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La citoyenneté en droit constitutionnel camerounais


par Ampère Romuald NGASSAM KANGUE
Université de Douala - Master 2 en droit public 2015
  

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A. Le principe d'égale admissibilité aux emplois publics

Nous aborderons d'abord la question de la réception de ce principe en droit national (1) avant d'analyser son contenu proprement dit (2).

1. La réception du principe en droit national

L'égalité d'admissibilité aux emplois publics est un principe fondamental du droit de la fonction publique au Cameroun. Il est un dérivé du principe général de l'égalité en droits de

301 Pour le cas de Douala nous avons M. Fritz Ntonè Ntonè, qui est un natif de Douala, d'ailleurs tous ses prédécesseurs étaient eux aussi natifs de Douala ; à Yaoundé il M. Tsimi Evouna, un ressortissant de la même ville ; à Bafoussam, M. Emmanuel Nzété qui tout aussi un natif de la même ville. Ce schéma est similaire pour les autres communautés urbaines. Dans ce contexte, l'on court risque d'un certain dessaisissement délibéré des citoyens allochtones des affaires de la région ou de la ville dans laquelle ils vivent, car s'y sentant exclus d'une certaine façon.

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tous les citoyens. Bien que la Constitution ne mentionne pas expressément ce principe, la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948302 et la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples303, le consacrent pour autant.

Au regard de la réception de ces textes en droit camerounais, conformément aux dispositions de la Constitution304, il convient d'affirmer que le principe d'égale admissibilité aux emplois publics fait dès lors pleinement partie du droit positif camerounais, car ces textes sont inscrits dans le bloc de constitutionnalité305.

D'ailleurs, ce principe a connu une application jurisprudentielle dans l'affaire CS/CA jugement du 14 décembre 2005, Moukon à Ebong Martin c/ Etat du Cameroun. Dans cette espèce, le juge de la cour suprême déclare que : « Le principe d'égalité que prévoit la Constitution emporte l'égalité de chance d'accès aux emplois publics ». Dès lors, le juge administratif notamment se présente comme un garant de ce principe, qui prévalait déjà à l'aube de la mise sur pied de la fonction publique camerounaise au lendemain de l'accession du pays à l'indépendance le 1er janvier 1960.

2. le contenu du principe proprement dit

Le principe d'égale admissibilité aux emplois publics interdit les discriminations entre les citoyens. En effet, il ne doit y avoir aucune distinction entre les citoyens en raison de leur origine, de leur appartenance ethnique ou raciale, de leur langue ou de leurs opinions ou de leur religion etc. Concrètement, ce principe renvoie à l'interdiction de la mise en oeuvre d'un système de recrutement dans la fonction publique fondé sur des critères étrangers aux talents, à la vertu et aux capacités des candidats. Dans cette optique, même la recherche de la parité hommes/femmes ne saurait être admise, le seul critère devant prévaloir est le mérite306.

302 L'art. 21 al. 2 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme en effet que « Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d'égalité, aux fonctions publiques de son pays ».

303 L'art.13 al. 2 de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples prévoit que « Tous les citoyens ont également le droit d'accéder aux fonctions publiques de leurs pays ».

304 A ce propos, il faut relever que le préambule de la Constitution affirme que le peuple camerounais « Affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, la Charte des Nations unies, La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples... ». Par ailleurs, l'art 65 de la Constitution énonce que « Le préambule fait partie intégrante de la Constitution ».

305 Car selon l'art. 65 de la Constitution, « Le préambule fait partie intégrante de la Constitution ».

306 En droit français, le principe d'égale admissibilité aux emplois publics est énoncé par l'art. 6 de la déclaration française des droits de l'homme et du cioyen, qui affirme que « Tous les citoyens sont également

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Le décret no 94/199 du 7 octobre 1994 portant statut général de la fonction publique, modifié et complété par le décret no 2000/287 du 12 novembre 2000, énonce clairement ce principe en prévoyant que « L'accès à la fonction publique est ouvert, sans discrimination aucune, à toutes personnes de nationalité camerounaise... »307.

Le juge administratif camerounais fera d'ailleurs une stricte application de ce principe dans l'affaire CS/CA du 27 octobre 1994, Ndongo née Mbonzi Ngombo. Cette instance porte sur le refus de titularisation de la requérante, qui était d'origine zaïroise mais dont le mariage avec un camerounais lui avait pourtant conféré l'obtention de la nationalité camerounaise. Le juge annulera ce refus de titularisation dans la fonction publique en invoquant le motif selon lequel « Lui refuser l'intégration dans la fonction publique camerounaise serait créer une discrimination entre les camerounais devant un emploi public, ce qui constitue une violation de la Constitution »308.

