A. Les cas d'inéligibilité liés
à la qualité de citoyen d'adoption
Au regard du Code électoral camerounais, le droit
à l'éligibilité n'a pas les mêmes contours selon
qu'il concerne le citoyen d'origine et le citoyen d'adoption.
L'inéligibilité
342 Voir à ce sujet le mémorandum du «
Grand-nord (Cameroun) » intitulé « Le Nord en
déperdition qui accuse», in Le Messager du 23 septembre 2002.
343 Il convient tout de même de signaler que ce qui a
présidé au choix du département du Nkam est le fait que
nous résidions dans la région du Littoral, d'où une
certaine proximité géographique avec elle, ce qui nous permet de
mieux cerner les réalités qui lui sont propres.
344 Car, avec un plus grand nombre de députés,
sa cause se verrait ainsi encore plus amplement défendue au niveau
national, lui permettant par-là de rattraper le niveau de
développement des autres départements de la région.
345 Le Dr Mballa Owona Robert fait ainsi remarquer que «
Dans la région du Littoral par exemple, il y a des différences si
accusées entre le département du NKAM, notoirement enclavé
et le département du WOURI, fortement urbanisé » Cf.
Robert Mballa Owona « La notion d'acte administratif au Cameroun
», Thèse de doctorat de l'université de Yaoundé II
Soa 2010 p. 595.
102
absolue de ce dernier aux élections
présidentielle et sénatoriale (1) est toutefois
conditionnée par l'écoulement d'une période de probation
pour les autres élections (2).
1. L'inéligibilité absolue des citoyens
d'adoption aux élections présidentielle et
sénatoriale
Aux termes de la Constitution camerounaise, « Les
candidats aux fonctions de Président de la République doivent
être citoyens camerounais d'origine »346. Cette
disposition est reprise in extenso par l'art.117 du Code
électoral camerounais. Ce texte dispose dans le même sens que les
candidats à la fonction de sénateur « doivent être
citoyens camerounais d'origine »347. Ainsi, bien
qu'étant membres de l'Etat du Cameroun348 aux plans juridique
et politique, les citoyens d'adoption sont clairement frappés d'une
incapacité de jouissance qui les rend inaptes à être
titulaires du droit à l'éligibilité aux postes
suscités.
A chacune de ces exclusions se rattachement bien entendu des
raisons diverses.
La fonction présidentielle est incontestablement la
fonction suprême de l'Etat au regard des pouvoirs constitutionnels qui y
sont attachés349. Cela pourrait expliquer la raison pour
laquelle elle doit être exercée par une personnalité qui
soit foncièrement rattachée à l'Etat aussi bien
affectivement, mais surtout originellement, c'est-à- dire par le lien de
sang350. Cette option est aussi celle des constituants
togolais351, tchadien352 et congolais353.
En fait, comment le Président de la République,
citoyen d'adoption et par conséquent « étranger d'origine
», peut-il, en vertu de l'art.8 al.1 de la Constitution,
représenter « l'Etat dans tous les actes de la vie publique »
notamment dans ses rapports avec l'Etat dont il originaire ? En tout cas, le
risque est grand que cette double appartenance fasse peser sur lui
346 Voir art. 6 al. 5 de la Constitution.
347 Voir art. 220 al. 2 du code électoral.
348 Car leur naturalisation leur confère ces liens et
politiques avec l'Etat du Cameroun.
349 Voir les art.5 et suivants de la constitution.
350 Le lien de sang permet la détermination de la
nationalité d'après la filiation de l'individu.
C'est-à-dire que ses parents doivent être des camerounais
d'origine.
351 L'art 62 de la constitution du Togo prévoit que nul
ne peut être candidat aux fonctions de Président de la
République s'il n'est exclusivement de nationalité togolaise de
naissance
352 L'art. 62 de la Constitution du Tchad du 31 mars 1996
prévoit que les candidats aux fonctions de Président de la
République doivent « être Tchadien de naissance, né de
père et de mère eux-mêmes tchadiens d'origine et n'avoir
pas une nationalité autre que tchadienne ».
