A. La participation politique comme un moyen de prise
en main de l'intérêt
général par le citoyen
La participation politique est un moyen aux mains du citoyen
par lequel il assume en quelque sorte la société toute
entière. Ainsi, autant que nous présenterons l'enjeu de cette
assertion (1), de même nous en évoquerons les limites (2).
1. L'enjeu
Lorsque la participation politique est effective, cela est une
illustration de ce que les citoyens ont pleinement conscience de l'enjeu de
l'intérêt général, qui s'exprime aussi bien à
l'échelle nationale que locale. D'ailleurs, « La participation est
l'élément clé de la définition de la
citoyenneté »229. Kymlicka et Norman élaborent
deux conceptualisations différentes des théories de la
citoyenneté. Il s'agit de « la citoyenneté comme statut
légal permettant une participation pleine et entière dans une
communauté politique particulière, et la citoyenneté comme
activité souhaitable, où la qualité de la
citoyenneté est fonction du degré de participation dans la
communauté politique ».230
Ainsi, dans un système de démocratie
représentative, tel que consacré par les art. 2 al.1
et 4 de la constitution du Cameroun231, la
participation électorale se révèle comme une condition
d'existence du citoyen. A l'occasion de l'élection par exemple,
l'intérêt général s'avère être plus que
jamais un enjeu décisif. C'est dans cette logique que l'électeur
suit la campagne électorale, à l'effet de se faire une
idée plus ou moins précise sur le contenu des programmes
présentés par chacun des candidats ou listes de candidats en
compétition. Dès lors, il peut savoir justement lequel de ces
programmes répond le mieux à ses aspirations propres et aussi
à celles de la communauté toute entière. En effet, «
grâce au vote, il devient possible de se représenter la Nation en
acte, sinon d'interpréter ses volontés »232. Dans
le
229 Yves Déloye, Olivier Ihl, L'acte de vote,
op. cit., p. 25.
230 François Rocher, «Citoyenneté
fonctionnelle et État multinational : pour une critique du Jacobinisme
juridique et de la quête d'homogénéité »,
in Michel Coutu, Pierre Bosset, et al. op.cit., pp.
201- 235, (spéc. p. 208).
231 L'art. 2 al. 1 dispose que : « La souveraineté
nationale appartient au peuple camerounais qui l'exerce soit par
l'intermédiaire du Président de la République et des
membres du Parlement... » ; l'art. 4 quant à lui affirme que :
« L'autorité de l'Etat est exercée par le Président
de la République ; le Parlement ».
232 Yves Déloye, Olivier Ihl, L'acte de vote,
op.cit., p. 47.
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même sens, l'on fera observer que « voter est un
droit, mais aussi un devoir engageant la conscience de l'individu
nécessairement lié à l'intérêt
général et à la destinée de la communauté
»233.
De toutes les façons, tout programme politique de
candidat à une élection revêt déjà en
lui-même des considérations d'intérêt
général, car il est conçu pour être soumis aux
électeurs, c'est-à-dire les gouvernés d'une part, et que
d'autre part, sa mise en oeuvre future, après approbation populaire, se
fait dans le cadre de la société politique globale.
C'est donc fort de son imprégnation des
différentes offres politiques que l'électeur introduit
logiquement tel ou tel bulletin de vote dans l'urne. Par cet acte, il participe
déjà à l'entame de la satisfaction de
l'intérêt général ; d'autant plus que selon le Pr.
Luc Sindjoun, au Cameroun, « Les élections sont [...] des moments
de promesses d'avantages matériels ou immatériels, de
réalisations d'infrastructures routières, sanitaires,
éducatives, ..., par (ou grâce) à l'Etat
»234.
Dans le même sillage, le Pr. Alain Didier Olinga et
Patrice Bigombè Logo affirmeront que : « la participation politique
exige de sortir de l'individualisme pour s'assumer comme partie d'un tout dont
on est solidaire »235. Dans la même logique, Ils
poursuivent en disant que : « l'effectivité de la participation
politique exige un environnement particulier, dans lequel l'idée
même de bien commun a pris corps, [...], où la conviction d'un
destin commun à la réalisation duquel l'on est disposé
à apporter sa part est confortée »236.
Ainsi donc, la participation politique en
général et électorale en particulier est une illustration
de la pleine connaissance par le citoyen des enjeux qui engagent la
société politique dans laquelle il vit ; c'est donc là un
moyen de recherche ou de préservation de l'intérêt
général.
C'est dans cette logique que peut s'inscrire d'une certaine
manière la théorie du vote utilitaire ou vote rationnel, dont
fait allusion Engueleguele Maurice, pour qui ce vote se caractérise par
« la montée en force du questionnement relatif aux programmes des
partis politiques »237.
233 Anne Muxel, « L'absention : Déficit
démocratique ou vitalité politique ? », revue
pouvoirs, Voter, no 120, pp. 43-55, (spéc.
p. 45).
234 Luc Sindjoun, « Le paradigme de la compétition
électorale dans la vie politique : entre tradition de monopole
politique, Etat parlementaire et Etat seigneurial », in :
Sindjoun Luc, (dir.), La révolution passive au Cameroun : Etat,
société et changement, Karthala-Codesria, 2000, pp. 269-329
(spéc. p. 320).
235 A.D. Olinga, Patrice Bigombè Logo, op. cit.,
p188.
236 ibidem.
237 Maurice Engueleguele, «Le paradigme économique
et l'analyse électorale africaniste : piste d'enrichissement ou source
de nouvelles impasses ? », in Colloque AFSP-CEAN : Voter en
Afrique : différenciations et comparaisons, 7-8 mars 2002, p.9.
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Cependant, l'endossement de la participation politique sur les
considérations d'intérêt général n'est pas
absolu.
2. Les limites
Il convient de relever ici que l'acte de vote en particulier
ne constitue pas toujours un instrument par lequel le citoyen manifeste son
souci de contribuer à la garantie de l'intérêt
général comme cela a été démontré
plus haut. En effet, au Cameroun le vote n'est pas toujours revêtu de son
caractère utilitaire ; mais constitue plutôt un acte de
solidarité restreinte.
Le vote solidaire consiste pour le citoyen-électeur
d'opérer son choix en fonction, prioritairement ou exclusivement d'un
lien de nature tribale, religieuse ou linguistique existant entre lui et le
candidat à une élection. Maurice Engueleguele disait à ce
propos que : « Les choix politiques des électeurs africains lors
des scrutins organisés depuis 1990 ont été largement
présentés comme exclusivement déterminés par des
sentiments de solidarité, de loyauté, d'allégeance au
groupe d'appartenance; ils seraient fonction de l'affiliation sociale et non
des calculs d'utilité »238.
Ainsi, le phénomène de vote tribal est patent.
Pour s'en convaincre, il suffit de regarder la carte électorale du
Cameroun dessinée depuis les premières consultations
électorales multipartistes, et dont les traits sont restés
quasiment intacts jusqu'à nos jours. En effet, l'essentiel des partis
politiques et leurs leaders avec, ont pour l'essentiel, un ancrage davantage
ethno-régional que national239. Dans cet ordre
d'idées, le Pr. Luc Sindjoun déclare que : « L'implantation
partisane des partis politiques au Cameroun concourt à la construction
partisane de la périphérie. [...] dans un contexte de
girondinisme'', c'est-à-dire de régionalisation de la
vie politique, les partis politiques forment leurs électeurs ou leurs
sympathisants dans la perspective de la consolidation de l'habitus local ou
paroissial'' »240. Suivant le même
raisonnement, il poursuit en disant que : « L'interaction entre
238 Maurice Engueleguele, op.cit., p.3.
239 Très peu de partis politiques en effet connaissent
une implantation nationale. Pour la grande majorité d'entre eux, le
marquage territorial se résume limitativement à la région
ou au département d'origine de son leader.
240 Luc Sindjoun, L'Etat ailleurs. Entre noyau dur et case
vide, éd. Economica, 2002, pp. 229-230.
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girondinisme'' et construction partisane de la
périphérie contribue à fragiliser le centre comme point de
totalisation de l'espace »241.
Pour fournir quelques clichés de cette observation du
Pr Luc Sindjoun, l'on dira que l'UPC, perçu comme le parti des Bassa et
l'UDC étiqueté comme le parti des Bamoun, pour ne prendre que ces
deux cas, n'ont obtenu la totalité de leurs sièges à
l'Assemblée Nationale à l'issue de l'élection
législative du 30 septembre 2013, que dans les départements du
Nyong et kellé242 et du Noun243
respectivement244.
Comme on peut le voir, le vote au Cameroun est presque
fatalement soumis à un déterminisme communautaro-tribal, qui
constitue véritablement un enferment du citoyen. Dès lors, il ne
peut résulter de ce contexte qu'un dévoiement de la
citoyenneté ; car l'attachement affectif pour sa communauté et/ou
pour le candidat originaire de sa communauté tribale est susceptible
à bien des égards de détourner le citoyen de toute
objectivité dans son choix électoral. Ce risque est d'autant plus
grand que la compétition politique et électorale peut se
déplacer sur le plan communautaire, aboutissant ainsi à une
opposition tribale souterraine ou visible.
