Les conflits entre associés en droit des sociétés commerciales OHADApar Osiris Samuel Zaki Université Gaston Berger de Saint-Louis - Master II recherche 2019 |
Section II- La prévention des conflits à travers des mécanismes de sanctions dans la gestion des affaires socialeLa prévention des conflits passe aussi par la dissuasion et la sanction de certains comportements. Il ne s'agit pas pour le législateur OHADA de garantir un environnement de travail cordial entre les associés en érigeant seulement des règles à suivre, il fallait aussi prévenir les conflits entre associés par la sanction de comportements générateurs de conflits, dommageables à la société. Nous envisagerons les responsabilités encourues aussi bien par les dirigeants que par les associés, qui tous participent de la bonne ou mauvaise gouvernance de la société commerciale. Si les questions classiques qui tournent autour de la responsabilité des dirigeants sociaux sont presque toutes résolues dans la loi et dans la jurisprudence, il reste que l'articulation des responsabilités des différents organes sociaux que sont d'une part les dirigeants tels que les gérants, le directeur général, l'administrateur ; et les organes collégiaux, d'autre part en occurrence les assemblées générales, conseils d'administrations soulèvent de réelles difficultés101(*). Par ailleurs les postes de gestion et de direction étant ceux pour la plupart générateurs de comportements dommageables pour l'intérêt des associés et celui de la société, car incarnant le pouvoir exécutif au sein de la société, pouvoir qui peut déboucher sur des déviances et des abus si ce dernier n'est pas contrôlé et régularisé. Le contrepoids de ce pouvoir aux mains des dirigeants se fait donc par des mécanismes de contrôle précédemment évoqués, notamment à travers un processus de prise de décisions inclusif mettant à contribution les associés non-dirigeants. En outre il est prévu des régimes de sanctions dans le cadre de la gestion, car la collégialité102(*) dans le processus de prise de décision n'est pas systématique, elle concerne des points précis au-delà desquels le dirigeant a la légitimé de conduire la gestion sur la base de ses convictions personnelles. La sanction vient ici jouer le rôle de régulateur, canalisant ainsi le pouvoir des dirigeants, afin que ces derniers puissent endosser leur rôle et diriger la société en bon père de famille, sous peine d'engager leur responsabilité. Notre analyse s'articulera donc autour de la sanction pour la faute de gestion encourue par les associés (A) puis de la sanction des différents abus dans le processus de prise de décision collective(B). A- La sanction de la faute de gestion encourue par les associésLa sanction de la faute de gestion trouve son fondement à l'article 161 et suivants de l'AUSCGIE qui pose le principe de la responsabilité des dirigeants pour les fautes commises dans l'exercice de leur fonction.Il s'agit ici de la faute comprise dans son sens large, comme touteserreurs ou manquements volontaires ou involontaires causant un dommage. Il peut s'agir de celle dommageable à un ou plusieurs associés, aux tiers mais aussi à la société.Au nombre des faits générateurs de responsabilitéì figurent les infractions aux dispositions législatives ou règlementaires, de la violation des dispositions statutaires103(*). Cette violation peut revêtir plusieurs formes. Il peut s'agir d'un obstacle au contrôle, provoqueì par les dirigeants tendant à empêcher les actionnaires de participer aux assemblées104(*), d'un obstacle aux vérifications ou le refus de communication de documents, de la présentation ou de la publication des états financiers infidèles. L'article 892 de l'acte uniforme sur le droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique sanctionne quiconque aura empêché volontairement un actionnaire àparticiper à une assemblée105(*). Il peut s'agir de la suppression illicite du droit de vote de l'actionnaire par les dirigeants de la société anonyme106(*). Dans la catégorisation des fautes dommageables aux associés on peut avoir le préjudice politique qui est liée à la violation du droit des associés à prendre part aux décisions collectives et ceux liées à l'information. On peut aussi avoir le préjudice financier ; « Les dirigeants sociaux peuvent publier