B. Les valeurs comme socle de la citoyenneté
collective
La République se bâtit et se maintient autour de
valeurs fondamentales. Le citoyen devient dès lors le « gardien
incontestable des valeurs républicaines »165, lesquelles
ont de toute manière pour finalité l'édification et la
protection de l'intérêt général. C'est pourquoi
« la vertu du bon citoyen doit appartenir à tous, car c'est la
condition nécessaire pour que la cité soit parfaite
»166. C'est dans ce sens que semblent abonder Yves
Déloye et Olivier Ihl en relevant que la période de la
troisième République en France est une période clé
de la construction de la citoyenneté, en ce sens que « C'est, en
effet, à cette époque que l'idée républicaine
devient, en France, pleinement une idéologie fondatrice : celle d'une
citoyenneté s'appuyant désormais sur un ensemble de valeurs et de
représentations communes »167. Dans le même
sillage, le Pr. Léoplod Donfack Sockeng, écrivait que : « La
polis [...], c'est-à-dire la communauté des citoyens
[...] a besoin pour se constituer et acquérir une identité
spécifique, de forger sa propre conscience collective en construisant un
champ de valeurs sociales »168.
Essentiellement consacrées par le préambule de
la constitution (1), les valeurs de la République camerounaise sont
parallèlement émises par les symboles nationaux, la devise en
l'occurrence (2).
1. Les valeurs consacrées par le
préambule de la constitution
Il ressort du préambule de la constitution que le
peuple « affirme sa volonté inébranlable de construire la
Patrie camerounaise sur la base de l'idéal de fraternité, de
justice et de progrès ». Deux valeurs fondamentales peuvent
être identifiées dans cet énoncé, à savoir la
fraternité (a) et la justice (b).
a) La fraternité
L'idéal de fraternité fait partie des valeurs
sur lesquelles le peuple camerounais entend construire la Patrie.
165 Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre
constitutionnel camerounais », in Ondoua Alain (dir.), La
constitution camerounaise du 18 janvier 1996 : bilan et perspectives, op.
cit., p. 160.
166 Aristote, La politique, op. cit., p. 75.
167 Yves Déloye, Olivier Ihl, L'acte de vote,
Paris, Presses de Sciences Po, 2008, p.327.
168 Léopold Donfack Sockeng, « Fondements et
signification de l'hymne national du Cameroun », SOLON, revue
africaine de parlementarisme et de démocratie, op. cit.,
p. 8.
53
Le dictionnaire Larousse définit le terme
fraternité comme étant : « le lien de solidarité et
d'amitié entre des êtres humains, entre les membres d'une
société »169.
Mais dans son sens anthropologique stricto sensu, ce terme
renvoie au lien de parenté entre frères et soeurs. Dans ce
contexte il exprime l'idée de consanguinité ou de fratrie.
Lato sensu, la fraternité peut être entendue
d'abord comme un lien étroit entre ceux qui, sans nécessairement
être des frères ou des soeurs, se traitent comme tels. Dans ce
cadre, elle renvoie à la concorde, à l'union entre les hommes
formant une communauté nationale notamment. De ce point de vue,
malgré sa forte dimension abstraite et symbolique, elle est un principe
fondateur du vivre ensemble, car elle prône le dépassement des
différences de toutes natures et une prise de conscience chez l'ensemble
des camerounais de la nécessité de la cohésion
nationale.
Au rang des implications majeures de la fraternité, il
y'a la solidarité. Cette dernière s'analyse d'abord comme
l'assistance que la collectivité apporte à ses membres afin
d'assurer leur bien-être. C'est dans cet esprit que la Constitution du
Cameroun affirme que le peuple camerounais est « Résolu à
exploiter ses richesse naturelles afin d'assurer le bien-être de tous en
relevant le niveau de vie des populations sans aucune discrimination...
»170.
La solidarité renvoie aussi à l'assistance que
la collectivité apporte à ceux de ses membres se trouvant dans
une situation économique ou sociale précaire qui les place ainsi
dans un état de vulnérabilité. En clair, en vertu du
devoir de solidarité nationale, toutes les catégories de la
population doivent pouvoir jouir des fruits de la richesse nationale : C'est le
système de l'entraide, qui doit en principe conduire à la
généralisation de la sécurité sociale à
l'ensemble des citoyens.
En outre, la solidarité nationale a obtenue
d'être constitutionnalisée relativement à la
décentralisation. En effet, La loi fondamentale dispose que : «
L'Etat veille au développement harmonieux de toutes les
collectivités territoriales décentralisées sur la base de
la solidarité nationale... »171. La solidarité
dans le domaine de la décentralisation territoriale se justifie par le
souci de promouvoir un développement plus ou moins
équilibré des collectivités territoriales
décentralisées, ceci en réduisant autant que possible les
disparités existant entre elles.
169 Cf. Le Petit Larousse. Grand format, Paris,
éd. Larousse, 2001, p. 451.
170 Voir le préambule de la constitution du Cameroun.
171 Voir l'art. 55 al. 4 de la constitution.
54
b) La justice
La notion de justice désigne simplement ce qui est
juste, c'est donc une « vertu, qualité morale qui consiste à
être juste, à respecter les droits d'autrui
»172.
Elle renvoie également à l'idée
d'équité. John Rawls dit à ce propos que : « La
justice comme équité envisage les citoyens comme des personnes
engagées dans la coopération sociale et comme pleinement capables
de remplir ce rôle pendant toute leur vie »173. De ce qui
suit, il est légitime d'affirmer ici que l'intérêt
général, qu'il s'agisse de sa recherche ou de sa
préservation, constitue le fondement de la coopération sociale
ainsi évoquée par l'auteur. Suivant le même raisonnement,
ce dernier affirme que : « Les citoyens doivent avoir un sens de la
justice ainsi que les vertus politiques qui soutiennent les institutions
politiques et sociales justes »174.
Ainsi, la justice doit être érigée au rang
des valeurs fondamentales de la citoyenneté ; car c'est cela qui
permettrait que des disparités se créent de moins en moins entre
les citoyens.
Du point de vue juridictionnel, « rendre la justice
consiste essentiellement à dire ce qui est juste dans l'espèce
concrète soumise au tribunal »175. L'existence et
l'application des principes de la justice est une condition de la vie
harmonieuse en société ; car l'existence d'une autorité
supérieure aux citoyens chargée de trancher les litiges qui les
opposent entre eux est une nécessité pour assurer la paix sociale
et l'ordre public. Nul ne peut se faire justice soi-même, car « La
loi assure à tous les hommes le droit de se faire rendre justice
»176. C'est pour cette raison que « La justice est rendue
sur le territoire de la République au nom du peuple camerounais
»177. Ledit peuple camerounais, renvoie, selon le Pr. Alain
Didier Olinga, à la dimension collective de la citoyenneté
178 . Cette idée nous permet de déduire par
172 Cf. Le Petit Larousse, op. cit. ,
p. 573.
173 John Rawls, La justice comme équité :
une reformulation de la théorie de la justice, Paris, éd. La
découverte/poche, 2008 (pour la traduction française), p. 39.
174 Idem, p. 222.
175 Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 330.
176 Voir le préambule de la Constitution.
177 Voir l'art. 37 al.1de la Constitution.
178 Le Pr. Alain Didier Olinga relève que le peuple, la
nation et la Patrie constituent les aspects de la citoyenneté
collective. Lire Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre
constitutionnel camerounais », op. cit.
55
conséquent qu'il existe un lien consubstantiel entre le
peuple, c'est-à-dire l'ensemble des citoyens, et la
justice179.
Du point de vue social, la justice correspond à
l'idée de répartition sur une base égalitaire ou
équilibrée des ressources de la communauté entre ses
membres. L'on parle dans ce cadre de justice sociale.
Par le moyen de la justice, la société
conçoit et implémente une série d'actions ou de programmes
à mettre en oeuvre principalement au profit des couches sociales
défavorisées. Rawls affirme dans ce sens que : « Dans une
société bien ordonnée (...), la distribution du revenu et
de la richesse illustre ce que nous pouvons nommer la justice
procédurale pure du contexte social »180.
2. Les valeurs contenues dans la devise de
l'Etat
En tant qu'emblème majeur de l'Etat, la devise
énonce des valeurs fondamentales. A ce propos, il est à souligner
qu' « Intérêt général et devise
républicaine sont intrinsèquement liés même s'ils ne
se confondent pas »181. La devise du Cameroun est
Paix-Travail-Patrie. Son adoption par une assemblée
représentative du peuple camerounais, c'est-à-dire
l'assemblée législative du Cameroun (ALCAM), et non pas par
l'administration coloniale de l'époque, lui confère toute la
légitimité nécessaire afin qu'elle obtienne d'être
acceptée comme la traduction des aspirations-mêmes de ce
peuple.
Etant donné que des développements
précédents ont porté d'une part sur la place du travail
comme moyen d'ancrage citoyen dans la communauté politique et sociale,
et d'autre part sur le devoir patriotique, matérialisé par le
devoir de défense de la Patrie, nous ne nous appesantirons à ce
niveau que sur la paix.
La paix est l'une des valeurs les plus importantes de notre
République. C'est sans aucun doute la raison pour laquelle elle est
placée au premier rang des valeurs émises par la devise du
Cameroun. Elle est un objectif dont la recherche reste constante dans notre
pays. L'aspiration à la paix tire ses origines de l'histoire coloniale
du Cameroun. En effet, cette
179 Concrètement, la justice se place comme une clause
déterminante du contrat social liant les concitoyens et permettant de
construire et de maintenir l'appartenance de l'individu à la
citoyenneté commune. C'est ce qui justifie que les citoyens de l'Etat,
sous réserve des immunités prévues pour certains
élus politiques, sont en principe tous justiciables devant les
tribunaux.
180John Rawls, La justice comme
équité : une reformulation de la théorie de la
justice, op. cit., p.79.
181 David Hiez et Rémi Laurent, « La nouvelle
frontière de L'économie sociale et solidaire :
L'intérêt général ? », RECMA- revue
internationale de l'économie sociale, n O 319, pp. 36-56,
(spéc. 44).
56
notion émerge en 1957 dans un contexte de guerre
d'indépendance dans lequel était plongé le pays. La
radicalisation de la lutte pour la décolonisation du Cameroun,
marquée par le passage du stade politique au départ, à
celui armé par la suite182, va plonger le pays dans une vive
tension sécuritaire. Fort de cela, l'adoption de la paix comme valeur
essentielle et aspiration profonde et suprême du peuple camerounais se
trouvait ainsi largement motivée.
Bien que le peuple ne fût pas encore rattaché
à un Etat indépendant, mais plutôt à un simple
territoire183, il entendait déjà bâtir les bases
du futur Etat sur le pilier de la paix.
Par la suite, l'avènement de l'Etat indépendant
en 1960 n'a pas entrainé le changement des valeurs déjà
prônées par la devise depuis 1958, année de son adoption.
Le maintien de la paix dans cette place traduit on ne peut plus clairement
l'idée qu'elle constitue une valeur vouée à la
pérennité184.
Ainsi, Loin d'être une interpellation
métaphysique, chaque citoyen camerounais est invité à
être un artisan de la paix, car la citoyenneté induit
naturellement une allégeance de l'individu vis-à-vis de l'Etat et
de tous ses symboles.
Paragraphe 2 : LA CONNEXITE ENTRE
L'INTERET GENERAL ET L'ACTION DE LA SOCIETE CIVILE
D'entrée de jeu, il faut noter que la notion de
société civile n'est pas facile d'accès185.
Pour autant, des contributions scientifiques significatives ont
été faites quant à la définition de ce
concept186.
182 Le principal parti politique UPC, après son
interdiction en 1955 par l'administration coloniale, va se constituer une
branche armée dont la mission est de lutter pour libérer le
Cameroun du joug colonial. Son action guérilla était
déployée dans plusieurs régions du pays.
183 Tel était en fait la terminologie utilisée pour
désigner les colonies.
184 D'ailleurs, même quelques années après
l'accession du Cameroun à l'indépendance, la situation
sécuritaire était toujours préoccupante. Cela est le fait
de la présence des opposants au nouveau régime en place, qui sont
retranchés dans certaines régions du pays, et dont les
agissements étaient propres à une guerre civile.
185 La notion de société civile souffre en effet
« de son imprécision et de son caractère extraordinairement
polysémique, au point d'apparaitre comme une notion « attrape-tout
» et dont la difficulté de définition n'a d'égale que
la généalogie scientifique ». Lire à ce sujet
René Otayek et al., « Les sociétés civiles
du Sud : Un état des lieux dans trois pays de la ZSP : Cameroun, Ghana,
Maroc », centre d'étude d'Afrique noire et l'institut
d'études politiques de Bordeaux, Paris, 2004, pp. 27-28.
186 Parmi ces contributions, on peut citer celle de Jean L.
Cohen et Andrew Arato. Nasser Etemadi revèle que ces deux auteurs «
à travers leur livre, civil society and political theory, ont
tenté une reformulation systématique du concept moderne de
société civile ». Pour ces auteurs, la société
civile est comprise « comme une visée
57
Ainsi, « Par définition, la société
civile camerounaise est tout autre chose dans l'Etat que le pouvoir politique
et son expression la plus visible qu'est l'administration publique
»187. Selon le Pr. Maurice Kamto, la société
civile est « la sphère sociale distincte de l'Etat et des partis
politiques formée de l'ensemble des organisations et
personnalités dont l'action concourt à l'émergence ou
à l'affirmation d'une idée sociale collective, à la
défense des droits de la personne humaine ainsi que des droits
spécifiques attachés à la citoyenneté
»188.
La formulation préalable du lien entre
société civile et Intérêt général (A)
nous conduira par la suite à présenter les mécanismes au
travers desquels la première elle contribue à la promotion du
second (B).
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