A. La réintégration dans la
nationalité camerounaise
Dans la perspective de la reconnaissance légale de la
double nationalité419, tous les individus qui, en vertu de la
l'art. 31 (a) de la loi de 1968, avaient perdu leur nationalité
camerounaise, pourront la recouvrer par le processus de la
réintégration. De la sorte, il émergera une
citoyenneté hybride, c'est-à-dire une citoyenneté
née de la combinaison ou de la juxtaposition de la citoyenneté
étrangère avec celle du Cameroun.
Au regard de la loi n° 68-LF-3 du 11 juin 1968 portant
code de la nationalité, la réintégration dans la
nationalité des camerounais d'origine s'avérerait plus ou moins
complexe. Cette loi prévoit en effet que : « La
réintégration dans la nationalité camerounaise est
accordée [...] à condition toutefois que
l'intéressé apporte la preuve qu'il a eu la qualité de
ressortissant camerounais et justifie de sa résidence au Cameroun au
moment de la réintégration »420.
S'agissant particulièrement de la preuve de la
nationalité camerounaise, elle peut être apportée en
l'occurrence par la production d'un acte d'état civil tel que l'acte de
naissance notamment. Par ailleurs, la réintégration telle que
définie actuellement ne pourra être appliquée à la
situation des camerounais d'origine compte tenu de la condition de
résidence à cause du fait que ces derniers sont des individus
essentiellement issus de la diaspora, qui par conséquent ne
résident pas sur le territoire camerounais.
Dans l'objectif de la réintégration des
camerounais d'origine, des mécanismes juridiques doivent pouvoir
créer d'une part des moyens pour faciliter le retour des personnes
d'origine camerounaise et leur installation permanente au Cameroun. Cela
commencerait par
419 Cette reconnaissance légale se présenterait
comme le prolongement de la reconnaissance sociologique et politique de la
double nationalité.
420Cf. art. 28 de la loi portant code de
nationalité.
122
la suppression de l'obtention par ces dernières du visa
d'entrée au Cameroun. D'autre part, ces mécanismes doivent
permettre l'octroi automatique de la nationalité et de la
citoyenneté camerounaises à l' égard des personnes
susmentionnées en les dispensant de certaines conditions légales
requises notamment celle de renoncer forcément à leur
nationalité étrangère. De la sorte, bien qu'étant
citoyens d'autres Etats, les individus d'origine camerounaise se verraient
reconnaitre en même temps au Cameroun le statut légal de citoyen,
avec tous les droits qui y sont attachés ; sous réserve
évidemment de certains droits comme l'éligibilité à
certaines fonctions421.
La réintégration dans la nationalité a
souvent été un mécanisme important mis en oeuvre dans le
processus de construction de l'Etat-Nation. Elle permet en fait le resserrement
des liens entre l'Etat et ses nationaux vivant à l'étranger de
sorte que survive sur la nationalité étrangère de ces
derniers, la manifestation concrète de leur appartenance à leur
Nation d'origine.
En se référant au droit comparé, il faut
remarquer que la réintégration dans la nationalité des
personnes qui sont originaires du pays est facilitée au travers du droit
positif. La constitution arménienne par exemple prévoit en son
article 14 que « toute personne d'origine arménienne aura la
faculté d'obtenir la citoyenneté, via une procédure
simplifiée ». En Allemagne par contre, la Constitution permet
à toute personne de souche allemande de réintégrer la
nationalité allemande. Mieux encore, une loi « a étendu le
droit automatique à la citoyenneté à toute personne de
souche allemande habitant l'Europe de l'Est et de l'Union soviétique
»422.
De ce qui suit, la réintégration des camerounais
d'origine dans la nationalité constituerait un moyen pour montrer que le
lien de sang entre eux et la Nation peut certainement connaitre
l'érosion, mais qu'il reste invulnérable à la
péremption.
421 Cette barrière trouverait sa justification dans le
fait que les personnes élus à ces différents scrutins
exercent des fonctions de représentation du peuple aussi bien à
l'échelle nationale qu'internationale, cela explique qu'elles ne
puissent pas partager leur loyauté entre le Cameroun et un autre pays.
