SECTION 2 : LA PRESCRIPTION DE DEVOIRS A LA CHARGE
DU CITOYEN
Au même titre que les droits, les devoirs constituent un
élément consubstantiel du statut du citoyen. A propos du terme
devoir, signalons de prime abord qu'il peut être perçu au
juridique et au plan moral : Le devoir juridique constitue une obligation qui
pèse sur une personne en vertu du droit 119 , tandis que le
devoir moral est une « obligation dont l'inexécution ne peut
être poursuivie en justice, ne chargeant l'obligé que d'un devoir
de conscience »120.
En tant que membre de la collectivité nationale, le
citoyen est astreint à plusieurs obligations à l'égard de
celle-ci, car « La citoyenneté est une fonction, comprenant des
droits et des charges, qui bénéficient et pèsent sur les
personnes »121.
Dans cette perspective, nous examinerons les devoirs du
citoyen sur les plans socio-politique d'une part (§ 1), et
économique d'autre part (§ 2).
Paragraphe 1 : LES DEVOIRS DU CITOYEN AU PLAN
SOCIO-POLITIQUE
Le citoyen est un être essentiellement juridique, de ce
fait, il est astreint à l'obligation de respect de la loi (A). Et en
tant que membre de la nation, il contribuer à la défense de la
Patrie (B).
118 François Rocher, « Citoyenneté
fonctionnelle et État multinational : pour une critique du jacobinisme
juridique et de la quête d'homogénéité »,
in Michel Coutu, Pierre Bosset et al., op. cit., pp.
201-235, (spéc. p. 204).
119 Voir le Lexique des termes juridiques, Paris,
Dalloz, 13e éd., 2001, p.203.
120 Ibidem.
121 A. Supiot (dir.), Au-delà de l'emploi.
Transformation du travail et devenir du droit du travail en Europe,
Flammarion, 1999. Cité par Olivier Déloye et Olivier Ihl,
L'acte de vote, op. cit., pp. 16-17.
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A. L'obligation de respect de la loi
Le citoyen est soumis au devoir impératif de respecter
la loi au sens large du terme, tel est en effet la signification du devoir
civique. En effet, « le citoyen en tant que membre du Souverain a des
droits [...]. Mais ces droits ont un envers : ils lui imposent une obligation,
celle de respecter la décision collective prise par le Souverain »
122 . Aristote affirmait d'ailleurs que : « la vertu d'un citoyen digne
d'estime consiste à savoir bien [...] obéir »123.
L'obligation de respect de la loi est d'une part la conséquence de ce
que les citoyens sont les auteurs de la loi (1), d'autre part elle constitue la
garantie d'une vie sociale organisée d'autre part (2).
1. Les citoyens comme auteurs de la
loi
Les citoyens doivent respecter les lois de l'Etat parce qu'ils en
sont à l'origine ; car « La souveraineté nationale
appartient au peuple »124. Raymond Carré de Malberg
rappelait d'ailleurs fort opportunément le lien entre les citoyens et
l'élaboration de la loi, en disant que : « Quant aux citoyens, les
lois qui les régissent ne sont pas susceptibles d'être
envisagées comme des manifestations d'une puissance de commandement
extérieure à eux »125.
De plus, pour que la loi ait une force obligatoire à
l'égard des citoyens,
il faut nécessairement supposer que l'acte fait par
l'organe législatif est traité juridiquement comme une oeuvre
collective qui n'est pas propre seulement à l'auteur effectif de la loi
[...], mais qui, émanant d'un organe érigé en
représentant de la nation souveraine, vaut comme l'oeuvre de la nation
entière 126.
122 Olivier Beaud, « Fragments d'une théorie de la
citoyenneté chez Carré de Malberg. Ou comment articuler le
citoyen, l'État et la démocratie », Jus Politicum,
n° 8, 2012, p. 24.
123 Aristote, La politique, op. cit., p. 76.
124 Voir L'art. 2 al. 1 de la Constitution.
125 Raymond Carré De Malberg, La loi, expression de
la volonté générale, Paris, Économica
(Classiques), 1984, p. 151, cité par Olivier Beaud, op. cit.,
p. 28.
126 Olivier Beaud, op. cit., p. 30.
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En d'autres termes, l'élaboration des lois de la
République est incontestablement l'apanage de tous les
citoyens127 ; lesquels « ont le droit de recourir
personnellement, ou par leurs représentants à sa formation
»128.
Mais dans le contexte camerounais de démocratie
représentative129, c'est l'élaboration des lois par
les représentants du peuple qui est le mécanisme le plus
usité. En dépit de cela, il faut convenir avec Olivier Beaud que
le mécanisme de la représentation n'entraine pas l'effacement du
citoyen de l'oeuvre de légifération130.
