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La citoyenneté en droit constitutionnel camerounais


par Ampère Romuald NGASSAM KANGUE
Université de Douala - Master 2 en droit public 2015
  

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B. Les valeurs comme socle de la citoyenneté collective

La République se bâtit et se maintient autour de valeurs fondamentales. Le citoyen devient dès lors le « gardien incontestable des valeurs républicaines »165, lesquelles ont de toute manière pour finalité l'édification et la protection de l'intérêt général. C'est pourquoi « la vertu du bon citoyen doit appartenir à tous, car c'est la condition nécessaire pour que la cité soit parfaite »166. C'est dans ce sens que semblent abonder Yves Déloye et Olivier Ihl en relevant que la période de la troisième République en France est une période clé de la construction de la citoyenneté, en ce sens que « C'est, en effet, à cette époque que l'idée républicaine devient, en France, pleinement une idéologie fondatrice : celle d'une citoyenneté s'appuyant désormais sur un ensemble de valeurs et de représentations communes »167. Dans le même sillage, le Pr. Léoplod Donfack Sockeng, écrivait que : « La polis [...], c'est-à-dire la communauté des citoyens [...] a besoin pour se constituer et acquérir une identité spécifique, de forger sa propre conscience collective en construisant un champ de valeurs sociales »168.

Essentiellement consacrées par le préambule de la constitution (1), les valeurs de la République camerounaise sont parallèlement émises par les symboles nationaux, la devise en l'occurrence (2).

1. Les valeurs consacrées par le préambule de la constitution

Il ressort du préambule de la constitution que le peuple « affirme sa volonté inébranlable de construire la Patrie camerounaise sur la base de l'idéal de fraternité, de justice et de progrès ». Deux valeurs fondamentales peuvent être identifiées dans cet énoncé, à savoir la fraternité (a) et la justice (b).

a) La fraternité

L'idéal de fraternité fait partie des valeurs sur lesquelles le peuple camerounais entend construire la Patrie.

165 Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre constitutionnel camerounais », in Ondoua Alain (dir.), La constitution camerounaise du 18 janvier 1996 : bilan et perspectives, op. cit., p. 160.

166 Aristote, La politique, op. cit., p. 75.

167 Yves Déloye, Olivier Ihl, L'acte de vote, Paris, Presses de Sciences Po, 2008, p.327.

168 Léopold Donfack Sockeng, « Fondements et signification de l'hymne national du Cameroun », SOLON, revue africaine de parlementarisme et de démocratie, op. cit., p. 8.

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Le dictionnaire Larousse définit le terme fraternité comme étant : « le lien de solidarité et d'amitié entre des êtres humains, entre les membres d'une société »169.

Mais dans son sens anthropologique stricto sensu, ce terme renvoie au lien de parenté entre frères et soeurs. Dans ce contexte il exprime l'idée de consanguinité ou de fratrie.

Lato sensu, la fraternité peut être entendue d'abord comme un lien étroit entre ceux qui, sans nécessairement être des frères ou des soeurs, se traitent comme tels. Dans ce cadre, elle renvoie à la concorde, à l'union entre les hommes formant une communauté nationale notamment. De ce point de vue, malgré sa forte dimension abstraite et symbolique, elle est un principe fondateur du vivre ensemble, car elle prône le dépassement des différences de toutes natures et une prise de conscience chez l'ensemble des camerounais de la nécessité de la cohésion nationale.

Au rang des implications majeures de la fraternité, il y'a la solidarité. Cette dernière s'analyse d'abord comme l'assistance que la collectivité apporte à ses membres afin d'assurer leur bien-être. C'est dans cet esprit que la Constitution du Cameroun affirme que le peuple camerounais est « Résolu à exploiter ses richesse naturelles afin d'assurer le bien-être de tous en relevant le niveau de vie des populations sans aucune discrimination... »170.

La solidarité renvoie aussi à l'assistance que la collectivité apporte à ceux de ses membres se trouvant dans une situation économique ou sociale précaire qui les place ainsi dans un état de vulnérabilité. En clair, en vertu du devoir de solidarité nationale, toutes les catégories de la population doivent pouvoir jouir des fruits de la richesse nationale : C'est le système de l'entraide, qui doit en principe conduire à la généralisation de la sécurité sociale à l'ensemble des citoyens.

En outre, la solidarité nationale a obtenue d'être constitutionnalisée relativement à la décentralisation. En effet, La loi fondamentale dispose que : « L'Etat veille au développement harmonieux de toutes les collectivités territoriales décentralisées sur la base de la solidarité nationale... »171. La solidarité dans le domaine de la décentralisation territoriale se justifie par le souci de promouvoir un développement plus ou moins équilibré des collectivités territoriales décentralisées, ceci en réduisant autant que possible les disparités existant entre elles.

