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La citoyenneté en droit constitutionnel camerounais


par Ampère Romuald NGASSAM KANGUE
Université de Douala - Master 2 en droit public 2015
  

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A. La participation politique comme un moyen de prise

en main de l'intérêt général par le citoyen

La participation politique est un moyen aux mains du citoyen par lequel il assume en quelque sorte la société toute entière. Ainsi, autant que nous présenterons l'enjeu de cette assertion (1), de même nous en évoquerons les limites (2).

1. L'enjeu

Lorsque la participation politique est effective, cela est une illustration de ce que les citoyens ont pleinement conscience de l'enjeu de l'intérêt général, qui s'exprime aussi bien à l'échelle nationale que locale. D'ailleurs, « La participation est l'élément clé de la définition de la citoyenneté »229. Kymlicka et Norman élaborent deux conceptualisations différentes des théories de la citoyenneté. Il s'agit de « la citoyenneté comme statut légal permettant une participation pleine et entière dans une communauté politique particulière, et la citoyenneté comme activité souhaitable, où la qualité de la citoyenneté est fonction du degré de participation dans la communauté politique ».230

Ainsi, dans un système de démocratie représentative, tel que consacré par les art. 2 al.1

et 4 de la constitution du Cameroun231, la participation électorale se révèle comme une condition d'existence du citoyen. A l'occasion de l'élection par exemple, l'intérêt général s'avère être plus que jamais un enjeu décisif. C'est dans cette logique que l'électeur suit la campagne électorale, à l'effet de se faire une idée plus ou moins précise sur le contenu des programmes présentés par chacun des candidats ou listes de candidats en compétition. Dès lors, il peut savoir justement lequel de ces programmes répond le mieux à ses aspirations propres et aussi à celles de la communauté toute entière. En effet, « grâce au vote, il devient possible de se représenter la Nation en acte, sinon d'interpréter ses volontés »232. Dans le

229 Yves Déloye, Olivier Ihl, L'acte de vote, op. cit., p. 25.

230 François Rocher, «Citoyenneté fonctionnelle et État multinational : pour une critique du Jacobinisme juridique et de la quête d'homogénéité », in Michel Coutu, Pierre Bosset, et al. op.cit., pp. 201- 235, (spéc. p. 208).

231 L'art. 2 al. 1 dispose que : « La souveraineté nationale appartient au peuple camerounais qui l'exerce soit par l'intermédiaire du Président de la République et des membres du Parlement... » ; l'art. 4 quant à lui affirme que : « L'autorité de l'Etat est exercée par le Président de la République ; le Parlement ».

232 Yves Déloye, Olivier Ihl, L'acte de vote, op.cit., p. 47.

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même sens, l'on fera observer que « voter est un droit, mais aussi un devoir engageant la conscience de l'individu nécessairement lié à l'intérêt général et à la destinée de la communauté »233.

De toutes les façons, tout programme politique de candidat à une élection revêt déjà en lui-même des considérations d'intérêt général, car il est conçu pour être soumis aux électeurs, c'est-à-dire les gouvernés d'une part, et que d'autre part, sa mise en oeuvre future, après approbation populaire, se fait dans le cadre de la société politique globale.

C'est donc fort de son imprégnation des différentes offres politiques que l'électeur introduit logiquement tel ou tel bulletin de vote dans l'urne. Par cet acte, il participe déjà à l'entame de la satisfaction de l'intérêt général ; d'autant plus que selon le Pr. Luc Sindjoun, au Cameroun, « Les élections sont [...] des moments de promesses d'avantages matériels ou immatériels, de réalisations d'infrastructures routières, sanitaires, éducatives, ..., par (ou grâce) à l'Etat »234.

Dans le même sillage, le Pr. Alain Didier Olinga et Patrice Bigombè Logo affirmeront que : « la participation politique exige de sortir de l'individualisme pour s'assumer comme partie d'un tout dont on est solidaire »235. Dans la même logique, Ils poursuivent en disant que : « l'effectivité de la participation politique exige un environnement particulier, dans lequel l'idée même de bien commun a pris corps, [...], où la conviction d'un destin commun à la réalisation duquel l'on est disposé à apporter sa part est confortée »236.

Ainsi donc, la participation politique en général et électorale en particulier est une illustration de la pleine connaissance par le citoyen des enjeux qui engagent la société politique dans laquelle il vit ; c'est donc là un moyen de recherche ou de préservation de l'intérêt général.