De façon générale, le principe d'égale admissibilité aux emplois publics est une garantie nécessaire des chances de tous et de chacun d'accéder à la fonction publique309, que ce soit par la voie du recrutement ou par celle de la nomination, car même le pouvoir discrétionnaire de nomination y est soumis.

B. Le principe d'égale admissibilité aux emplois publics à l'épreuve de la règle de l'équilibre régional

Le principe de l'équilibre régional a été institué au Cameroun par l'ordonnance no 59/70 du 27 novembre 1959 relative au statut des fonctionnaires au Cameroun oriental. De nos jours il est régi notamment par le décret no 2000/696/PM du 13 septembre 2000 fixant le régime général des concours administratifs, qui dispose qu' : « un arrêté du Premier Ministre fixe les quotas de places réservées lors des concours administratifs aux candidats de chaque province »310.

admissibles à toute dignité, places et emplois publics selon leurs capacités sans autre distinction que celle vertu ou de leur talent ».

307 Voir l'art. 12 al. 1 du décret no 94/199 du 7 octobre 1994 portant statut général de la fonction publique de l'Etat, modifié et complété pa r le décret no 2000/287 du 12 novembre 2000.

308 Voir l'affaire Ndongo née Mbonzi Ngombo CS/CA du 27 octobre 1994.

309 Toutefois, il faut signaler que ce principe revêt quelques limites. Par exemple le statut de ministre du culte est incompatible avec la qualité de fonctionnaire, l'art. 14 du statut général de la fonction publique dispose à cet effet que : « Le recrutement ou le maintien dans des corps crées en application du statut est incompatible avec la qualité de ministre du culte »

310 Voir l'art. 60 al.1du décret no 2000/696/PM du 13 septembre 2000 fixant le régime général des concours administratifs au Cameroun.

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De prime abord, il faut noter que la règle de l'équilibre régional est une entorse à la méritocratie dans l'accès à la fonction publique parce qu'elle fonde le recrutement, certes sur deux critères au moins. Le premier, plus prépondérant, étant la représentativité ethno-régionale, le second, étant ce qui resterait de la méritocratie311.

Appliquée au départ dans le but de faciliter l'accès à la fonction publique des citoyens camerounais originaires des régions accusant un retard dans la scolarisation312, la règle de l'équilibre régional s'étend aussi significativement au sein de l'enceinte gouvernementale. A ce propos, le Pr. Luc Sindjoun disait que : « parce que le pouvoir exécutif, considéré constitutionnellement comme celui qui assure la représentation et l'unité de l'Etat, [...] c'est le gouvernement qui va être privilégié comme instance de réalisation de l'équilibre régional »313.

Dès lors, quel est le bilan de l'application de ce principe, qui semble être de plus en plus contesté de nos jours au motif qu'il ne conviendrait plus à la raison fondamentale et originelle de son institution, c'est-à-dire juguler le déficit scolaire de certaines régions du pays ?

Alain Didier Olinga déclarait, à propos de la mise en oeuvre du principe de l'équilibre régional, que : « l'Etat devrait affecter aux mesures adoptées en ce sens un statut essentiellement provisoire, car leur raison d'être est d'accompagner les mesures structurelles dont la finalité qui maintiennent certains groupes ou catégories de populations dans une situation de vulnérabilité, dans un besoin d'assistance »314.

Cependant, l'on note indéniablement que des efforts ont été faits par l'Etat dans le sens de l'amélioration du niveau de scolarisation dans l'ensemble des régions du pays de sorte à réduire les écarts entre ces dernières, si ce n'est de les combler entièrement 315 . Par conséquent, les mesures de discrimination positives doivent avoir un caractère provisoire et

311 C'est dans ce contexte que pendant une certaine période, pour l'entrée aux cycles A et B de l'Ecole Nationale d'Administration et de Magistrature (ENAM), les candidats ressortissants de l'ère géographique dite du Grand-Nord du Cameroun devaient présenter le Brevet d'Etudes du Premier Cycle (BEPC), tandis ceux du Grand-Sud devaient avoir le baccalauréat. L'on voit bien qu'avec l'application de ce système, la méritocratie perd un peut de sa valeur puisqu'elle ne s'apprécie plus à l'échelle nationale, mais plutôt au niveau régional.

312 A ce sujet, Alain Marie Matigi relevait que d'après les études de l'UNESCO et de la Banque Mondiale, la carte scolaire nationale est constituée de trois types de zones, dont les taux de scolarisation respectifs présentent des décalages importants, à savoir les zones de forte densité scolaire, les zones moyennement scolarisées et les zones sous scolarisées. Lire Alain Marie Matigi, op. cit, p. 84.

313 Luc Sindjoun, L'Etat ailleurs. Entre noyau dur et case vide, op. cit., p. 313.

314 Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre constitutionnel camerounais », op. cit. , p. 162.

315 En guise de preuve, l'on note par exemple que jusqu'en 1993, le pays ne comptait qu'une seule université d'Etat, aujourd'hui il en existe huit ; c'est dire à quel point la carte scolaire du pays a changé entre temps.

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non définitif316, car elles sont susceptibles de créer un phénomène de stigmatisation à l'égard de ses bénéficiaires, pouvant être marqué par une présomption handicapante d'incompétence ou de médiocrité, d'où l'idée selon laquelle sans leur existence ces derniers n'auraient pas la possibilité d'accéder à certains écoles ou à certains postes.

De même, ces bénéficiaires pourraient aussi développer et entretenir une mentalité d'assisté, les poussant ainsi à ne faire que le moindre effort317.

En outre, la mobilité des populations à l'intérieur du territoire national est plus importante qu'elle ne l'était en 1959, date de l'institution du principe de l'équilibre régional. De ce fait, des personnes peuvent en effet entamer leur cycle scolaire primaire, secondaire ou universitaire dans une région donnée du pays et l'achever dans une autre. De la sorte, certaines citoyens originaires des régions dites sous scolarisées ont pu se déplacer vers celles considérées comme fortement ou moyennement scolarisées et inversement.

Sur un tout autre plan, il faut relever que l'équilibre régional remet en cause le principe d'égalité des citoyens. En effet, toute discrimination, fut-elle positive, au profit d'un individu, constitue par voie de conséquence une discrimination négative à l'égard d'un autre. Le Pr. Alain Didier Olinga disait que le maintien du principe de l'équilibre régional au Cameroun « a pour effet de dépouiller le principe de l'égalité des citoyens et de l'égalité des chances de sa substance réelle au point où il n'est pas superfétatoire de se demander s'il existe plusieurs niveaux de citoyenneté »318.

Quoiqu'il en soit, l'objectivité du principe peut être remise en cause dans sa pratique concrète. En effet, il est censé être un outil de représentation de la région administrative. Mais force est de constater qu'il serait difficile de réaliser les équilibres intra ou infra régionaux. Concrètement, l'équilibrage régional n'intègre pas toujours concomitamment l'échelle du département, de l'arrondissement ou même du village dans l'attribution des places. C'est la thèse du pseudo équilibre, qui est paradoxalement générateur d'inégalité entre des

316 Les discriminations positives doivent être temporaires et mourir de leur propre mort une fois les circonstances ayant présidé à leur mise en place ont disparu ou lorsqu'elles ont atteint l'objectif visé. Alain Didier Olinga fait ainsi observer que le maintien du principe de l'équilibre régional participe d'une instrumentalisation « pour justifier telle ou telle décision ou telle action ». Lire Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre constitutionnel camerounais », op. cit. , p.162.

317 Dans ce contexte, l'on peut assister à la naissance d'un sentiment d'exaspération et de gêne chez ceux des citoyens qui ne bénéficient pas aussi de privilèges similaires à ceux accordés aux autres.

318 Ibidem.

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composantes territoriales ou ethniques de la région319. Dès lors, ce principe ne constitue plus à proprement parler un chèque en blanc. Le Pr. Luc Sindjoun relevait ces tares en affirmant que « La notion d'équilibre régional camoufle l'incorporation différentielle'' des groupes ethno-régionaux dans l'Etat »320. Manifestement, malgré l'application du principe de l'équilibre régionale la sur-représentation de certaines régions et ethnies et la sous-représentation des autres est notoire. En effet, « L'inégalité de répartition régionale ou locale des postes gouvernementaux entraine une différenciation mieux une hiérarchisation entre les localités qui trahit le déséquilibre de la politique d'équilibre régional »321

Outre, la consécration des minorités et des populations autochtones, le droit électoral camerounais porte lui aussi les germes d'une citoyenneté différenciée.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote