La citoyenneté en droit constitutionnel camerounaispar Ampère Romuald NGASSAM KANGUE Université de Douala - Master 2 en droit public 2015 |
Conclusion du chapitreFaire une analyse synoptique de la citoyenneté sous le prisme de son caractère différencié nous a permis de montrer que les citoyens ne sont pas logés à la même enseigne. Ainsi, en dépit de ce que la République doit être le creuset où viennent se décanter les spécificités tribales, ethniques et autres d'une part, et où doivent émerger l'universel et l'égalité entre tous les citoyens d'autre part, il se dégage une citoyenneté différenciée à bien des égards. Nous avons montré que la consécration des minorités et des populations autochtones, qui participe d'un mécanisme d'aménagement du multiculturalisme, s'érigeait en fait aux antipodes de la citoyenneté républicaine, car elle fait voler en éclats le principe fondamental de l'égalité de tous les citoyens. Ce constat est véritablement de nature à susciter des analyses sur les fondements et les perspectives de la République au Cameroun quant au droit à l'égalité à côté du droit à la diversité. D'ailleurs on peut s'interroger à ce propos sur les voies à mettre en oeuvre en vue d'assurer une sorte de cohabitation pacifique entre l'universel et le multiculturalisme Sur un tout autre plan, nous avons montré que le champ du droit électoral offre des vues sur la différenciation des citoyens. En effet, pour pourvoir détecter les éléments de disparités entre les citoyens, il a suffi de mettre devant la citoyenneté le droit électoral comme miroir. Sur ce dernier, on y voit transparaitre les découpages électoraux spéciaux pour le compte des élections législatives, qui se révèlent comme une gangrène contre l'exercice égalitaire de la souveraineté par les citoyens chacun dans sa circonscription électorale de rattachement d'une part. D'autre part, il est permis de voir que les citoyens ne sont logés à la même enseigne en ce qui concerne le droit à l'éligibilité à différentes élections politiques. Entre inéligibilité absolue ou relative des citoyens d'adoption et disparités liées à la candidature indépendante, il est plus que jamais donné de toucher du doigt le traitement différentiel des citoyens. De la sorte, l'on aboutit à la conclusion selon laquelle la citoyenneté est loin d'être un bloc uni. 109 CHAPITRE II :LA DISSOCIATION DU LIEN ENTRE APPARTENANACE A LA NATION ET CITOYENNETE La possession du statut de citoyen est soumise au déterminisme incontournable de l'appartenance à la Nation. Autrement dit, n'est considéré comme citoyen d'un Etat que l'individu qui appartient à la communauté globale que constitue la Nation. Il ne peut donc en aucun cas être extérieur à cette dernière. Toutefois, concernant le cas du Cameroun, il convient de relever que ce lien n'est pas absolu. Sa rupture est manifeste et résulte de l'interdiction de la double nationalité en droit positif camerounais d'une part (section 1), d'autre part, elle revêt une forme insidieuse, et, découle du faible enracinement de la citoyenneté camerounaise dans la presqu'île de Bakassi en particulier (section 2). SECTION I : L'INTERDICTION DE LA DOUBLE NATIONALITEEn l'état actuel de la législation camerounaise la double nationalité n'est pas admise365. Il en découle que les camerounais d'origine jouissant d'une autre nationalité, dont il reste à déterminer l'appartenance ou non à la Nation camerounaise, seront exclus du statut de citoyen camerounais. Dans ce sillage, nous analyserons l'infléchissement de la Nation du fait de l'interdiction de la double nationalité (§1) ; ce qui nous conduira par la suite à explorer les implications d'une éventuelle reconnaissance de la double nationalité (§2). Paragraphe 1 : L'INFLECHISSEMENT DE LA NATION DU FAIT DE L'INTERDICTION DE LA DOUBLE NATIONALITE « Il est tout à fait courant, dans diverses parties du monde, qu'un État ne regroupe pas toutes les personnes qui se définissent comme appartenant à la communauté ethnique, historique, religieuse, c'est-à-dire nationale366 . Ainsi, pour montrer que l'interdiction de la 365 Cette interdiction de la double nationalité est contenue dans l'art.31 al (a) du code la nationalité camerounaise, qui prévoit que la perte de la nationalité camerounaise est opposée au « Camerounais majeur qui acquiert ou conserve volontairement une nationalité étrangère ». 366 Charles Leben « Nationalité et citoyenneté en droit constitutionnel », Controverses, Dossier : post colonialisme & sionisme, pp. 151- 163, (spéc. p. 158). 110 double nationalité constitue un facteur d'infléchissement de la Nation, nous recourrons à la méthode dialectique, à travers laquelle nous exposerons les termes du débat portant sur l'appartenance ou non des camerounais d'origine à la Nation. Ainsi, à la négation de cette appartenance (A) s'oppose radicalement sa matérialisation concrète (B). A. La négation de l'appartenance des camerounais d'origine à la NationAux termes de l'art. 31 (a) de la loi n° 1968-LF-3 du 11 juin 1968, portant code de la nationalité au Cameroun, les individus considérés comme camerounais 367 perdront leur nationalité du fait qu'ils ont acquis et conservé une nationalité étrangère. Aussi, il conviendra d'analyser, au sens de la loi en vigueur, le contenu de cette interdiction (1) avant d'en examiner les raisons probables (2). 1. Le contenu de l'interdiction de la double nationalité La loi de 1968 interdit la double nationalité en prévoyant en son art. 31 (a) que perdra la nationalité camerounaise « Le Camerounais majeur qui acquiert ou conserve volontairement une nationalité étrangère »368. L'exégèse de cette disposition établit que la perte de la nationalité camerounaise est automatiquement consécutive, soit à l'acquisition, soit à la conservation d'une nationalité étrangère. S'agissant de l'acquisition d'une nationalité étrangère, elle peut correspondre à trois hypothèses distinctes : - La première est la plus classique. Il s'agit de la naturalisation, qui consiste pour un camerounais d'origine à demander volontairement et à obtenir une nationalité étrangère. Les conditions y afférentes dépendent donc de la législation de l'Etat en question. - La deuxième hypothèse renvoie à l'acquisition d'une nationalité étrangère consécutive à la répudiation de la nationalité camerounaise, notamment par une femme camerounaise à travers une déclaration faite au moment de la célébration de son mariage avec 367 Selon l'art. 45 de la Loi n° 1968-LF-3 du 11 juin 1968, portant code de la nationalité camerounaise, « Sont considérés comme Camerounais les individus qui, le 1er janvier 1960 au Cameroun oriental avaient la possession d'état de ressortissants camerounais, et le 1er octobre 1961 au Cameroun occidental la possession d'état d'originaires de cet Etat ». 368Cf. art. 31 al. (a) de la Loi n° 1968-LF-3 du 11 juin 1968, portant code de la nationalité camerounaise. 111 un étranger ; au cas où la loi nationale du pays de son mari lui permet d'acquérir sa nationalité369. - La dernière hypothèse correspond à la situation de l'enfant né à l'étranger de parents camerounais, qui acquiert la nationalité de son pays de naissance à la suite d'une déclaration de nationalité par laquelle il opte pour la nationalité de son pays de naissance. En ce qui concerne la conservation d'une nationalité étrangère, elle renvoie à la situation d'un ressortissant camerounais qui a acquis une nationalité étrangère par quelle que voie que ce soit et qui n'y renonce pas à moment ou à un autre. Elle peut aussi être consécutive à la réintégration d'un camerounais d'origine dans sa nationalité étrangère370, tout comme elle peut correspondre à la situation des enfants nés à l'étranger de parents d'origine camerounaise qui, en vertu du jus soli, sont réputés avoir la nationalité de leur pays de naissance au moment de leur majorité371 pourtant l'origine camerounaise de leurs parents était de nature à leur conférer la nationalité camerounaise, en raison du jus sanguinis372. 2. Les probables raisons de l'interdiction de la double nationalité Par le recours à la méthode explicative, en ce qu'elle permet, selon Madeleine Grawitz, de répondre à la question du pourquoi373, nous entendons rechercher ici le ratio legis, c'est-à-dire les raisons probables d'ordre juridique ayant présidé à l'interdiction de la double nationalité au Cameroun, à l'effet d'évaluer leur pertinence aujourd'hui. Ainsi, les mobiles potentiels de l'interdiction de la double nationalité au Cameroun sont a priori liés au principe du loyalisme des citoyens à l'Etat, mais ils remontent significativement à l'histoire politique du pays. Le principe du loyalisme du citoyen à l'Etat peut constituer a priori le motif probable du refus de la double nationalité au Cameroun. Ce loyalisme, assimilé au devoir d'allégeance, signifie que l'individu ressortissant d'un Etat doit être fidèle aux institutions politiques, 369 Cf. art. 32 de la loi de 1968 portant code la nationalité camerounaise. 370 Ici la conservation de la nationalité étrangère réside dans le fait que le camerounais d'origine qui perd sa nationalité étrangère a la possibilité, en vertu de l'art. 28 de 1968, de recouvrer la nationalité camerounaise. Ainsi, ne pas se prévaloir de sa qualité d'ancien ressortissant camerounais traduit en quelque sorte un renoncement à la nationalité camerounaise. 371 En vertu du jus soli, le lien de nationalité se détermine selon le lieu de naissance de l'individu. 372 Selon Car selon l'art.6 al. (a), est camerounais « l'enfant légitime né de parents camerounais ». 373 Lire Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences sociales, op. cit. , p. 410. 112 juridiques, sociales et culturelles dudit Etat374. En se basant sur ces considérations, le refus de la double nationalité par le législateur de 1968 recèlerait une entière légitimité375. L'allégeance exclusive à l'Etat de ses ressortissants confère ainsi la faculté à ce dernier de priver un individu de sa nationalité. D'ailleurs, au regard de la convention n° 989 U.N.T.S. 175 sur la réduction des cas d'apatridie, adoptée par l'Assemblée Générale des Nations Unies (entré en vigueur le 13 décembre 1975), l'Etat contractant se réserve la faculté de priver un individu de sa nationalité si ce dernier « a prêté serment d'allégeance, ou a fait une déclaration formelle d'allégeance à un autre Etat, ou a manifesté de façon non douteuse par son comportement sa détermination de répudier son allégeance envers l'Etat contractant »376. Pour répondre à la question de la génétique, c'est-à-dire du quand ou du fait générateur historique377 de l'interdiction de la double nationalité au Cameroun, scellé dans l'art. 31 al. (a) de la loi no 1968-LF du 11 juin 1968, portant code de la nationalité camerounaise, il convient de faire observer que de nombreux acteurs politique, en particulier ceux de l'opposition, s'accordent à dire qu'elle visait à empêcher le retour au Cameroun des opposants politiques au régime en place à cette époque-là. Le contexte sociopolitique de l'élaboration de cette loi était en fait marqué par la lutte armée menée par le parti UPC à travers ce qui était appelé le maquis. Le Pr. Etienne Lékéné Donfack affirme dans ce sens que : « Pendant les années 19581959 - début 1960 -, l'UPC, par sa branche extérieure, sera l'enfant terrible de la vie politique camerounaise. Dans ce rôle, le parti de UM NYOBE ne facilitera pas le triomphe à Monsieur AHIDJO »378. En effet, Les principaux leaders de l' « UPC extérieur »379, en exil à l'étranger380, avaient pour la plupart acquis la nationalité de leur pays d'accueil, notamment celles 374 L'obligation d'obéissance et de fidélité de l'individu à l'égard de l'Etat dont il est le national est justement la contrepartie des prérogatives attachées à la qualité de citoyen. 375 Cet argument peut être battu en brèche si l'on considère l'avancé du phénomène communautaire, qui entraine la construction d'une citoyenneté transnationale à côté la citoyenneté nationale étatique. Dès lors, le cadre national se trouve supplanté par celui communautaire, l'Etat ne conserve donc plus l'exclusivité de l'allégeance de ses citoyens. 376 Voir art. 8 al. 3b de la de la convention n° 989 U.N.T.S. 175 sur la réduction des cas d'apatridie, adoptée par l'Assemblée Générale des nations unies, entrée en vigueur le 13 décembre 1975 377 Lire à ce sujet Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences sociales, op. cit. , p. 422. L'auteure relève que « la méthode génétique cherche la génèse des évènements, c'est-à-dire les antécédents ». 378 Etienne Charles Lékéné Donfack, L'expérience du fédéralisme camerounais : Les causes et les enseignements d'un échec, op. cit., p.178. 379 Cette expression renvoie à la branche extérieure de l'UPC placée à côté de celle intérieure, toutes les deux créées suite à l'expulsion de Kumba par le gouvernement britannique du gouvernement en exil de l'UPC dans 113 ghanéenne et guinéenne (Il s'agit entre autres de Félix Roland Moumié et Ossendé Afana). Ainsi donc, en vue de les empêcher de réinvestir formellement le champ politique camerounais, cette disposition de l'art. 31 al. (a) sus évoqué fut spécialement utilisée comme artifice juridique d'exclusion, d'autant plus que la nationalité est le fondement premier de la citoyenneté. Cet argument est d'ailleurs conforté par les députés SDF qui, dans une proposition de loi modifiant et complétant la loi sur la nationalité, affirmaient que l'art. 31 al. (a) de ladite loi « avait été institué en 1968 pour barrer la voie à l'opposition politique de l'époque qui vivait en grand nombre à l'étranger et jouissait des privilèges de la nationalité des pays hôtes »381. Dans le même sens, il est relevé que : « La loi no 1968-LF du 11 juin 1968, portant code de la nationalité, avait été adoptée et promulguée dans un contexte socio - politique où le souci primordial était d'enlever aux camerounais qui avaient acquis une nationalité étrangère, la possibilité de présenter leurs candidatures aux élections législatives et présidentielles »382. Au demeurant, le lien entre la Nation et les camerounais d'origine est plus que manifeste. B. La matérialisation concrète de l'appartenance des camerounais d'origine a la Nation En adoptant un raisonnement par déduction383 pour démontrer que les camerounais d'origine384 peuvent être considérés comme appartenant à la Nation camerounaise, nous-nous baserons sur l'importance et la valeur des actions, des interventions et de la participation de cette ville. Le parti s'y était établi après sa dissolution par décret du 13 juillet 1955 par le gouvernement français à la suite des émeutes de mai de la même année. 380 Le Pr. Etienne Charles Lékéné Donfack écrit à ce propos que : « L'Egypte et le Soudan offrirent l'asile politique à celui des groupes qui se rendit au Caire sous la protection du Président NASSER. Conakry, Accra, Alger et les pays de l'Est l'accueilleront à leur tour ces "voyageurs" de l'histoire ». Lire Etienne Charles Lékéné Donfack, op. cit., p. 178. 381 Cf. la « proposition de loi modifiant et complétant la loi no 1968-LF du 11 juin 1968 portant code de la nationalité camerounaise », initié par les Honorables députés Joshua Osih, Joseph Mbah-Ndam et les membres du groupe parlementaire SDF lors de la session ordinaire de l'Assemblée Nationale de novembre 2014, p. 2. 382 Cf. la lettre des députés adressée au Président de la République, le 2 décembre 2015, dont l'objet était « Appel des Députés de la Nation en vue de réformer la Loi No 68-LF-3 Du 11 juin 1968, portant de la Nationalité ». 383 Lire dans ce cadre Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences sociales, op. cit. , p. 16. 384 Les camerounais d'origine sont des ressortissant camerounais qui ont perdu cette qualité, suite à l'acquisition ou à la conservation par eux d'une nationalité étrangère. 114 ces individus à la vie nationale camerounaise. Cette appartenance se manifeste à l'égard du Cameroun par la persistance du lien affectif (1) et l'expression d'un lien de solidarité active (2). 1) La persistance du lien affectif Le lien affectif envers une Nation peut être entendu comme l'attachement d'un individu à cette dernière, généralement du fait de ses origines, et, marqué par la manifestation d'une volonté constante de lui appartenir, indépendamment de sa résidence ou non sur le territoire national385. L'on peut trouver ses fondements dans l'origine (a). Et il se manifeste de diverses manières (b). a) L'origine camerounaise comme fondement du lien affectif Il est courant d'entendre dire, pour désigner certains français, allemands ou belges qu'ils sont des camerounais d'origine. A titre d'exemple, l'expression « franco-camerounais » renvoie à un individu qui est d'origine camerounaise et de nationalité française386. Pourtant, normalement au regard de l'interdiction de la double nationalité par la loi de 1968, cette dénomination est juridiquement inappropriée387. L'obtention de la nationalité étrangère par ces individus ne leur enlève pas leur origine camerounaise, qui ne peut d'ailleurs être déniée. Cette origine camerounaise, de par les liens culturels et anthropologiques qu'elle concentre, joue le rôle majeur d'identifiant à la Nation camerounaise et constitue de ce fait l'élément qui maintient vivace le lien affectif des camerounais d'origine vis-à-vis du Cameroun ; car « Il ne se fait aucun doute que les camerounais de l'étranger restent attachés à leur pays d'origine. Ceci est vrai même pour ceux 385 L'illustration la plus forte de l'existence ou de la persistance du lien affectif entre des individus et une Nation est celle du peuple juif. Ce lien affectif a été matérialisé par le sionisme, mouvement politique dont l'objectif était le retour en Palestine des juifs de la diaspora, disséminés de par le monde en vue de la création de l'Etat d'Israël, dont la concrétisation intervint en 1948. 386 Des personnalités telles que Manu Dibango, Yannick Noah, Calixte Beyala, Marie-Roger Biloa et bien d'autres, sont ainsi désignés sous l'étiquette de franco-camerounais. 387 Au sens de la loi des 1968, l'on devrait parler de camerounais d'origine ou encore d'étranger pour désigner ces individus, car parler par exemple de franco-camerounais ou de belgo-camerounais signifierait que la double nationalité est admise, pourtant tel n'est pas encore le cas. 115 parmi eux qui ont reçu une nationalité étrangère »388. La naturalisation est utilisée par ces derniers comme un moyen opportuniste. Ainsi, « il ne s'agit pas de renier ses origines, mais la naturalisation est un moyen pour pouvoir bénéficier au maximum des avantages qu'offre le pays d'accueil »389. Dans le même sens, l'on relèvera aussi que : « Nos compatriotes de la Diaspora ont acquis une autre nationalité beaucoup plus par nécessité que par rejet de notre patrie qui leur est chère »390. Dès lors, l'évocation de l'origine camerounaise de ces individus peut susciter chez eux un sentiment de frustration ; la frustration d'être traités comme d'illustres étrangers n'ayant aucun lien avec le Cameroun391. Pourtant ce dernier est ontologiquement le berceau de leurs ancêtres selon la lettre de l'hymne national392. Le Doyen Léopold Donfack Sockeng dit d'ailleurs que : « L'hymne national fonde le sentiment d'appartenir à une collectivité commune en théorie et en pratique ».393. Et, puisque l'hymne national « a une fonction constitutive [...] et une fonction de rassemblement » 394 , tous les individus d'origine camerounaise, du seul fait justement de cette origine, doivent être concernés et inclus dans le projet de construction et de consolidation de la Nation. 388 Louis Bernard Tchekoumi, « Interactions diasporas - pays d'origine dans le secteur du développement local au Cameroun : enjeux et perspectives », Département analyse et politique économiques, Faculté des Sciences Economiques et de Gestion Appliquée de l'Université de Douala, p. 10. 389 Louis Bernard Tchekoumi, op. cit., p. 10. 390Cf. la proposition de loi initiée par le SDF, modifiant et complétant la loi no 1968-LF du 11 juin 1968 portant code de la nationalité camerounaise », op. cit., p. 4. 391 La frustration des camerounais d'origine est justifiée par le fait qu'ils sont contraints, comme les étrangers, à s'aligner dans les services des représentations diplomatiques et consulaires du Cameroun à l'étranger pour demander le visa d'entrée au Cameroun ; sans compter que l'accomplissement de cette formalité est généralement accompagnée de tracasseries diverses. Des entretiens que nous avons eu avec certaines de ces camerounais d'origine, il nous été révélé que l'ambiance prévalant entre les camerounais d'origine demandeurs de visa et les agents consulaires ou diplomatiques est très souvent soit distendue, soit hostile, soit empreinte d'un manque de cordialité. Cela résulterait, selon nos interlocuteurs, d'une sorte de sentiment de révolte exprimé a priori par les camerounais d'origine. Ces derniers se révoltent d'être traités comme des étrangers. 392 L'énoncé de l'Hymne national selon lequel le Cameroun est le « berceau de nos ancêtres » signifie que toutes les personnes qui sont originaires de ce pays appartiennent à la Nation ; et par conséquent doivent avoir sa nationalité en tant que symbole de l'héritage à eux légués par les ancêtres de notre pays. 393 Léoplod Donfack Sockeng, « Fondements et signification de l'hymne national du Cameroun », SOLON, revue africaine de parlementarisme et de démocratie, volume III, n°7, août 2013, pp. 7-18, (spéc. p.13). 394Ibid., p. 14. 116 b) La manifestation du lien affectif Souscrivant entièrement avec Renan pour qui « il y a dans la nationalité un côté de sentiment »395, nous concluons à juste titre qu'en l'absence d'un lien affectif, la justification de l'appartenance des camerounais d'origine à notre Nation serait impossible396. D'ailleurs, c'est certainement en raison de ce lien que de nombreux sportifs, particulièrement les footballeurs, à l'instar de Roger Milla, Samuel Eto'o Fils, Joel Matip, Eric Maxime Choupo Moting, Stéphane Mbia et bien d'autres, ont opté de défendre les couleurs du Cameroun sous la bannière des lions indomptables, plutôt que d'évoluer sous les couleurs de l'autre pays dont chacun d'eux a concurremment la nationalité. L'opportunisme qui dans la plus des cas motive l'acquisition d'une nationalité étrangère, n'empêche pas la volonté des camerounais d'origine de servir la Nation, témoignant ainsi de l'attachement qu'ils gardent pour elle. A ce sujet, dans une lettre adressée au Président de la République en date du 2 décembre 2015, un groupe de dix députés à l'Assemblée Nationale fait observer que : « la double nationalité est revendiquée par les élites originaires de notre pays qui brillent en particulier dans les secteurs universitaires, économiques, scientifiques, artistiques, sportifs, à l'étranger »397. Ces députés poursuivent en disant que de nombreux camerounais d'origine manifestent le voeu de « se réaliser au Cameroun »398. Toujours dans le même sens, les députés SDF déclarent que « nombreux sont ceux de nos compatriotes aujourd'hui qui font la fierté de notre pays [...] et qui aimeraient mettre à la disposition de notre pays leur talent, leur expertise et leur compétence affirmés et parfois acquis à l'international »399. Tout cela ressortit de ce qu'il convient d'appeler la « citoyenneté 395Cf. Ernest Renan, « Qu'est ce qu'une nation ? », conférence faite à la Sorbonne, le 11 mars 1882. 396A ce propos, il est tout à fait objectif d'analyser l'allégeance faite à la Russie par un grand nombre d'ukrainiens dans les zones sécessionnistes de l'Ukraine, bien qu'ils aient la nationalité de ce pays, comme ayant pour fondement le lien affectif qu'ils portent à la Russie. Comme quoi, le démantèlement de l'ex URSS n'a pas détruit le rattachement historique, peut être seulement symbolique aujourd'hui, entre l'Etat soviétique incarné d'alors par la Russie et les ex ressortissants de cet Etat. 397 Cf. la lettre adressée au Président de la République le 02 décembre 2014 sous le couvert du secrétaire général de la Présidence de la République. Par un groupe de dix députés à l'Assemblée Nationale ayant pour objet «Appel des députés en vue de réformer la loi N° 68-LF-3, du 11 juin 1968 portant Code de la nationalité». 398 Ibidem. 399 Cf. la proposition de loi initiée par le SDF, modifiant et complétant la loi no 1968-LF du 11 juin 1968 portant code de la nationalité camerounaise », op. cit., p.2. 117 d'identification » des camerounais d'origine vis-à-vis du Cameroun, c'est-à-dire qu'en dépit de la rupture du lien juridique de nationalité, ces derniers développent une citoyenneté parallèle dont les ressorts sont sociologiques, culturels, anthropologiques et identitaires. Dans l'esprit de l'interpellation par l'hymne national aux fils du Cameroun à le servir400, les camerounais d'origine entreprennent diverses actions en sa faveur, confortant davantage l'idée selon laquelle le lien affectif ne se rompt pas nécessairement avec l'acquisition d'une nationalité étrangère. Cette idée semble d'ailleurs être implicitement approuvée par les autorités gouvernementales camerounaises, qui désignent au service du pays des binationaux à qui il est même assigné des « missions de représentation »401 de la patrie camerounaise402. Ainsi, la mise en exergue du lien affectif permet la reconnaissance tacite de la double nationalité403 même si cela est source d'ambigüité, car parallèlement la double nationalité est refusée pour les autres404. Dès lors, il apparait un profond hiatus entre la lettre de la loi sur la nationalité et son application d'une part, car la double nationalité est légalement interdite, mais paradoxalement permise dans les faits. En fait, loin de parler d'une désuétude de l'art. 31(a) du code de nationalité qui interdit la double la double nationalité, l'on constate que l'amour pour Cameroun et la volonté de le servir triomphent dans plusieurs cas sur cette disposition législative. 400 L'hyme national énonce en effet la formule suivante : « Te servir que ce soit leur seul but... ». 401 Cf. Ruth Manga Edimo, « La participation des diasporas camerounaises de France et de Grande-Bretagne à la vie politique nationale : Emergence et consolidation de la citoyenneté à distance », mémoire de DEA en science politique de l'université de Yaoundé II- Soa, 2005-2006, p. 85. 402 La nationalité française de l'ancien footballeur camerounais S.E Albert Roger Albert Milla est une vérité de lapalissade, pourtant ce dernier est quand même investi de la haute fonction diplomatique d'ambassadeur itinérant du Cameroun. Cet exemple peut être multiplié concernant bien de membres du gouvernement ou dirigeants d'entreprises publiques ayant une nationalité étrangère. 403 Ruth Manga Edimo fait observer que « le Lyonnais Joseph Désiré Job, le Lensois Assou- Ekotto, l'Auxerrois Perrier Doumbè, pour ne citer qu'eux, jouent pour le Cameroun, sont nés en France et sont de nationalité française, avant d'être camerounais. L'acceptation par ceux-ci de défendre les couleurs du Cameroun est un signal fort du lien gardé avec la mère patrie. Leur intégration dans l'équipe des » lions indomptables '', l'une des plus importantes institutions de représentation de l'Etat camerounais à l'extérieur et dans les compétitions internationales montre non seulement le degré de responsabilité de ces individus envers la Nation, mais également leur reconnaissance par l'Etat. Leur situation identitaire prouve que, quand il y va aussi bien de l'intérêt de la Nation que de l'attachement manifesté par les membres des diasporas camerounaises, l'Etat n'hésite pas à outrepasser certaines dispositions juridiques, telle que celle de l'acceptation des joueurs de nationalité française et d'origine camerounaise alors que les textes n'admettent pas encore la bi-nationalité ». Lire Ruth Manga Edimo, op. cit., p. 85. 404 L'on a évoquera en ce sens que l'élection de l'artiste Ndedi Eyango à la tête de la société collective de gestion des droits d'auteur dans le domaine de l'art musical avait été précisément constatée du fait de sa nationalité américaine pourtant quelques années avant, l'artiste Manu Dibango, de nationlité française avait été porté quelques années avant à la tête de la CMC, la devancière de la SOCAM. 118 2) L'expression du lien de solidarité De façon générale, le lien de solidarité des camerounais d'origine est marqué par leur participation et leur implication multiformes à la vie nationale du Cameroun (dans les domaines financier, économique, social, politique, sanitaire etc.). Ainsi, répondant à la question de savoir quel est le facteur essentiel qui a produit et qui maintient le lien national, Léon Duguit affirmait qu' « on a mis en avant la communauté d'autorité politique, la communauté de race et de langue, la communauté de croyance religieuse. [...] mais aucun n'était puissant pour créer à lui seul la solidarité nationale »405. Il poursuit en disant que la Nation est une réalité qui « consiste dans le lien de solidarité [...] qui unit entre eux, d'une manière particulièrement étroite, les hommes qui sont membres d'une même nation »406. C'est d'ailleurs au renforcement de ce lien que le Président de la République invitait la diaspora camerounaise, en déclarant ce qui suit : « Vous, Camerounais de la diaspora en particulier, [...] le moment est venu de mettre votre expertise au service de votre pays »407. Cet appel du Chef de l'Etat correspond parfaitement à l'idée d'union entre les membres d'une même Nation, et, montre que l'Etat d'origine « affirme fortement le lien qu'il veut maintenir avec ses nationaux alors même que ceux-ci bénéficient de la citoyenneté de l'État où ils se trouvent »408. Sauf que par cet appel même, le Chef de l'Etat donnait une approbation tacite de la double nationalité, car parlait-il indifféremment des « camerounais de la diaspora », dont nombre d'entre eux ont pourtant acquis une nationalité étrangère. Dans cette optique, le terme diaspora revêt un caractère englobant, car il désigne à la fois les camerounais de l'étranger ayant conservé leur nationalité et ceux ayant obtenu une nationalité étrangère409. Quoiqu'il en soit, il apparait bien qu'au niveau politique, la porte n'est fermée à la double nationalité tant que le pays a besoin des camerounais d'origine. Ainsi, le Document 405 Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, Traité de droit constitutionnel, op.cit., pp. 4-5. 406Ibid., p.12. 407Extrait du discours de S.E M. Paul Biya, le 03novembre 2011 lors de sa prestation de serment à l'Assemblée Nationale. 408 Charles Leben, « nationalité et citoyenneté en droit constitutionnel », op. cit., p.158. 409 Les camerounais ayant acquis une nationalité étrangère sont considérés, malgré tout, comme faisant partie de la diaspora camerounaise ; si tant est que la diaspora est entendue comme une communauté d'individus dispersée en dehors de son lieu d'origine. De ce point de vue, la diaspora est indifféremment constituée des camerounais ayant conservé leur nationalité, que de ceux ayant acquis une nationalité étrangère. 119 Stratégique pour la Croissance et l'Emploi (DSCE)410 classe la mobilisation des ressources de la diaspora dans la catégorie des modalités de renforcement de la mobilisation de l'épargne nationale. Il y est clairement énoncé que Les transferts de la diaspora constituent une source de devises étrangères importantes [...]. Conformément aux orientations données dans la Vision 2035, les autorités comptent encourager les camerounais de l'étranger à investir au pays, au travers de divers mécanismes, dont : une prise en charge institutionnelle de cette question au niveau approprié [...], diverses incitations pour canaliser les transferts de la diaspora vers l'investissement productif et les emprunts publics411. Fort de ce que « les membres d'une même nation sont particulièrement unis entre eux par les liens de la solidarité [...] ; car, étant plus près les uns des autres, ils échangent naturellement plus fréquemment et plus facilement les services qu'ils peuvent se rendre à cause de leurs aptitudes différentes »412, la diaspora est un acteur majeur du développement au Cameroun. Le gouvernement a d'ailleurs pleinement pris conscience de l'intérêt du renforcement de son implication dans ce sens413. Laquelle implication porte par exemple sur des investissements directs réalisés par le moyen des transferts de savoir-faire et d'argent vers les familles au Cameroun. Dans le même sens, les députés du SDF affirment que la capacité de la diaspora « à booster pleinement et de façon constructive le processus de développement de notre Nation [...] n'est plus à démontrer. L'émergence du Cameroun projetée pour 2035 se fera avec nos compatriotes de la diaspora, nos familles binationales et non sans eux ou contre eux »414. 410 Le DSCE est un instrument de planification économique élaboré pour la période décennale 2010-2020, qui vise à termes l'amélioration des performances économiques du Cameroun, avec pour effets inductifs, la création d'emplois, la réduction de la pauvreté, et l'amélioration des conditions de vie des populations. 411Cf. le DSCE, p. 81. 412 Léon Duguit, op. cit., p. 8. 413 C'est en fait ce qui ressort de la mise en oeuvre de plusieurs initiatives allant dans ce sens, en l'occurrence le DAVOC (Draw A Vision Of Cameroon), dont la 5ème édition tenue les 11 et 12 octobre 2012 à Genève sur le thème: « Contribution des migrants africains aux stratégies de développement - Diaspora camerounaise et DSCE - Document Stratégique pour la Croissance et l'Emploi », avait pour but de présenter à la diaspora le rôle qu'elle peut et doit jouer dans la mise en oeuvre du DSCE. 414Cf. la proposition de loi initiée par le SDF, modifiant et complétant la loi no 1968-LF du 11 juin 1968 portant code de la nationalité camerounaise, op. cit., p. 4. 120 Au plan politique, la « citoyenneté » des camerounais de la diaspora se matérialise par l'activisme et le militantisme politiques. En effet, plusieurs membres de la diaspora militent au sein des partis politiques. A ce sujet, Ruth Manga Edimo souligne à propos des camerounais de la diaspora, qu' : « on note une participation partisane intense en accordéon avec les militants de l'intérieur. Celle-ci se caractérise par de constantes relations avec le parti en question [...], l'implication même à distance dans les campagnes électorales, et des activités militantes »415. L'on assiste donc dans ce contexte à la conduite d'activités de propagande dont l'objet porte sur des questions d'enjeu national telles que les élections, les droits de l'homme, la gouvernance etc. Toujours dans le cadre de la participation politique, notamment contestataire, le Pr. Antoine Wongo Ahanda révèle que l'enjeu essentiel de la communication416 des camerounais d'origine installés en dehors du territoire national est « l'affirmation et la consolidation du lien avec le pays d'origine »417. C'est à cette forme d'activisme politique extraterritorial que correspond l'idée d'exopolitie camerounaise évoquée par l'auteur, c'est-à-dire une forme de citoyenneté qui se déploie en dehors du territoire national418. En admettant que l'appartenance des camerounais d'origine est certaine et qu'elle devrait entraîner la reconnaissance de la double nationalité, quelles devraient dès lors en être les implications ? Paragraphe 2 : LES IMPLICATIONS D'UNE EVENTUELLE RECONNAISSANCE DE LA DOUBLE NATIONALITE AU CAMEROUN Eût égard à la démonstration précédemment faite sur l'appartenance des camerounais d'origine à la nation camerounaise, il va s'en dire que la législation actuelle devrait 415 Ruth Manga Edimo, « La participation des diasporas camerounaises de France et de Grande-Bretagne à la vie politique nationale : Emergence et consolidation de la citoyenneté à distance », mémoire de DEA en science politique, université de Yaoundé II- Soa, année académique 2005-2006, p. 95. 416 Cette communication peut notamment renvoyer à l'utilisation d'opportunités et de canaux d'expression médiatique offerts par le développement des nouvelles technologiques de l'information et de la communication. 417 Antoine Wongo Ahanda, « Le C.O.D.E, figure médiatique de l'exopolitie camerounaise », SOLON, revue africaine de parlementarisme et de démocratie, Vol. III, n°8, Août 2014, pp. 61-90, (spéc. p. 64). 418 Lire à ce propos Antoine Wongo Ahanda, ibid. , pp. 64 et s. 121 logiquement évoluer vers la reconnaissance de la double nationalité afin de s'accommoder ainsi aux évolutions du temps, marqué de plus en plus par la multiplicité des communautés auxquelles le citoyen peut être loyal. Au regard de cette perspective, les implications de la reconnaissance de la double nationalité consisteront en la réintégration des camerounais d'origine dans la nationalité d'une part (A), et en la nécessité définir des axes d'aménagement de la double citoyenneté d'autre part (B). |
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