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La citoyenneté en droit constitutionnel camerounais


par Ampère Romuald NGASSAM KANGUE
Université de Douala - Master 2 en droit public 2015
  

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SECTION II : LA DIFFERENCIATION DE LA CITOYENNETE AU

TRAVERS DU DROIT ELECTORAL

Une vue panoramique jetée sur le droit électoral camerounais révèle que certains de ses aspects sont substantiellement de nature à engendrer des disparités manifestes au niveau de la citoyenneté. Dans ce cadre, l'on montrera d'une part que le découpage électoral est une source d'exercice inégal de la souveraineté nationale par les citoyens (§1), et d'autre part que le droit à l'éligibilité est instaurateur de distinctions entre citoyens (§ 2).

Paragraphe 1 : LES DECOUPAGES ELECTORAUX SPECIAUX COMME SOURCE D'EXERCICE INEGALITAIRE DE LA SOUVERAINETE

La mise en oeuvre du suffrage universel passe par l'opération du découpage électoral, qui est une « technique qui lors des élections législatives consiste à diviser le territoire national en circonscriptions électorales et à leur affecter un nombre de sièges déterminés »322.

319 Tous les départements ou arrondissements composant une région ne voient pas toujours leurs ressortissants être admis à des concours administratifs malgré l'application de la règle de l'équilibre régional. A ce sujet, comment sera-t-il possible de répartir un quota régional de six places par exemple à un concours administratif entre des candidats tous originaires d'une même région comptant huit départements avec trois ou quatre arrondissements pour les uns et six pour les autres ? En tout cas il va s'en dire que le risque est grand que ni toutes les régions, ni tous les départements, ni tous les arrondissements ne seront pas représentés dans certaines circonstances.

320 Luc Sindjoun, L'Etat ailleurs. Entre noyau dur et case vide, op. cit., p. 312.

321 Ibid, p. 313.

322 Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre constitutionnel camerounais », op. cit. , p. 164.

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Toutefois, il existe à coté de ce découpage électoral, dit général, des découpages électoraux spéciaux, dont l'usage éminemment politique (A) entraine dans les faits l'exercice inégalitaire de la souveraineté nationale (B).

A. L'usage politique de la technique du découpage électoral spécial

Parlant du découpage électoral spécial, le Pr. Alain Didier Olinga révèle que « cette pratique n'est pas nouvelle dans l'histoire du droit électoral camerounais »323, car l'article 2 du décret n° 66/50 du 4 mars 1960 opérait déjà la division des départements du Wouri et du Moungo dans le but d'assurer « une équitable représentation des minorités ethniques »324. Cette technique est utilisée au Cameroun respectivement pour les élections législatives325 et régionales326 pour lesquelles la circonscription électorale est en principe le département.

Toutefois, la compétence exclusive du Président de la République en la matière, en vertu de ce qu'il lui est constitutionnellement reconnu le rôle de garant de l'organisation et du bon fonctionnement des institutions de la République327, est sujette à caution ceci à cause de sa position de président national du parti politique au pouvoir.

En effet, le fait que le Chef de l'Etat détienne et conserve sa casquette de chef incontesté de son parti328 peut laisser émerger contre celui-ci une présomption d'impartialité dans la délimitation territoriale des circonscriptions électorales et dans l'attribution des sièges à chacune d'elle. Le Dr. Menguele Menyengue Aristide évoque à ce sujet que des partis politiques d'opposition « contestent systématiquement cette compétence présidentielle «superfétatoire» du fait de «la multipositionnalité » inhérente au jeu de rôle présidentiel, étant

323Alain Didier Olinga, « Politique et droit électoral au Cameroun : Analyse juridique de la politique électorale », Polis R.C.P.S. /C.P.S.R., Vol. 6, no 2, 1998, pp. 31-52 (spéc. p. 44).

324Ibidem.

325 Selon l'art. 149 al. 2 du code électoral, « ... compte tenu de leur situation particulière, certaines circonscriptions peuvent faire l'objet d'un découpage spécial par décret du Président de la République ».

326 L'art. 247 al. 2 du code électoral dispose que «... en raison de leur situation particulière, certaines circonscriptions peuvent faire l'objet d'un regroupement ou d'un découpage spécial par décret du Président de la République ».

327 En vertu de l'art. 5 de la constitution, le Président de la République peut exercer ce pouvoir d'arbitrage qu'est le découpage électoral, et ce, dans l'équité, c'est-à-dire en faisant correspondre le plus exactement possible le nombre de députés à attribuer à une circonscription électorale avec sa taille démographique.

328 Au sein du parti au pouvoir au Cameroun, le RDPC, il est dit du Président de la République Paul Biya, par ailleurs président de ce parti, qu'il est son candidat naturel à l'élection présidentielle. Cela montre à suffisance que le Chef de l'Etat, malgré son statut de Président de la République, ne reste pas moins foncièrement attaché à son parti.

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entendu que par «dédoublement fonctionnel», le Président de la République [...] est par ailleurs resté jusqu'ici le président national du parti au pouvoir »329. Il poursuit en affirmant qu'

Il serait naïf de penser que le Président de la République par ailleurs président national du R.D.P.C- parti au pouvoir- ferait un usage équitable du découpage électoral lorsque et tant que les militants de son parti sont en compétition avec des militants d'autres partis politiques dans une échéance électorale f...] cet usage partisan du découpage électoral est presque consubstantiel à « l'invention» de la pratique330.

Par ailleurs, la loi électorale énonce que compte tenu de leur situation particulière, certaines circonscriptions peuvent faire l'objet soit d'un découpage spécial, soit d'un regroupement par décret du Président de la République331.

Au sens de cette disposition, le motif juridique du découpage électoral est la « situation particulière » de la circonscription électorale en question. Mais il se pose un réel problème découlant de ce que cette expression n'a pas été définie par le législateur. Quels sont en fait les éléments qui font d'une circonscription électorale qu'elle devienne particulière ?

Le silence de la loi sur la question laisse ainsi un large pouvoir d'appréciation au Président de la République, détenteur exclusif de la compétence de délimitation territoriale des circonscriptions électorales. Dans ce contexte, des risques sont grands que l'on assiste à une manipulation politique du découpage électoral spécial.

Cette suspicion, déjà exprimée par l'opposition, peut tout à fait avoir une certaine légitimité si l'on se fonde sur l'idée que le découpage électoral spécial s'assimile au gerrymandering332, qui est une pratique consistant à définir les limites des circonscriptions

329 Aristide M. Menguele Menyengue, « La problématique du découpage spécial des circonscriptions électorales au Cameroun », revue africaine de parlementarisme et de démocratie, SOLON, vol. III, n°8, août 2014, pp.143-173, (spéc. p. 147).

330 Aristide M. Menguele Menyengue, op. cit., p. 157.

331 Voir les art. 149 al. 2 et 247 al. 2 du code électoral.

332 « On doit la technique du découpage électoral à Eldbridge GERRY du nom d'un ancien gouverneur de l'Etat du Massachussetts qui initia au début du XIXème siècle le désormais très fameux procédé du découpage électoral ». Ainsi, « Le concept de gerrymander provient donc de la contraction de «Gerry» et de «mander». D'où le qualificatif de gerrymandering. Lire Aristide M. Menguele Menyengue, op. cit., p. 158.

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électorales en vue de favoriser les candidats du parti au pouvoir333. C'est dans ce sens que s'inscrivent les propos de Thomas Ehrhard, qui dit que « le gerrymandering, qualifie ainsi toute pratique consistant à « charcuter » les limites des circonscriptions pour avantager certains candidats »334. Pour le Pr. Alain Didier Olinga, ce charcutage semble effectivement avoir eu lieu lors des élections législatives de mai 1997. Il confesse qu'une « observation d'ensemble permet d'affirmer que le découpage spécial a nettement joué en faveur du RDPC dans de nombreuses circonscriptions délicates »335. Ainsi, « Le découpage spécial apparaît donc clairement comme une donnée politique de premier plan, un amortisseur de défaites électorales ou un facteur de victoires électorales pour les gouvernants en place »336.

En confrontant cette suspicion de l'arbitraire du découpage électoral spécial avec la réalité de son opérationnalisation au Cameroun, il découle un déséquilibre dans la représentation des différentes circonscriptions électorales.

B. L'exercice inégalitaire de facto de la souveraineté

En vertu du principe d'égalité des suffrages, chaque électeur ne doit disposer que d'une seule voix. Mais lorsque les circonscriptions électorales sont représentées de façon disproportionnelle, le poids des voix dès lors n'est plus égal. Autrement dit, à nombre d'habitants identique, deux circonscriptions électorales données peuvent être représentées par un nombre différent de députés.

L'atteinte à l'égalité dans le droit de vote « peut exister en cas de découpage inégal des circonscriptions »337, avec comme conséquence l'exercice inégalitaire de la souveraineté nationale338 par les citoyens.

333Aristide M. Menguele Menyengue affirme dans ce sens qu'« il est certain que l'offre présidentielle du cadre géographique de la compétition électorale par «ciselage» plus ou moins arbitraire des circonscriptions électorales vise aussi l'organisation et «la répartition vicieuse» des zones d'influence politique qui oscille entre consolidation de l'hégémonie politique du parti au pouvoir et affaiblissement progressif du marquage territorial des partis d'opposition ». Lire Aristide M. Menguele Menyengue, op. cit., p.159.

334 Thomas Ehrhard, « Dualité et théorie pratique : le découpage électoral au prisme révélateur de la mobilisation des savants et des savoirs », Section Thématique n°- 36 : Découpage Electoral, Histoire, Enjeux et Méthodes, Congrès A.F.S.P. Strasbourg, 2011, p.1. Cité par Aristide M. Menguele Menyengue, op. cit., p. 158.

335 Alain Didier Olinga, « Politique et droit électoral au Cameroun : Analyse juridique de la politique électorale », op. cit. , p. 45.

336 Ibidem.

337 Marie-Anne Cohendet, Droit constitutionnel, op cit. p.148.

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C'est manifestement ce qui découle du décret présidentielle no 2013/222 du 03 juillet 2013 portant répartition des sièges par circonscription électorale à l'Assemblée Nationale, qui abrogeait le décret no 97/061 du 02 avril 1997 portant sur le même objet. En effet, la confrontation des rapports entre le nombre de sièges attribués aux circonscriptions électorales et leur poids démographique montre que ce décret ignore les résultats du dernier recensement général de la population.

Au niveau des régions, il ressort du troisième recensement général de la population du Cameroun effectué en 2005 que la région du Centre est la plus peuplée avec 3.525.664 habitants, l'Extrême-Nord vient tout juste après avec 3.480.141, puis le Littoral, peuplé de 2.865.795. Pour le cas seulement de ces trois régions, il existe une disproportion dans la représentation parlementaire des populations au niveau de l'Assemblée Nationale : La première citée, d'après le dernier découpage électoral effectué en 2013, compte 28 députés contre 29 pour la deuxième et 19 pour la troisième.

De ce qui précède, comment comprendre que la région du Centre soit numériquement moins représentée par rapport à l'Extrême-Nord pourtant est-elle plus peuplée que cette dernière, soit une différence de 72.250 habitants. Il est clair dans cette situation que ce n'est pas le critère du poids démographique qui a présidé à la répartition du nombre de députés entre ces deux régions. Le Dr. Menguele Menyengue Aristide justifie cette disparité en expliquant que « le décret n°- 2013/222 du 03 juillet 2013 consacre le principe de l'attribution équitable du nombre de sièges au prorata de la densité démographique. Suivant ce principe, la région de l'Extrême-nord par exemple se voit attribuer le plus grand nombre de sièges de députés »339. En effet, selon les résultats du 3e recensement général de la population et de l'habitat sur lequel s'appuie le décret du 03 juillet 2013 suscité, la densité de la population dans l'Extrême-Nord est de 101,6 habitants/km2 contre 51,1 habitants/km2 pour le Centre.

