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La citoyenneté en droit constitutionnel camerounais


par Ampère Romuald NGASSAM KANGUE
Université de Douala - Master 2 en droit public 2015
  

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CHAPITRE I :

LA CITOYENNETE DIFERRENCIEE

Dans un contexte d'Etat républicain, parler d'une citoyenneté différenciée reviendra révéler clairement la cohabitation divergente entre cette dernière et la citoyenneté républicaine universelle.

Le premier type de citoyenneté peut découler d'une sorte de rupture de la ligne horizontale sur laquelle doivent en principe être placés tous les citoyens, cela en raison par exemple de l'aménagement de statuts particuliers au profit de certaines catégories de citoyens alors que d'autres se voient privés de certaines facultés juridiques. Par contre, le second est inhérent à la garantie suprême du principe fondamental de l'égalité en droit de tous les citoyens.

Au regard de ce qui suit, dans ce chapitre, l'on est amené de façon générale à scruter les contours de la citoyenneté camerounaise en vue d'y déceler tous les éléments de droit qui établissent des différences entre les citoyens.

Dans ce cadre, nous montrerons que dans l'ordre constitutionnel camerounais, la citoyenneté différenciée résulte de la reconnaissance des minorités et des populations autochtones d'une part (section I), et du système électoral d'autre part (section II).

SECTION I : LA RECONNAISSANCE DES MINORITES ET DES

POPULATIONS AUTOCHTONES

L'une des innovations majeures de la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun a été la reconnaissance constitutionnelle des minorités et des populations autochtones260. Dans un contexte sociologique marqué par la grande diversité ethnoculturelle, il se pose l'équation du modèle de citoyenneté à construire dans ce paysage multiculturaliste.

260 En effet, désormais « L'Etat assure la protection des minorités et préserve les droits des populations autochtones conformément à la loi » au regard du préambule de la constitution du Cameroun.

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A cette question, le constituant de 1996 semble avoir opté pour un type de citoyenneté tout aussi multiculturelle.

Dans ce sens, la reconnaissance des minorités et des populations autochtones peut être perçue comme répondant au souci de l'objectivation de la diversité sociologique ; ce qui conduira malheureusement à l'émergence d'une citoyenneté à double vitesse (§1), subissant du même coup une fragmentation du fait de l'adoption de programmes de discrimination positive (§2).

Paragraphe 1 : DU SOUCI DE L'OBJECTIVATION DE LA DIVERSITE CULTURELLE A L'EMERGENCE D'UNE CITOYENNETE A DOUBLE VITESSE

Telle l'image du Janus ou telle une médaille et son fâcheux revers, la reconnaissance des minorités et des populations autochtones comporte indissociablement des atouts et des tares. En effet, la gestion du multiculturalisme au Cameroun s'est traduite par la dynamique assimilation-différenciation (A), la conséquence majeure qui en découle étant l'établissement d'une catégorie de citoyens sui generis (B).

A. La dynamique assimilation-différenciation

La réforme de la Constitution du 02 juin 1972 avait entre autres objectifs de prendre en compte les « aspirations et les préoccupations du peuple camerounais telles qu'elles se sont exprimées ces dernières années »261. Mais de quelles aspirations et préoccupations s'agissait-il concrètement ? S'agissait-il de revendications particularistes ou identitaires ?

Hélène-Laure Menthong fait à ce sujet état d'une flopée de revendications à caractère ethno régional qui ont rythmé la vie politique du pays au lendemain de l'ouverture démocratique. Elles étaient largement relayées et publiées par le journal gouvernemental Cameroun Tribune et fusaient de toutes parts sur l'ensemble des régions du pays.

L'on peut citer par exemple les revendications des « "forces vives du littoral" (N° 5365 du 27 Avril 1993, N° 5372 du 4 Mai 1993, p. 6), des "élites du Mfoundi" (N° 5386 du 27 Mai 1993),

261 Voir à ce sujet l'exposé des motifs du projet de loi n° 590/PLI/AN portant révision de La Constitution du 02 Juin 1972, déposé par le Gouvernement sur le bureau de l'Assemblée nationale en décembre 1995.

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des "élites de la province de l'Est" (N° 5388 du 2 Juin 1993, p. 3), des "Populations du Sud" (N° 5389 du 3 Juin 1993, p.3) »262.

Pourtant avant 1996, le chantier de construction de la Nation au Cameroun utilisait entre autres matériaux l'homogénéisation culturelle ; traduisant ainsi une politique constitutionnelle d'assimilation culturelle ou ethnique dont les mécanismes ont consisté en un mutisme du texte constitutionnel sur la diversité ethno sociologique du pays. Dans cet esprit, l'un des traits caractéristiques qui étaient accolés à la nation en construction était le monolithisme identitaire, qui signifiait que la communauté nationale est le seul cadre d'appartenance des citoyens263.

