B- La théorie de la
libéralisation financière de Mc Kinnon/Shaw
Mc Kinnon (1973) et Shaw (1973) sont les pionniers de la
théorie de la libéralisation financière. Ils
développent leurs idées sur le paradigme de la
répression financière. La libéralisation
financière se situe donc aux antipodes de la répression
financière. Ces deux auteurs construisent un plaidoyer pour
libérer le système financier des contraintes étatiques.
Ils expliquent que le très bas niveau de développement des pays
sous-développés est dû à de fortes contraintes
pesant sur le système financier et notamment bancaire (dans les pays
sous-développés les marchés financiers ne sont que peu ou
pas existant). Ces contraintes caractérisent une situation de
répression financière qui ne permet pas l'essor du
système financier et par conséquent l'évolution de la
croissance économique. Cette répression financière se
manifeste par la fixation des taux d'intérêt réels
au-dessous de leur valeur d'équilibre du marché (ce qui
réduit l'épargne), l'imposition aux banques de constituer des
réserves obligatoires élevées ( cela signifie que la
totalité des dépôts n'est pas transformée en
crédit, nuisant ainsi à l'investissement), qui serviront
à financer le déficit budgétaire à moindre
coût, l'obligation faite aux banques de financer en priorité les
projets gouvernementaux peu rentables, une mainmise de l'Etat sur le
système financier débouchant sur la nationalisation pure et
simple des banques, un niveau d'inflation élevé.
La répression financière trouve son origine dans
la théorie keynésienne de l'interventionnisme Etatique. Elle est
basée sur la théorie de la croissance de la
préférence pour la liquidité développée par
Keynes (1936) : pour assurer le plein emploi, il est nécessaire que
le taux d'intérêt soit inférieur au taux de
préférence pour la liquidité. Aussi les taux
d'intérêt doivent être faibles afin d'éviter la chute
des revenus (Eggoh, 2009). Si Mc Kinnon et Shaw aboutissent aux mêmes
conclusions, ils utilisent des hypothèses et une méthodologie
bien différentes.
L'approche de Mc Kinnon (1973) est basée sur
l'hypothèse d'absence de marchés financiers organisés et
de fragmentation de l'économie. Il se situe dans le cadre d'une
économie primitive, sans développement financier (le
développement financier n'est encore qu'au premier stade,
c'est-à-dire la monnaie est externe.) où les agents sont
contraints à l'autofinancement. La fragmentation désigne le fait
que « les entreprises et les ménages sont tellement
isolés qu'ils doivent faire face à des prix effectifs
différents pour la terre, le capital et les marchandises et qu'ils n'ont
pas accès aux mêmes technologies » (1973, p 5). Il
n'est pas possible dans cette économie de distinguer entre
épargnants (ménages) et investisseurs (entreprises). Il n'y a pas
de relation monétaire entre les agents : les entreprises et les
ménages ne peuvent se prêter ou s'emprunter les uns aux autres.
Du fait de l'autofinancement, les banques n'octroient pas de
crédit. Elles se limitent à collecter les dépôts
qu'elles rémunèrent et restituent. L'emprunt auprès des
banques est impossible. Tout investissement, supposé indivisible, est
donc autofinancé par accumulation préalable (épargne).
Cette épargne peut prendre la forme d'une épargne sous forme
d'actifs réels improductifs, ou d'une épargne sous forme
d'encaisses monétaires réelles (dépôts bancaires).
L'épargne sous forme de dépôts bancaires est une fonction
croissante de sa rémunération réelle. Plus le taux
d'intérêt sur les dépôts augmente, plus l'incitation
à investir est grande. Cependant comment les banques font pour
rémunérer les dépôts qu'elles collectent en
l'absence d'une activité d'octroi de crédit ? Mc Kinnon n'y
apporte pas de réponse, même si dans la suite il redonne aux
banques leur fonction traditionnelle d'intermédiation financière
(collecte de l'épargne et octroi de crédit).
En somme Mc Kinnon ne s'intéresse pas au marché
de crédits mais plutôt à celui des dépôts
bancaires. Il décrit la situation d'une économie peu
monétarisée dans laquelle le faible niveau du taux
d'intérêt décourage l'épargne et donc
l'investissement des ménages, qui préfèrent détenir
leur actif sous forme d'encaisses réelles. Toutefois la
monétarisation d'une telle économie reste possible à
condition d'augmenter le taux d'intérêt réel (augmentation
du taux d'intérêt nominal et/ou diminution de l'inflation). Cette
augmentation du taux d'intérêt crée un marché de
l'épargne. C'est donc maintenant le prix qui crée le
marché et non plus le marché qui détermine le prix.
Dans son modèle d'intermédiation de la
dette, Shaw (1973) se situe dans une économie
monétarisé où les banques assurent déjà
pleinement leur rôle d'intermédiaires financiers. Le
développement financier a atteint le second stade (la monnaie est
interne). La fixation arbitraire des taux d'intérêt réels
au-dessous de leur valeur d'équilibre du marché (augmentation des
taux d'intérêt nominaux) entraine une chaine de
conséquences négatives. En effet la diminution des taux
d'intérêt réels dés-incite les ménages
à l'épargne, réduit les dépôts bancaires et
donc les fonds disponibles pour l'investissement. Il s'en suit également
une modification du comportement des intermédiaires financiers. Ceux-ci
deviennent en effet très prudents vis-à-vis de tout projet
risqué et augmentent leur préférence pour la
liquidité. Ceci se répercute sur la qualité de
l'investissement. Les banques vont préférer financer les projets
peu rentables mais à faible risque. Cette prudence se justifie par
l'incapacité légale des banques à percevoir une prime de
risque pouvant couvrir le financement des projets risqués. Tout ceci
affecte négativement la croissance économique. En agissant sur la
baisse des taux d'intérêt sur les dépôts et les
prêts (réduction du coût de l'emprunt), le gouvernement
cherche à encourager l'investissement dans certains secteurs.
Dans le modèle de Shaw (1973), On suppose que
l'investissement (I) est une fonction décroissante du taux
d'intérêt réel (r) et que l'épargne (S) est une
fonction croissante du taux de croissance du PIB (g) et du taux
d'intérêt réel (r). Le taux de croissance initial de
l'économie est g1. On a : g1< g2 < g3. Les taux
d'intérêt r1 et r2 correspondent à deux situations
d'administration des taux d'intérêt à la baisse telles que
: r1< r2 < r* avec r* : taux d'intérêt réel
d'équilibre tel que I* = S*. Pour r1 (taux d'intérêt
réel servi sur les dépôts bancaires), l'épargne est
égale à I1. Si les banques pouvaient fixer leur taux
créditeur au niveau désiré, alors celui-ci se fixerait en
r3 (pour l'investissement II) et la marge ainsi dégagée (r3 - ri)
par le secteur bancaire régulé mais concurrentiel, pourrait
servir à financer des actions de concurrence non-prix (publicité,
prestation de nouveaux services...).
Figure 3 : Les effets de la répression
financière sur l'épargne et l'investissement
Source : Eggoh (2009)
Pour un taux d'intérêt fixé à
r1, la demande d'investissement correspondant est (AB),
investissement probablement rentable mais non satisfait. En effet, le
plafonnement des taux d'intérêt peut conduire les banques à
adopter un comportement de prudence (préférence des projets peu
risqués et donc peu rentables) compte tenu de l'incapacité
légale de percevoir la prime de risque nécessaire au financement
des projets plus risqués. Le relèvement des taux
d'intérêt (passage de r1 à r2) traduit le
relâchement de la contrainte financière (passage de Fà F')
qui a pour conséquence le rationnement des investissements à
faible rentabilité qui précédemment étaient
financés qui est illustré par la zone hachurée de la
figure 1. En outre, r2 correspond à une situation
d'administration des taux d'intérêt, dont la hausse entraîne
une réduction de la demande d'investissement rationnée qui passe
de (AB) à (CD). Enfin, La demande d'investissement
insatisfaite ne disparaît qu'à la condition que r se fixe à
r*, i.e. que l'administration à la baisse des taux disparaisse.
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