353 L'art. 58 de la constitution du Congo du 20 janvier 2002
prévoit que : Nul ne peut être candidat aux fonctions de
Président de la République « s'il n'est de
nationalité congolaise d'origine ».
103
un risque de confusion des intérêts de l'Etat et
puisse influencer ses choix politiques354. De ce point de vue, cette
inéligibilité, bien qu'étant un vecteur d'exclusion se
justifie néanmoins valablement.
Quant à l'inéligibilité des citoyens
camerounais d'adoption à l'élection sénatoriale, elle est
la conséquence d'un revirement législatif. En effet, en vertu de
l'art. 10 de la loi no 2006/005 du 14 juillet 2006 fixant les conditions
d'élection des sénateurs, tout candidat à la fonction de
sénateur devait être un citoyen camerounais d'origine ou
naturalisé depuis au moins dix (10) ans. Cette loi a par la suite
été abrogée avant même de commencer à
être appliquée par la loi no 2012/001 du 19 avril 2012
portant code électoral du Cameroun
Nous pouvons trouver la raison de ce changement
législatif dans la logique de la cohérence de l'ordre juridique
constitutionnel notamment. En effet, en maintenant la possibilité pour
les citoyens d'adoption d'être élus ou nommés aux fonctions
de sénateur comme le prévoyait la loi de 2006, l'on pourrait se
trouver dans l'éventualité d'avoir un citoyen naturalisé
exerçant les fonctions de Président de la République,
puisque l'al. 4a de l'art. 6 de la constitution mentionne que «
L'intérim du Président de la République est exercé
de plein droit, jusqu'à l'élection du nouveau Président de
la République, par le Président du Sénat. Et si ce dernier
est, à son tour empêché, par son suppléant suivant
l'ordre de préséance du Sénat ». Au regard de cette
disposition, même si le Président du Sénat ou l'un de ses
suppléants est un citoyen naturalisé il ne pourrait pour
être disqualifié à assurer la fonction de Président
de la République par intérim, bien que cela remettrait en cause
les art.6 al.5 de la constitution et 117 du code
électoral355.
2. La période de probation, préalable
à la jouissance par les citoyens d'adoption du droit à
l'éligibilité aux autres élections
politiques
A partir de l'acquisition de la nationalité
camerounaise, le nouveau citoyen ne peut cependant pas immédiatement
jouir de tous les droits qui en découlent. En effet la loi n°
68-
354 C'est pour pallier à ce risque que le code
électoral camerounais prévoit déjà en amont en son
art. 118 al. 1 que sont inéligibles à la fonction de
Président de la République « les personnes qui, de leur
propre fait, se sont placées dans une situation de dépendance ou
d'intelligence vis-à-vis [...] d'un Etat étranger ». Cette
disposition est donc connexe au refus du droit à
l'éligibilité, car la situation de dépendance ou
d'intelligence vis-à-vis d'un Etat étranger peut justement
être favorisée a priori par le fait que le candidat élu ou
à élire en est originaire.
355 Ces deux dispositions prévoient similairement que
les candidats aux fonctions de Président de la République doivent
être des citoyens camerounais d'origine.
104
LF-3 du 11 juin 1968 portant code de la nationalité
camerounaise et le code électoral prévoient conjointement cette
incapacité pour le citoyen naturalisé d'être candidat aux
élections législatives, municipales et régionales, sauf
après l'écoulement d'une période de probation de dix ans.
A ce propos justement, il est opportun de révéler une double
ambiguïté découlant de l'examen conjoint des deux textes
suscités.
La première vient de ce que le code de
nationalité fixe la durée de la période de probation
à cinq ans, alors que le code électoral la fixe à dix
ans.
Le premier texte prévoit en effet que « pendant un
délai de cinq ans à compter du décret de naturalisation,
l'étranger naturalisé ne peut être investi de fonctions de
mandat électif »356. Tandis que les art. 157 et 175 al.
3 du second disposent mutatis mutandis que : « L'étranger
qui a acquis la nationalité camerounaise par naturalisation n'est
éligible qu'à l'expiration d'un délai de dix (10) ans
à compter de la date d'acquisition ».
Dès lors, il existe à ce sujet une
contrariété patente sur la durée de la période de
probation, laissant ainsi le citoyen d'adoption dans l'embarras quant à
savoir le texte à invoquer pour revendiquer son
éligibilité à l'une ou l'autre des élections sus
mentionnées.
La seconde ambiguïté réside en ce que le
code de nationalité prévoit une exception à l'exigence de
l'écoulement d'un délai préalable de cinq ans à la
possibilité de candidature des citoyens d'adoption. Dans ce sens, il
dispose que : « l'étranger naturalisé qui a rendu au
Cameroun des services exceptionnels ou dont la naturalisation présente
pour le Cameroun un intérêt exceptionnel, peut être
relevé de l'incapacité précitée par décret
»357. Or, le code électoral est muet sur la question et
ne prévoit aucune dérogation à l'exigence de l'expiration
du délai de dix ans préalablement à
l'éligibilité des citoyens naturalisés.
Quoiqu'il en soit, contrairement à la France où
le législateur a permis l'éligibilité immédiate des
citoyens naturalisés 358 , au Cameroun ces derniers ne
peuvent pas immédiatement jouir de ce droit au même titre que les
citoyens d'origine.
356 Voir l'art. 30 al. 2 de la loi n° 1968-LF-3 du 11 juin
1968, portant code de la nationalité camerounaise.
357 Voir l'art.30 al.2 du code de la nationalité
camerounaise.
358 « Depuis la loi organique n° 83-1096 du 20
décembre 1983, les personnes ayant acquis la nationalité
française par mariage [...] sont immédiatement éligibles
». Lire Mastor Wanda, « Les droits du candidat à
l'élection présidentielle », Pouvoirs, 2011/3
n°138, p. 33-46, (spéc. p. 37).
105
B. Les disparités entre citoyens
inhérentes à la candidature indépendante aux
élections
L'on parle de candidature indépendante lorsqu'un
citoyen se présente à une élection locale ou nationale
sans être investi par un parti politique. A défaut d'être
tout simplement exclue comme c'est le cas pour les élections locales
(1), la candidature indépendante à l'élection
présidentielle est soumise à plusieurs pesanteurs (2),
1. L'exclusion de la candidature indépendante
aux élections locales
Au Cameroun, dans le cadre des élections
sénatoriales, législatives, régionales et municipales, les
partis politiques sont les seuls foyers pourvoyeurs de compétiteurs
électoraux. En effet, pour ces élections, tout citoyen
désireux de briguer un mandat doit de façon incontournable
être investi par un parti politique légal.
En effet, la déclaration de candidature à
l'élection des députés à l'Assemblée
Nationale doit indiquer entre autres le titre de la liste et, le parti
politique auquel elle se rattache en plus d'une attestation par laquelle le
parti politique investit l'intéressé en qualité de
candidat359, l'absence de cette pièce entraînant
ipso facto l'invalidation de la candidature. Cette exigence est
reprise mutatis mutandis concernant la candidature à la
fonction de sénateur360.
De la même manière, à travers l'exigence
selon laquelle la déclaration de candidature aux élections
municipales et régionales doit comporter une attestation par laquelle le
parti politique investit l'intéressé en qualité de
candidat361, l'on constate l'exclusion explicite de la candidature
indépendante à ces élections.
Mais en dépit de ce que la loi électorale
précise que les conditions d'éligibilité exigées
pour la validation de la candidature, notamment la présentation par un
parti politique, doivent continuer d'être remplies par les candidat
élu pendant toute la durée de son mandat, sous peine de
déchéance, ce dernier, une fois élu, n'est pas contraint
de demeurer dans ce parti. En effet, le parti politique ne saurait être
pour l'élu une camisole de force. Si ce dernier est exclu
359 Voir l'art.164 al. 4 et 165 du code électoral.
360 Voir l'art. 231 du code électoral.
361 Voir l'art. 182 du code électoral.
106
ou démissionne du parti politique qui l'a investi, il
ne peut être déchu de son mandat, car aux termes de l'art. 15 al.
3 de la Constitution, « Tout mandat impératif est nul ».
De ce qui suit, si l'élu séparé du parti
politique qu'il l'a investi peut se prévaloir d'un mandat libre
vis-à-vis de celui-ci, pourquoi un tel affranchissement ne pourrait-il
pas exister en amont de telle sorte que tout citoyen puisse,
indépendamment d'un parti politique, se porter candidat à l'une
des élections susmentionnées ? D'autant plus que les partis
politiques, bien qu'ils soient chargés de concourir « à
l'expression du suffrage universel »362, ils ne sont pas en
réalité les seules entités politiques et devraient donc en
aucun cas monopoliser le jeu électoral.
2. Les pesanteurs de la candidature
indépendante à l'élection
présidentielle
Lors de la compétition électorale, le candidat
indépendant et celui investi par un parti politique sont soumis à
des traitements différents susceptibles de faire naitre entre les deux
une inégalité.
Le Pr. Luchaire disait qu' « on ne se porte pas candidat
soi-même à la Présidence de la République ; il faut
être présenté »363. C'est ainsi que
l'art.121 du code électoral prévoit qu'ils doivent être
« présentés comme candidat à l'élection du
Président de la République par au moins trois cents (300)
personnalités originaires de toutes les Régions, à raison
de trente (30) par Région et possédant la qualité soit de
membre du Parlement ou d'une Chambre Consulaire, soit de Conseiller
Régional ou de Conseiller Municipal, soit de Chef Traditionnel de
premier degré ».
Cependant, l'on peut imaginer la difficulté pour un
candidat indépendant à recueillir les signatures des
personnalités indiquées, compte tenu de ce qu'aucune obligation
n'est faite aux personnalités énumérées par l'art.
121 du code électoral d'apposer leur signature sur la lettre de
présentation du potentiel candidat. De plus, « une signature
donnée pourrait être interprétée comme un acte de
dissidence ou de désaveu de Paul Biya »364. Dès
lors, elles n'encourent aucune sanction en cas de refus,
délibéré ou non motivé de signature. Cela signifie
malheureusement que le candidat indépendant ne peut se prévaloir
d'un droit à être présenté.
362 Voir l'art. 3 de la Constitution du Cameroun.
363 F. Luchaire, Le conseil constitutionnel, Economica,
1980, p.281.
364 Jérôme Francis Wandji K., « Processus de
démocratisation et évolution du régime politique
camerounais d'un présidentialisme autocratique à un
présidentialisme démocratique », op. cit.,
p.444.
107
Par ailleurs, de l'analyse de la législation
électorale, l'on note l'existence de certains éléments
défavorisant d'une manière ou d'une autre les candidats
indépendants.
C'est le cas par exemple en matière de contentieux
pré-électoral relatif à la couleur, au sigle ou au
symbole. L'art.131al. 2 du code électoral prévoit que « le
Conseil Constitutionnel attribue par priorité à chaque candidat
sa couleur, son sigle ou son symbole traditionnel, par ordre
d'ancienneté du parti qui l'a investi et, dans les autres cas, suivant
la date de dépôt de la candidature, le
récépissé de dépôt faisant foi ». Il
découle de cette disposition que le juge s'attèle prioritairement
à départager les partis politiques. Cela entraine donc que ce
contentieux soit désavantageux pour les candidats indépendants,
qui sont exposés au risque de perdre leurs couleurs, sigles et symboles
initiaux.
In fine, les candidats à l'élection
présidentielle, investis ou indépendants, ne
bénéficient pas tous d'un traitement identique.
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