Cependant, en consacrant l'existence des minorités et des populations autochtones en tant que nouveaux sujets différenciés de droit, le constituant de 1996 aurait voulu donner une dimension réaliste et concrète à la diversité culturelle qui caractérise indiscutablement le Cameroun. Le Pr. Alain Didier Olinga fait observer à ce propos qu' : « il semble qu'en proclamant l'obligation de l'Etat de protéger les minorités et les populations autochtones, la constitution ait voulu démystifier la nation monolithique en tant que creuset et engager à une gestion intelligente de la diversité des composantes de la nation »264.

Cette position peut être épouse celle de Michel Coutu, qui affirme que :

Le pluralisme culturel, sur le plan identitaire, se caractérise par les luttes de reconnaissance de multiples groupements (minorités ethniques et nationales, minorités religieuses, sexuelles, personnes handicapées, etc.) ; ceux-ci s'attachent au projet d'une identification citoyenne qui ne s'adresse pas en priorité à la communauté politique étatique, mais plutôt aux communautés plurielles présentes dans la société265.

262 Hélène-Laure Menthong, « La construction des enjeux locaux dans le débat constitutionnel au Cameroun », polis/ R.C.S.P/C.P.S.R., vol. 2, no 2, 1996, pp. 69-90 (spéc. p. 76).

263A ce propos, le Pr. Jean Njoya parle d'une « conception qui construit son épistémologie autour d'une appréhension uniformiste et assimilationniste de la construction de l'État ». Il relève ainsi que le cas du Cameroun répond à ce schéma. Voir Jean Njoya, « États, peuples et minorités en Afrique sub-saharienne : droit, contraintes anthropologiques et défi démocratique », in « Démocratie, organisation territoriale de l'État et protection des minorités », 4e Forum mondial des droits de l'homme. Face à la crise, les droits de l'homme ?, Nantes-France, 28 Juin-1er juillet 2010, p. 2.

264 Alain Didier Olinga, « La protection des minorités et des populations autochtones en droit public camerounais », Revue Africaine de Droit International et Comparé, vol. 10, 1998, pp.271-291.

265 Michel Coutu, « Introduction : Droits fondamentaux et citoyenneté », op. cit., p. 13.

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Concrètement, le phénomène majoritaire, impliqué par la démocratie 266, peut entrainer une domination peut-être diffuse, mais plus ou moins réelle, d'une certaine majorité sur une ou des minorités267. Telle est manifestement la raison des revendications sus évoquées, pour lesquelles la reconnaissance et la protection des minorités et des populations autochtones devaient en être, selon leurs auteurs, la satisfaction. C'est dans ce sens que s'inscrivent les propos du Pr. Alain Didier Olinga selon lesquels « la protection des minorités et la préservation des droits des populations autochtones ne seraient que des accompagnateurs de la transition démocratique, des amortisseurs du choc que constitue, pour certaines communautés, le passage à la démocratie majoritaire »268.

A l'évidence, les propos du Pr. Alain Didier Olinga sont en l'occurrence confortés par le contenu des revendications de ce qui se faisait appeler la « minorité autochtone sawa » qui, lors d'une marche de protestation tenue à Douala le 10 février 1996, scandait les messages suivants : « Démocratie oui, hégémonie non » ; « pas de démocratie sans protection des minorités autochtones » ; « la majorité ethnique n'est pas l'expression de la démocratie mais celle de l'expansionnisme »269.

Nul doute que les auteurs de ces revendications réclament une certaine représentativité dans la gestion de la sphère démocratique locale particulièrement270. En effet, le chef Essaka Ekwalla Essaka, porte-parole des chefs traditionnels Douala, déclara que : « nous demandons que les postes de maires reviennent aux autochtones [...]. Nous disons simplement que les listes qui ont été déclarées victorieuses comportent dans leur sein des autochtones. Ils ont le droit d'être maire »271.

266 Dans le contexte de la démocratie électorale, le phénomène majoritaire renvoie à l'idée selon laquelle les forces politiques gouvernantes au niveau local ou national sont celles qui ont reçu la majorité des suffrages électoraux exprimés par les électeurs.

267 Cet état des choses laisse ainsi clairement apparaitre les limites intrinsèques du principe sacro-saint de l'égalité de tous les citoyens.

268 Alain Didier Olinga, « La protection des minorités et des populations autochtones en droit public camerounais », Ibid., p. 276.

