personne, d'une organisation ou d'une puissance
étrangère ou d'un Etat étranger »91. Il
est donc clair que tout citoyen qui aspire être élu à une
fonction politique doit jouir d'une certaine exemplarité du point de vue
du respect de la loi et des valeurs communes.
Quant à la condition de résidence, elle est
définie en fonction de la nature du scrutin. Pour ce qui est du candidat
à l'élection présidentielle, il doit justifier d'une
résidence continue sur le territoire national d'au moins douze mois
consécutifs92. Il en est ainsi parce que le candidat doit
être le plus proche possible des réalités nationales.
Pour les candidats au poste de député, il ne
leur est fait aucune obligation de résider sur le territoire de la
circonscription électorale où ils font office de candidature. Il
en est ainsi en vertu du fait que le député n'est pas seulement
l'élu de sa circonscription, mais de toute la nation entière. Le
cadre géographique de son élection est certes une circonscription
électorale donnée, mais sa sphère de représentation
concerne tout le territoire national. Or, les candidats à la fonction de
sénateur sont astreints de résider effectivement sur le
territoire de la région qui constitue leur circonscription
électorale.
Enfin, conformément à l'esprit de la
décentralisation93, le candidat à la fonction de
conseiller municipal doit justifier d'une résidence effective d'au moins
six mois sur le territoire de la commune concernée94.
Toutefois, la loi atténue cette exigence en énonçant
90 Il s'agit des fonctions de Président de
la République, de député, de sénateur de conseiller
municipal ou de conseiller régional.
91 Cette disposition est contenue
indifféremment dans les art. 118 al.1, 158 al.1 et 176 al.1 du code
électoral.
92 Voir l'art. 117 du code électoral.
93 La décentralisation vise en effet le
rapprochement de l'administration des citoyens locaux.
94 Voir l'art.175 al.1 du code électoral.
28
que : « Les personnes non résidentes peuvent
être candidates si elles justifient d'un domicile d'origine dans le
territoire de la commune concernée »95. De même,
le candidat à un mandat de conseiller régional, doit justifier
d'une résidence effective sur le territoire de la région
concernée96. Cependant, le candidat non résident sur
le territoire de la région concernée sera éligible s'il a
un domicile réel dans ladite région97.
Paragraphe 2 : LES DROITS ECONOMIQUES, SOCIAUX ET
CULTURELS DU CITOYEN
Les droits économiques sociaux et culturels
relèvent de la catégorie des droits dont l'effectivité
nécessite une intervention de l'Etat vis-à-vis de ses
bénéficiaires. C'est la raison pour laquelle ils sont
qualifiés de droits-créances. Comme pour les droits civils et
politiques, leur consécration suprême réside
essentiellement dans le préambule de la Constitution. Il nous revient
ici d'examiner séparément ce groupe de droits.
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