169 Cf. Le Petit Larousse. Grand format, Paris, éd. Larousse, 2001, p. 451.

170 Voir le préambule de la constitution du Cameroun.

171 Voir l'art. 55 al. 4 de la constitution.

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b) La justice

La notion de justice désigne simplement ce qui est juste, c'est donc une « vertu, qualité morale qui consiste à être juste, à respecter les droits d'autrui »172.

Elle renvoie également à l'idée d'équité. John Rawls dit à ce propos que : « La justice comme équité envisage les citoyens comme des personnes engagées dans la coopération sociale et comme pleinement capables de remplir ce rôle pendant toute leur vie »173. De ce qui suit, il est légitime d'affirmer ici que l'intérêt général, qu'il s'agisse de sa recherche ou de sa préservation, constitue le fondement de la coopération sociale ainsi évoquée par l'auteur. Suivant le même raisonnement, ce dernier affirme que : « Les citoyens doivent avoir un sens de la justice ainsi que les vertus politiques qui soutiennent les institutions politiques et sociales justes »174.

Ainsi, la justice doit être érigée au rang des valeurs fondamentales de la citoyenneté ; car c'est cela qui permettrait que des disparités se créent de moins en moins entre les citoyens.

Du point de vue juridictionnel, « rendre la justice consiste essentiellement à dire ce qui est juste dans l'espèce concrète soumise au tribunal »175. L'existence et l'application des principes de la justice est une condition de la vie harmonieuse en société ; car l'existence d'une autorité supérieure aux citoyens chargée de trancher les litiges qui les opposent entre eux est une nécessité pour assurer la paix sociale et l'ordre public. Nul ne peut se faire justice soi-même, car « La loi assure à tous les hommes le droit de se faire rendre justice »176. C'est pour cette raison que « La justice est rendue sur le territoire de la République au nom du peuple camerounais »177. Ledit peuple camerounais, renvoie, selon le Pr. Alain Didier Olinga, à la dimension collective de la citoyenneté 178 . Cette idée nous permet de déduire par

172 Cf. Le Petit Larousse, op. cit. , p. 573.

173 John Rawls, La justice comme équité : une reformulation de la théorie de la justice, Paris, éd. La découverte/poche, 2008 (pour la traduction française), p. 39.

174 Idem, p. 222.

175 Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 330.

176 Voir le préambule de la Constitution.

177 Voir l'art. 37 al.1de la Constitution.

178 Le Pr. Alain Didier Olinga relève que le peuple, la nation et la Patrie constituent les aspects de la citoyenneté collective. Lire Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre constitutionnel camerounais », op. cit.

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conséquent qu'il existe un lien consubstantiel entre le peuple, c'est-à-dire l'ensemble des citoyens, et la justice179.

Du point de vue social, la justice correspond à l'idée de répartition sur une base égalitaire ou équilibrée des ressources de la communauté entre ses membres. L'on parle dans ce cadre de justice sociale.

Par le moyen de la justice, la société conçoit et implémente une série d'actions ou de programmes à mettre en oeuvre principalement au profit des couches sociales défavorisées. Rawls affirme dans ce sens que : « Dans une société bien ordonnée (...), la distribution du revenu et de la richesse illustre ce que nous pouvons nommer la justice procédurale pure du contexte social »180.

2. Les valeurs contenues dans la devise de l'Etat

En tant qu'emblème majeur de l'Etat, la devise énonce des valeurs fondamentales. A ce propos, il est à souligner qu' « Intérêt général et devise républicaine sont intrinsèquement liés même s'ils ne se confondent pas »181. La devise du Cameroun est Paix-Travail-Patrie. Son adoption par une assemblée représentative du peuple camerounais, c'est-à-dire l'assemblée législative du Cameroun (ALCAM), et non pas par l'administration coloniale de l'époque, lui confère toute la légitimité nécessaire afin qu'elle obtienne d'être acceptée comme la traduction des aspirations-mêmes de ce peuple.

Etant donné que des développements précédents ont porté d'une part sur la place du travail comme moyen d'ancrage citoyen dans la communauté politique et sociale, et d'autre part sur le devoir patriotique, matérialisé par le devoir de défense de la Patrie, nous ne nous appesantirons à ce niveau que sur la paix.

La paix est l'une des valeurs les plus importantes de notre République. C'est sans aucun doute la raison pour laquelle elle est placée au premier rang des valeurs émises par la devise du Cameroun. Elle est un objectif dont la recherche reste constante dans notre pays. L'aspiration à la paix tire ses origines de l'histoire coloniale du Cameroun. En effet, cette

179 Concrètement, la justice se place comme une clause déterminante du contrat social liant les concitoyens et permettant de construire et de maintenir l'appartenance de l'individu à la citoyenneté commune. C'est ce qui justifie que les citoyens de l'Etat, sous réserve des immunités prévues pour certains élus politiques, sont en principe tous justiciables devant les tribunaux.

180John Rawls, La justice comme équité : une reformulation de la théorie de la justice, op. cit., p.79.

181 David Hiez et Rémi Laurent, « La nouvelle frontière de L'économie sociale et solidaire : L'intérêt général ? », RECMA- revue internationale de l'économie sociale, n O 319, pp. 36-56, (spéc. 44).

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notion émerge en 1957 dans un contexte de guerre d'indépendance dans lequel était plongé le pays. La radicalisation de la lutte pour la décolonisation du Cameroun, marquée par le passage du stade politique au départ, à celui armé par la suite182, va plonger le pays dans une vive tension sécuritaire. Fort de cela, l'adoption de la paix comme valeur essentielle et aspiration profonde et suprême du peuple camerounais se trouvait ainsi largement motivée.

Bien que le peuple ne fût pas encore rattaché à un Etat indépendant, mais plutôt à un simple territoire183, il entendait déjà bâtir les bases du futur Etat sur le pilier de la paix.

Par la suite, l'avènement de l'Etat indépendant en 1960 n'a pas entrainé le changement des valeurs déjà prônées par la devise depuis 1958, année de son adoption. Le maintien de la paix dans cette place traduit on ne peut plus clairement l'idée qu'elle constitue une valeur vouée à la pérennité184.

Ainsi, Loin d'être une interpellation métaphysique, chaque citoyen camerounais est invité à être un artisan de la paix, car la citoyenneté induit naturellement une allégeance de l'individu vis-à-vis de l'Etat et de tous ses symboles.

Paragraphe 2 : LA CONNEXITE ENTRE L'INTERET GENERAL ET L'ACTION DE LA SOCIETE CIVILE

D'entrée de jeu, il faut noter que la notion de société civile n'est pas facile d'accès185. Pour autant, des contributions scientifiques significatives ont été faites quant à la définition de ce concept186.

182 Le principal parti politique UPC, après son interdiction en 1955 par l'administration coloniale, va se constituer une branche armée dont la mission est de lutter pour libérer le Cameroun du joug colonial. Son action guérilla était déployée dans plusieurs régions du pays.

183 Tel était en fait la terminologie utilisée pour désigner les colonies.

184 D'ailleurs, même quelques années après l'accession du Cameroun à l'indépendance, la situation sécuritaire était toujours préoccupante. Cela est le fait de la présence des opposants au nouveau régime en place, qui sont retranchés dans certaines régions du pays, et dont les agissements étaient propres à une guerre civile.

185 La notion de société civile souffre en effet « de son imprécision et de son caractère extraordinairement polysémique, au point d'apparaitre comme une notion « attrape-tout » et dont la difficulté de définition n'a d'égale que la généalogie scientifique ». Lire à ce sujet René Otayek et al., « Les sociétés civiles du Sud : Un état des lieux dans trois pays de la ZSP : Cameroun, Ghana, Maroc », centre d'étude d'Afrique noire et l'institut d'études politiques de Bordeaux, Paris, 2004, pp. 27-28.

186 Parmi ces contributions, on peut citer celle de Jean L. Cohen et Andrew Arato. Nasser Etemadi revèle que ces deux auteurs « à travers leur livre, civil society and political theory, ont tenté une reformulation systématique du concept moderne de société civile ». Pour ces auteurs, la société civile est comprise « comme une visée

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Ainsi, « Par définition, la société civile camerounaise est tout autre chose dans l'Etat que le pouvoir politique et son expression la plus visible qu'est l'administration publique »187. Selon le Pr. Maurice Kamto, la société civile est « la sphère sociale distincte de l'Etat et des partis politiques formée de l'ensemble des organisations et personnalités dont l'action concourt à l'émergence ou à l'affirmation d'une idée sociale collective, à la défense des droits de la personne humaine ainsi que des droits spécifiques attachés à la citoyenneté »188.

La formulation préalable du lien entre société civile et Intérêt général (A) nous conduira par la suite à présenter les mécanismes au travers desquels la première elle contribue à la promotion du second (B).

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci