A. Le principe d'égale admissibilité aux
emplois publics
Nous aborderons d'abord la question de la réception de
ce principe en droit national (1) avant d'analyser son contenu proprement dit
(2).
1. La réception du principe en droit
national
L'égalité d'admissibilité aux emplois
publics est un principe fondamental du droit de la fonction publique au
Cameroun. Il est un dérivé du principe général de
l'égalité en droits de
301 Pour le cas de Douala nous avons M. Fritz Ntonè
Ntonè, qui est un natif de Douala, d'ailleurs tous ses
prédécesseurs étaient eux aussi natifs de Douala ;
à Yaoundé il M. Tsimi Evouna, un ressortissant de la même
ville ; à Bafoussam, M. Emmanuel Nzété qui tout aussi un
natif de la même ville. Ce schéma est similaire pour les autres
communautés urbaines. Dans ce contexte, l'on court risque d'un certain
dessaisissement délibéré des citoyens allochtones des
affaires de la région ou de la ville dans laquelle ils vivent, car s'y
sentant exclus d'une certaine façon.
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tous les citoyens. Bien que la Constitution ne mentionne pas
expressément ce principe, la Déclaration universelle des droits
de l'homme du 10 décembre 1948302 et la Charte africaine des
droits de l'Homme et des peuples303, le consacrent pour autant.
Au regard de la réception de ces textes en droit
camerounais, conformément aux dispositions de la
Constitution304, il convient d'affirmer que le principe
d'égale admissibilité aux emplois publics fait dès lors
pleinement partie du droit positif camerounais, car ces textes sont inscrits
dans le bloc de constitutionnalité305.
D'ailleurs, ce principe a connu une application
jurisprudentielle dans l'affaire CS/CA jugement du 14 décembre 2005,
Moukon à Ebong Martin c/ Etat du Cameroun. Dans cette espèce, le
juge de la cour suprême déclare que : « Le principe
d'égalité que prévoit la Constitution emporte
l'égalité de chance d'accès aux emplois publics ».
Dès lors, le juge administratif notamment se présente comme un
garant de ce principe, qui prévalait déjà à l'aube
de la mise sur pied de la fonction publique camerounaise au lendemain de
l'accession du pays à l'indépendance le 1er janvier
1960.
2. le contenu du principe proprement
dit
Le principe d'égale admissibilité aux emplois
publics interdit les discriminations entre les citoyens. En effet, il ne doit y
avoir aucune distinction entre les citoyens en raison de leur origine, de leur
appartenance ethnique ou raciale, de leur langue ou de leurs opinions ou de
leur religion etc. Concrètement, ce principe renvoie à
l'interdiction de la mise en oeuvre d'un système de recrutement dans la
fonction publique fondé sur des critères étrangers aux
talents, à la vertu et aux capacités des candidats. Dans cette
optique, même la recherche de la parité hommes/femmes ne saurait
être admise, le seul critère devant prévaloir est le
mérite306.
302 L'art. 21 al. 2 de la Déclaration universelle des
Droits de l'Homme en effet que « Toute personne a droit à
accéder, dans des conditions d'égalité, aux fonctions
publiques de son pays ».
303 L'art.13 al. 2 de la Charte africaine des droits de
l'Homme et des peuples prévoit que « Tous les citoyens ont
également le droit d'accéder aux fonctions publiques de leurs
pays ».
304 A ce propos, il faut relever que le préambule de la
Constitution affirme que le peuple camerounais « Affirme son attachement
aux libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration
universelle des droits de l'homme, la Charte des Nations unies, La Charte
africaine des droits de l'homme et des peuples... ». Par ailleurs, l'art
65 de la Constitution énonce que « Le préambule fait partie
intégrante de la Constitution ».
305 Car selon l'art. 65 de la Constitution, « Le
préambule fait partie intégrante de la Constitution ».
306 En droit français, le principe d'égale
admissibilité aux emplois publics est énoncé par l'art. 6
de la déclaration française des droits de l'homme et du cioyen,
qui affirme que « Tous les citoyens sont également
92
Le décret no 94/199 du 7 octobre 1994
portant statut général de la fonction publique, modifié et
complété par le décret no 2000/287 du 12
novembre 2000, énonce clairement ce principe en prévoyant que
« L'accès à la fonction publique est ouvert, sans
discrimination aucune, à toutes personnes de nationalité
camerounaise... »307.
Le juge administratif camerounais fera d'ailleurs une stricte
application de ce principe dans l'affaire CS/CA du 27 octobre 1994, Ndongo
née Mbonzi Ngombo. Cette instance porte sur le refus de titularisation
de la requérante, qui était d'origine zaïroise mais dont le
mariage avec un camerounais lui avait pourtant conféré
l'obtention de la nationalité camerounaise. Le juge annulera ce refus de
titularisation dans la fonction publique en invoquant le motif selon lequel
« Lui refuser l'intégration dans la fonction publique camerounaise
serait créer une discrimination entre les camerounais devant un emploi
public, ce qui constitue une violation de la Constitution
»308.
De façon générale, le principe
d'égale admissibilité aux emplois publics est une garantie
nécessaire des chances de tous et de chacun d'accéder à la
fonction publique309, que ce soit par la voie du recrutement ou par
celle de la nomination, car même le pouvoir discrétionnaire de
nomination y est soumis.
B. Le principe d'égale admissibilité
aux emplois publics à l'épreuve de la règle de
l'équilibre régional
Le principe de l'équilibre régional a
été institué au Cameroun par l'ordonnance no
59/70 du 27 novembre 1959 relative au statut des fonctionnaires au Cameroun
oriental. De nos jours il est régi notamment par le décret
no 2000/696/PM du 13 septembre 2000 fixant le régime
général des concours administratifs, qui dispose qu' : « un
arrêté du Premier Ministre fixe les quotas de places
réservées lors des concours administratifs aux candidats de
chaque province »310.
admissibles à toute dignité, places et emplois
publics selon leurs capacités sans autre distinction que celle vertu ou
de leur talent ».
307 Voir l'art. 12 al. 1 du décret no 94/199
du 7 octobre 1994 portant statut général de la fonction publique
de l'Etat, modifié et complété pa r le décret
no 2000/287 du 12 novembre 2000.
308 Voir l'affaire Ndongo née Mbonzi Ngombo CS/CA du 27
octobre 1994.
309 Toutefois, il faut signaler que ce principe revêt
quelques limites. Par exemple le statut de ministre du culte est incompatible
avec la qualité de fonctionnaire, l'art. 14 du statut
général de la fonction publique dispose à cet effet que :
« Le recrutement ou le maintien dans des corps crées en application
du statut est incompatible avec la qualité de ministre du culte
»
310 Voir l'art. 60 al.1du décret no
2000/696/PM du 13 septembre 2000 fixant le régime général
des concours administratifs au Cameroun.
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De prime abord, il faut noter que la règle de
l'équilibre régional est une entorse à la
méritocratie dans l'accès à la fonction publique parce
qu'elle fonde le recrutement, certes sur deux critères au moins. Le
premier, plus prépondérant, étant la
représentativité ethno-régionale, le second, étant
ce qui resterait de la méritocratie311.
Appliquée au départ dans le but de faciliter
l'accès à la fonction publique des citoyens camerounais
originaires des régions accusant un retard dans la
scolarisation312, la règle de l'équilibre
régional s'étend aussi significativement au sein de l'enceinte
gouvernementale. A ce propos, le Pr. Luc Sindjoun disait que : « parce que
le pouvoir exécutif, considéré constitutionnellement comme
celui qui assure la représentation et l'unité de l'Etat,
[...] c'est le gouvernement qui va être privilégié comme
instance de réalisation de l'équilibre régional
»313.
Dès lors, quel est le bilan de l'application de ce
principe, qui semble être de plus en plus contesté de nos jours au
motif qu'il ne conviendrait plus à la raison fondamentale et originelle
de son institution, c'est-à-dire juguler le déficit scolaire de
certaines régions du pays ?
Alain Didier Olinga déclarait, à propos de la
mise en oeuvre du principe de l'équilibre régional, que : «
l'Etat devrait affecter aux mesures adoptées en ce sens un statut
essentiellement provisoire, car leur raison d'être est d'accompagner les
mesures structurelles dont la finalité qui maintiennent certains groupes
ou catégories de populations dans une situation de
vulnérabilité, dans un besoin d'assistance
»314.
Cependant, l'on note indéniablement que des efforts ont
été faits par l'Etat dans le sens de l'amélioration du
niveau de scolarisation dans l'ensemble des régions du pays de sorte
à réduire les écarts entre ces dernières, si ce
n'est de les combler entièrement 315 . Par conséquent,
les mesures de discrimination positives doivent avoir un caractère
provisoire et
311 C'est dans ce contexte que pendant une certaine
période, pour l'entrée aux cycles A et B de l'Ecole Nationale
d'Administration et de Magistrature (ENAM), les candidats ressortissants de
l'ère géographique dite du Grand-Nord du Cameroun devaient
présenter le Brevet d'Etudes du Premier Cycle (BEPC), tandis ceux du
Grand-Sud devaient avoir le baccalauréat. L'on voit bien qu'avec
l'application de ce système, la méritocratie perd un peut de sa
valeur puisqu'elle ne s'apprécie plus à l'échelle
nationale, mais plutôt au niveau régional.
312 A ce sujet, Alain Marie Matigi relevait que d'après
les études de l'UNESCO et de la Banque Mondiale, la carte scolaire
nationale est constituée de trois types de zones, dont les taux de
scolarisation respectifs présentent des décalages importants,
à savoir les zones de forte densité scolaire, les zones
moyennement scolarisées et les zones sous scolarisées. Lire Alain
Marie Matigi, op. cit, p. 84.
313 Luc Sindjoun, L'Etat ailleurs. Entre noyau dur et case
vide, op. cit., p. 313.
314 Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre
constitutionnel camerounais », op. cit. , p. 162.
315 En guise de preuve, l'on note par exemple que jusqu'en
1993, le pays ne comptait qu'une seule université d'Etat, aujourd'hui il
en existe huit ; c'est dire à quel point la carte scolaire du pays a
changé entre temps.
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non définitif316, car elles sont
susceptibles de créer un phénomène de stigmatisation
à l'égard de ses bénéficiaires, pouvant être
marqué par une présomption handicapante d'incompétence ou
de médiocrité, d'où l'idée selon laquelle sans leur
existence ces derniers n'auraient pas la possibilité d'accéder
à certains écoles ou à certains postes.
De même, ces bénéficiaires pourraient
aussi développer et entretenir une mentalité d'assisté,
les poussant ainsi à ne faire que le moindre effort317.
En outre, la mobilité des populations à
l'intérieur du territoire national est plus importante qu'elle ne
l'était en 1959, date de l'institution du principe de l'équilibre
régional. De ce fait, des personnes peuvent en effet entamer leur cycle
scolaire primaire, secondaire ou universitaire dans une région
donnée du pays et l'achever dans une autre. De la sorte, certaines
citoyens originaires des régions dites sous scolarisées ont pu se
déplacer vers celles considérées comme fortement ou
moyennement scolarisées et inversement.
Sur un tout autre plan, il faut relever que l'équilibre
régional remet en cause le principe d'égalité des
citoyens. En effet, toute discrimination, fut-elle positive, au profit d'un
individu, constitue par voie de conséquence une discrimination
négative à l'égard d'un autre. Le Pr. Alain Didier Olinga
disait que le maintien du principe de l'équilibre régional au
Cameroun « a pour effet de dépouiller le principe de
l'égalité des citoyens et de l'égalité des chances
de sa substance réelle au point où il n'est pas
superfétatoire de se demander s'il existe plusieurs niveaux de
citoyenneté »318.
Quoiqu'il en soit, l'objectivité du principe peut
être remise en cause dans sa pratique concrète. En effet, il est
censé être un outil de représentation de la région
administrative. Mais force est de constater qu'il serait difficile de
réaliser les équilibres intra ou infra régionaux.
Concrètement, l'équilibrage régional n'intègre pas
toujours concomitamment l'échelle du département, de
l'arrondissement ou même du village dans l'attribution des places. C'est
la thèse du pseudo équilibre, qui est paradoxalement
générateur d'inégalité entre des
316 Les discriminations positives doivent être
temporaires et mourir de leur propre mort une fois les circonstances ayant
présidé à leur mise en place ont disparu ou lorsqu'elles
ont atteint l'objectif visé. Alain Didier Olinga fait ainsi observer que
le maintien du principe de l'équilibre régional participe d'une
instrumentalisation « pour justifier telle ou telle décision ou
telle action ». Lire Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre
constitutionnel camerounais », op. cit. , p.162.
317 Dans ce contexte, l'on peut assister à la naissance
d'un sentiment d'exaspération et de gêne chez ceux des citoyens
qui ne bénéficient pas aussi de privilèges similaires
à ceux accordés aux autres.
318 Ibidem.
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composantes territoriales ou ethniques de la
région319. Dès lors, ce principe ne constitue plus
à proprement parler un chèque en blanc. Le Pr. Luc Sindjoun
relevait ces tares en affirmant que « La notion d'équilibre
régional camoufle l'incorporation différentielle'' des groupes
ethno-régionaux dans l'Etat »320. Manifestement,
malgré l'application du principe de l'équilibre régionale
la sur-représentation de certaines régions et ethnies et la
sous-représentation des autres est notoire. En effet, «
L'inégalité de répartition régionale ou locale des
postes gouvernementaux entraine une différenciation mieux une
hiérarchisation entre les localités qui trahit le
déséquilibre de la politique d'équilibre régional
»321
Outre, la consécration des minorités et des
populations autochtones, le droit électoral camerounais porte lui aussi
les germes d'une citoyenneté différenciée.
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