Conclusion du chapitre
L'avènement de l'Etat indépendant du Cameroun
suffisait à lui seul pour donner vie à la citoyenneté
camerounaise puisqu'il permettait a priori le passage des populations
du statut de sujets coloniaux à celui de citoyen de l'Etat.
Si l'accession de l'Etat à la souveraineté
représente pour ainsi dire l'acte de naissance de la citoyenneté,
il faut tout de même souligner que cette existence plus ou moins
théorique a été renforcée par la construction
dynamique d'un régime de la citoyenneté, qui se définit
clairement en une détention indivisible de droits et de devoirs.
En reconnaissant que le citoyen camerounais est d'abord et
avant tout un être humain, il s'ensuit que le régime de ses droits
varie autour de deux pôles majeurs, dont l'un est lié aux droits
fondamentaux inhérents à tout homme, et l'autre est relatif aux
droits de participation, rattachés par essence à la seule figure
du citoyen, national de l'Etat.
L'architecture constitutionnelle de la citoyenneté
camerounaise repose aussi sur la prescription de devoirs à l'
égard du citoyen, dont les versants touchent aux domaines sociopolitique
et économique notamment.
C'est au regard de cette assise juridique, que se fonde
l'idée selon laquelle la citoyenneté camerounaise est une
réalité constitutionnelle.
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CHAPITRE II :
LA CONSECRATION D'UNE CITOYENNETE PROMOTRICE DE L'INTERET
GENERAL
Le citoyen est considéré comme « celui qui
est appelé à participer aux affaires de la cité
»151. Assurément, la participation à la vie de la
cité ne peut se faire sans l'adhésion à un ensemble de
règles et de valeurs communes. Cet ensemble normatif et axiologique
concret et/ou abstrait n'a pour finalité ultime que la promotion et la
garantie de l'intérêt général, lequel relevant bien
entendu de la citoyenneté collective.
Notons par ailleurs que la notion d'intérêt
général n'est pas facile d'accès, étant
donné qu'elle fait appel à des considérations d'ordre
politique, administratif et social.
Sur le plan politique, l'intérêt
général peut renvoyer à la conception que les gouvernants
se font de l'Etat et des autres personnes publiques.
Vu sous l'angle administratif, l'intérêt
général est incarné aussi bien par l'administration d'Etat
que par les administrations locales décentralisées. C'est pour
cette raison qu'il est permis de dire que l'intérêt
général porte l'empreinte de la puissance publique.
Enfin, l'aspect social de l'intérêt
général renvoie à la satisfaction des besoins collectifs
de la population de l'Etat ; d'où la création de nombreux
services publics dans des domaines variés.
Cependant, il faut se demander si l'intérêt
général signifie l'addition des intérêts
particuliers ou l'exclusion de ceux-ci. Autrement dit, les besoins particuliers
ou individuels de chaque citoyen sont-ils nécessairement
intégrés dans les besoins collectifs de la société
? A ce sujet, il faut dire que ce qui doit prévaloir c'est
l'intérêt général ; car théoriquement, sa
satisfaction entraîne conséquemment la satisfaction des besoins de
chaque citoyen.
Si l'intérêt général constitue la
finalité de toute démarche citoyenne vis-à-vis de la
communauté152, cela révèle la centralité
du lien qu'il a avec la citoyenneté (section 1).
151 Philippe Ardant, institutions politiques et droit
constitutionnel, LGCD, 17e éd., 2009, p.141.
152 Le terme communauté peut renvoyer ici à
l'Etat ou à une entité infra étatique telle que la
région, la commune, le quartier etc.
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Toutefois, nous examinerons par ailleurs le déni de
citoyenneté par les atteintes à l'intérêt
général (section 2).
SECTION I : LA CENTRALITE DU LIEN CITOYENNETE -
INTERET
GENERAL
L'un des aspects majeurs de la citoyenneté est
l'intérêt général. En effet, les citoyens doivent
avoir vocation à servir la communauté. Il apparait évident
que cela ne peut être possible, au regard du constitutionnalisme
camerounais, que par la construction de cet intérêt
général autour de l'idéal d'unité nationale (§
1). De même, il se dégage une certaine connexité entre
l'intérêt général et l'action de la
société civile (§ 2).
Paragraphe 1 : LA CONSTRUCTION DE L'INTERET GENERAL
AUTOUR DE L'IDEAL D'UNITE NATIONALE
Aux termes de la loi constitutionnelle no 96/06 du
18 janvier 1996, il ressort que l'équilibre de la République du
Cameroun est bâti autour du principe d'unité
nationale153. Dès lors, si le destin commun réside en
l'unité nationale, cela signifie que c'est en cette dernière que
doit reposer de manière fondamentale la réalisation de
l'intérêt général. Dans ce sens, Pauline Mortier
relève à propos de la France que : « L'unité du
peuple français se justifie [...] par la conception absolue de la
souveraineté nationale qui impose que le peuple, composé de
l'ensemble des citoyens, ne soit qu'une seule volonté, au service de
l'intérêt général »154.
De ce qui précède, il est à constater que
l'intérêt général réside et s'exprime dans la
Nation, et nullement en dehors d'elle. Il en est ainsi en tant qu'elle est la
communauté des citoyens (A), qui ne peut se maintenir et se renforcer
que par l'existence d'un certain nombre de valeurs républicaines
attachées à la citoyenneté (B).
153 Cette affirmation se dégage du premier
considérant du préambule de la constitution, qui énonce
que « Le peuple camerounais [...] profondément conscient de la
nécessité impérieuse de parfaire son unité,
proclame solennellement qu'il constitue une seule et même nation,
engagée dans le même destin et affirme sa volonté
inébranlable de construire de construire la Patrie camerounaise sur la
base de l'idéal de fraternité, de justice et de progrès
»
154 Pauline Mortier, Les métamorphoses de la
souveraineté, thèse de doctorat de l'université
d'Angers, 2011, p.146.
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A. La Nation comme communauté de citoyens
Le citoyen est avant tout un national, c'est-à-dire un
individu juridiquement lié à l'Etat et membre de la Nation. Il
est « membre d'une communauté » 155 . C'est ce qui explique
l'existence d'une communauté solidaire d'intérêt politique,
économique mais aussi social et culturel entre les citoyens de l'Etat ;
car « l'ensemble des citoyens devient une Nation grâce à la
volonté collective de construire un avenir commun »156.
Dans le même ordre d'idées, Raymond Carré de Malberg
appréhende le citoyen comme une composante de la nation. Il affirme
à ce sujet qu'il y a un « manque d'autonomie du concept de citoyen.
Au regard du droit public, [...] le citoyen n'existe pas vraiment en tant
qu'individu. Il doit être compris comme la partie d'un tout, la
nation»157. Cela signifie concrètement que la
citoyenneté s'exprime dans la nation, c'est ce qu'on appelle la
citoyenneté collective. Et, L'unité du peuple peut s'analyser
comme le produit d'un consensus commun, par ailleurs nécessaire à
la survie et au développement dudit peuple.
Avec la constitution du 4 Mars 1960, le constituant
s'était particulièrement montré engagé dans la
nécessité de masquer la diversité culturelle du Cameroun.
Ce constat ressort du fait que ce texte constitutionnel, ni dans son
préambule, ni dans son dispositif, ne fait mention de cette grande
diversité qui caractérise indéniablement le pays. Ce refus
d'objectiver, ne serait-ce que symboliquement, cette diversité peut
traduire la volonté de conquérir et de raffermir l'unité
nationale, fragilisée à cette époque par
l'instabilité politique due à la guerre civile entre le
gouvernement post colonial et le mouvement d'opposition UPC en
particulier158.
Le Pr Claude Abé fait d'ailleurs remarquer à ce
sujet que « Le Cameroun qui accède à la souveraineté
internationale le 1er janvier 1960 va hériter d'une situation
de conflictualité particulière »159. Dans ce
contexte, le défi du nouveau pouvoir politique établi est
absolument
155 Aristote, La politique, op. cit., p. 74.
156 Pauline Mortier, op.cit., p. 159.
157 Beaud Olivier, op. cit., pp. 12-13.
158 Agissant dans l'illégalité, l'Union des
populations du Cameroun, interdite à la faveur d'un décret du 12
juillet 1955, s'opposait militairement au pouvoir postcolonial. L'affrontement
entre les forces républicaines et les maquisards, appellation de la
branche armée de l'UPC, a généré au Cameroun un
climat identique à celui d'une guerre civile.
159 Claude Abé, « espace public et recompositions
de la pratique politique au Cameroun », Polis R.C.S.P / C.P.S.R.
vol. 13, nos 1-2, 2006, pp. 29-56, (spéc. p.
33).
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de bâtir la nation. C'est pourquoi « la gestion du
cas UPC apparaît comme l'un des défis immédiats à
affronter par le tout nouveau chef d'Etat camerounais Ahmadou Ahidjo. Aussi ce
dernier s'est-il engagé dans une lutte sans merci contre ceux qu'il
appelait les ennemis de la nation »160. Dans ce
contexte de conflictualité, la construction de
lintérêt général passe par
l'homogénéisation de la communauté politique. Dès
lors, le citoyen n'apparait ni plus ni moins qu'un « sujet de la nation
»161.
Par contre, avec la Constitution du 2 Juin 1972 l'incontestable
diversité sociologique du
Cameroun est mentionnée au sein de la loi
fondamentale162. Elle est désormais déclinée,
aussi bien sur le plan culturel que linguistique avec l'adoption solennelle du
français et de l'anglais comme langues officielles.
L'altérité devient dès lors une richesse qu'il convient de
promouvoir.
Considérant qu'il « est exact que la cité
est une sorte de communauté et que cette communauté réunit
des citoyens »163, l'idée qui sous-tend la construction
de l'unité nationale dans la diversité « n'est pas [...]
celle de la construction d'un groupe social homogène, mais celle du
rassemblement de toutes les communautés en un seul peuple unifié
par le port des mêmes stigmates, de créer des repères
autour desquels s'agrègent les représentants de la
communauté »164.
C'est dans cet esprit que s'inscrivit le referendum
constitutionnel du 20 Mai 1972 dont l'objet était de consulter les
citoyens camerounais afin qu'ils se prononcent en faveur ou en défaveur
de l'unification. L'adhésion massive du peuple au projet d'unification
nationale constitua donc une parfaite illustration de la volonté de ce
dernier de bâtir l'intérêt général,
c'est-à dire l'intérêt de tous et de chacun, dans
l'unité nationale.
Du reste, les destins que peuvent se forger les
différentes communautés culturelles ou linguistiques doivent
fusionner dans le tremplin du destin national.
160 Claude Abé, ibid., p. 34.
161 Cf. Olivier Beaud, op. cit., p. 32.
162 Selon le préambule de la constitution du Cameroun
du 02 Juin 1972, le peuple camerounais, « fier de sa diversité
linguistique et culturelle, élément de sa personnalité
nationale [...], proclame solennellement qu'il constitue une seule et
même nation, engagée dans le même destin ».
163 Aristote, La politique, op. cit., p. 74.
164 Léopold Donfack Sockeng, « Fondements et
signification de l'hymne national du Cameroun », SOLON, revue
africaine de parlementarisme et de démocratie, volume III,
n°7, août 2013, pp. 7-18, (spéc. p. 16).
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