269 Voir le journal Cameroon Tribune no 6036, mardi 13 février 1996, p. 6, cité par Bernard Guimdo Dogmo, « Reconnaissance des minorités et démocratie : Duel ou duo ? », Annales de la faculté des sciences juridiques et politiques de l'université de Dschang, Tome 1, volume 1, 1997, p.127.

270 En effet, l'usage des expressions « hégémonie non » et « majorité ethnique » conduit à subodorer de façon objective que, du fait de leur infériorité numérique dans la ville de Douala, les sawa se voyaient, à tort ou à raison, presque naturellement écartés ou éloignés de la possibilité d'accéder à des postes électifs au sein de leur ville d'origine. C'est cette phobie qui justifie manifestement leurs revendications.

271Ibid, p. 128.

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Des mouvements de revendications identitaires similaires à celui précité se sont fait entendre de part et autre du pays272 ; donnant ainsi à penser que leur montée traduit une sorte de rejet du modèle de citoyenneté qui prévalait en ce moment-là, c'est-à-dire la citoyenneté universelle, à laquelle il fallait apporter des correctifs.

Dès lors, pour certains, il fallait absolument parvenir à la reconnaissance d'une citoyenneté spécifique des minorités et des autochtones en vue de garantir pour eux une certaine équité. D'ailleurs, cette idée avait entre-temps été défendue par une frange de la doctrine camerounaise de droit public273 . A s'en tenir à cette tendance doctrinale, l'objectif de construction de l'Etat-nation camerounais qui fasse abstraction de l'ethnicité ou de la tribalité dont les pendants sont la minorité et l'autochtonie, ne relèverait purement que de l'utopie274.

Toutefois, il convient de relever les tares et les avatars de la reconnaissance des statuts particuliers de citoyen, notamment le dépouillement de la notion de citoyenneté.

272 En effet, « pour les "Forces vives du Littoral", il faut une juste répartition des minorités autochtones dans la région par des mécanismes appropriés en tenant compte des spécificités de chaque province. Pour les populations du Sud, le chef de l'exécutif de la région devrait être élu parmi les ressortissants de la région (...). L'ASFESEM propose quant à elle la consécration du terme "autochtone" et le recrutement des membres du conseil régional et de l'exécutif communal parmi les autochtones. La distinction entre autochtone et allogène est soulignée par la contribution d'une "partie de l'élite extérieure de l'Est" au débat constitutionnel ». Lire Hélène-Laure Menthong, op.cit. pp. 76-77.

273 Le Pr. par exemple dit que la question des minorités et des populations autochtones est une « Noble préoccupation dont l'objet est de d'assurer la participation de toutes les couches citoyennes à la gestion des affaires publiques. Envisagée comme une formule de soutien aux populations en situation de faiblesse, le principe se comprend sans difficultés notamment à travers les lois forestières, domaniales, les lois électorales ». Lire Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre constitutionnel camerounais », op. cit., p. 163.

Le Pr. Luc Sindjoun affirme quant à lui que : « la proclamation des droits des minorités relève de la reconnaissance de l'égalité entre personnes, du respect de l'appartenance des individus à des communautés ». Lire Luc Sindjoun, « La démocratie est-elle soluble dans le pluralisme culturel ? Eléments pour une discussion politiste de la démocratie dans les sociétés plurales », Introduction inaugurale au colloque international Fracophonie-Commonwealth sur la démocratie et les sociétés plurielles, Yaoundé, 2000.

Abondant dans le même sens, le Pr. James Mouanguè Kobila affirme quant à lui que : « la codification de la protection des minorités et des populations autochtones en 1996 a davantage consisté à refléter le droit positif qu'à reconnaître des droits nouveaux, même si elle est riche en virtualités. Elle est par conséquent plus descriptive que réformatrice » 273 . Lire James Mouanguè Kobila, « Droit de la participation politiques des minorités et des populations autochtones. L'application de l'exigence constitutionnelle de la prise en compte des composantes sociologiques de la circonscription dans la constitution des listes de candidats aux élections au Cameroun », revue française de droit constitutionnel, no 75, juillet 2008, revue trimestrielle, pp. 629-664 (spéc. p. 653).

274 A ce sujet, le Le Pr. Etienne Charles Lékéné Donfack disaitt que : « Dans le continent, nous préconisons l'Etat Pluri-ethnique, calqué sur notre pluralisme, c'est-à-dire sur nos éléments hétérogènes au sein desquels se sont établis les différentes formes de consensus qui permettent des échanges ». Voir Etienne Charles Lékéné Donfack, L'expérience du fédéralisme camerounais : Les causes et les enseignements d'un échec, Tome II, Thèse pour le doctorat d'Etat en droit de l'université de Clermont 1, Faculté de droit et des sciences politiques, octobre 1979, p. 330.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry