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Style autoritaire en education extrascolaire et resistance au changement: cas des commerçants de trottoirs du marché Melen


par Cyrille Armel SAPE KOUAHOU
Université de Yaoundé 1 - Master 2017
  

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9.1.3. Interprétation des résultats de HR1 et HR3

Les résultats qui précèdentpeuvent sembler paradoxales, au regard de la théorie skinnerienne du « conditionnement opérant ». Cette théorie voudrait que l'application d'un « stimulus aversif » entraine un changement de comportement chez lesujet. Toutefois, ces résultats sont tout à fait compréhensibles du point de vue de la théorie de la réaction psychologique, de la théorie de l'andragogie ou de celle du changement.

v Apport de l'andragogie

Il est à noter que 62% des sujets interrogés sont âgés de plus de 30 ans (Cf. figure 6), 49% sont mariés (Cf. figure 8) et 73% ont au moins un enfant (Cf. figure 10). Toutes choses qui traduit la maturité physiologique, sociale et juridique de la majorité des enquêtés. Par conséquence, ils devraient être sensibilisés dans le respect des règles en matière d'éducation des adultes ; c'est-à-dire en tenant compte de certaines spécificités telles que livrées par la théorie andragogique de Malcom Knowles.

Le premier principe du modèle andragogique de Knowles (1990) enseigne que « les adultes doivent être impliqués dans la planification et l'évaluation de leur apprentissage (l'autonomie, l'autodiagnostic, l'auto-évaluation, climat d'acceptation et coopération) »;d'autre part, l'hypothèse du « concept de soi » du modèle andragogique enseigne que les « adultes ne se conçoivent plus comme des personnes dépendantes, ils ont conscience de leurs propres décisions et de leur vie. Ils ont besoin d'être vus et traités par les autres comme des individus responsables et capables de s'autogérer». Ainsi, contrairement aux enfants, l'adulte est indépendant, riche de son expérience et ne supporte pas qu'on lui dicte ce qu'il doit faire. En matière d'éducation des adultes par conséquent, l'éducateur doit avoir la posture de l' « accompagnateur », du « catalyseur », de l' « animateur », du « facilitateur », du « médiateur », ou encore de l' « accoucheur » (Cardinet, 1995). Sa posture éducative doit se situer aux antipodes du donneur de leçon et encore moins du dictateur. D'après la théorie andragogique donc, l'éducation est participative, intégrative et coopérative.

De ce fait, il est tout à fait compréhensible que les destinataires de l'éducation à l'ordre urbain se braquent face à la démarche autoritaire des pouvoirs publics, empreinte de dictature et de violence. Dans cette logique, les commerçants ne perçoivent pas les régulateurs comme des interlocuteurs, mais plutôt comme des adversaires contre lesquels ils doivent se défendre. Ce d'autant plus que, comme le remarque Fourchard (2006) analysant les « les rues de Lagos», en Afrique « l'État n'apparaît jamais avoir la légitimité nécessaire pour faire accepter par les citoyens un ensemble de normes partagées ».

L'inclinaison à la répression tous azimuts fait en sorte de rendre les commerçants de trottoirs hostiles aux pouvoirs publics, dans la mesure où ces derniers ne font montre d'aucun respect à leur endroit.

v Apport de la réactance psychologique

En plus de la culpabilité du style autoritaire de son manquement au respect des principes andragogiques, l'apport de la réactance psychologique renforce la compréhension de la résistance au changement des commerçants de trottoirs. On observe d'une part qu'un peu plus de la moitié, soit 54% de sujets vivent à Melen, c'est-à-dire non loin du trottoir sur lequel ils font du commerce et 32% vivent dans les quartiers voisins (Cf. figure 5) ; d'autre part, 58% des sujets ont mis au moins dix ans dans la ville de Yaoundé (Cf. figure 14) et il est fort probable qu'ils aient mis sensiblement le même temps sur le trottoir, compte tenu du fait qu'ils commencent en général l'exploitation du trottoir après avoir passé au moins un an de vie à Yaoundé (96%). Que suggèrent ces deux informations sur la durée de vie à Yaoundé et la proximité avec le point de vente ?

Du fait que la majorité des commerçants de trottoirs aient soit mis du temps au trottoir soit vu des gens y vendre pendant longtemps (au moins 10ans), le trottoir se caractérise par conséquent à leurs yeux par sa « disponibilité foncière » et son « opportunité entreprenariat » comme pense Steck (2006). Le trottoir est donc pour eux un espace vacant, un espace à prendre. Un espace que chacun est libre d'occuper, car n'appartenant à personne en propre. Il reviendrait donc à son premier occupant, comme la terre dans l'esprit du négro-africain. En plus de cela, ce trottoir se présenterait à l'imaginaire de son occupant comme le prolongement de sa cour, car situé aux encablures de son lieu de résidence. Il ne relèverait donc que de sa liberté de choix de l'occuper ou de ne pas l'occuper.

Partant de là l'on comprend que sa réactance psychologique puisse se mettre en branle dès l'instant où il est sommé de libérer les lieux manu-militari. En effet, d'après cette théorie, dès que la liberté de choix entre deux options est menacée en rendant l'une d'entre elle difficile et complexe, l'attractivité de l'individu pour cette dernière est renforcée.Il serait question dans ce cas, pour la plupart de ces commerçants, de défendre la parcelle de leur liberté obstruée par l'autorité régulatrice. Cette réactance psychologique se traduit alors par la résistance,qui n'est autre chose que le désir ardant de conserver son« droit de place », parfois conquis de haute lutte.

D'autre part, comme le rapporte Moscovici et Plon (1968) « L'intensité de la réactance sera d'autant plus grande que l'importance du comportement libre éliminé ou menacé sera grande ». Ce qui rend compréhensible la force de la réactance psychologique et donc de la résistance des commerçants de trottoirs. Elle est donc d'autant plus grande que le trottoir constitue la seule source de revenue pour la survie de la famille de nombre d'entre eux et le seul rempart contre le chômage ambiant.

Aussi, le lien entre la résistance et l'imposition d'une part, la résistance et la violence d'autre part traduit la force de la réactance psychologique du fait de la grandeur du pouvoir incarnée par les pouvoirs publics aux yeux des commerçants de trottoirs. En effet, « étant donné qu'un comportement libre a été menacé d'élimination, plus grande sera la menace, plus grande sera la réactance. Si, par exemple, comme c'est le plus fréquent, l'origine de la menace est située chez un autrui, la menace sera considérée comme d'autant plus forte et partant la réactance d'autant plus grande que cet autrui a un pouvoir élevé » (Moscovici et Plon, 1968).

v Apport de la théorie du changement

D'après le modèle théorique du changement de Kurt Lewin, et de corellette et al, le changement est d'abord psychologique avant d'être matériel. Le changement pérenne passe nécessairement par une phase de « décrispation », qui reflète la prise de conscience des inconvénients d'une situation, ou l'écart entre une situation présente et une autre plus agréable. A ce niveau, le promoteur du changement se doit de présenter la situation nouvelle et ancienne au destinateur, lui en expliquer les tenants et les aboutissants et le convaincre du bien-fondé de la nouvelle situation. A la suite de cette phase vient celle du « déplacement », c'est-à-dire de la transition, qui est la phase d'apprentissage, d'intégration voire d'assimilation de nouveaux comportements. Enfin vient la phase de la « cristallisation » qui consiste en la stabilisation et la sédimentation dans le subconscient du sujet des nouvelles façons de faire.

Il se trouve que dans le cas des commerçants de trottoirs, ce travail psychologique ou mental est loin d'avoir été fait. Ni l'imposition ni la violence n'étant de nature à répondre à ce préalable. D'ailleurs, à l'ouverture du marché de Mvog-béti en 2006, nombre de commerçants de trottoirs de Melen s'y étaient déplacés. Mais comme ils y étaient à leur corps défendant, nombreux d'entre eux sont revenus au point de départ peu de temps après.

Le style autoritaire en éducation pêche par le fait qu'il ne travaille pas la mentalité de sa clientèle, de manière à l'amener à adhérer à une prescription par conviction et non par obligation. Traitant d'un cas similaire dans une étude comparative des villes de Mexico et Lima, Stamm Caroline (2008) nous permet d'observer que c'est à coup de négociation avec les commerçantset finalement du consensus populaire autour de l'idée de la protection du patrimoine historique que les pouvoirs publics de Lima ont pu venir à bout du commerce de rue.

À Mexico, comme à Lima, l'opposition entre vendeurs de rue et pouvoirs publics se cristallise dans les centres historiques. Dans les années 1980-1990, elle a pris la forme d'un conflit d'image avec l'émergence d'un nouveau discours culturel et esthétique et d'un consensus autour de la protection du patrimoine. Des politiques municipales d'expulsion et de relocalisation du commerce ambulant ont alors été mises en place dans les deux villes. Cependant, alors qu'au début de l'année 2007, le centre historique de Mexico était toujours saturé de commerçants ambulants, celui de Lima en était vide. (...)à Lima, les négociations ont été menées avec les dirigeants des organisations et surtout des fédérations, du fait de la faible taille des associations de base. Suite à ce dialogue parfois tendu, les retraits ont été progressifs et tous n'ont pas été sans encombre.» (Stamm, 2008).

Si l'on s'en tient à la théorie du changement, on dira que la résistance au changement des commerçants de trottoirs peut s'expliquer par le fait que les promoteurs du changement ne travaillent pas à la déconstruction des représentations sociales du trottoir au sein de la population. Car, l'action du sujet sur le monde matériel est fonction de ses représentations. Faire varier cette action durablement demande d'abord à faire varier ces représentations.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld