Analyse des crises sociopolitiques dans l'espace CEDEAO de 1990 à 2020: cas du Togo et de la Côte d'Ivoirepar Gnimpale BARTCHE Université de Kara - Master 2022 |
Paragraphe 1 : La dynamisation des organisations régionalesDe nos jours, le monde en général et l'Afrique de l'Ouest en particulier connaît une multiplicité de crises sociopolitiques dues à plusieurs raisons. Comme il a été souligné plus haut, les questions ethnique, l'héritage de la colonisation, l'ingérence extérieure et les richesses du sous-sol africain sont quelques-unes des raisons qui font que l'Afrique connaît pas mal de crise. L'analyse des crises sociopolitiques au Togo et en Côte-d'Ivoire de 1990 jusqu'à 2020 permet de mieux appréhender ces différents facteurs des crises sociopolitiques dans ces Etats du continent africain. Toutefois, l'on ne peut rester les bras croisé sans penser à des solutions pour endiguer ce phénomène des crises sociopolitiques. C'est pourquoi il convient dans la 73 perspective de prévention de ces crises, de penser à la redynamisation des organisations régionales à l'instar de la CEDEAO dont fait parties ces deux Etats. Par-delà sa diversité humaine, ses contrastes géographiques et ses différences économiques, l'Afrique de l'Ouest forme une unité qui s'est construite aux plans historique et politique. Par ailleurs, son engagement dans la gestion des crises politiques depuis les années 1990 pose un certain nombre d'interrogation sur sa capacité à endiguer ce phénomène. Tel qu'il a été souligné plus haut dans ce travail, à l'origine, la CEDEAO avait une vocation d'intégration à base économique mais les dangers et les changements de la vie de ses membres l'ont amenée presque sans préparation, dans la gestion de la sécurité collective. Son intervention dans quatre pays (Liberia, Sierra Leone, Guinée-Bissau et Côte d`ivoire) a surpassé la théorie. Les leçons de ces différentes actions doivent convenablement être retenues pour instaurer une « Pax West Africana » dans cette région troublée. Pour le cas ivoirien, les leçons retenues vont de la mauvaise organisation au manque de financement en passant par le manque de logistique et d'expérience des « casques verts » de la CEDEAO. C'est à ce juste titre que GBERIE et ADDO que cite Lucien Nadieline149 sont obligé d'affirmer que: « It is apparent that there was a lack of strategic support to deployment of the forces. The problem started with the advance party, which deployed at very short notice, and had to rely on French for mobility and support. There was also a very long period of waiting before the first troops hit the ground. The force commander had to use his own initiative, his own knowledge of the country and his own acquaintance to get things moving. Even so, it took more than 100 days to set up basic force headquarters. When the main body of detachment south deployed to Abidjan in March 2003, it had no vehicles and no place to work 12 »150. A la lumière des difficultés qui minent l'organisation dans ses missions de maintien de la paix et de la promotion de la démocratie, Mohamed Ibn Chambas affirmait dans une interview à Afrique Relance, en 2004 : 149 NADIELINE Lucien, Le rôle de la CEDEAO dans la résolution des conflits en Afrique de l'ouest, mémoire de master 2 en coopération internationale, Université Assane seck de ziguinchor, 2016 150 Il est évident qu'il y avait un manque d'appui stratégique au déploiement des forces. Le problème a commencé avec le parti d'avance, qui a déployé à très court préavis, et a dû compter sur le français pour la mobilité et le soutien. Il y avait aussi une très longue période d'attente avant que les premières troupes ne n'atterrissent. Le commandant de la force devait utiliser sa propre initiative, sa propre connaissance du pays et sa propre connaissance pour faire marcher les choses. Même s'il a fallu plus de 100 jours pour mettre en place le siège de la force de base. Lorsque le corps principal du détachement sud a déployé à Abidjan en mars de 2003, il n'avait aucun véhicule et aucun endroit pour travailler. Traduit par Lucien Nadieline, Op.cit. 74 « nous devons mener une action plus