A- Un cadre juridique et institutionnel balbutiant et
embryonnaire
La mise en application de la CCNUCC au Cameroun se heurte aux
difficultés à la fois institutionnelles, techniques et
financières. Cela se manifeste clairement par la crise structurelle
générale qui touche le pays. De manière explicite, le
manque d'une volonté politique, l'existence des institutions
bureaucratiques et l'absence d'un cadre légal propre aux questions
climatiques sont autant d'éléments qui freinent le processus.
1- Problèmes liés à la
gouvernance et à la gestion des projets
Le Cameroun fait partie des pays dont les instances
étatiques n'ont pas la capacité et/ou la volonté politique
d'assurer les fonctions essentielles dans de nombreux secteurs où
l'action de l'Etat doit se déployer. En réalité, il y a un
contraste entre les discours officiels et engagement en matière de lutte
contre les changements climatiques et l'inertie qui caractérise la
formulation de politiques, de stratégies et de leur mise en oeuvre.
Cette contradiction fondamentale amène à se demander si la
question du réchauffement climatique constitue un élément
important de l'agenda politique du gouvernement camerounais20.
L'association de plusieurs départements ministériels fragilise la
gouvernance climatique dans le pays. Cette interdépendance des
différents ministères est source de plusieurs blocages. Cette
difficulté institutionnelle fragilise aussi le MINEPDED dans sa mission,
par conséquent considéré dans le cas d'espèce comme
un ministère transversal. Institutionnellement parlant, le MINEPDED n'a
pas de pouvoir sur d'autres ministères ce qui limite l'efficacité
de son action21.
La prédominance du secteur informel, l'amateurisme qui
a cours dans la plupart des pays les moins avancés, en occurrence le
Cameroun, rend difficile la maîtrise et le contrôle et la
déforestation et même de la dégradation des
écosystèmes. L'exploitation illicite du bois et des autres
produits forestiers a pour cause l'absence d'un cadre de concertation entre
les
20 G. P. Dkamela, Le contexte de la REDD+ au
Cameroun : causes, agents et institutions, Papier occasionnel 57 CIFOR,
2011, p.55.
21 T. Kagombe, Coordonnateur national du CDN-Cameroun
au MINEPDED.
116
différentes administrations. Cela entraîne
parfois des superpositions des droits d'exploitation sur un même
espace22. L'incapacité de l'Etat à avoir une mainmise
et un contrôle absolu sur les activités forestières rend
difficile la réussite de certains projets engagés dans le cadre
du processus REDD+ qui, à moyen et à long terme sont
supposés générer des fonds pour l'intérêt du
pays. Une telle gouvernance est un frein dans l'accomplissement des engagements
sur les conventions internationales sur l'environnement et les changements
climatiques.
L'administration camerounaise est insidieusement
infiltrée par la corruption. Dans le rapport de la Commission
Anticorruption (CONAC) de 2010, le secteur des forêts et de
l'environnement était l'un des plus touchés. De ce fait, les
procédures relatives aux efforts d'atténuation des changements
climatiques sont soumises à plusieurs types de menaces de corruption et
à des différents niveaux. Cela peut se manifester par l'influence
de certaines personnalités et entreprises pendant la préparation
et la mise en oeuvre des projets (MDP, REDD+ etc). La corruption s'exprime sous
forme de collusion, notamment par le versement des pots de vins aux agents en
charge de ces projets afin de fermer les yeux sur les infractions ou pour
délivrer des titres frauduleux23.
Les changements climatiques ne font pas partie des principales
préoccupations du pays. Ces questions sont rarement ou quasi absentes
à l'ordre du jour de la gouvernance globale tracée par les
autorités de Yaoundé. Les plans de développement ne
traitent pas en profondeur des incidences et les défis des changements
climatiques. Dans cette perspective, le Document de Stratégie pour la
Croissance et l'Emploi n'a pas accordé aux questions environnementales
et climatiques une place considérable.
2- Cadrage institutionnel bureaucratique,
centralisé et balbutiant
Les institutions chargées de mener les activités
de lutte contre le dérèglement climatique sont
centralisées et détachées de la réalité du
terrain. En effet, les multiples comités de pilotage créés
dans le cadre de l'élaboration des stratégies et de la
réalisation des projets tels que les MDP, la REDD+ sont pour l'essentiel
situés dans la capitale Yaoundé. Cette approche a souvent pour
conséquence immédiate l'échec desdits projets dû
à un travail mal élaboré à cause de la
précipitation et la logique du retour en ville. Le schisme entre les
structures mise en place pour la coordination et le suivi des actions
liées à la CCNUCC entraîne une faible intégration
des parties prenantes. Cette architecture institutionnelle limite
l'accès à l'information de l'immense majorité de la
population. Par conséquent, le Cameroun faillit dans son engagement de
transfert
22 F. Saha, «les instruments
économiques pour l'atténuation des changements climatiques au
Cameroun», Geo-Eco-Trop, 2019, p.98.
23 Ibid.
117
d'information, la sensibilisation et l'éducation de la
population sur les changements climatiques et leurs corolaires.
De même, le caractère bureaucratique des
institutions conduit au prolongement de la phase de préparation des
projets qui dans certains cas est plus longue que la phase de
réalisation. Cette perte de temps, causée par des
procédures administratives lentes associées aux commissions
interminables est à l'origine du retard légendaire dont souffrent
beaucoup de projets du secteur. De même, des institutions telles que
l'ONACC sont encore en structuration. Créé en 2009, c'est en
novembre 2015 qu'il devient opérationnel avec la nomination des
responsables24.
3- Absence d'un cadre juridique spécifique aux
changements climatiques
La mise en application de la CCNUCC au Cameroun souffre d'un
vide juridique causé par l'absence d'un cadre juridique et des lois
spécifiques sur les changements climatiques. En effet, nous notons
l'existence des textes généraux encadrant dans la plupart des cas
le secteur environnement. Le principal texte relatif à la lutte contre
les changements climatiques est la loi n°96/12 du 05 août 1996 sur
la gestion de l'environnement. Ce texte comporte un extrait sur le climat et
l'atmosphère, sur la lutte contre les pollutions, lequel vise au premier
chef la protection de l'air. Ce qui semble insuffisant dans la mesure où
cet extrait se limite à évoquer dans son article 21 la protection
de l'atmosphère25. Elle devait être
complétée par de lois sectorielles. Mais, depuis 1996, un nombre
considérable de lois a émergé, mais aucune ne traite
spécifiquement des questions de changement climatique.
Entre 2009 et 2014, malgré la volonté du
gouvernement de doter ce secteur d'un cadre juridique digne de ce nom, force
est de constater que les différents textes priorisent l'environnement.
Mis à part le décret N°2009/410 du 10 décembre 2009
dédié juste à la création et à
l'organisation de l'ONACC, les autres traitent uniquement des questions
environnementales. Parmi ces domaines nous avons d'une part, les questions de
nuisance sonore et olfactive, de protection des sols et sous-sol et de la
protection de l'atmosphère. D'autre part ces textes se sont
intéressés à la problématique de la gestion des
déchets. Elles fixent les conditions de collecte, de tri, de stockage,
de récupération, de transport, de recyclage, de traitement et
d'élimination finale des déchets26.
En réalité, l'on a l'impression que les choix
qui guident l'adoption des textes sont influencés par les calendriers
politiques et diplomatiques, et non pas par une véritable
stratégie
24 A. Batha, Géographe expert sur les questions
de changement climatique à l'ONACC.
25 Loi n°96/12 du 5 août 1996 portant
loi-cadre relative à la gestion de l'environnement.
26 Décret n°2012/2809/PM du 26 septembre
2012.
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de lutte contre les changements climatiques. En effet,
l'adoption des textes règlementaires sus évoqués a
été accélérée à la veille de la COP
21. Mais sur les changements climatiques ça n'existe pas. Il n'y a aucun
texte juridique spécifique à la lutte aux changements climatiques
au Cameroun27. Ce manque de reconnaissance juridique et de
clarté de fonctionnement des structures mise en place pour la
coordination et le suivi des actions liées à la CCNUCC a
entraîné une démobilisation des ressources tant humaines
que financières28.
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