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Analyse des crises sociopolitiques dans l'espace CEDEAO de 1990 à  2020: cas du Togo et de la Côte d'Ivoire


par Gnimpale BARTCHE
Université de Kara - Master 2022
  

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Paragraphe 2 : l'instrumentalisation politique de l'ethnie

Dans l'analyse des crises sociopolitiques au Togo et en Côte d'Ivoire, plusieurs variables peuvent être mises en jeu. Mais la variable la plus couramment utilisée est celle de l'ethnie. En effet, l'ethnie constitue un déterminant majeur dans les luttes politiques. Si le concept d'ethnie connaît depuis quelques temps un grand succès en dehors du cercle des sciences sociales, il est un autre terme, celui d' « identité », dont l'usage est de plus en plus fréquent.

Considérée très peu dans les écrits des pères fondateurs de la sociologie politique, la notion d'ethnicité est aujourd'hui entrée dans le langage commun alors même que peu d'auteurs prennent le temps de définir les contours de ce concept. Pour reprendre les propos de Jean-Claude Fritz,

« l'ethnie est un groupe dont le fondement est historique et culturel; la référence ethnique est un des éléments d'identité sociale, entraînant des sentiments d'appartenance et d'identification d'une personne avec un certain groupe, en même temps que des sentiments de différenciation vis-à-vis d'autres groupes »42.

Selon la théorie quelque peu généralisant de « l'Etat multinational », en Afrique, l'ethnie est la forme d'organisation sociale historique, désignée successivement par les termes de société acéphale, de société éclatée, de société plurale dont la caractéristique primordiale

40 KOUAME N'Guessan, (2015), Une réflexion récente en Côte d'Ivoire sur le multipartisme et l'ethnicisation de la vie politique : faut-il regretter le parti unique ? Pouvoirs anciens, pouvoirs modernes de l'Afrique d'aujourd'hui. Presses universitaires de Rennes, pp. 169-194

41 ETEMAD Bouda, L'héritage ambigu de la colonisation. Économies, populations, sociétés. Armand Colin, 2012, 238 pages, https://www.cairn.info/l-heritage-ambigu-de-la-colonisation--9782200281335.htm

42 FRITZ Jean-Claude, « L'ethnique et le local dans les luttes politiques contemporaines en Afrique australe », Revue Tiers Monde, 1995, pp. 103-127

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est le couplage d'une communauté culturelle (nous, eux) avec la construction volontaire d'une société politique. Si bien que, produit de la dynamique sociale et de la politique précoloniale, l'ethnie est une création humaine égale à la nation.

L'homme est essentiellement un être de culture. Comme le souligne Denys Cuche, « la culture permet à l'homme non seulement de s'adapter à son milieu, mais aussi d'adapter celui-ci à lui-même, à ses besoins et à ses projets, autrement dit la culture rend possible la transformation de la nature »43. En ce sens il faut noter l'importance de l'ethnie en tant qu'un aspect dans nos sociétés africaines.

L'Afrique est l'un des continents qui compte le plus d'ethnies dans le monde. En effet, elle compte plus de cent (100) ethnies si l'on s'en tient aux estimations d'Adingra Prince-Florent MENZAN44. S'il est vrai que « c'est la diversité des couleurs d'un tapis qui fait sa beauté »45, il faut noter que cette façon de voir les choses ne peut être totalement vraie que si dans la diversité, les couleurs s'harmonisent et s'accordent. Or, quand on sait l'usage que font les politiciens et autres leaders de cette grande diversité ethnique sur le continent, l'on est en droit d'estimer que la divergence n'est pas toujours un privilège.

Au lieu de jumeler davantage les peuples pour faire de leurs différences une force et un avantage pour le continent, les leaders africains et même les groupes de pression internes comme externes au continent en font une arme redoutable de combat. Ils font naître de cette diversité des maux affreux et effroyables tels le racisme, la xénophobie, le tribalisme etc. Des difficultés qui forment une incontestable poudrière en Afrique. Il n'y a qu'à se référer à la multitude de crises tirant leurs origines des différends entre groupes ethniques en Afrique, pour se rendre à cette évidence.

Les promoteurs du recours à l'ethnicité dans les luttes politiques se sont le plus souvent intéressés aux acteurs, aux enjeux et aux stratégies utilisées par les politiciens pour mobiliser les ethnies. Cependant en Afrique, les questionnements sur l'identité, l'appartenance ethnique et les relations sociales déterminent tant le milieu de vie que les choix politiques dans la société africaine.

43 CUCHE Denys, La notion de culture dans les sciences sociales, La Découverte, 2010, pp. 5-8.

44 MENZAN Adingra Prince-Florent, Les enjeux de l'Union Africaine (UA), Brevet section diplomatie, ENA Côte-d'Ivoire, 2001

45 Extrait de la lettre d'Amadou Hampâté Bâ à la jeunesse à l'occasion de l'Année internationale de la jeunesse. 1985.

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Le phénomène d'instrumentalisation ethnique trouve sa cause dans le constat de la pluralité des ethnies. C'est en effet un « fait» avéré de la société postcoloniale d'Afrique qui engendre des crises tant au niveau national qu'international.

La période postcoloniale en Afrique est marquée par la recrudescence des crises, non plus entre les États, mais entre les différentes identités qui se retrouvent au sein d'un même creuset national. Comme l'a remarqué Mbonda, « les ennemis, on ne les trouve pas en dehors des frontières, mais à l'intérieur, et ils sont identifiables non pas à leurs uniformes, mais à leurs appartenances ethniques »46. En Afrique, dans les Etats issus de la décolonisation, l'ethnie constitue un obstacle au fonctionnement de la société. Selon Labité Sodjiné AGBODJAN-PRINCE, « elle plonge l'Etat dans l'incapacité d'assumer ses fonctions régaliennes et remet ainsi en cause le constitutionnalisme qui le fonde »47. En effet au Togo, selon le rapport de la mission d'établissement des faits chargée de faire la lumière sur les violences et les allégations de violations des droits de l'homme survenues au Togo avant, pendant et après l'élection présidentielle du 24 avril 2005, dit rapport Koffigoh, « la crise togolaise s'est également traduite par une exacerbation du facteur ethnique et xénophobe dans la vie politique et sociale de ce pays »48. En effet, il faut noter avec Labité Sodjiné AGBODJAN-PRINCE, l'importance de l'ethnie dans le processus d'adhésion aux partis politiques et dans leur fonctionnement. Analysant sa pensée, il fait le constat selon lequel « la victoire des partis politiques ou des candidats revêt un caractère quasi ethnique »49.

Depuis longtemps les luttes politiques au Togo se sont déroulées dans ce contexte de rivalité entre le Nord et le Sud regroupant respectivement des communautés d'ethnies différentes. On a parfois cru que les élections se déroulaient entre Kabiyè et Ewé. Cette division est souvent à l'origine des crises sociopolitiques comme par exemple le soulèvement populaire du 19 Août 2017 organisé par le Parti National Panafricain. Ce soulèvement a donné l'air d'un affrontement entre Kabyès et Tem. Selon le rapport de la mission des Nations Unies à propos de la crise électorale de 2005, quelques manifestations majeures traduisent l'exacerbation du facteur ethnique et xénophobe dans la vie politique et sociale du Togo. Il

46 Cité par BAMAZE N'Gani, E., « Politiser ou privatiser l'ethnie? Réflexion à propos du bien commun en Afrique postcoloniale », Philosophiques, 45(2), 419-444, consulté en ligne le 15 Août 2021 sur https://doi.org/10.7202/1055270ar

47 AGBODJAN-PRINCE Labité Sodjiné, L'ethnie dans le fonctionnement des partis politiques au Togo : cas du CAR, de l'ex-RPT et de l'UFC, mémoire de Maitrise ès-lettres et sciences humaines, Université de Lomé, 2012

48 RFI, la mission d'établissement des faits chargée de faire la lumière sur les violences et les allégations de violations des droits de l'homme survenues au Togo avant, pendant et après élection présidentielle du 24 avril 2005, rapport de la mission des Nations unies, consulté en ligne le 11 Avril 2022 sur http://www1.rfi.fr/actufr/articles/069/article_38809.asp

49 Cité par BAMAZE N'Gani E. Op.cit.

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s'agit de la volonté de conserver coûte que coûte la place centrale des Kabyès dans les structures du pouvoir et le ciblage, dans la répression politique et dans la violence, de certaines communautés étrangères et de certains groupes ethniques internes tant par les forces de l'ordre que par des milices et des militants des partis politiques.

Dans le cas de la Côte-d'Ivoire, cette question a également eu un impact sur la vie sociopolitique du pays. Plusieurs interrogations survinrent au sujet de l'identité nationale et la question de l' « ivoirité » qui a divisé le pays et entraîné des milliers de morts. La question ethnique en Côte-d'Ivoire s'est concrétisée avec la révision constitutionnelle approuvée par le référendum du 23 juillet 2000. En effet selon l'article 35 de la nouvelle constitution qui fonde la deuxième République,

« le président de la République doit être ivoirien d'origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d'origine. Il doit n'avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne. Il ne doit s'être jamais prévalu d'une autre nationalité. Il doit avoir résidé en Côte d'Ivoire de façon continue pendant cinq années précédent la date des élections et avoir totalisé dix ans de présence effective »50.

Cette consécration constitutionnelle de l'ethnonationalisme avait pour objectif d'écarter

M. Alassane OUATTARA de l'élection présidentielle. Toutefois ce dernier a participé à cette consécration. Il se justifie au cours d'un entretien en ces termes:

« La présente constitution ne me pose pas problème au plan du droit. C'est parce que la Cour Suprême était aux ordres (de la junte) qu'une telle interprétation en a été faite pour m'exclure. Je suis persuadé que si nous avions un système judiciaire indépendant, ma candidature ne ferait l'objet d'aucun doute, d'aucune ombre. Cela étant, je considère que c'est une constitution qui divise plus les Ivoiriens et fait naître des frustrations. Ce texte crée différentes catégories d'Ivoiriens, et cela est contraire à la notion de nationalité. Tous les Ivoiriens doivent avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs »51.

Ces divisions historiques en Côte d'Ivoire ont été à l'origine de plusieurs affrontements qui ont engendré des pertes en vies humaines et de multiples blessés. La vie sociopolitique togolaise et ivoirienne fut longtemps et continue d'être entachée de différences ethniques qui contribuent un tant soit peu à l'accentuation des crises sociopolitiques sur leurs territoires. Par ailleurs la question des facteurs des crises sociopolitiques dans ces Etats ne se résume pas

50 Article 35 de la constitution ivoirienne de la deuxième République

51 AKINDES Francis, «Les racines de la crise militaro-politique en Côte-d'Ivoire, 2004, consulté en ligne le 20 avril 2021 sur https://codesria.org/IMG/pdf/Akindes.pdf

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uniquement aux fondements structurels tels que l'héritage de la colonisation et l'instrumentalisation politique de l'ethnie ; on distingue également des fondements conjoncturels.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams