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Analyse des crises sociopolitiques dans l'espace CEDEAO de 1990 à  2020: cas du Togo et de la Côte d'Ivoire


par Gnimpale BARTCHE
Université de Kara - Master 2022
  

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Paragraphe 1 : l'héritage de la colonisation

L'intérêt de cette approche historique convient à notre travail car il est question de dénuder en quoi la colonisation constitue une source des crises en Afrique. Autrement dit, on peut se demander si cette période coloniale a introduit une rupture fondamentale dans la trajectoire des pays africains ou si elle n'a affecté que légèrement leurs formes et leurs pratiques politiques.

L'idée selon laquelle elle n'a affecté que légèrement leurs formes et leurs pratiques politiques est probablement celle qui résiste le moins à l'analyse, que ce soit d'un point de vue expérimental lorsqu'on observe les sociétés africaines ou d'un point de vue théorique, notamment lorsqu'on adopte une approche institutionnelle et, plus particulièrement, les perspectives postulant la force des institutions et des politiques.

En se situant par contre dans l'idée selon laquelle la colonisation a introduit une rupture fondamentale dans la trajectoire des pays africains, il faut noter que l'histoire sociopolitique africaine est marquée par de multiples périodes sans doute bouleversantes. La colonisation a

29 Hans Morgenthau, cité par MWAYILA; iOp.cit

22

été généralement brève en Afrique selon les auteurs tel que C. Young30 ; pour autant, d'autres tel que Mamadou Gazibo souligne que « ses répercussions sont impressionnantes et continuent à être ressenties aujourd'hui encore »31. Ces propos de Mamadou Gazibo illustrent très bien l'impact qu'a eu la colonisation sur la société africaine. Selon Mathieu Le Hunsec,

« près d'un demi-siècle après le mouvement de décolonisation qui a transformé le visage de l'Afrique occidentale, la région reste fragmentée. La progression vers la coopération est lente en raison d'une grande diversité linguistique et culturelle, les divergences entre Etats anglophones et francophones, notamment, demeurant fortes »32.

En poursuivant son analyse, il déclare que les divergences entre Etats anglophones et francophones « sont largement héritées de la colonisation, qui a joué un rôle ambigu dans le processus d'unification de la zone »33.

La colonisation, bien qu'ayant duré sur une période relativement courte, a introduit des modifications significatives sur le continent africain. A ce propos, Mamadou Gazibo affirmait qu'« elle a créé de nouveaux Etats, redéfini les enjeux de pouvoir, réorienté les formes économiques, cristallisé de nouveaux intérêts »34.

La conséquence la plus évidente de plusieurs siècles de contact avec l'Europe a été de reconfigurer la conception de la distribution territoriale et de l'exercice de l'autorité. De ce contact entre les blocs africain et occidental sont nés après les indépendances, des États et des formes institutionnelles dont l'extériorité a pu conduire certains auteurs à les qualifier de « produits de pure importation ». A cet effet, on peut citer Crawford Young, qui a bien mis en justesse l'importance de l'héritage colonial dans l'État postcolonial africain, son aménagement et ses pratiques politiques. Young postule la grande capacité d'ingérence de l'État colonial et ceci, malgré le volontarisme des élites nationalistes qui, aux indépendances, étaient déterminées à retrouver une authenticité africaine et de nouvelles formules institutionnelles et politiques rompant avec le système colonial.

Toute littérature sur l'Afrique, qu'elle soit d'origine africaine ou européenne et américaine, est dominée par le dualisme du bon système politique et du mauvais. En effet, constate François Borella,

30 Crawford Young, The Politics of Cultural Pluralism, Madison, University of Wisconsin Press, 1976

31 GAZIBO Mamadou, Op.cit.

32 LE HUNSEC Mathieu, « De l'AOF à la CEDEAO. La France et la sécurité du golfe de Guinée, un essai d'approche globale », bulletin de l'institut Pierre Renouvin, 2009

33 LE HUNSEC Mathieu, Op.cit

34 GAZIBO Mamadou, Op.cit.

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« Le bon pouvoir est démocratique, respectueux des droits et libertés, dévoué au bien public et à l'intérêt général. Le mauvais pouvoir, et dans les pays d'Afrique il est la règle, est tyrannique, prédateur, patrimonial ou néo patrimonial, c'est la politique du ventre du haut en bas de l'appareil d'Etat »35.

L'Afrique coloniale a connu des évènements qui influencent depuis les indépendances sa vie sociopolitique. En effet, pendant les indépendances, plusieurs militaires appelés « tirailleurs sénégalais »36 ont combattu aux côtés des Français. Selon Pierre Bouvier, « entre 1939 et 1945, plusieurs centaines de milliers de soldats coloniaux et ultramarins revêtent encore une fois l'uniforme pour défendre la France »37. Au lendemain des indépendances, ces militaires ont été rapatriés dans leurs pays d'origine. C'est le cas par exemple du Togo sous la présidence de Sylvanus Olympio. Revenus au pays dans l'espoir de retrouver une vie meilleure, ces derniers se voient mépriser et mal considérés ; on aurait dit « de l'espoir à la désillusion ». Cette attitude de ces dirigeants africains vis-à-vis des tirailleurs sénégalais a été peut-être l'une des causes du coup d'Etat militaire le 13 janvier 1963 au Togo qui plongea le pays dans un chaos sans fin.

L'impact de la colonisation n'a pas cependant qu'un versant politique ; il faut noter que sur le plan économique, la colonisation a plongé les Etats africains dans une situation difficile au profit des colonies. L'impact de la monopolisation des ressources a entraîné une pauvreté sur l'ensemble du continent et surtout en Afrique francophone. Selon Simon-Pierre Ekanza, « en l'absence de formulation explicite d'une politique de développement, on peut cependant en déceler certains indices dans la politique de « mise en valeur » ou, plus exactement, d'exploitation qui voit le jour dans toute l'Afrique »38. En effet, poursuit-il en ces termes:

« La première phase de la colonisation, c'est-à-dire la période qui va de 1900 à 1910, fut particulièrement dramatique pour l'Afrique. Rêvant des trésors du continent, soucieuses de rentabilité, les puissances coloniales se précipitent dans une exploitation économique effrénée, caractérisée par le pillage des richesses naturelles, mais aussi par la violence sous toutes ses formes : réquisitions, travail forcé, cultures obligatoires, impôts, expropriations... »39.

35 BORELLA François, « L'État en Afrique : crise des modèles et retour aux réalités », Mélanges René Gendarmes, Editions Serpenoise, 1996, pp. 229-236.

36 Les tirailleurs sénégalais étaient un corps de militaires appartenant aux troupes coloniales constitué au sein de l'Empire colonial français en 1857, principal élément de l'Armée Noire et dissous au début des années 1960.

37 BOUVIER Pierre, La longue marche des tirailleurs sénégalais. De la Grande Guerre aux indépendances, Paris, Belin, 2018, pp. 189-227.

38 EKANZA Simon-Pierre, « Le double héritage de l'Afrique », Études, vol. 404, no. 5, 2006, pp. 604-616

39 Idem

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La méconnaissance du passé colonial est un fait à ne pas négliger. Le partage de l'Afrique à la conférence de Berlin (1884-1885) occupe une place importante pour déterminer les enjeux liés à l'ethnicité sur le continent africain de nos jours. Kouamé N'Guessan affirmait à juste titre que « la Côte d'Ivoire héritée de la colonisation est une Côte d'Ivoire pluriethnique »40. Les ambitions coloniales loin de favoriser un développement du continent africain, se sont transformées en « ambiguïtés »41 comme héritage pour l'Afrique. Son impact dans les crises sociopolitiques dans les Etats africains à l'instar du Togo et de la Côte-d'Ivoire n'est plus à négliger. Par ailleurs il faut noter que le problème ethnique constitue également un facteur majeur des crises en Afrique.

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