préventive, anticiper et mettre en place des systèmes d'alerte rapide. Nous renforçons nos capacités dans ce domaine. Nous disposons maintenant de quatre bureaux régionaux, d'observatoires, qui sont censés faire des analyses plus approfondies de la situation dans les pays couverts par chaque bureau (...) Nous utilisons aussi le mécanisme que constituent nos réunions de chefs d'Etat pour voir comment ils peuvent se parler en toute franchise pour empêcher que les situations ne dégénèrent. Malheureusement, nous n'avons pas fait preuve de courage et de détermination nécessaires pour intervenir au moment opportun afin d'empêcher les situations de crise d'empirer »151. La lutte contre les crises sociopolitiques en Afrique de l'Ouest doit également passer par le respect des textes qui régissent la communauté sous régionale. En effet, si les principes démocratiques édictés par l'organisme sont respectés, plusieurs évènements peuvent être évités. C'est d'ailleurs pour cette raison que la communauté s'est dotée d'un protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance. Toutefois, l'absence d'un organe pouvant obliger les Etats parties au respect de ces textes reste un défi. La volonté d'agir et la détermination à faire respecter les textes normatifs dont l'organisation s'est dotée ne suffisent pas pour espérer apporter une contribution décisive à la recherche d'une paix et d'une stabilité durables dans des contextes extraordinairement difficiles. Pour certains chercheurs tel que le docteur Gilles Olakounlé Yabi: « les missions de bons offices, la mise en contribution de membres du Groupe de sages ou d'anciens chefs d'Etat pour convaincre des présidents en exercice arrivés au pouvoir par des élections démocratiques ou non de respecter la Constitution de leur pays ou les engagements pris devant leurs citoyens et la suspension des Etats retors des instances de l'organisation n'ont que peu de chances d'aider des pays comme la Guinée-Bissau, la Guinée et quelques autres dans la région à sortir de la trappe de l'instabilité, de la militarisation, de la pauvreté et de la faiblesse des institutions »152. Contrairement à cette affirmation, il faut néanmoins reconnaître que ces mécanismes mentionnés connaissent très souvent des réussites et qu'il faut appuyer avec d'autres mécanismes. L'appui de l'organisation dans les actions politiques de ses pays membre demande à mettre une rigueur et un esprit d'impartialité aux différentes parties. Dans ce sens, 151 Cité par BAPIDI- MBON Didier Parfait, La CEDEAO dans la crise ivoirienne: 2002- 2007, mémoire de Master 2 en Science politique, Université Jean Moulin Lyon 3, 2010 152 YABI Olakounlé Gilles, Le Rôle de la CEDEAO dans la Gestion des Crises Politiques et des Conflits: Cas de la Guinée et de la Guinée Bissau, Abuja, Nigeria, FES, septembre 2010 consulté en ligne le 11 décembre 2021 sur https://library.fes.de/pdf-files/bueros/nigeria/07449.pdf 75 « la tendance actuelle qui consiste à observer et à faire superviser les élections par des acteurs locaux et internationaux a joué un rôle important dans le renforcement de la crédibilité et de la transparence des processus électoraux »153. Toutefois, comme il a été souligné plus haut, la pratique a surpassé la théorie. Sur le plan économique, la précarité des moyens économiques ne favorise pas l'atteinte des objectifs que l'organisme s'est fixé et par conséquent, cela lui plonge dans une dépendance financière vis-à-vis des partenaires extérieures. Mis à part les limites dont fait cas la CEDEAO et dont certaines perspectives ont été abordées, il importe de souligner le rôle important de l'UA dans la lutte contre les crises politiques en Afrique. Sa passivité et ses positions ambiguës face aux crises politiques en Afrique demande des réflexions. En effet, pour éviter l'inaction, il serait très important que le Président de la Commission intervienne très rapidement au lendemain de l'éclatement des crises afin d'affirmer la position de l'organisation. Le silence parfois des organisations régionales sur des violations des principes démocratiques perpétue ces phénomènes de coup d'Etat et de fraude électorale qui entraîne des crises sans fin. Paragraphe 2 : Le renforcement des politiques de non-ingérence des puissances étrangères « Et pourtant, sans émancipation politique et stratégique, le continent noir ne peut ni construire, ni préserver sa sécurité. Cette pré-condition est d'autant plus nécessaire qu'un examen du fonctionnement des Etats africains montre une dépendance stratégique et politique qui trahit leur extraversion »154. Les années 1960 ont constitué pour la plupart des Etats africains, l'occasion d'accéder à leur indépendance et de jouir de la souveraineté internationale. Toutefois la volonté des puissances coloniales ayant toujours été celle d'avoir la main mise entraîne de profondes confrontations dans la politique interne de ces Etats. Depuis les indépendances à nos jours, une forte présence de la politique des puissances étrangères est notée dans les affaires internes des pays africains. Ceci se traduit par cette ingérence occidentale dans le processus de prise de décisions. En d'autres termes ces Etats ne sont pas souvent libres dans la prise de décision. 153 Rapport du groupe des sages de l'UA : « Les conflits et la violence politique résultant des élections », international peace institut, décembre 2012 consulté en ligne sur https://www.ipinst.org/wp-content/uploads/2010/07/pdfs_les-conflits-electoraux.pdf 154 NADIELINE Lucien, Op.cit. 76 C'est pourquoi les processus électoraux en Afrique subissent de plein fouet l'influence externe. L'ingérence extérieure a toujours été perçue comme un facteur des crises sociopolitiques en Afrique. Les politiques des puissances coloniales telles que la France continuent de nos jours à imposer le continent une façon de faire. Cette façon de faire conduit à s'interroger sur l'indépendance des Etats africains et leur capacité à gérer les crises qui naissent en leur sein. Pour pallier à ce phénomène, une analyse sur la non-ingérence des puissances étrangères s'avère donc nécessaire afin de combler les études menées en ce sens. Plusieurs faits démontrent la dépendance des Etats africains précisément le Togo et la Côte-d'Ivoire vis-à-vis des puissances étrangères. Tout d'abord, le fait économique dont la problématique de la monnaie est encore d'actualité, le fait politique dans le cadre de l'organisation des élections et les aides financières dont la compréhension reste ambiguë. Tous ces éléments tendent à remettre en cause l'indépendance de ces Etats. A ce propos, affirmait Lucien Nadieline, « Comment les africains peuvent-ils parler de l'indépendance ou de la souveraineté s'ils continuent à être soumis pour ne pas dire assujettis aux lois occidentales »155. Pour sa part, Alain F. Tedom soulignait que « les liens amicaux très étroits qui lient les gouvernements occidentaux à certains dirigeants africains sont un facteur structurant du déficit démocratique du continent et donc de sa vulnérabilité face aux conflits »156. La propension des grandes puissances à gérer les crises politiques selon leurs intérêts économiques, géopolitiques et/ou stratégiques est le constat qui est fait selon les analyses. En Libye par exemple, les pays occidentaux ont préféré reconnaître le Conseil National de Transition et contribuer à la chute de Mouammar Kadhafi parce que ce dernier leur avait fermé la porte à l'exploitation du pétrole libyen. La crise n'a pas totalement pris fin quand d'importants contrats pétroliers ont été signés avec le CNT, permettant entre autres aux Français et aux Britanniques d'exploiter le pétrole libyen. Cette tendance empêche un respect scrupuleux du chapitre VIII de la charte des Nations Unies. La lutte contre les crises sociopolitiques en Afrique peut également résulter de la coopération en tant que partenaire entre les Etats africains et les puissances étrangères. Les 155 NADIELINE Lucien, Op.cit. 156 Cité par NADIELINE Lucien, Op.cit. 77 aides accordées aux Etats africains sont très souvent conditionnées par des contrats d'exploitation des ressources naturelles africaines et bien entendu cela entraîne un appauvrissement des couches subalternes. 78 |
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