I - CADRE CONCEPTUEL
1.1 LA DOULEUR
L'étymologie des verbes dont sont issus les
substantives : douleur et souffrance, peut nous éclairer sur le sens que
nous attribuons aujourd'hui à ces deux termes. D'une part, Douleur, du
latin doles était une construction impersonnelle ou qui avait
pour sujet la partie douloureuse et qui a donné en ancien
français le verbe pronominal se douloir. D'autre part,
Souffrir, du latin suffere est un composé de ferre
«porter», «soutenir», « endurer ».
Il en découle un usage particulier que nous faisons de
ces deux termes aujourd'hui : le mot «souffrance» qui renvoie
à l'expérience d'un sujet, tandis que le mot «douleur»
est une sorte d'objectivation de cette souffrance.
Nous pourrons dire que la prise en charge médicale
cherche à soulager la douleur, alors que le psychologue
travaille sur la souffrance qui accompagne cette douleur.
Les difficultés à définir la douleur sont
dues à la complexité du phénomène. Pour rendre
compte des différentes dimensions de la douleur de nombreuses
définitions ce sont succédées.
Ø «Sensation physique pénible à
endurer»
Ø «Situation traumatique génératrice
d'angoisse»
Ø «Détresse issue du corps et de
l'esprit»
En 1979, la I.A.S.P. (International Association for Study of
Pain) a donné une définition de la douleur qui est actuellement
la référence :
«Expérience sensorielle et
émotionnelle désagréable, associé à un
dommage tissulaire présent ou potentiel, ou décrite en termes
d'un tel dommage ».
Un des intérêts de cette définition est
de limiter le lien entre douleur et stimulus périphérique .Elle
rend légitime les douleurs sans lésion, alors que, dans un
modèle périphérique, ces douleurs sont assimilées
à des douleurs imaginaires, inauthentiques, simulées.
Un autre intérêt de cette définition est
de mettre sur un même plan les dimensions sensorielles et affectives.
La prise en charge d'une douleur chronique diffère de
celle d'une douleur aigue dans la mesure où il est impossible de
privilégier un facteur étiologique unique dans une
causalité linéaire. Il convient de prendre en
considération un ensemble de facteurs s'influençant
réciproquement .Mais cela ne signifie pas qu'on doit amalgamer tout le
SDC (Syndrome Douloureux Chronique) en une entité unique dont la prise
en charge serait univoque. Du point de vue psychopathologique l'impact de la
douleur est différent pour chaque patient, car le sens de la douleur
à travers l'histoire de vie est unique pour chaque individu.
Dans un souci didactique, on distingue les SDC à
composante organique prédominante des SDC à composante psychique
dominante.
Ø 1.2 SYNDROME DOULOUREUX CHRONIQUE A COMPOSANTE
ORGANIQUE DOMINANTE
Quel que soit le mécanisme en cause, qu'il s'agisse
d'un accident ou d'une maladie douloureuse, les conséquences d'une
douleur qui dure et parfois qui s'accompagne de mutilation sont doubles.
Sans que l'on puisse véritablement établir de
succession chronologique, on peut décrire une première
période où l'attitude du sujet témoigne de
stratégies pour faire face à la douleur. Il réduit son
activité motrice, se fige dans des attitudes antalgiques.
Parallèlement, il diminue ses intérêts, devient sensible
à l'environnement, toute l'attention étant focalisée sur
la zone douleur. Le temps se fige dans un présent douloureux qui n'en
finit pas. A ce stade, on est souvent tenté d'évoquer la
présence d'un syndrome dépressif, mais il est très
compliqué de faire la part de la douleur et celle de la
dépression.
Au cour d'une douleur chronique c'est la globalité du
sujet qui est transformée. Transformation du corps avec perte
d'identité corporelle, perte de capacités physiques, perte de
l'autonomie, fragilisation de la position familiale, professionnelle, sociale
qui rend vacillante l'identité psychique. L'adaptation à ce
nouveau corps aux possibilités amoindries nécessite un travail de
deuil des anciens investissements et l'acquisition à nouveaux. La prise
en charge psychologique est ici essentielle. Si ce travail rate, survient une
seconde période à composante psychique dominante.
Ø 1.3 SYNDROME DOULOUREUX CHRONIQUE A COMPOSANTE
PSYCHIQUE DOMINANTE
Au cours de ces syndromes, les symptômes organiques sont
mis en premier plan par les patients. Les troubles psychiques son
déniés, souvent avec une certaine hostilité.
L'allusion à d'éventuels troubles psychiques est
interprétée par le patient comme douleurs imaginaires, voir
simulées. L'examen somatique met souvent en évidence une
«épine irritative» que le patient utilise comme écran
pour masquer sa psychopathologie et comme alibi pour justifier la consultation
itérative.
Le système de classification américain des
troubles mentaux DSM IV classe le SDC à composante psychique dominante
parmi «Les troubles somatoformes douloureux» à moins
qu'il ne s'accompagne d'autres symptômes psychiques permettant de le
ranger dans une rubrique plus précise.
En fait, si la quête taxinomique est louable, elle ne
devra pas précéder le décodage du langage du patient, en
partant le plus souvent de ce qu'il présente, sa plainte douloureuse,
pour déchiffrer le sens qu'elle prend dans l'histoire de vie du sujet et
son rôle dans ses relations interindividuelles .
On dénombre quatre grands types de langage qui
permettent au sujet souffrant d'encoder une souffrance psychologique en
souffrance physique. Nous distinguerons, l'histrionique, l'anxieux,
l'hypocondriaque, le psychosomatique. Chez ces quatre types de sujets, la
dépression est un de point commun.
· 7
1.5 LE SYNDROME FIBROMYALGIQUE
8
Le terme fibromyalgique vient de « fibro », pour
fibrose, de « myo » qui signifie muscles et d' « algie »
qui signifie douleur.
Le syndrome fibromyalgique est défini comme un
syndrome chronique (évoluant depuis plus de trois mois)
caractérisé par de douleurs musculo-squelettiques diffuses dans
tout le corps souvent associé à une grande fatigue et à
des troubles de sommeil.
La symptomatologie est assez univoque, n'entraine pas de
complications graves, mais qui est très éprouvant et
empêche souvent la personne qui en souffre d'accomplir ses
activités quotidiennes.
L'existence de ce syndrome est reconnue depuis 1992 par
l'Organisation Mondiale de la Santé. Cependant, la fibromyalgie est
encore mal connue et mal comprise. Bien que les douleurs soient réelles
et très pénibles, les médecins ne parviennent pas à
détecter de lésions, ni d'inflammations permettant d'expliquer
ces symptômes. Pour cette raison, la fibromyalgie a suscité des
polémiques dans les milieux scientifiques. Aujourd'hui il semble que
certains facteurs physiologiques (anomalie du système nerveux) et
génétiques soient en cause. Des événements
extérieurs (traumatiques, infections) pourraient aussi être
impliqués. Les causes exactes demeurent toutefois incertaines.
· Prévalence
Les statistiques révèlent que, dans les pays
industrialisés, la fibromyalgie touche 2% à 6% de la population.
Environ 80% des personnes atteintes sont des femmes. La maladie apparait
souvent entre 30 ans à 60 ans. Quelques rares cas de fibromyalgie ont
toutefois été décrits chez des enfants, sans qu'on soit
certain qu'il s'agit de la même maladie.
Symptômes
La douleur, toujours étendue et diffuse, peut
débuter au cou et aux épaules, pour s'étendre ensuite au
reste du corps. Elle est permanente mais aggravée par l'effort, le
froid, l'humidité, les émotions et la manque de sommeil.
Une fatigue chronique, prédominante le matin,
peu sensible au repos et en apparence inexpliquée.
Le trouble de sommeil, sont également
quasi-constants: dans plus de 90% des cas le sommeil est perçu comme
léger et non réparateur quelle que soit la durée.
D'autres symptômes peuvent compléter
cette triade fondamentale : céphalée à type de migraine ou
de céphalée de tension, douleur pelviennes,
anxiété, dépression, troubles cognitifs, etc.
Une augmentation de l'acuité des sens, soit une
sensibilité accrue à la douleur, odeur, lumière, de
changement de température etc.
La fibromyalgie figure donc à la classification
internationale des maladies (CIM) de l'OMS, à la fois au titre des
maladies de l'appareil locomoteur et au titre des affections psychiatriques
(troubles somatoformes).
Globalement, la fibromyalgie correspond à une
entité clinique. Le diagnostique de fibromyalgie ne peut être
retenu qu'après avoir éliminé des pathologies organiques
avec lesquelles il peut être confondu ou associé. Le rapport de
l'Académie Nationale de Médicine, en date du 16 janvier 2007
9
précise dans ses recommandations « il n'existe
pas de profil psychologique spécifique, ni de preuve permettant de
rapporter ce syndrome à une origine uniquement psychogène
»1
1.6 DIFFERENTES APPROCHES DE LA DOULEUR 1.6.1 L'approche
anthropologique de la douleur
Plus qu'un fait physiologique, la douleur est un fait
existentiel. Ce n'est pas le corps seul qui souffre, mais l'individu dans son
entier. La douleur montre combien le corps renvoie à des significations
inconscientes, sociales, culturelles et individuelles.
Chaque société, chaque culture a sa propre
conception du corps et de l'esprit. Même les différentes
médecines reposent sur des conceptions personnelles du corps et de la
maladie : l'allopathie, l'homéopathie, l'ostéopathie,
l'acupuncture. Il y a aussi les savoirs populaires : guérisseurs en tout
genres, magnétiseurs, radiesthésistes et autres
tradithérapeutes ou médecines alternatives.
Le corps est une réalité changeante
d'une société à une autre. Plus qu'une collection
d'organes et de fonctions assemblés selon des lois
compréhensibles, le corps est une structure symbolique que nous peinons
à comprendre.
Le savoir biomédical officiel de nos
sociétés occidentales n'étant qu'une représentation
du corps parmi des autres. Aussi légitime et efficace qu'elle soit,
notre conception n'est pas la seule. De multiples réalités du
corps se profilent derrière les innombrables systèmes
thérapeutiques.
Confondre à une souffrance sans nom, le malade consulte
un spécialiste : psychiatre, psychologue , médecin, mais
également guérisseur, leveur de sort, chaman...La tache de ce
dernier étant de donner un sens au symptôme pour rendre acceptable
et restaurer la relation avec l'environnement.
Dans tout le cas, le corps est défini par quatre
composantes inextricables :
Ø La forme (avec ses limites)
Ø Le contenu (l'univers intérieur)
Ø Le savoir (la connaissance partagée que chacun
se fait de son corps et de son fonctionnement)
Ø La valeur (qu'il attribue à ses attributs
physiques)
Tout les sociétés humaines favorise la mise en
place individuelle de cette anthropologique qui permet à chacun
d'habiter familièrement son corps avec ses repères
sécurisantes.
Ø Socialisation et douleur
Ø La douleur est plus supportable si elle peut
être partagée, mais ce partage n'est guère acceptable dans
nos sociétés ou chacun la vit individuellement.
Chez nous, le sentiment communautaire est quasiment absent.
D'autres sociétés ont prévu des maitres de
cérémonie venant orchestrer et donner un sens aux choses. D'un
côté on se bat seul pour sa guérison : c'est la
démarche individuelle, le «moi-je» Ailleurs, c'est
une démarche communautaire, le «nous-
10
autres». Pourtant, l'accompagnement,
l'écoute, la capacité à contenir l'anxiété
et l'accueil exercent toujours un effet d'apaisement sur la douleur. A
l'inverse, l'abandon et la solitude attisent la douleur.
Ø Spiritualité et douleur
Tout les systèmes religieux ont cherché
à intégrer la souffrance humaine dans leurs explications de
l'univers en le justifiant au regard des dieux et du cosmos. De manière
générale, il est admis que tout malheur est châtiment pour
des fautes commises envers Dieu ou des hommes. La douleur est donc
«juste». Reste à trouver la faute et à expier.
|