B. De nouvelles perspectives de participation
politique
à l'aune de la décentralisation au
Cameroun
A la faveur de la réforme constitutionnelle du 18
janvier 1996, la décentralisation a été consacrée
au Cameroun245. Cette technique d'organisation territoriale de
l'Etat entraine l'émergence de ce qu'il convient d'appeler la
citoyenneté locale. Cette dernière permet en fait une plus grande
implication des populations dans la gestion des affaires de la cité. En
cela, elle crée une certaine proximité ente les gouvernants
locaux et les populations locales, ouvrant inéluctablement à
l'égard de ces dernières un grand champ de participation
politique.
Tranchant avec les affirmations de M. Jean Kenfack selon
lesquelles « la collectivité territoriale
décentralisée est approchée moins comme un cadre
d'épanouissement citoyen
241 Ibid, p. 230.
242 Le département du Nyong et Kellé est le
territoire de localisation de l'ethnie bassa.
243 Le département du Noun est le territoire de
localisation de l'ethnie bamoun.
244 Cf. le « Rapport général sur
le déroulement du double scrutin législatif et municipal du 30
septembre 2013 », p. 269.
245 En effet, l'art. 1er al.2 de la Constitution
dispose que : « La République du Cameroun est un Etat unitaire
décentralisé ». Dans le même sillage, le titre x du
même texte est exclusivement consacré aux collectivités
territoriales décentralisées.
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qu'un cadre de gestion administrative »246,
nous ferons plutôt observer qu'en conséquence de la
définition du domaine des affaires locales247, le sens
fonctionnel de la citoyenneté, qui met en avant l'idée de
contribution 248 , permet désormais aux citoyens de
s'ingérer significativement dans la gouvernance locale. En effet, la loi
no 2004/17 du 22 juillet 2004 portant loi d'orientation de la
décentralisation élève le citoyen local au rang
d'interlocuteur majeur de l'administration de la collectivité
décentralisée. Elle prévoit notamment que : « Toute
personne physique ou morale peut formuler, à l'intention de
l'exécutif régional ou communal, toutes propositions tendant
à impulser le développement de la collectivité
territoriale concernée et/ou à améliorer son
fonctionnement »249. Cette disposition met ainsi en exergue le
développement participatif, qui implique justement une grande
implication des citoyens dans l'élaboration et la mise en oeuvre des
actions de développement.
D'une autre manière, la participation politique est
effective si « Tout habitant ou contribuable d'une collectivité
territoriale peut, à ses frais, demander communication ou prendre copie
totale ou partielle des procès-verbaux du conseil régional ou du
conseil municipal, des budgets, comptes ou arrêtés revêtant
un caractère réglementaire, suivant des modalités
fixées par voie réglementaire »250.
Au regard de ce qui suit, l'on est bien loin de l'idée
de l' l'effacement de l'individu, habitant de la collectivité
territoriale décentralisée, avec pour conséquence sa
« mise à l'écart de son statut de citoyen pour ne retenir
que celui d'usager, de justiciable, de contribuable ou d'électeur
»251. Mais au contraire,il ressort clairement des dispositions
suscitées que dans le cadre de la décentralisation au Cameroun,
le citoyen n'est pas seulement confiné dans les seuls rôles
d'élire les autorités locales ou de payer diverses taxes. Bien
plus que cela, il représente davantage un acteur influent de la gestion
participative des collectivités locales, au regard par exemple de son
droit à l'information252.
246 Jean Kenfack, « Les perspectives de participation
offertes par l'avènement des collectivités territoriales
décentralisées », in Alain Ondoua (dir.),
op. cit., p. 206.
247 L'Etat transfère aux collectivités
territoriales des compétences dans les matières
nécessaires à leur développement économique,
social, sanitaire, éducatif, culturel et sportif. Ces matières
constituent les affaires dites locales
248 Voir en ce sens Tarik Zair, Citoyenneté et
démocratie participative au Maroc, les conditions de la construction
d'un modèle », op. cit.,p. 3. L'auteur énonce que
« Prise dans un sens fonctionnel, la citoyenneté est perçue
en termes de contribution avant d'être une existence ».
249 Voir l'art. 13 al.1de la loi no 2004/17 du 22
juillet 2004 portant loi d'orientation de la décentralisation.
250 Voir l'art. 13 al.2 de la loi no 2004/17 du 22
juillet 2004 portant loi d'orientation de la décentralisation.
251 Jean Kenfack, op. cit., p. 214.
252Cf. art. 37 al.1 et 40 al.1de la loi
no 2004/018 du 22 juillet 2004, fixant les règles applicables
aux commmunes.
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