L'élaboration indirecte de la loi se fait par le
mécanisme de la représentation politique. Ainsi, en vertu de la
Constitution, le Président de la République et les membres du
parlement ont le pouvoir d'initier des lois131. Selon la
procédure législative, les projets et propositions de loi qui
sont déposés sur le bureau de l'Assemblée nationale et sur
celui du Sénat, après leur examen par les commissions
spécialisées de chacune de ces chambres132, feront
l'objet de discussions et d'éventuels amendements en séance
plénière. A la fin, le texte adopté par le Parlement doit
être transmis au Président de la République aux fins de
promulgation dans un délai de quinze (15) jours à compter de sa
transmission, après vérification de la conformité dudit
texte à la Constitution133. C'est seulement à partir
de cette promulgation que le texte s'impose inexorablement au citoyen, car
« le citoyen est réputé sortir de la communauté
nationale s'il n'obéit pas à la loi promulguée
»134.
Quant à l'élaboration directe de la loi par les
citoyens, elle se fait par la voie du référendum. Il s'agit d'un
procédé de vote permettant aux citoyens de se prononcer sur un
texte émanant du pouvoir exécutif. Par ce moyen, le texte est
soumis à l'appréciation du
127 Cette idée découle en fait de la
théorie du Contrat social de Rousseau, qui se fonde sur le mythe de la
volonté générale, source de la loi commune au sein de la
communauté.
128 Arlette Heymann-Doat, Gwénaëlle Calvès,
op. cit., p. 27.
129 L'art. 4 de la Constitution dispose en effet que
l'autorité de l'Etat est exercée par le Président de la
République et le parlement.
130 Pour cet auteur, « Les citoyens en tant qu'individus
sont désormais inclus dans le concept du législateur et de loi
». Il renchérit cette idée en rapportant les propos de
Raymond Carré de Malberg selon lesquels les citoyens, en tant que
membres de la communauté nationale « ne peuvent donc point
être considérés comme des tiers par rapport à cet
acte [acte législatif], mais par l'effet d'une telle
représentation, ils se trouvent associés à la confection
de la loi, et chacun d'eux, pris individuellement, va dès lors,
être traité comme ayant été partie à son
adoption. ». Voir Olivier Beaud, op. cit., p. 31.
131 L'art. 25 de la Constitution dispose en effet que «
L'initiative des lois appartient concurremment au Président de la
République et aux membres du Parlement ».
132 Voir art. 29 a1. 1 de 1a Constitution.
133 Voir l'art. 31de la Constitution.
134 Olivier Beaud, op. cit., p. 30.
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peuple constitué en corps électoral et dont le
consentement lui confère toute son autorité135. C'est
par exemple à la faveur du référendum constituant du 20
mai 1972 au Cameroun que la Constitution du 02 juin 1972 fut adoptée.
Au regard du constitutionnalisme camerounais, il est à
noter la décision de soumettre un texte au référendum
appartient délibérément au Chef de l'Etat, ce qui lui
permet d'opter à sa guise pour la voie législative en vue de
l'adoption des projets de loi. Pourtant, aux termes de la Constitution du Congo
du 20 janvier 2002, tout projet de révision de la Constitution, «
Lorsqu'il émane du Président de la République, [...] est
soumis directement au référendum »136
2. Le respect de la loi comme la garantie d'une
vie
sociale organisée
Le respect de la loi s'impose aux citoyens en raison du fait
qu'il constitue la garantie d'une vie sociale organisée. La violation de
la loi est source d'insécurité juridique, car elle trouble
l'ordonnancement juridique.
En effet, sans le respect de la loi, il pèse un
réel danger sur la sécurité des droits et libertés
des uns et des autres d'une part, et sur la stabilité des institutions
étatiques d'autre part.
Une société dans laquelle l'ordre juridique
n'est pas respecté par ses membres court le risque de sombrer dans
l'anarchie ; ce qui entrainera inévitablement sa décadence. C'est
pourquoi il est impératif que les citoyens respectent les lois
existantes afin qu'elles demeurent le fondement de toute domination
légitime qui puisse peser sur eux.
Aussi, les forts n'écraseront pas les faibles ; car la
loi les en empêchera. Concrètement, le citoyen doit exercer ses
droits et libertés de manière à ne pas attenter à
ceux de ses concitoyens. C'est dans cette veine que la Constitution du Cameroun
affirme que : « La liberté et la sécurité sont
garanties à chaque individu dans le respect des droits d'autrui et de
l'intérêt supérieur de l'Etat »137.
Autrement dit, se prévaloir de ses droits dans le respect de ceux
d'autrui est un devoir impérieux du citoyen.
135 L'art. 63 al. 4 de la Constitution dispose à cet
effet que « Le Président de la République peut
décider de soumettre tout projet ou toute proposition de révision
de la Constitution au référendum. Dans ce cas, le texte est
adopté à la majorité simple des suffrages exprimés
».
136 Cf. art.186 de la Constitution du Congo du 20
janvier 2002.
137 Cf. préambule de la Constitution du 2 juin
1972, modifiée par la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.
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En outre, il convient de noter que l'harmonie dans la
société et le civisme sont intimement liés. En effet, le
civisme, qui est un comportement individuel du citoyen consistant à
respecter et à faire respecter les lois et les règlements en
vigueur dans l'Etat, est l'un des piliers de l'organisation et du bon
fonctionnement de la société138. Envisagé du
point de vue horizontal, le respect de la loi impose à tout citoyen de
respecter autrui, c'est-à-dire ses concitoyens.
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