C'est dans cette logique que peut s'inscrire d'une certaine manière la théorie du vote utilitaire ou vote rationnel, dont fait allusion Engueleguele Maurice, pour qui ce vote se caractérise par « la montée en force du questionnement relatif aux programmes des partis politiques »237.

233 Anne Muxel, « L'absention : Déficit démocratique ou vitalité politique ? », revue pouvoirs, Voter, no 120, pp. 43-55, (spéc. p. 45).

234 Luc Sindjoun, « Le paradigme de la compétition électorale dans la vie politique : entre tradition de monopole politique, Etat parlementaire et Etat seigneurial », in : Sindjoun Luc, (dir.), La révolution passive au Cameroun : Etat, société et changement, Karthala-Codesria, 2000, pp. 269-329 (spéc. p. 320).

235 A.D. Olinga, Patrice Bigombè Logo, op. cit., p188.

236 ibidem.

237 Maurice Engueleguele, «Le paradigme économique et l'analyse électorale africaniste : piste d'enrichissement ou source de nouvelles impasses ? », in Colloque AFSP-CEAN : Voter en Afrique : différenciations et comparaisons, 7-8 mars 2002, p.9.

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Cependant, l'endossement de la participation politique sur les considérations d'intérêt général n'est pas absolu.

2. Les limites

Il convient de relever ici que l'acte de vote en particulier ne constitue pas toujours un instrument par lequel le citoyen manifeste son souci de contribuer à la garantie de l'intérêt général comme cela a été démontré plus haut. En effet, au Cameroun le vote n'est pas toujours revêtu de son caractère utilitaire ; mais constitue plutôt un acte de solidarité restreinte.

Le vote solidaire consiste pour le citoyen-électeur d'opérer son choix en fonction, prioritairement ou exclusivement d'un lien de nature tribale, religieuse ou linguistique existant entre lui et le candidat à une élection. Maurice Engueleguele disait à ce propos que : « Les choix politiques des électeurs africains lors des scrutins organisés depuis 1990 ont été largement présentés comme exclusivement déterminés par des sentiments de solidarité, de loyauté, d'allégeance au groupe d'appartenance; ils seraient fonction de l'affiliation sociale et non des calculs d'utilité »238.

Ainsi, le phénomène de vote tribal est patent. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder la carte électorale du Cameroun dessinée depuis les premières consultations électorales multipartistes, et dont les traits sont restés quasiment intacts jusqu'à nos jours. En effet, l'essentiel des partis politiques et leurs leaders avec, ont pour l'essentiel, un ancrage davantage ethno-régional que national239. Dans cet ordre d'idées, le Pr. Luc Sindjoun déclare que : « L'implantation partisane des partis politiques au Cameroun concourt à la construction partisane de la périphérie. [...] dans un contexte de girondinisme'', c'est-à-dire de régionalisation de la vie politique, les partis politiques forment leurs électeurs ou leurs sympathisants dans la perspective de la consolidation de l'habitus local ou paroissial'' »240. Suivant le même raisonnement, il poursuit en disant que : « L'interaction entre

238 Maurice Engueleguele, op.cit., p.3.

239 Très peu de partis politiques en effet connaissent une implantation nationale. Pour la grande majorité d'entre eux, le marquage territorial se résume limitativement à la région ou au département d'origine de son leader.

240 Luc Sindjoun, L'Etat ailleurs. Entre noyau dur et case vide, éd. Economica, 2002, pp. 229-230.

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girondinisme'' et construction partisane de la périphérie contribue à fragiliser le centre comme point de totalisation de l'espace »241.

Pour fournir quelques clichés de cette observation du Pr Luc Sindjoun, l'on dira que l'UPC, perçu comme le parti des Bassa et l'UDC étiqueté comme le parti des Bamoun, pour ne prendre que ces deux cas, n'ont obtenu la totalité de leurs sièges à l'Assemblée Nationale à l'issue de l'élection législative du 30 septembre 2013, que dans les départements du Nyong et kellé242 et du Noun243 respectivement244.

Comme on peut le voir, le vote au Cameroun est presque fatalement soumis à un déterminisme communautaro-tribal, qui constitue véritablement un enferment du citoyen. Dès lors, il ne peut résulter de ce contexte qu'un dévoiement de la citoyenneté ; car l'attachement affectif pour sa communauté et/ou pour le candidat originaire de sa communauté tribale est susceptible à bien des égards de détourner le citoyen de toute objectivité dans son choix électoral. Ce risque est d'autant plus grand que la compétition politique et électorale peut se déplacer sur le plan communautaire, aboutissant ainsi à une opposition tribale souterraine ou visible.

