II- De la
répression financière a la libéralisation
financière au Cameroun
Tout comme la plupart des pays sous-développés
et des pays d'Afrique subsaharienne, le Cameroun pratiquait une
sévère répression à l'égard de son
système bancaire. Assise sur les idées keynésiennes de
l'impulsion économique par l'action de l'Etat, la répression
financière qui accordait très peu de liberté d'action aux
banques, visait à faire de la finance un outil au service de la
politique économique de l'Etat. Mais très vite cette façon
de faire va montrer ses limites, avec le déclenchement des graves crises
dans le système bancaire. Les crises étaient la
conséquence d'une omniprésence de l'Etat dans le secteur
financier qui s'est finalement révélée fatale,
combinée à un cadre macroéconomique défavorisant.
La nécessité de muter pour une vision libérale de la
finance s'est imposée notamment avec le grand écho reçu
par les exposés de Mc Kinnon et Shaw du début des années
70. C'est ainsi que le Cameroun, atteint par une sévère crise
bancaire dans le milieu des années 80, entreprît sous
l'égide du FMI, une vaste opération de réforme du
système bancaire avec au bout l'émancipation des banques du
dirigisme de l'Etat et le renforcement de la réglementation
prudentielle. Les conditions de banque furent libéralisées, mais
de quelle manière et pour quels résultats pour la
stabilité bancaire ? Il sera question dans cette section de retracer la
répression financière à l'origine de la crise bancaire
(A), et d'analyser les contours de la libéralisation financière
au Cameroun (B).
A- La crise bancaire des années 80
ou la conséquence de la répression financière
1- Les causes de la crise
a- Les causes institutionnelles : le
dirigisme étatique
L'Etat a joué un rôle plus que déterminant
dans la crise bancaire au Cameroun. Sa très forte présence dans
ce secteur aura été asphyxiante et a noyé les
activités des banques. L'Etat détenait des parts importantes de
capital, s'impliquait dans la gestion des banques etc.
L'interventionnisme de l'Etat l'a conduit à
privilégier ses stratégies au détriment des règles
prudentielles.
Concernant sa participation au capital des banques, l'Etat
était l'actionnaire principal. En 1973, l'Etat camerounais va
entreprendre une réforme visant à permettre une plus grande part
des intérêts publics dans le capital social des banques.
L'ordonnance du 30 août 1973 complétée par celle no 85/002
du 31 août 1985 relative à l'exercice de l'activité
bancaire, en son article 5, précise que : « la
structure du capital social des banques doit faire apparaitre la
présence des intérêts publics qui ne peuvent être
inférieurs au tiers des actions souscrites. ». Ainsi en 1980,
la part de l'Etat dans le capital social des banques, en dehors de la Cameroon
Bank Limited (CAMBANK) et de la Banque Unie de Crédit, atteignait les
67%. Jusqu'en juin 1992, sa part dans le capital social des banques
commerciales est encore élevée, bien que plus faible par rapport
aux années antérieures : 33%, contre 37% pour les banques
étrangères. En plus l'Etat détient 75% des actions des
établissements financiers et autres institutions financières.
L'Etat était le principal pourvoyeur de fonds dans les banques
commerciales.
Tableau 1:
Dépôts de l'Administration centrale dans les banques
commerciales
(En milliards de FCFA)
Années
|
1975
|
1976
|
1977
|
1978
|
1979
|
1980
|
1981
|
1982
|
1983
|
1984
|
1985
|
Dépôts
|
9,4
|
29,3
|
34.2
|
44.0
|
66.9
|
76.2
|
173.8
|
158.1
|
127.5
|
138.5
|
143.7
|
Source : extrait d'Avom et Eyeffa (2007)
Les banques vont d'autre part concevoir la présence de
l'Etat dans le capital social comme une garantie face à tout risque, ce
qui les amènera à sous évaluer les défauts de
remboursement de leurs débiteurs. En effet elles considéraient
que l'Etat ne ferait pas faillite et donc qu'en cas de difficultés il
interviendrait en tant que prêteur en dernier ressort via la banque
centrale.
Tableau 2 :
Créances de l'Administration centrale dans les banques commerciales (en
milliards de FCFA)
Années
|
1975
|
1976
|
1977
|
1978
|
1979
|
1980
|
1981
|
1982
|
1983
|
1984
|
1985
|
Montants
|
8.6
|
11.0
|
15.9
|
21.1
|
21.5
|
29.3
|
35.4
|
49.8
|
61.9
|
69.4
|
82.4
|
Source : extrait d'Avom et Eyeffa (2007)
Bénéficiant de ressources budgétaires
abondantes et appréciant surtout la clientèle des entreprises
publiques et parapubliques, les institutions bancaires se sont
désintéressées de l'épargne privée qui
représentait en moyenne 31 % de l'épargne nationale brute entre
1980 et 1985, alors que celle-ci aurait pu faire contrepoids à la
diminution en volume des dépôts publics intervenue dès
1987.
De plus l'Etat décidait de la nomination des
responsables des banques. Ces responsables, pour la plupart sans
expérience ni connaissance du management bancaire vont se lancer dans
des décisions contreproductives en octroyant des prêts mal
avisés qui représentent en 1987 à peu près le quart
du total des actifs des banques en activité (Tamba et Tchamanbe, 1995).
En réalité il s'agissait des prêts
« politiques » c'est-à-dire accordés à
de personnalités importantes du régime (Avom et Eyeffa, 2007),
à des hauts fonctionnaires et aux membres de la tribu (Nembot Ndeffo et
Ningaye, 2011), et dont la probabilité de remboursement était
quasi nulle. Donc les crédits octroyés n'étaient pas
toujours remboursés. L'octroi des facilités des banques passent
de 323 milliards en 1979 à 1081 milliards en 1989. Les créances
douteuses sont passées de 5.6 milliards en 1980 à 38 milliards au
plus fort de la crise. Au 30 juin 87 elles sont évaluées à
138.2 milliards, et en 1988 elles passent à 189.5 milliards, augmentant
ainsi de 37.1%.
Tableau 3: Evolution des
crédits bruts à l'économie et des montants de
créances douteuses
Indicateurs
|
Structure du crédit brut (1)
|
Montant des créances douteuses des banques
(1)
|
Proportion des créances douteuses
|
1980
|
805.2
|
23.3
|
5.6
|
1981
|
1057.5
|
35.3
|
6.3
|
1982
|
1276.1
|
42.8
|
6.3
|
1983
|
1525.5
|
51
|
6.3
|
1984
|
1780.9
|
69.6
|
8.6
|
1985
|
1984.2
|
123.7
|
14.1
|
1986
|
1986.9
|
107.7
|
10.9
|
1987
|
1993.4
|
154.1
|
15.2
|
1988
|
2048.8
|
212.3
|
20.7
|
1989
|
1611.8
|
333.7
|
30.7
|
1990
|
1428.5
|
256.7
|
34.1
|
(1)En milliards de FCFA
Source : extrait de Bita (2008), p 61
Le dirigisme étatique a donc entrainé la
diminution des marges des banques, l'impossibilité de recouvrir les
crédits octroyés et l'accomplissement des créances
douteuses qui en 86 sont sept fois supérieurs au montant des provisions
constituées.
|