des états financiers de synthèse inexacts dans le but de réduire, par exemple, les dividendes distribués aux actionnaires. Cette pratique représente une infraction telle que prévue par l'article 890 de l'acte uniforme portant droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêtéconomique. »107(*) Pour ce qui est du préjudice subi par la société, il peut avoir pour point de départ, une simple faute de gestion108(*), l'abus de biens sociaux109(*), l'entrave à un contrôle nécessaire pour la société110(*), à la falsification de documents111(*). En outre, pour que la sanction soit appliquée, de façon efficace, il faudrait identifier le dirigeant qui encourtune telle sanction. On distingue en effet les dirigeants de droit et le dirigeant de fait. Le dirigeant de droit est celui qui tire sa légitimité des textes légaux, notamment les statuts il s'agit de toute personne physique ou morale que les statuts désignent régulièrement comme étant mandaté par les associés pour conduire la direction de la société, représentant cette dernière et les associés dans ces rapports avec les tiers. En ce qui concerne les dirigeants de fait, Ce sont les personnes, tant physiques que morales, qui, dépourvues de mandat social, se sont immiscées dans la gestion, l'administration ou la direction d'une société sous le couvert ou au lieu et place des représentants légaux de cette société. Il peut aussi s'agir d'associés qui se seraient comporté comme un dirigeant légal devant les tiers. L'acte uniforme ne dit mots en ce qui concerne l'étendu de la période de représentation, il peut s'agir d'un comportement ponctuel pour une affaire bien déterminé incluant les tiers , ou un comportement plus étendu dans le temps. Qu'il s'agisse du dirigeant de fait ou de droit, ils engagent tous les deux leur responsabilité vis à vis des tiers et des associés lorsqu'ils commettent des fautes de gestion. Il faut aussi noter que les dirigeants qui ne sont plus en fonction, révoqués ou démissionnaires peuvent aussi voir leur responsabilité engagé pour les fautes commises au cours de leur mandat de gestion, ils ne répondentcependant pas des fautes de gestion intervenues après leurs mandats. En ce qui concerne la mise en oeuvre de la responsabilité des dirigeants l'acte uniforme aménage deux voies d'action pour engager la responsabilité des dirigeants, il s'agit essentiellement de l'action individuelle et de l'action sociale. Cependant une analyse peut se faire aussi autours de l'action récursoire qui peut être mise en oeuvre aussi entre associés pour engager la responsabilité de l'associé fautif. Une analyse aurait pu se faire autour de l'action en comblement du passif car ce dernier est fondé sur la faute des dirigeant, cependant l'exigence de la procédure de liquidation devant exister pour mettre en oeuvre cette action l'exclus de notre analyse car il s'inscrit beaucoup plus dans la réparation et le traitement, c'est à dire en aval du conflit, que dans la prévention des conflits. En effet il s'agit d'une action qui intervient en fin de vie de la société, alors que notre analyse s'articule autour de la prévention et s'inscrit au cours de la vie sociale. L'associé quisubit personnellement un préjudice dispose d'une action tendant à réparer celui-ci. En effet, les articles 161 et suivants de l'acte uniforme portant droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique ouvrent aux associés l'action individuelle. Son exercice est subordonneì aÌ certaines conditions : d'une part, le préjudice subi par l'associé doit avoir été causeì par un dirigeant et non par la société elle-même ; d'autre part, ce préjudice doit être personnel, indépendant de celui qui a pu être subi par la société. Le fondement de l'action individuelle est donc basé sur la faute de gestion du dirigeant qui créée un préjudice personnel à l'associé. L'action individuelle se prescrit par trois ans(3ans)aÌ compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimuleì de sa révélation, et de dix ans (10ans) s'il y'a crime112(*). L'action individuelle est donc celle qui est ouverte pour le préjudice subi par l'associé du fait de la faute de gestion du dirigeant. Le tribunal compétent est celui du siège de la société. Il peut arriver que les dirigeants sociaux abusent de la société. Un tel abus est susceptible d'engager leur responsabilité. L'action sociale est alors l'action en réparation du préjudice subi par la société du fait de la faute commise par le ou les dirigeants sociaux, dans l'exercice de leurs fonctions. En principe, cette action est intentée par les dirigeants. La difficulté vient du fait que, les dirigeants sociaux sont tenus par le biais de cette action à engager leur propre responsabilité. En effet il est difficile de concevoir qu'un dirigeant puisse engager sa propre responsabilité du fait d'une faute qu'il aurait commis dans sa gestion,même quand on considère qu'il peut y avoir plusieurs dirigeants composant les organes sociaux, et que l'un d'un dirigeant peut dans le cadre de cette action engager la responsabilité d'un autre dirigeant en faute,cela reste quand même quasi impossible ,parce qu'il s'agit d'un organe qui travail en collégialité et qui par principe reste solidairement responsables des fautes découlant de leur gestion. il aurait été mieux compréhensible s'il était question de dirigeants en exercice qui engage la responsabilité des dirigeants sortant, fort heureusement que le législateur a étendu l'action aux associés. En cas d'inertie des dirigeants sociaux, un ou plusieurs associés peuvent intenter l'action sociale après une mise en demeure des organes compétents non suivie d'effets dans le délai de trente jours (30). Il s'agit alors de l'action sociale ut singuli. Celle-ci est exercée par les associés au profit de la société en vue de la réparation du préjudice social. L'exercice de l'action sociale aux fins de sanctionner les dirigeants sociaux, nécessite qu'il y ait eu, au préalable, des abus des dirigeants sociaux préjudiciables aÌ la société. Il est réputénulles toutes mentions des statuts qui subordonnent cette action à l'avis préalable ou autorisations des organes de gestions.113(*)Tout comme l'action individuelle, l'action sociale se prescrit par trois ans (3ans) aÌ compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimuleì de sa révélation, et dix ans (10ans) s'il y'a crime114(*) . Le tribunal compétent est celui du siège de la société. Ceci étant il faut noter par ailleurs que la responsabilité du dirigeant peut aussi être engagée par les associés par la voie de l'action récursoire. Le législateur en disposant que les actes des dirigeants extérieurs à l'objet social et accessoirement à l'intérêt social engage la société, reconnaît qu'en cas de faute sur cette base la responsabilité de la société est engagée du fait de la faute du dirigeant, une responsabilité qui compte tenu des circonstances porterait préjudice à la société et par ricochet aux associés car le dirigeant ayant commis une faute en dépassement de l'objet social et en violation de l'intérêt social. Dans ce cas, en interne, les associés peuvent au nom de la société engager une action récursoire contre le dirigeant fautif qui a agi en dehors de l'objet social et a porté préjudice à la société, il s'agit ici de faire réparer le préjudice,subi par la société du fait de l'action du tiers contre elle,et des dommages et intérêts versés à ce dernier. Lepréjudice est donc réparé par le dirigeant fautif. En ce qui concerne le contenu de la sanction encouru pour faute de gestion, trois sanctions sont envisagées par le législateur OHADA. Il s'agit de la nullité pour des actes contraire à l'intérêt social, des actes en violation de la règlementation, comme la falsification des documents, les actes privant l'associé de son droit de vote ou de la restriction de celui-ci etc. Au-delà de la nullité il est prévu des dommages et intérêts versés à la société pour les préjudices subis le dirigeant engage donc sa responsabilité civile.En cas de manoeuvre délictuelle le dirigeant peut voir sa responsabilité pénale engagée et ainsi en courir une peine privative de liberté. * 101 « Comme la responsabilitéì de l'assemblée générale ne saurait se concevoir, la jurisprudence s'attache plutôt àÌ dégager les contours de la responsabilitéì des dirigeants sociaux qui assument les conséquences préjudiciables de délibérations relevant des attributions exclusives de d'autres organes sociaux. C'est ainsi que le dirigeant assume la responsabilitéì de certaines décisions collectives, comme la fixation de rémunérations excessives octroyées au gérant qui relève normalement de la compétence exclusive de l'assemblée des associés. » Gouvernance et transparence en droit des sociétés de l'espace OHADA : perspectives de droit dur (hard Law) et de droit souple (soft Law) MoussaSamb ;op. cit. 2017, P7. * 102 Voir Julien Delvallée, la collégialité en droit des sociétés, prix de thèse 2018 paris 1-IRJS. * 103 L'article 741 de l'acte uniforme OHADA portant droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique subordonne l'exercice collectif de l'action individuelle aÌ la détention du vingtième au moins du capital social. * 10418 Art. 892 AUDSCGIE. * 105 Sur l'action en nullité des décisions de l'Assemblée générale, voir par exemple, Tribunal de Première Instance d'Abidjan, Jugement n° 1245 du 21 juin 2001, Michel Jacob et autres c/ Steì Scierie Bandama-Établissements Jacob et autres, Ecodroitn° 1 juillet - août 2001, p. 49, OhadataJ-02-19. * 106Tribunal régional de Niamey, Ord. de référé n° 070/TR/NY/2001 du 23 avril 2001, Magagi Souna c/ HassaneGarba et autre, OhadataJ-02-35. Selon cette décision, la libération des actions ayant fait l'objet d'une souscription est une exigence légale. Les actionnaires d'une sociétéì anonyme qui ont signéì une convention de portage d'actions et n'ont pas libéréì les actions dans le délai stipuleì dans la convention cessent d'avoir droit àÌ l'admission au vote dans les assemblées d'actionnaires. Ces actionnaires défaillants sont mal fondés aÌ convoquer une assemblée générale, convocation qui crée un trouble manifestement illicite justifiant l'intervention du juge des reìfeìreìs. * 107La mise en oeuvre de la responsabilité de dirigeants de société anonyme en droit OHADAP6-7. Ohadata D-05-52Par Willy James NGOUE docteur en droit, Assistant aÌ la faculté des sciences juridiques et politiques Université de Douala (Cameroun). * 108 « La faute de gestion consiste en un écart de conduite des dirigeants par rapport àÌ une gestion avisée des affaires sociales. Ainsi, le critère de la faute de gestion préjudiciable aÌ la sociétéì réside dans la notion d'intérêt social. Tout comportement du dirigeant non conforme aÌ l'intérêt de la sociétéì peut àÌ cet égard être assimileì aÌ une faute. Il peut s'agir d'un fait positif telle la souscription d'un engagement inconsidéréì et sans contrepartie pour la sociétéì ou d'une abstention telle l'inaction du dirigeant face au défaut de paiement de ses redevances par un locataire gérant. » La mise en oeuvre de la responsabilité de dirigeants de société anonyme en droit OHADAop. cit. Par Willy James NGOUE docteur en droit, Assistant aÌ la facultéì des sciences juridiques et politiques Universitéì de Douala (2). * 109 L'acte uniforme OHADA portant droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique détermine les abus liés aÌ la gestion sociale. A cet égard, l'article 891 de ce texte incrimine les abus portant sur les valeurs patrimoniales de la société telle l'abus des biens sociaux et du crédit. Cet article dispose que les dirigeants "qui de mauvaise foi, font des biens ou du crédit de la sociétéì un usage qu'ils savent contraire aÌ l'intérêt de celle-ci aÌ des fins personnelles, matérielles ou morales ou pour favoriser une autre personne morale dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement". * 110 Les dirigeants peuvent préjudicier la société, en faisant par exemple obstacle aÌ la désignation des commissaires aux comptes. Ceux-ci ont en effet pour rôle non seulement de contrôler la gestion, mais d'éviter que les dirigeants sociaux ne se livrent aÌ des actes d'aliénation des biens sociaux. Aussi, certains dirigeants sociaux sont parfois "désireux d'écarter un contrôle seulement gênant ou franchement dangereux pour eux s'ils ont commis des actes délictueux", alors que d'autres "peuvent y mettre obstacle de manière plus ou moins directe" * 111 Aux termes de l'article 889 de l'acte uniforme portant droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique "encourent une sanction pénale, les dirigeants sociaux qui, en l'absence d'inventaire ou au moyen d'inventaire frauduleux auront sciemment opéréì entre les actionnaires ou les associés la répartition des dividendes fictifs". * 112 Art 164 AUSCGIE. * 113 Art 168 AUSCGIE. * 114 Art 170 AUSCGIE. |
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