Section III : DEFIS ET PERSPECTIVES
§1. Limites de la responsabilité de
protéger
En dépit des éloges de l'obligation de
protéger pour sauvegarder les droits de l'homme sous ses diverses
dimensions, elle suscite toutefois quelques réticences, voire des
craintes du côté des Etats en voie de développement. Et
cela pour plusieurs raisons. Premièrement, la responsabilité
internationale, bien que subsidiaire, pourrait avoir pour conséquence de
déresponsabiliser certains Etats peu respectueux des droits de l'homme.
Ensuite, il va sans dire que le mot «responsabilité» implique
inévitablement des obligations pour les Etats qui en acceptent les
modalités. Et bien que les démocraties occidentales condamnent
unanimement les massacres tels qu'ils ont eu lieu au Rwanda, en Bosnie ou au
Soudan, elles ne sont pas prêtes à payer de leur sang pour
protéger les autres59. Finalement, si la communauté
internationale accepte cette obligation solidaire, elle devra en assumer les
coûts tant au niveau de la prévention, de l'intervention que de la
reconstruction
Malheureusement, la lacune essentielle consiste dans la mise
en oeuvre concrète des valeurs proclamées. Par exemple,
quid en cas de blocage du Conseil de sécurité?
Le Document final passe sous silence le problème
récurrent du potentiel blocage ou de l'inaction du Conseil de
sécurité. Mais si le Conseil de sécurité a la
responsabilité principale en matière de paix et de
sécurité internationales (art. 24 de la Charte), l'article 11
59 J. Goldsmith, The Limits of International Law,
Oxford University Press, Oxford, 2005, p. 213.
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de la Charte confère à l'Assemblée
générale une responsabilité subsidiaire60. La
différence réside dans le fait que l'Assemblée
générale peut uniquement faire des recommandations, alors que le
Conseil de sécurité peut prendre des décisions
contraignantes en vertu du Chapitre VI de la Charte.
Il paraît extrêmement important d'amener un
remède à l'hypothèse de la paralysie ou de la
passivité du Conseil de sécurité, car comme l'avait
très justement compris l'ancien Secrétaire général
de l'ONU, si la conscience collective de l'humanité ne trouve pas dans
l'Organisation des Nations Unies sa plus grande tribune, elle risque fort de
rechercher ailleurs la paix et la justice.61
En de telles circonstances, il faudrait s'attendre à ce
que les Etats interviennent par des coalitions ponctuelles, comme cela a
été entrepris par l'OTAN au Kosovo en 1999, ou la coalition
américano-britannique en Irak en 2003, parfois pour de mauvaises
raisons, en suivant des intérêts égoïstes, et surtout
au détriment de la crédibilité indispensable de l'ONU.
En effet cette intervention, déclenchée en
principe pour éviter l'aggravation d'une catastrophe humanitaire, ne
pouvait s'appuyer sur aucune habilitation par le Conseil de
sécurité, celui-ci étant paralysé par les vetos
russe et chinois. Sans être inexistantes, les conditions de la
justification juridique de cette intervention sont ainsi
particulièrement malaisées à trouver sans recourir
à l'argument d'une nécessité de la sauvegarde des
principes de droit humanitaire et des droits de l'homme,
généralement reconnus comme impératifs, et dont il est
patent qu'ils étaient outrageusement violés par les forces serbes
à l'encontre des populations albanophones. En revanche, on retrouve une
situation plus conforme à la pratique des années quatre-vingt-dix
avec les conditions des interventions humanitaires internationales au Timor
oriental, à partir d'octobre 1999, ou en Libye, au printemps 2012,
puisqu'elles se sont déroulées toutes deux sous l'égide
des Nations Unies, sur base de résolutions à portée
obligatoire votées par le Conseil de
sécurité62.
En tenant compte de la réalité politique, ladite
Commission avait envisagé le cas exceptionnel d'une intervention
moralement légitimée63.Toutefois, se situer sur le
plan de la
60 La Résolution Dean Acheson de 1950.
61 Séance plénière de la
54e session de l'Assemblée générale des Nations
Unies, doc. ONU A/54/PV.4 (1999).
62 D. Pierre-Marrie, op.cit., p.213.
63 La Commission préconise une sorte de
pesée d'intérêts: «La question se pose vraiment de
savoir en pareil cas où est le moindre mal: celui que l'ordre
international subit parce que le Conseil de sécurité a
été court-circuité,
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légitimité relève d'un domaine qui est
beaucoup plus difficile à saisir car il laisse une large part à
la subjectivité. C'est la raison pour laquelle cette
responsabilité de protéger devrait s'interpréter comme une
responsabilisation solennelle des Nations Unies et plus particulièrement
du Conseil de sécurité et non pas une assise juridique pouvant
justifier une intervention armée unilatérale64
Un autre problème qu'il convient de soulever tient au
fait que même avec l'aval du Conseil de sécurité, l'ONU n'a
pas de capacité opérationnelle puisque l'armée onusienne
envisagée par la Charte n'a jamais vu le jour. Partant, l'action
effective décidée sur le plan international reste
conditionnée à la volonté des Etats notamment les plus
puissants d'entre eux de mettre à la disposition du Conseil, leurs
ressources militaires. Les Etats devraient être disposés à
recourir à la force au nom de l'ONU, sous sa direction et pour les buts
qu'elle a fixé. Toutefois, en pratique, les interventions
décidées par le Conseil de sécurité manquent
cruellement de ressources, comme en témoigne l'exemple du
Darfour65.
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