B. De nouvelles perspectives de participation politique

à l'aune de la décentralisation au Cameroun

A la faveur de la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996, la décentralisation a été consacrée au Cameroun245. Cette technique d'organisation territoriale de l'Etat entraine l'émergence de ce qu'il convient d'appeler la citoyenneté locale. Cette dernière permet en fait une plus grande implication des populations dans la gestion des affaires de la cité. En cela, elle crée une certaine proximité ente les gouvernants locaux et les populations locales, ouvrant inéluctablement à l'égard de ces dernières un grand champ de participation politique.

Tranchant avec les affirmations de M. Jean Kenfack selon lesquelles « la collectivité territoriale décentralisée est approchée moins comme un cadre d'épanouissement citoyen

241 Ibid, p. 230.

242 Le département du Nyong et Kellé est le territoire de localisation de l'ethnie bassa.

243 Le département du Noun est le territoire de localisation de l'ethnie bamoun.

244 Cf. le « Rapport général sur le déroulement du double scrutin législatif et municipal du 30 septembre 2013 », p. 269.

245 En effet, l'art. 1er al.2 de la Constitution dispose que : « La République du Cameroun est un Etat unitaire décentralisé ». Dans le même sillage, le titre x du même texte est exclusivement consacré aux collectivités territoriales décentralisées.

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qu'un cadre de gestion administrative »246, nous ferons plutôt observer qu'en conséquence de la définition du domaine des affaires locales247, le sens fonctionnel de la citoyenneté, qui met en avant l'idée de contribution 248 , permet désormais aux citoyens de s'ingérer significativement dans la gouvernance locale. En effet, la loi no 2004/17 du 22 juillet 2004 portant loi d'orientation de la décentralisation élève le citoyen local au rang d'interlocuteur majeur de l'administration de la collectivité décentralisée. Elle prévoit notamment que : « Toute personne physique ou morale peut formuler, à l'intention de l'exécutif régional ou communal, toutes propositions tendant à impulser le développement de la collectivité territoriale concernée et/ou à améliorer son fonctionnement »249. Cette disposition met ainsi en exergue le développement participatif, qui implique justement une grande implication des citoyens dans l'élaboration et la mise en oeuvre des actions de développement.

D'une autre manière, la participation politique est effective si « Tout habitant ou contribuable d'une collectivité territoriale peut, à ses frais, demander communication ou prendre copie totale ou partielle des procès-verbaux du conseil régional ou du conseil municipal, des budgets, comptes ou arrêtés revêtant un caractère réglementaire, suivant des modalités fixées par voie réglementaire »250.

Au regard de ce qui suit, l'on est bien loin de l'idée de l' l'effacement de l'individu, habitant de la collectivité territoriale décentralisée, avec pour conséquence sa « mise à l'écart de son statut de citoyen pour ne retenir que celui d'usager, de justiciable, de contribuable ou d'électeur »251. Mais au contraire,il ressort clairement des dispositions suscitées que dans le cadre de la décentralisation au Cameroun, le citoyen n'est pas seulement confiné dans les seuls rôles d'élire les autorités locales ou de payer diverses taxes. Bien plus que cela, il représente davantage un acteur influent de la gestion participative des collectivités locales, au regard par exemple de son droit à l'information252.

246 Jean Kenfack, « Les perspectives de participation offertes par l'avènement des collectivités territoriales décentralisées », in Alain Ondoua (dir.), op. cit., p. 206.

247 L'Etat transfère aux collectivités territoriales des compétences dans les matières nécessaires à leur développement économique, social, sanitaire, éducatif, culturel et sportif. Ces matières constituent les affaires dites locales

248 Voir en ce sens Tarik Zair, Citoyenneté et démocratie participative au Maroc, les conditions de la construction d'un modèle », op. cit.,p. 3. L'auteur énonce que « Prise dans un sens fonctionnel, la citoyenneté est perçue en termes de contribution avant d'être une existence ».

249 Voir l'art. 13 al.1de la loi no 2004/17 du 22 juillet 2004 portant loi d'orientation de la décentralisation.

250 Voir l'art. 13 al.2 de la loi no 2004/17 du 22 juillet 2004 portant loi d'orientation de la décentralisation.

251 Jean Kenfack, op. cit., p. 214.

252Cf. art. 37 al.1 et 40 al.1de la loi no 2004/018 du 22 juillet 2004, fixant les règles applicables aux commmunes.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams