B. L'octroi de droits politiques limités aux
ressortissants nigérians
En vue de consolider l'appartenance légale de Bakassi
au Cameroun et, dissiper par-là l'impression que cette zone est
camerounaise moins par la population que par le territoire, il est
nécessaire de mettre en oeuvre l'imprégnation de
l'identité camerounaise chez ceux des ressortissants nigérians
qui ont décidé de conserver leur nationalité. Cela est en
effet possible par le dépassement du paradigme de la nationalité
et de la citoyenneté comme facteurs d'exclusion dressant des limites
à la participation politique de certains individus au sein de la
communauté465. Ce qui suivrait serait la définition
d'une citoyenneté de résidence subsidiaire exceptionnellement
pour la zone de Bakassi.
Dans cet ordre d'idées, loin de souscrire
forcément à l'idée selon laquelle « la
nationalité ne saurait continuer à servir de critère
d'appréciation de l'appartenance au cercle des citoyens politiques
»466, l'octroi de droits politiques limités, notamment
le droit de vote, à ces étrangers semble
envisageable467 ; car, comme l'affirme Andres Hervé, «
le droit de vote des étrangers permettrait de favoriser
l'intégration, et serait la première marche d'un processus qui
aboutirait, par exemple, à la naturalisation »468.
Au demeurant, la définition de droits politiques au
profit des ressortissants étrangers à Bakassi devrait
obéir à divers critères :
D'abord le critère de résidence et de sa
durée, qui se justifierait par le fait qu'un grand nombre
d'étrangers nigérians sont nés à Bakassi et/ou y
sont établis depuis de nombreuses années ; ce qui fait à
ce propos de la notion d'étranger une notion difficile à cerner
dans ce cas précis 469 . En vertu du critère de la
durée de la résidence, plusieurs contours sont
465 Lire à ce propos Jean Leca, « La
citoyenneté entre la nation et la société civile »,
dans Dominique Colas, Claude Emeri, Jacques Zylberberg (dir.),
Citoyenneté et nationalité. Perspectives en France et au
Québec, Paris, PUF, 1991, p. 479.
466Cf. Sandrine Maillard,
L'émergence de la citoyenneté sociale européenne,
op. cit., p. 423.
467 Historiquement, cette hypothèse fut
consacrée en France par la Constitution montagnarde, jamais
appliquée, du 24 mai 1793. Son art. 4 accordait des droits politiques
à « tout étranger âgé de vingt et un ans
accomplis, qui, domicilié en France depuis une année, y vit de
son travail, ou acquiert une propriété, ou épouse une
Française, ou adopte un enfant... ». Par la suite, les droits de
vote et d'éligibilité ont été accordés aux
étrangers dans plusieurs pays, notamment l'Irlande en 1963, le Danemark
en 1981 et les Pays-Bas en 1985.
468 Hervé Andres, « Le droit de vote des
étrangers. Etat des lieux et fondements théoriques », op
cit. , p. 227.
469 Il est évident que l'essentiels des ressortissants
nigérians vivant dans la presqu'île de Bakassi ne se
considèrent pas comme étant des étrangers dans ce
territoire, compte tenu du fait qu'ils y sont nés et qu'ils ont
été pendant plusieurs années soumis à
l'autorité de leur Etat d'origine, le Nigéria en l'occurrence.
Logiquement on n'est pas étranger dans un territoire administré
par des autorités de son pays d'origine.
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envisageables. Premièrement, les droits politiques sus
évoqués ne doivent être que l'apanage des ressortissants
nigérians qui sont nés dans cette zone et qui y justifient d'une
résidence continue.
Deuxièmement, pour ceux des ressortissants
nigérians qui ne sont pas nés à Bakassi, mais qui s'y sont
installés à un moment donné, la durée de la
résidence nécessaire peut donc être
déterminée à partir de certains points de
référence tous liés aux principales séquences du
dénouement diplomatico-judiciaire du conflit ayant opposé le
Cameroun au Nigéria470. En tout état de cause, le
cadre temporel devant être retenu dans ce cadre ne doit pas être
postérieur à la date de l'acquisition par le Cameroun de sa
pleine souveraineté sur le territoire de Bakassi, c'est-à-dire le
14 août 2013.
Ensuite, le critère de la nature de l'élection
porte sur la représentation des ressortissants nigérians à
l'échelon de l'élection municipale au maximum. Ce scrutin est en
général le degré le plus élevé de
représentation politique des ressortissants étrangers dans leur
pays d'accueil471. Même l'union européenne, en
dépit du niveau avancé de l'intégration entre ses pays
membres n'a pas consacré mieux que cela, à l'exception des
élections européennes472.
Enfin, le critère de l'éligibilité ou
non. A ce sujet, le droit d'éligibilité peut consister en la
fixation d'un quota maximal de représentation des ressortissants
nigérians au sein de l'organe délibérant de la
commune473. Un droit à l'éligibilité de
portée limitée, marqué par un accès ouvert d'une
part au conseil municipal, et fermé d'autre part aux fonctions de chef
ou d'adjoint de l'exécutif communal.
470 Les différentes séquences du conflit
frontalier entre le Cameroun et le Nigéria sont constituées dans
un ordre chronologique par la décision de la CIJ le 10 octobre 2002, la
signature de l'accord de Greentree le 12 juin 2006, l'accord de Calabar du 14
août 2008 et la fin du régime spécial transitoire le 14
août 2013.
471 Dans cette optique les scrutins présidentiel et
législatif et les référendums sont exclus de ce champ.
472 Le traité de Maastricht du 7 février 1992
prévoit en effet que les citoyens de l'Union disposent d'un droit de
vote et d'éligibilité pour les élections municipales et
européennes dans l'Etat membre où ils résident et dont ils
ne sont pas ressortissants.
473 Le quota maximal légalement défini devrait
dans ce sens correspondre à un nombre de conseillers bien
déterminé à l'avance, sur la base du nombre total de
conseillers que compte la commune en question.
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