Par ailleurs, la constitution du Cameroun énonce en son art.4 que
l'autorité de l'Etat est exercée par le Président de la
République et le Parlement. De ce point de vue, dans le souci de la
préservation des intérêts de l'Etat et du fait de la
sacralité des fonctions de Président de la République ou
de parlementaire, elles ne doivent pas être exercées par des
binationaux. Dans le cadre de la commune notamment, la coopération
décentralisée au niveau international pourrait potentiellement
placer les élus binationaux dans une situation embarrassante.
422 A. Rubinstein, A. Yakobson, Israël et les Nations.
L'État-nation juif et les droits de l'homme, Paris, PUF, 2006, p. 174,
cité par Charles Leben, op. cit., p. 159
.
123
B. Les axes d'aménagement de la double
citoyenneté
Dans la perspective de la reconnaissance de la double
nationalité ou double citoyenneté au Cameroun, il
s'avérerait impératif d'y appliquer quelques aménagements.
Lesquels tourneraient autour de l'objectif de garantir l'allégeance des
binationaux à l'égard de l'Etat du Cameroun d'une part (1), de
même qu'ils auront trait à la protection diplomatique d'autre part
(2).
1. La garantie de l'allégeance des citoyens
binationaux à l'égard de l'Etat du Cameroun
L'un des aspects essentiels des rapports entre l'Etat et le
citoyen est l'obligation d'allégeance du second à l'égard
du premier. L'effectivité d'une telle obligation à propos
spécialement des binationaux passe par la mise sur pied par la
législation sur la nationalité de mécanismes divers.
Il peut s'agir par exemple de la mise à la charge pour
les binationaux, de l'obligation de déclarer allégeance à
l'Etat du Cameroun, cela sous la forme d'une prestation de serment. Ce
mécanisme peut être opérationnalisé par l'insertion
dans la loi d'une formule par laquelle le binational s'engage à
être loyal à l'Etat du Cameroun en dépit de son autre
nationalité. L'énoncé de cette formule peut être le
suivant : « je promets de faire allégeance à l'Etat du
Cameroun, de respecter en tout temps et en tout lieu les lois et valeurs de la
République et de protéger les intérêts de notre
Nation ». Par le prononcé de cette formule, l'individu affirmera
pour ainsi dire sa « camerounité » et sa volonté
à servir le Cameroun. Dans le même sens, par cette promesse de
loyauté, l'intéressé s'engage à éviter
d'adopter une position ambivalente vis-à-vis du Cameroun et surtout face
à l'autre Etat dont il est tout aussi citoyen. Autrement dit, il ne doit
pas, à travers son comportement, ses actes ou ses déclarations,
marquer implicitement ou explicitement sa préférence pour son
autre Etat. C'est dire ici que le double national ne doit pas être
tiraillé entre les deux allégeances, mais doit plutôt
établir entre elles une sorte de coexistence pacifique.
Cette déclaration d'allégeance peut aussi se
faire à travers plusieurs formules séparées, mais dont le
contenu et la finalité seront identiques.
124
Bien évidemment, le comportement déloyal du
citoyen binational doit donner lieu à des sanctions, dont principalement
la déchéance de la nationalité, sans préjudice des
condamnations judiciaires qui peuvent s'y adjoindre. A ce sujet, la Convention
des Nations Unies sur la réduction des cas d'apatridie du 30 août
1961, entrée en vigueur le 13 décembre 1975, prévoit qu'un
Etat peut conserver la faculté de priver un individu de sa
nationalité si ce dernier, dans des conditions impliquant de sa part un
manque de loyalisme envers l'Etat contractant a eu un comportement de nature
à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels
de l'Etat423.
En tout état de cause, la double nationalité ne
doit d'aucune manière infléchir la souveraineté de l'Erat
sur ses ressortissants.
2. Les aménagements relatifs à la
protection diplomatique
Approuver la double nationalité c'est aussi donner vie
à la double allégeance.
Sur le plan pratique, cette double allégeance peut
poser des problèmes quant à la question de la protection
diplomatique. En fait, Un Etat peut-il exercer la protection diplomatique en
faveur de son ressortissant qui est à la fois le national de l'Etat
auquel la violation des droits est imputée ?
