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La citoyenneté en droit constitutionnel camerounais


par Ampère Romuald NGASSAM KANGUE
Université de Douala - Master 2 en droit public 2015
  

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SECTION 2 : LE DENI DE CITOYENNETE PAR LES ATTEINTES

A L'INTERET GENERAL

S'il est admis que l'intérêt général constitue l'un des aspects essentiels de la citoyenneté ; lequel se pose comme supérieurs aux intérêts individuels211. Cependant, le déclin de l'intérêt général dans le contexte camerounais est manifeste à travers la montée de l'individualisme, qui se dresse véritablement comme une atteinte à la citoyenneté républicaine (§ 1). Face à cela, la réalisation dudit intérêt général peut tout de même emprunter la voie de la participation politique (§ 2).

Paragraphe 1 : L'INDIVIDUALISME COMME UNE ATTEINTE A LA CITOYENNETE REPUBLICAINE

Les sociétés africaine en général et camerounaise en particulier ont depuis toujours été caractérisées par leur forme communautaire, marquée par l'existence de systèmes de solidarité entre les individus. Cela fait en sorte que l'individu est « subordonné à la collectivité, car c'est du bien public que dépend le bien individuel »212. Or, l'individualisme entraine la rupture de cette relation. Il signifie d'une part la « tendance à s'affirmer indépendamment des autres », et d'autre part la « tendance à privilégier la valeur et les droits de l'individu contre les valeurs et droits des groupes sociaux »213. C'est la seconde acception

211 C'est le dogme de l'unité nationale qui légitime la suprématie de l'intérêt général sur les intérêts individuels particuliers, le premier garantissant les seconds ; car le citoyen est tout d'abord un sujet de la Nation dont la condition d'existence est l'unité. Ainsi, si l'intérêt général repose dans la sacralité de l'unité nationale, cela veut dire que les intérêts privés ne peuvent que lui être inférieurs.

212 Jean-Claude Kamdem, « Personne, culture et droits en Afrique noire », in Henri Pallard, Stamatios Tzitzis (dir.), Droits fondamentaux et spécificités culturelles, Paris, éd. L'Harmattan, 1997, pp. 95-117, (spéc. p. 100).

213 Cf. le dictionnaire Petit Robert, op. cit., p. 542.

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qui sied le mieux à notre analyse, dans laquelle nous montrerons d'abord les dérives de l'individualisme au Cameroun (A) avant d'en analyser ensuite l'impact (B).

A. Les dérives de l'individualisme au Cameroun

L'individualisme se manifeste au Cameroun aussi bien dans la sphère de l'administration publique que dans la sphère sociétale toute entière. D'ailleurs dans une adresse à la Nation, le Chef de l'Etat l'a lui-même reconnu sans ambages. Ses déclarations peuvent ainsi nous servir de grille d'analyse dans ce segment.

Ainsi, si l'intérêt individuel en vient à supplanter l'intérêt général, cela peut notamment résulter d'une certaine déstructuration des rapports du citoyen à la société globale, liée au dépérissement des valeurs collectives d'une part (1), et de la « privatisation » du service public d'autre part (2).

1. La déstructuration des rapports du citoyen à la société globale : Le dépérissement des valeurs collectives

A ce niveau, nous entendons expliquer l'idée selon laquelle les citoyens au Cameroun se caractérisent par une sorte de duplicité quant à leur identification. En effet, ces derniers s'identifient selon deux repères.

Il y a d'abord les repères primaires, c'est-à-dire que les citoyens s'identifient premièrement par rapports à leur origine tribale ou ethno communautaire

Ensuite ; il y a le repère d'unité national par lequel les citoyens ne s'identifie que secondairement.

En se détournant des contraintes sociales ou culturelles et des valeurs qui ont été érigées en ciment de la société camerounaise à un moment ou à un autre de l'évolution historique, politique, sociale ou constitutionnelle du pays, le citoyen marque par là son individualisme. Il s'agit d'une attitude négative car l'individu, citoyen de l'Etat, s'écarte ainsi des contraintes sociales mythiques telles que la politesse, le patriotisme, les devoirs civiques, la solidarité etc. Lorsque le citoyen se démarque de la sorte de la société globale, il se produit alors chez lui une désintégration sociale, et donc, un désintérêt pour les valeurs et les enjeux collectifs.

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C'est cet individualisme que dénonçait le Président de la République Paul Biya dans son traditionnel discours à la Nation, en le considérant comme l'une des tares majeures de notre société. A ce sujet, le Chef de L'Etat affirmait ce qui suit : « Bien qu'attachés à nos communautés d'origine - ce qui ne nous empêche pas d'être de fervents patriotes lorsque l'honneur national est en jeu - nous sommes un peuple d'individualistes, plus préoccupés de réussite personnelle que d'intérêt général »214. Il poursuivait en disant que : « Dans un Etat moderne, cette dérive ne doit pas être tolérée »215.

De l'exégèse de ces propos216, il ressort que l'individualisme au Cameroun revêt un caractère tribal, qui se traduit par un repli identitaire des citoyens vers leur communauté tribale, entrainant justement des revendications de type communautariste. Les individus affichent davantage leur préférence pour leur tribu ou leur région d'origine217 ; donnant ainsi lieu à la construction de diverses solidarités primaires de nature tribale ou ethno régionale ; lesquelles se dressent en réalité contre la solidarité et l'unité nationales.

Dans ce sens, Alain-Gérard Slama affirmait que : « la disparition des fondements nationaux du lien social entraîne des mouvements inévitables de repli des citoyens [...] vers d'autres références, d'autres appartenances. Ainsi se comprend [...] la diffusion d'un individualisme tribal fait de revendications catégorielles, corporatistes et communautaires »218.

Dans un contexte où le pôle ethno régional est devenu de plus en plus la plateforme favorite de revendication citoyenne, les individus sollicitent telle ou telle prestation vis-à-vis de l'Etat, non pas en raison de leur statut de citoyen tout court219, mais du fait de leur appartenance à une tribu ou à une région donnée220. Pourtant le seul titre de citoyen de l'Etat suffit, par lui-même à fonder des revendications ou des créances légitimes vis-à-vis dudit Etat,

214 Voir le message du Chef de l'Etat S.E. Paul Biya à la Nation, le 31 décembre 2013.

215 Ibidem.

216 Puisque ces propos portant sur la dénonciation de l'individualisme émanent de la plus autorité de l'Etat, celle qui, au sens de l'art. 5 al.2 de la Constitution, incarne l'unité nationale, cela pousse davantage à jeter un grand coup de projecteur sur ce phénomène.

217 A titre d'illustration, nous parlerons du phénomène des lettres ou des mémorandums adressées au gouvernement ou directement au Président de la République qui a pris corps il y'a un certain temps au Cameroun ; et par lesquels les populations d'une région ou d'une tribu, généralement à travers ses élites, réclament de la part de l'Etat des actions spécifiques en termes notamment de construction d'infrastructures diverses.

218 Alain-Gérard Slama, « L'Etat sans citoyens », revue pouvoirs, no 84, 1998, pp. 89-98, (spéc. pp. 97-98).

219 Pourtant à ce titre ils sont déjà normalement créanciers vis-à-vis de l'Etat.

220 C'est dans cette logique que s'inscrivait la revendication des élites de la région de l'Extrême-Nord portant sur l'admission automatique de tous les candidats originaires de cette région qui s'étaient présentés au concours d'entrée à l'école normale de Maroua en 2008. Ce lobbying avait à la fin atteint ses objectifs.

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et, que pour ce faire, le repli sur sa communautaire tribale parait dès lors simplement superfétatoire.

Il est plus qu'évident que les intérêts communautaro-tribaux ou ethno-régionaux ne servent nullement l'intérêt général, entendu comme l'intérêt de l'ensemble national unifié. Mais au contraire, ils le dévoient tout en fragilisant du même coup les piliers de la Nation en construction.

2. La « privatisation » du service public

L'Etat, en tant qu'il est la personnification juridique de la Nation221, apparait comme la première entité qui soit véritablement en même de définir et de protéger efficacement l'intérêt général. C'est dans cette logique que J. Verhoeven affirme que la citoyenneté collective renvoie à une « volonté de fusion des individualités dans une entité unique, seule capable de les porter, d'assumer une responsabilité entière dans la conduite de leur destin. Cette entité c'est l'Etat »222. Par conséquent, s'il est admis que c'est l'Etat qui garantit l'intérêt général, elle le fait à travers son bras séculier, à savoir l'Administration ; laquelle est vouée à l'accomplissement des missions de service public. A ce sujet, le Dr. Jérôme Wandji K. affirme que : « Le droit de la fonction publique [...] repartit les fonctionnaires civils camerounais en différents corps spécifiques qui trouvent leur cohésion dans l'exercice d'activités au service de l'intérêt général »223. Fort de cela, il est donc envisageable d'analyser le dépérissement de l'intérêt général et la montée de l'individualisme dans le cadre du fonctionnement des services publics étatiques.

Recourant une fois de plus au message du Chef de l'Etat précédemment évoqué, l'on en ressort la déclaration selon laquelle « Notre Administration reste perméable à l'intérêt particulier. Ce dernier est le plus souvent incompatible avec l'intérêt de la communauté

221 En effet, Raymond Carré de Malberg voit en l'Etat un « être de droit » « en qui se résume de façon abstraite la collectivité nationale, c'est-à-dire une personne morale dont l'une des fonctions est la personnification dudit groupe humain ». Lire à ce sujet Joseph Owona, Droits constitutionnels et institutions politiques du monde contemporain, étude comparative, op. cit. , p.19.

222 Cf. J. Verhoeven, Conclusions'', In SFDI, Droit international et droit communautaire, perspectives actuelles, Colloque de Bordeaux, Paris, Pedone, 2000, cité par Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre constitutionnel camerounais », op. cit., p. 157.

223 Jérôme Francis Wandji K., « Principes du procès équitable et procédure disciplinaire dans le nouveau droit de la fonction publique au Cameroun », Annales de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l'Université de Dschang, Tome 15, 2011, pp. 283- 317, (spéc. p. 286).

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nationale. Dans un Etat moderne, cette dérive ne doit pas être tolérée »224. L'intérêt particulier ainsi évoqué renverrait à l'incivilité des agents publics, consistant en la pratique de fléaux tels que la corruption, le népotisme, les détournements de deniers publics etc.

Il ressort clairement que l'usage d'une charge publique à des fins personnelles entraine fatalement l'abandon de l'intérêt général. Lequel fonde pourtant le service public d'une part, et constitue un élément fondamental de la citoyenneté d'autre part. Dès lors, le sacrifice de l'intérêt général à l'autel des intérêts privés s'assimile véritablement à un dévoiement de la citoyenneté républicaine et patriotique225.

En somme, la conséquence majeure de la crise de l'intérêt général est la remise en cause de la cohésion sociale.

B. La remise en cause de la cohésion sociale

Au regard de la loi fondamentale du Cameroun, la Nation est une et indivisible. Au rang des facteurs de cette unité de la collectivité des citoyens, figure en bonne place la cohésion sociale. Dans cet ordre d'idées, l'individualisme constituerait un déchirement de cette dernière ; car il entraine une division des citoyens, leur écartèlement entre des aspirations différentes et souvent opposées.

La cohésion sociale correspond à une situation dans laquelle les membres d'une société entretiennent des liens sociaux étroits, partagent les mêmes valeurs et ont le sentiment d'appartenir une même collectivité sociale ou politique. Dans cette optique, peut-on dire que les citoyens camerounais ont véritablement le sentiment de faire partie indifféremment du même Etat ? Mieux, le lien social entre ces derniers est-il suffisamment fort ?

Parlant des liens sociaux, ils désignent l'ensemble des relations qui unissent les individus faisant partie d'une même collectivité telle que l'Etat.

Or, l'individualisme entraine un affranchissement du citoyen des structures qui garantissent la cohésion sociale. Ainsi, le culte de l'individuel au détriment du collectif est la cause de la

224 Cf. le message du Chef de l'Etat S.E. Paul Biya à la Nation, le 31 décembre 2013.

225 A ce propos, Jean-Jacques Rousseau affirmait que chaque homme a « une volonté particulière contraire ou dissemblable à la volonté générale qu'il a comme citoyen ». Voir Lucien Jaume, « La représentation : une fiction malmenée », revue pouvoirs, Voter, no120, pp. 5-16, (spéc. p.9).

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désunion de la société ; d'autant plus que les outils d'intégration sociale tels la morale, la religion, le patriotisme et la famille226 connaissent une certaine fragilisation.

Cette situation contraste clairement avec les idéaux d'unité nationale et de cohésion sociale définis par la Constitution au Cameroun227. La fragilisation de l'intérêt général se produit lorsque le citoyen développe une certaine morale propre qui s'oppose à celle collectivement consacrée.

En outre, la cohésion sociale est autant gravement fragilisée par le phénomène du repli identitaire matérialisé par des revendications particularistes ; car entraine-t-il l'altération du caractère homogène de la citoyenneté de type républicain.

De manière générale, les replis à tendance communautaire se posent en s'opposant souvent à la collectivité des citoyens. Tel est en réalité le fait générateur d'un conflit ouvert entre l'intérêt général de tous les citoyens sans exception et les intérêts particuliers de quelques citoyens seulement. De ce qui précède, il est impérieux d'opérer la resocialisation des citoyens. Cette perspective pourrait passer par une sorte de réarmement moral consistant à inculquer à l'individu des normes et des valeurs républicaines.

Paragraphe 2 : LA REALISATION DE L'INTERET GENERAL AU TRAVERS DE LA PARTICIPATION POLITIQUE

Pour Messieurs Alain Didier Olinga et Patrice Bigombè Logo, la participation politique « signifie l'intérêt manifeste que l'on porte aux choses de la cité, aux affaires qui transcendent les préoccupations individuelles (sans les ignorer) pour rechercher le bien commun, l'intérêt de la communauté dans son ensemble »228. Dans ce cadre, la participation politique apparaît comme une prise en main par le citoyen de l'intérêt général (A). Cette réalité peut par ailleurs être appréciée au regard de nouvelles perspectives offertes par l'avènement de la décentralisation (B).

226 La famille on l'occurrence constitue une instance de socialisation primaire ; c'est ce qui justifie la prescription constitutionnelle selon laquelle « La nation protège et encourage la famille, base naturelle de la société humaine... ». Voir le préambule de la constitution du Cameroun.

227 En effet, le préambule de la constitution dispose que le Peuple camerounais « ... constitue une seule et même nation, engagée dans le même destin... ».

228 Alain Didier Olinga, Patrice Bigombè Logo, « La participation politique et communautaire dans la dynamique de la mise en oeuvre de la Constitution du 18 janvier 1996 », in : Alain Ondoua, (dir.), La Constitution du 18 janvier 1996 : bilan et perspectives, op. cit., pp. 187-202, (spéc. pp. 187-188).

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault