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Les conflits entre associés en droit des sociétés commerciales OHADA


par Osiris Samuel Zaki
Université Gaston Berger de Saint-Louis - Master II recherche 2019
  

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B- L'administration provisoire, un mécanisme de gestion approfondi du conflit

La mésentente entre associés peut aboutir à un conflit plus grave, de sorte que cela constitue un frein au bon fonctionnement de la société. Dans ce cas d'espèce la désignation d'un mandataire ad hoc ne sera pas une solution idoine, car celui-ci a seulement une mission ponctuelle, quand des associés ne parviennent pas à s'entendre sur un point précis sans que cela ne puisse constituer un frein pour le fonctionnement de la société210(*). Ainsi c'est pour cela que ce dernier n'a qu'un rôle ponctuel. Cependant dans la mesure où le problème est plus profond de sorte à rompre la communication entre les associés, qui ne s'entendent plus pour conduire les affaires de la société en représentant ainsi eux-mêmes un danger pour la société et sa survie, le juge dans ce cas a le devoir de trouver une solution plus durable qui permettrait en amont de pérenniser les activités de la société et donc sa survie puis en aval de permettre aux associés en conflit de résoudre leurs différends.

C'est en effet ce qui ressort de l'acte uniforme211(*), quand le législateur préconise dans ce cas d'espèce la nomination d'un administrateur provisoire qui sera chargé de conduire la société en l'état.

L'administrateur provisoire est « la personne désignée par la justice pour administrer un bien ou un patrimoine 212(*)». En droit des sociétés, on entend généralement par « administrateur provisoire » « le mandataire qui est appelé aÌ intervenir dans la gestion d'une société, soit pour se substituer purement et simplement aux organes de gestion, soit pour exercer une mission spécifique »213(*). C'est donc un mécanisme d'exception qui permet au juge de s'immiscer dans la vie et la gestion de la société pour sauvegarder les différents intérêts en jeux, notamment celui de la société, des créanciers, salariés etc.

Cependant bien qu'étant nécessaire et même parfois vital pour la société, l'intervention du juge doit respecter une procédure bien définie. En effet le juge n'intervient pas d'office, il est saisi par requête et compte tenu de l'importance et l'urgence d'une telle situation la procédure usitée est en référé.

L'acte uniforme limite les personnes habilitées à saisir le juge aux seuls acteurs directes de la société en occurrence les organes de gestions et d'administration et des d'associés214(*). Le législateur en limitant l'action au seul noyau central de la structure sociale recherche sans doute la sécurité et la légitimité des personnes habilitées à agir en justice, car il s'agit là vraisemblablement du noyau fondateur de la société et/ou des personnes ayant un intérêt ou un lien direct avec la société. Sauf que dans bien des cas les conflits conduisant à ce genre de mesures d'exceptions ont pour foyer principal ces mêmes acteurs centraux, qui n'ont pas toujours intérêt à ce qu'une telle procédure advienne pour les dessaisir partiellement ou totalement de la gestion des affaires de la structure sociale. L'efficacité et la sécurité recherchée par le législateur en ouvrant l'action qu'aux seuls organes de gestions, d'administrations sont en réalité poreuses et lacunaires. En analysant de façon rigoureuse on constate que les personnes dans ce cas de figure qui ont plus intérêt à voir une telle mesure judiciaire s'appliquer, sont exclues quant à l'introductiond'une telle action. En effet dans cette configuration où des associés probablement constitués en clans incluant les différents organes de gestion et d'administration engagés dans un conflit d'une telle ampleur qu'il paralyse les activités de la société, ceux qui risquent de sortir perdant d'une telle situation si la société venait à mourir sont les salariés215(*) , les créanciers et plus loin de façon indirect l'État. Si on peut comprendre l'exclusion du dernier dans l'initiative de l'action judiciaire de par sa nature et du fait qu'il n'ait aucun lien direct avec la société, il n'en est pas de même pour les deux premiers. En effet les deux ont un intérêt direct au bon fonctionnement de la société, le premier parce qu'il s'agit de son gagne-pain et pour le deuxième, la société qui marche bien sainement est une garantie de recouvrement ultérieur à terme de sa créance. Le législateur OHADA aurait dû considéré plus rigoureusement cet état de chose en ouvrant l'action aux autres acteurs présentant des intérêts manifestes qui bien n'étant pas membres des organes d'administration ou de gestion ,comme il est fait dans d'autres organismes communautaires216(*) comme la CEMAC217(*),UEMOA218(*) ou encore la CIMA219(*) ou s'inspirer du droit interne de certains pays membre de l'OHADA en ce qui concerne les sociétés à capital publics ou d'établissements publics d'administrations220(*). En effet plus de garde-fous, garantissent plus de sécurité et d'efficacité du mécanisme dans la mesure où l'action sera introduite à temps de sorte à permettre une meilleure prise en charge du problème.

Le juge saisi par la requête après constatation de l'effectivité de la situation nomme un administrateur provisoire221(*) qui doit, selon l'acte uniforme être « une personne physique qui peut être un mandataire judiciaire inscrit sur une liste spéciale ou toute autre personne justifiant d'une expérience ou une qualification particulière au regard de la nature de l'affaire et remplissant certaines conditions de qualification et de réputation. ».

Ce dernier aura pour mission222(*) d'administrer de façon partielle ou totale la société. En effet le juge fixe le pouvoir de l'administrateur qui peut être étendu ou restreint. Un pouvoir étendu suppose le dessaisissement des autres organes de gestion. Lorsqu'il est restreint cela sous-tend que le juge garde en place certains organes de gestions, et dans ce cas il fixe le pouvoir de chacun.

Dans l'hypothèse où le juge ne fixe pas les pouvoirs du mandataire, la question qui se pose est de savoir si celui-ci pourra prendre toutes les décisions. Ainsi dans la mesure où le juge ne fixe pas les pouvoirs de l'administrateur provisoire celui-ci ne pourra agir selon son bon vouloir. Dans ce cas il est tenu et encadré par le droit commun de la représentation. En effet étant un représentant judiciaire, il ne pourra accomplir que des actes de conservation et d'administration, il n'a pas la possibilité d'aliéner ou de disposer des biens de la société. Il est responsable à l'égard des tiers et de la société des conséquences dommageables des fautes qu'il commet dans l'exercice de ses fonctions.

L'administrateur provisoire est rémunéré par la société, toute fois sa rémunération est fixée par le juge. La durée de la mission de l'administrateur provisoire ne doit excéder six mois, il est toutefois renouvelable sans que la durée totale ne dépasse douze mois223(*) soit un an. La prorogation du délai se fait à certaines conditions. La demande de prorogation est d'abord faite par l'administrateur lui-même qui « dans sa demande de prorogation, doit indiquer, a peine d'irrecevabilité, les raisons pour lesquelles sa mission n'a pu être achevée, les mesures qu'il envisage de prendre et les délais que nécessitent l'achèvement de la mission » sur la demande d'un associé l'administrateur provisoire peut être révoqué224(*).

La mission de l'administrateur provisoire prend fin à l'accomplissement de sa mission, à l'écoulement de la durée totale dédiée à sa mission sans tenir compte dans ce cas de la réussite de sa mission, et dans bien de cas à la mort de la société.

* 210Cour d'Appel d'Abidjan, dans l'affaire Société Négoce Afrique Côte d'Ivoire dite NACI-SA c/ la Société WIN SARL. La Cour censure en ces termes: « Dès lors, quand bien même l'effectivité d'un litige entre MANUEL TERREN et les autres associés de la société NACI, ne peut faire l'objet de contestation, il n'en demeure pas moins, qu'il n'a existé de fait, aucun blocage dans l'Administration et la gestion de ladite société ; Ainsi, le Premier Juge, en ne fondant sa décision de nomination d'un Administrateur provisoire au sein de la société NACI, sur le seul fait que ladite mesure ne lésait aucune des parties au litige alors qu'il eut fallu rechercher en l'espèce, l'existence ou non, d'une paralysie dans le fonctionnement de ladite société, n'a donné de base légale à sa décision; Il y a donc lieu d'infirmer l'ordonnance querellée; Statuant à nouveau, il convient de dire que la demande en nomination d'un administrateur provisoire de la société NACI n'est en l'état, nécessaire; en sorte que les organes dirigeants de ladite société demeurent toujours en fonctions...».

* 211Article 160-1 AUSCGIE

Lorsque le fonctionnement normal de la société est rendu impossible, soit du fait des organes de gestion, de direction ou d'administration, soit du fait des associés, la juridiction compétente statuant à bref délai, peut décider de nommer un administrateur provisoire aux fins d'assurer momentanément la gestion des affaires sociales.

* 212 Mouhamadou BOYE Maître assistant associé, Enseignant/chercheur, Université Gaston Berger (Sénégal)

L'administration provisoire des sociétés commerciales en OHADA, 1 Avril 2016, introduction.

* 213 POTTIER E. et DE ROECK M., L'administration provisoire : bilan et perspectives, RDC, 1997, p. 205.

* 214Article 160-2 AUSCGIE. La juridiction compétente est saisie parla requête soit des organes de gestion, de direction ou d'administration, soit d'un ou plusieurs associés. A peine d'irrecevabilité de la demande, la société est mise en cause.

* 215 Il s'agit ici de tout salarié de la société incluant le commissaire aux comptes. En effet l'exclusion de ce dernier dans l'initiative de la requête est surprenant, car il s'agit de l'organe qui dans le fonctionnement de la société veille à la bonne gestion et gouvernance de la société. Dans la mesure où ce dernier a été habilité à agir dans l'intérêt de la société notamment la possibilité qui lui ait reconnu de lancer une procédure d'alerte, ou de convoquer des AG d'informations. En effet tout comme dans la procédure d'alerte où on peut résumer son rôle à informer le juge d'un disfonctionnement, il s'agit ici aussi d'informer le juge par rapport à une situation pouvant devenir dommageable à la société. Le caractère de légitimité recherché par le législateur s'effrite devant la garantie d'efficacité et de sécurité qu'offre l'ouverture de l'action au commissaire aux comptes, membre actif et organe important de la vie sociale.

* 216 Contrairement au législateur OHADA qui a entendu limiter le bénéfice de la demande de l'administration provisoire aux seuls acteurs internes de la société, les législations de la CEMAC, de l'UEMOA et de la CIMA reconnaissent respectivement à la Commission Bancaire de l'Afrique centrale, à la Commission bancaire de l'UEMOA et à la Commission régionale de contrôles des assurances le droit d'initier une telle demande pour les sociétés relevant de leurs ressorts respectifs. Il ressort, en effet, des textes en vigueur dans la zone CEMAC que le pouvoir d'initiative de la procédure d'ouverture de l'administration provisoire des établissements de crédit appartient à la COBAC (Commission Bancaire de l'Afrique Centrale). La convention de 1990 ne reconnaît pas, contrairement au droit OHADA, ce droit aux titulaires du pouvoir de direction et d'administration. La COBAC initie cette procédure sur saisine d'office. Par ailleurs, l'alinéa 4 de l'article 16 de l'annexe de la Convention de 1990 étend le droit d'initiative de la désignation de l'administrateur provisoire au président de la COBAC en ces termes "en cas d'urgence, le président de la Commission Bancaire procède lui-même à la désignation d'un administrateur provisoire sous réserve de notification par la commission lors de sa prochaine séance".

* 217 Communauté Économique et Monétaire de l'Afrique Central

* 218 Union Économique et Monétaire Ouest Africain

* 219 Conférence Interafricaine des Marchés de l'Assurance

* 220  Sur le plan national, plusieurs législations des États de l'OHADA ont mis en place des mécanismes de recours à l'administration provisoire pour assurer le sauvetage des sociétés à capital public et des établissements publics administratifs en difficulté. Cette initiative a consisté en l'octroi à une autorité nationale du pouvoir de désigner un administrateur provisoire à la tête de telle ou telle entreprise publique lorsqu'une situation donnée le justifie. Pour l'essentiel, les formules dégagées, par exemple en droit camerounais et en droit gabonais, font état de l'ouverture de l'administration provisoire pour des causes de crises graves susceptibles de mettre en péril les missions d'intérêt général, l'objet social ou les objectifs sectoriels du gouvernement ou pour des nécessités de restructuration de l'entreprise . Ces causes seront reprises par d'autres pays avec une formulation quelque peu différente. Ainsi, en droit burkinabé peut-on relever semblables dispositions en ces termes : "en cas de difficulté graves de nature à compromettre la continuation de l'activité de la société ou de mettre en péril des intérêts des créanciers, l'État peut procéder à la nomination d'un administrateur provisoire". Ce motif de crise grave a justifié la mise sous administration des sociétés telles que l'Office ivoirien des chargeurs (OIC) ou Faso Fani.

* 221Art 160-3 AUSCGIE

La décision de nomination de l'administrateur provisoire est publiée dans un délai de quinze (15) jours à compter de la date de sa nomination, dans un avis inséré dans un journal habilité à recevoir les annonces légales dans 1'Etat partie du siège social. II contient, outre les mentions visées à 1'article 257 ci-après, les mentions suivantes :

- La cause de I `administration provisoire ;

- Les noms, prénoms et domicile du ou des administrateurs provisoires ;

- Le cas échéant, les limitations apportées à leurs pouvoirs ;

- Le lieu où la correspondance doit être adressé et celui où les actes et documents concernant I' administration provisoire doivent être notifiés;

- Le greffe de la juridiction compétente ou l'organe compétent de 1'Etat partie auprès duquel est effectué, en annexe au registre du commerce et de crédit mobilier, le dépôt des actes et pièces relatifs a I' administration provisoire.

* 222 Art 160-4 et suivants

* 223 Art 160-2 de l'AUSCGIE

* 224Article 160-7 AUSCGIE

L'administrateur provisoire peut être révoqué et remplacé selon les formes prévues pour sa nomination.

Tout associé peut obtenir en justice la révocation de I' administrateur provisoire si cette demande est fondée sur un motif légitime.

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