Cependant, quand bien même l'on retiendrait le critère de la densité de la population, l'on constate qu'il n'a pas prévalu dans l'attribution du nombre de députés pour toutes les

338 En effet, selon, l'art. 4 de la constitution, l'autorité de l'Etat est exercée par le président de la République et le Parlement. De plus, les députés, bien qu'élus au niveau local, sont considérés comme les élus de la Nation toute entière.

339Aristide Menguele Menyengue, « La problématique du découpage spécial des circonscriptions électorales au Cameroun », op. cit. , p. 169.

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autres régions. Nous observons les données démographiques de trois régions successives pour soutenir cette conclusion :

- Le Littoral, avec 2.865.795 habitants et 141,5 habitants/km2 compte 19 députés ;

- Le Nord-Ouest, avec 1.804.695 habitants et 104,3 habitants/km2 compte 20 députés ;

- l'Ouest, avec 1.785.285 habitants et 128,5 habitants/km2 compte 25 députés340.

A l'observation, l'on constate que le critère de la densité démographique ne prévaut pas ici, si oui la région du littoral aurait le plus grand nombre de députés et la région la moins peuplée qu'est l'Ouest n'aurait pas paradoxalement le plus grand nombre de sièges341. De la sorte, un député se verra élire par deux ou trois fois plus de populations qu'un autre ou inversement, biaisant ainsi l'équité dans la représentation des citoyens.

A l'échelon des départements l'on observe tout aussi des disproportions dans la répartition du nombre de députés.

Dans le premier cas, il existe des circonscriptions électorales qui comptent un nombre plus élevé de sièges de députés par rapport à d'autres pourtant démographiquement plus importantes. C'est cet état de fait que dénonçait le mémorandum des élites du Grand-Nord du 23 septembre 2002, qui estimaient que le Grand-Nord (qui regroupe les régions de l'Adamaoua, du Nord et de l'Extrême-Nord) était sous représenté à l'Assemblée nationale à la suite du découpage électoral à la faveur du scrutin législatif de 2002. Elles déclaraient à ce propos que :

Le département de la Bénoué avec ses 676 000 habitants a 4 députés. Dans le même temps le département du Dja et Lobo avec ses 138 000 habitants, a 5 députés. Si le département de la Bénoué avait bénéficié du même traitement que le Dja et Lobo, il aurait 24 députés. De même, le département du Mayo Tsanaga infiniment plus peuplé que la province du Sud serait aux anges. Cette situation de discrimination flagrante heurte la conscience de tout démocrate,

340 Voir le décret no 2013/222 du 03 juillet 2013 portant répartition des sièges par circonscription électorale à l'Assemblée Nationale.

341 Ce contraste résulte certainement du grossissement de la région de l'Ouest par la création continue, jusqu'au décret no 2013/222 du 03 juillet 2013 de plusieurs circonscriptions électorales spéciales notamment dans le département du Noun.

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car elle vise de manière parfaitement arbitraire à diminuer le poids du Grand-nord dans cette Institution malgré son poids démographique342.

Le second cas concerne les disparités du nombre de sièges de députés entre des départements d'une même région. Pour le démontrer, nous ferons le choix arbitraire du département Nkam343, qui ne compte qu'un seul député sur les 19 de la région du Littoral. Pourtant les multiples singularités qui le caractérisent auraient peut-être pu, selon la lettre de l'art. 149 al. 2 du code électoral, motiver qu'il fît l'objet d'un découpage spécial344. En effet, le Nkam est le seul département du Littoral qui ne soit pas relié à la ville chef-lieu de région par une route bitumée, il est le plus enclavé de la région car il n'y existe pas de routes bitumées reliant ses différents arrondissements345.

Il n'est pas inimaginable que le cas singulier du département Nkam soit similaire à celui de bien d'autres départements dans le pays.

Paragraphe 2 : L'EXISTENCE DE DISTINCTIONS ENTRE LES CITOYENS PAR LE DROIT A L'ELIGIBILITE

Les disparités entre citoyens à propos du droit à l'éligibilité découlent d'une part des cas d'inéligibilité liés à la qualité de citoyen d'adoption (A), de même ces inéligibilités sont inhérentes à la candidature indépendante aux élections (B).

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand