CHAPITRE 2 : LIBERALISATION
FINANCIERE ET CROISSANCE ECONOMIQUE : REVUE DE LA LITTERATURE
INTRODUCTION
Apres les développements émulant des auteurs
comme Bagehot (1873) et Schumpeter (1911) sur l'importance du secteur financier
pour le développement économique, la théorie
keynésienne, au cours de la seconde moitié du 20e
siècle, a développé une théorie économique
qui réserve peu de place à la finance, et la mise en oeuvre de
politiques inflationnistes incompatibles avec le développement
financier. Il aura fallu attendre le retour en grâce de la théorie
néoclassique dans les années 70 pour voir émerger une
nouvelle conception de la finance dans le processus de croissance
économique et de développement. C'est dans ce contexte que Mc
Kinnon (1973) et Shaw (1973) estiment que le développement financier est
indispensable à la croissance économique, et que la faible
croissance économique des pays sous-développés serait due
à leur faible niveau de développement financier. Par
conséquent, ils préconisent la libéralisation
financière comme solution à la faible croissance
économique et par ce même biais au sous-développement. Ces
exposés théoriques, après avoir reçu un écho
favorable auprès des organisations internationales (FMI et Banque
Mondiale), furent donc expérimentés dans de nombreux pays en
développement. Les résultats furent mitigés, et
déjà dans certains pays le sous-développement
économique et financier laissait place à l'instabilité
économique et aux crises financières (Mexique, Argentine...). Le
titre de l'article deDiaz-Alejandro «Good-Bye Financial Repression, Hello
Financial Crash» (1985) caricature ironiquement bien cette situation.
Face à ces échecs des politiques de libéralisation
financière, de nombreux courants de la littérature ont
élaboré dans les années 80, une analyse critique de la
thèse de Mc Kinnon et Shaw.
Dans ce chapitre, nous passons en revue et de façon
détaillée les fondements et controverses théoriques autour
de la libéralisation financière (section 1), et nous analysons
dans les différents travaux empiriques sur la relation entre la
libéralisation financière et la croissance économique
(section 2).
SECTION 1 : FONDEMENTS ET CONTROVERSES THEORIQUES DE LA
LIBERALISATION FINANCIERE
La libéralisation financière trouve ses
fondements dans les idées de Mc Kinnon (1973) et Shaw (1973) pour qui le
retard économique des pays sous-développés est dû
à la répression financière. Ils vont ainsi
préconiser la libéralisation des systèmes financiers afin
d'atteindre une croissance rapide, stable et durable. Cette section consiste
à exposer les arguments des pionniers de la libéralisation
financière (I), les canaux d'action de la libéralisation
financière sur la croissance économique (II), et les critiques
adressées à l'encontre des idées de Mc Kinnon/Shaw
(III).
I- Les auteurs pionniers de la
libéralisation financière et leur prolongement
Tout d'abord nous mettons en exergue le rôle du
système financier dans la croissance économique, avant d'aborder
les arguments fondateurs de la libéralisation financière.
A- L'importance du secteur financier
pour l'économie réelle
Avant toute chose, le rôle des intermédiaires
financiers, dans l'hypothèse d'une économie primitive, se
justifie par la résolution du problème de la double
coïncidence né des échanges réalisés par le
troc. En absence d'intermédiaire financier, il faudrait que le
prêteur rencontre le demandeur de crédit qui puisse être
d'accord pour emprunter le montant proposé par le prêteur, au taux
d'intérêt et pour la durée qu'il souhaite ; ce qui n'est
pas évident. Les intermédiaires financiers par contre permettent
de régler ce problème, en collectant et en centralisant
l'épargne des agents excédentaires et en octroyant des
crédits aux agents déficitaires.
Le premier rôle dévolu au système
financier se situe donc dans l'allocation optimale des ressources. Le
système financier permet la collecte de l'épargne et son bon
usage. Un système financier fonctionnant efficacement draine les
ressources disponibles vers les projets les plus rentables, susceptibles
d'accroître la productivité et, par conséquent, la
croissance économique.
Ainsi Bagehot (1873) explique que le succès du
développement britannique est dû à la
supériorité de son marché financier de par la
facilité relative à mobiliser l'épargne pour financer les
investissements à long terme. La mise en place des technologies en
Angleterre auraient été facilité par les
opportunités d'accès au financement des entreprises. Le
sous-développement économique serait donc lié à
l'impossible mobilisation des ressources, caractéristique d'un
système financier atrophié ou quasi inexistant. Schumpeter (1911)
renchérit que le développement financier stimule la croissance
économique à travers l'allocation efficace des ressources. Les
banques jouent un rôle important dans le développement de
l'innovation technologique en finançant les projets à forte
chance de succès. Il met plus l'accent sur l'octroi de crédit et
non sur la mobilisation de l'épargne. La banque assure le financement de
l'entrepreneur innovateur par création monétaire sans s'assurer
de l'existence d'une demande face à l'offre d'une part, et sans pouvoir
évaluer le risque lié à l'activité d'innovation de
l'entrepreneur. Dans ce même ordre d'idées, pour De la Fuente et
Martin (1996), les intermédiaires financiers émergent de
manière endogène. Ils offrent une meilleure assurance aux firmes
et les incitent à prendre le risque en recherche-développement.
Les intermédiaires financiers favorisant l'innovation, une
corrélation positive apparaît entre le développement
financier et la croissance économique.
En outre le système financier permet de collecter,
d'analyser et de transmettre l'information à moindre coût ; il
élimine le risque de liquidation prématurée d'actifs
productifs permettant l'accumulation du capital physique et du capital humain
sources de croissance économique. Les intermédiaires financiers
permettent une diversification du risque et rendent plus attractive la
spécialisation des investissements, facilitant ainsi l'accroissement de
la productivité marginale du capital. Ce que confirment King et Levine
(1993 b), pour qui les intermédiaires financiers évaluent les
projets d'investissement, mobilisent l'épargne et financent les
activités innovantes à forte productivité en diversifiant
les risques. Les intermédiaires financiers efficaces accroissent la
probabilité de succès de l'innovation et accélèrent
la croissance économique. A l'inverse, les distorsions subies par le
système financier réduisent le taux d'innovation et par
conséquent la croissance économique. Bencivenga et Smith (1991)
montrent que grâce à la loi du grand nombre, les
intermédiaires financiers (les banques) ont la capacité de mettre
en commun les risques de liquidité des épargnants et d'investir
une part plus importante de leurs fonds dans des projets illiquides, mais plus
productifs. Les banques éliminent ainsi le risque de liquidation
prématurée d'actifs productifs par le désir d'un agent
isolé de disposer de sa liquidité. Les intermédiaires
financiers stimulent ainsi la croissance. Berthelemy et Varoudakis (1995)
promeuvent le développement du système financier en
précisant l'interaction et même l'interdépendance entre le
secteur réel et le secteur financier. Pour eux, les effets
croisés (des secteurs financier et réel) permettent
l'éventuelle existence d'équilibres multiples. Au-dessus d'un
certain seuil, le développement financier s'accompagne d'une croissance
élevée qui, en retour, est favorable au système financier.
Alors qu'au-dessous du seuil critique, le secteur financier aura tendance
à se contracter et, le processus de croissance sera bloqué avec
pour conséquence une atrophie du système financier. Cette
atrophie, en retour, ralentit la croissance.
En bref, le système financier permet le fonctionnement
de l'économie réelle puisqu'il finance : les investissements des
entreprises (formation de capital, achat de machines, construction de
bâtiments industriels et tertiaires) ou d'achats des entreprises
(matières premières, fournitures informatiques...) ; la
construction d'infrastructures (de communication, de fourniture
d'énergie...) ; la consommation et l'achat, notamment d'immobilier,
à crédit pour les particuliers ; les décalages de
trésoreries entre les dépenses et les achats pour les entreprises
comme pour les particuliers; la protection contre des risques de variation de
prix (taux de change, taux d'intérêt, prix de matières
premières...) par le biais d'outils financiers plus sophistiqués.
L'importance du système financier dans
l'économie réelle va connaitre une nouvelle impulsion dans les
années 70, avec les développements marquants de Mc Kinnon (1973)
et Shaw (1973) qui vont, chacun de son côté, s'insurger contre la
répression financière en cours dans beaucoup de pays, et
expliquer l'importance des banques dans la croissance économique. Ils
vont de ce fait fortement préconiser la libéralisation
financière.
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