En outre, dans le cas de figure où la violation des droits
est imputée à un Etat tiers, lequel des deux Etats dont
l'individu est le national devra-t-il assurer la protection diplomatique ?
C'est à ces questions, souvent hautement sensibles du point de vu des
relations internationales bilatérales, que devra répondre une
législation à venir sur la double nationalité au
Cameroun.
En guise de réponse à la première
interrogation, il faut simplement dire qu'un Etat ne peut prétendre
détenir un droit de protection diplomatique lorsque cette protection
doit être exercée en faveur de son ressortissant, qui
possède concurremment la nationalité de l'Etat en l'encontre
duquel elle doit être mise en oeuvre. Concrètement, un camerounais
binational ne pourrait, afin de bénéficier de la protection
diplomatique de son autre Etat, se prévaloir de sa nationalité
étrangère à l'égard du Cameroun ; ce dernier le
considérera plutôt comme son ressortissant exclusif. C'est donc
à cette solution que doit tendre la législation sur la double
nationalité à venir au Cameroun ; car l'enjeu ici serait la
préservation de la souveraineté de
423 Voir l' art. 8 al. 3a ii de la Convention des Nations Unies
sur la réduction des cas d'apatridie du 30 août 1961.
125
l'Etat. Elle serait du reste une application de la
règle de la non-responsabilité consacrée par la convention
de la Haye sur la nationalité du 12 avril 1930424.
D'ailleurs, la Cour internationale de Justice a fait application de cette
règle lorsqu'elle déclara se référer à la
« pratique généralement suivie selon laquelle un
Etat n'exerce pas sa protection au profit d'un de ses
nationaux contre un Etat qui considère celui-ci comme son propre
national»425.
A la question de savoir entre le Cameroun et un autre Etat
dont un individu est concurremment le ressortissant lequel devra exercer la
protection diplomatique à l'encontre d'un Etat tiers, il faut dire que
la solution serait moins complexe. En fait, l'exercice de la protection
diplomatique pourra revenir à l'Etat de résidence dudit
individu.
La déconnexion entre la nationalité et la
citoyenneté au Cameroun est encore plus plausible lorsqu'on
évoque la situation particulière de la presqu'île de
Bakassi.
SECTION II : LE FAIBLE ENRACINEMENT DE LA NATIONALITE
CAMEROUNAISE DANS LA PRESQU'ILE DE BAKASSI
Selon la théorie générale de l'Etat, la
population est l'un des éléments essentiels de
l'Etat426. Le territoire de Bakassi est certes retourné dans
le giron du territoire national427, cette zone présente
cependant des particularités démographiques notoires. En effet,
compte tenu de la forte concentration des ressortissants nigérians en
l'occurrence dans cette zone, dont l'importance numérique est
particulièrement élevée, la nationalité
camerounaise y est plutôt à l'étroit en quelque sorte.
Du point de vue juridique, cette situation ne peut manquer de
susciter des interrogations quant à son impact à la fois sur la
nationalité et la citoyenneté camerounaises dans cette zone. En
effet, la force démographique des étrangers nigérians
établis dans la zone de Bakassi est
424Cf. art. 4. de la convention de la Haye
sur la nationalité.
425Cf. l'avis consultatif de la CIJ sur la
réparation des dommages subis au service des Nations Unies du 11 avril
1949.
426 Selon le Pr. Joseph Owona par exemple, « la
population est constitue le groupement humain qui est à la base de
l'Etat ». Lire Joseph Owona, Droits fondamentaux et institutions
politiques du monde contemporain. Etude comparative, op. cit. , p. 18.
427 Le Cameroun a recouvré sa pleine
souveraineté sur ce territoire suite notamment au verdict de la CIJ du
10 octobre 2002 et à l'accord de retrait de l'administration civile et
des forces de police de la République fédérale du
Nigéria et de transfert d'autorité à la République
du Cameroun du 14 août 2008.
126
susceptible d'y entrainer la perméabilité de la
nationalité camerounaise (§1) cette occurrence nous conduit ainsi
à examiner les perspectives de la nationalité et de la
citoyenneté dans cette zone là (§ 2).
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