4. Problématique
Le principe de non immixtion ou de non intervention dans les
affaires internes d'un Etat, principal corolaire du principe
l'égalité souveraine des Etats dans l'ordre juridique
international, renvoi à la souveraineté de l'Etat dans ses
affaires internes. La souveraineté des États implique une
responsabilité, et c'est à l'État lui-même
qu'incombe, au premier chef, la responsabilité de protéger son
peuple. Cette souveraineté exclue toute immixtion d'une puissance
étrangère dans ses affaires internes conformément à
l'article 2 § 1 de la charte des Nations Unies. Cependant, des questions
se posent sur la légitimité d'une immixtion dans les affaires
internes d'un Etat aux fins humanitaires basée sur les exceptions
ci-haut mentionnées.
Pour asseoir leur domination territoriale, autrefois les
États se faisaient la guerre entre eux, sans que cela ne paraisse
illégitime. Les choses resteront en l'état jusqu'au début
du vingtième siècle. Bien que considéré comme un
attribut essentiel de la souveraineté de l'Etat par le droit
international classique, le recours discrétionnaire à la force a
très tôt fait l'objet de tentatives de limitation. Celles-ci ont
commencé à revêtir un caractère positif au
XIXe siècle, avant de s'épanouir au XXe
siècle. La règlementation contemporaine apparait ainsi comme
l'aboutissement d'un long effort normatif12.
Les premiers balbutiements d'une réglementation visant
l'interdiction du recours à la force dans les relations internationales
trouvent leurs origines principalement lors de la conférence
internationale de la paix de La Haye de 1907 où il fut adopté
deux conventions.
La première consacre à son article premier
ler le principe suivant: « En vue de prévenir autant que
possible le recours à la force dans les rapports entre les États,
les Puissances contractantes conviennent d'employer tous leurs efforts pour
assurer le règlement pacifique des différends
internationaux»13.
12 J. Combacau et S. Sur, Droit international
public, Paris, Montchrestien, 11e éd., 2014, p. 621.
13 Convention pour le règlement pacifique
des conflits internationaux (Ière convention) de 18 octobre
1907, RO Il 194.
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La seconde, la Convention Drago-Porter, va également
dans le même sens à son article premier, en ce qui concerne cette
fois-ci le recouvrement de dettes entre les États: « Les puissances
contractantes sont convenues de ne pas avoir recours à la force
armée pour le recouvrement de dettes contractuelles
réclamées au gouvernement d'un pays par un gouvernement d'un
autre pays comme dues à ses nationaux »14. Cet effort de
restriction se traduit sur plusieurs plans, dans lesquels le jus ad bellum
(droit recours à la guerre) et le jus in bello (le droit applicable en
cas de conflit et notamment à la conduite des
opérations)15.
Après la première guerre mondiale, cette
question va logiquement connaître un regain d'intérêt. Si le
Pacte de la Société des Nations imposait à ses membres
dans son préambule certaines obligations de ne pas recourir à la
guerre, il n'en interdisait pas pour autant l'usage16. C'est le
pacte Briand-Kellogg du 27 août 1928 qui s'en chargera. Celui-ci met la
guerre hors la loi, en prohibant le recours à la guerre comme moyen de
politique nationale17. Ce pacte « constitue la première
dénonciation de la guerre par un instrument international d'une
concision notable »18. Son talon d'Achille résidait
cependant dans le fait qu'il n'était assorti d'aucune
sanction19. En raison de cette lacune, le pacte Briand-Kellogg ne
put parvenir à son objectif. Il n'empêcha évidemment pas la
seconde guerre mondiale et son cortège d'atrocités.
14 Convention concernant la limitation de l'emploi de force
pour le recouvrement des dettes contractuelles (IIe convention de La
Haye, dite Drogo-Porter de 18 octobre 1907, RO Il 194.
15 J. Combacau et S. Sur, op. cit., p.
622.
16Le Pacte interdit les guerres d'agression
(article 10), le conflit ouvert pour contester une décision judiciaire
ou arbitrale internationale (article 12 § 1) et la guerre
décidée malgré une recommandation adoptée à
l'unanimité du Conseil de la SDN. (Article 15 § 4). Par ailleurs,
avant de recourir à la guerre, les Etats devaient d'abord soumettre leur
différend à l'arbitrage ou au Conseil de la SDN, puis respecter
un délai de trois mois à compter de la décision arbitrale
ou judiciaire ou du rapport du Conseil (article 12).
17« Les Hautes parties contractantes déclarent
solennellement au nom de leurs peuples respectifs qu'elles condamnent le
recours à la guerre pour le règlement des différends
internationaux et y renoncent en tant qu'instrument de politique nationale dans
leurs relations mutuelles » : article 1er du pacte Briand-Kellogg.
18J.-P. Cot, A. Pellet, et M. Forteau, La Charte des Nations
Unies : Commentaire article par article, Paris, Pédone,
3e éd., Vol. I, Economica,2005, p.442.
19A. Mandelstam, L'interprétation du
pacte Briand-Kellogg par les gouvernements et les parlements des Etats
signataires, Paris, Pédone, 1934, p.162.
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Fortement traumatisés par ces événements
tragiques, les Etats décident de s'entendre pour ne plus faire du
recours à la guerre un acte discrétionnaire. C'est pourquoi lors
de la Conférence de San Francisco fut adopté l'article 2 § 4
de la Charte des Nations-Unies qui consacre l'interdiction du recours à
la force tout comme la menace d'y recourir. Il ne s'agit toutefois pas d'une
interdiction absolue. Deux bémols d'inégale importance doivent
d'emblée y être ajoutés. Le premier concerne le champ
d'application de la règle. Cette interdiction ne vaut que dans le cadre
des relations internationales et uniquement à l'égard des Etats
membres des Nations Unies. De plus, le recours à la force n'est interdit
que dans la mesure où il est dirigé contre
l'intégrité territoriale ou l'indépendance d'un Etat ou
est entrepris d'une manière incompatible avec les buts des Nations
Unies. Le second bémol qu'il convient d'apporter est relatif aux
exceptions permettant le recours à la force. D'une part, le principe de
l'interdiction du recours à la force ne saurait priver les Etats de leur
droit naturel de la légitime défense (article 51 de la charte de
l'ONU.20 D'autre part, la Charte des Nations Unies permet au Conseil
de sécurité de décider de mesures coercitives en cas de
constatation de menaces d'atteinte ou de rupture à la paix ou
d'agression. Il en résulte que l'article 2 § 4 impose aux Etats une
interdiction générale de recourir à la force armée
dans les relations internationales qui ne peut être levée
qu'à condition qu'un Etat puisse montrer que son action s'inscrit dans
le cadre de l'une ou l'autre des deux dérogations
précitées. De nombreuses résolutions de l'Assemblée
générale des Nations Unies ont rappelé l'existence de ce
principe21 qui, d'après la Cour internationale de Justice,
constitue une « pierre angulaire de la Charte des Nations Unies
»22.
En 1986, la CIJ a même constaté qu'il avait
acquis valeur coutumière23. Le principe de l'interdiction du
recours à la force a donc le double statut de norme conventionnelle et
de norme coutumière.
20 J.-P. Cot et alii, op. cit., pp. 1329-1362.
21 Le principe de l'interdiction du recours à la force
a été réaffirmé par un certain nombre de
résolutions de l'Assemblée générale des Nations
Unies : les résolutions : 2625 (XXV) du 24 octobre 1970, 2660 (XXV) du 7
décembre 1970, 3314 (XXIX) du 14 décembre 1974, A/RES/31/9 du 8
novembre 1976, A/RES/33/72 du 14 décembre 1978, A/RES/42/22 du 18
novembre 1987.
22 Activités armées sur le territoire du Congo (RD
Congo c. Ouganda), arrêt du 19 décembre 2005, § 148.
23 Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), Rec.
CIJ, 1986, p. 103, § 193.
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Selon Jean Salmon, le principe de non-intervention veut dire
que les Etats ne peuvent accomplir les actes d'ingérence dans les
affaires internes d'autres Etats, c'est-à-dire qu'ils ne peuvent exercer
une influence de nature contraignante dans les affaires des autres Etats ou
exiger d'eux l'exécution ou l'inexécution d'actes qui ne
relèvent pas du droit international24.
Ce principe trouve son fondement à l'article 2
paragraphe 7 de la charte des nations unies qui souligne que : « Aucune
disposition de la présente Charte n'autorise les Nations Unies à
intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la
compétence nationale d'un Etat ni n'oblige les Membres à
soumettre des affaires de ce genre à une procédure de
règlement aux termes de la présente Charte; toutefois, ce
principe ne porte en rien atteinte à l'application des mesures de
coercition prévues au Chapitre VII ».
Cela veut dire qu'au regard de la charte des Nations Unies, en
se fondant sur cette disposition, seules les mesures prises par le conseil de
sécurité sur base du chapitre 7 dérogent à ce
principe et lorsqu'il s'agit d'une O.I, celle-ci ne saurait recourir à
la force sans aval du conseil de sécurité.
Cependant, la pratique internationale offre une autre image de
l'immixtion dans les affaires internes d'un Etat par une puissance
étrangère sans même l'autorisation du Conseil de
Sécurité suivant l'article 53. C'est les cas du Kosovo en
199925 et du Liberia en 1992 où les forces d'interposition de
la CEDEAO avaient pris des sanctions économiques contre cet Etat en
informant le Conseil de Sécurité après le coup.
Sur base de ce qui précède, cette question
mérite notre attention :
? Comment le recours à la force est-il envisagé
à l'égard du principe de non immixtion dans les affaires
intérieures des Etats en Droit International ?
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