§2. Champ d'application de l'obligation de
protéger
La souveraineté des États implique une
responsabilité, et c'est à l'État lui-même
qu'incombe, au premier chef, la responsabilité de protéger son
peuple. Quand une population souffre gravement des conséquences d'une
guerre civile, d'une insurrection, de la répression exercée par
l'État ou de l'échec de ses politiques, et lorsque l'État
en question n'est pas disposé ou apte à mettre un terme à
ces souffrances ou à les éviter, la responsabilité
internationale de protéger prend le pas sur le principe de non
intervention.
Il ressort du rapport de la CIISE qu'uniquement des
circonstances exceptionnelles, identiques à celles invoquées pour
« l'intervention d'humanité », nécessitent une
intervention, c'est le cas lorsque la violence est si manifestement
'attentatoire à la conscience de l'humanité' ou bien elle
représente un danger si évident et immédiat pour la
sécurité internationale.
Ladite commission avance six critères
nécessaires pour une telle intervention : autorité
appropriée, juste cause, bonne intention, dernier recours,
proportionnalité des moyens et perspectives raisonnables. Il convient de
s'arrêter sur les deux plus discutables d'entre eux : juste cause et
perspectives raisonnables.
A. Juste cause
Pour cette commission, le concept « juste cause » de
la décision d'intervenir est amplement satisfait en cas des pertes
considérables en vies humaines, effectives ou
appréhendées, qu'il y ait ou non intention génocidaire,
qui résultent soit de l'action délibérée de
l'État, soit de sa négligence ou de son incapacité
à agir, soit encore d'une défaillance dont
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il est responsable ; ou un 'nettoyage ethnique' à
grande échelle, effectif ou appréhendé, qu'il soit
perpétré par des tueries, l'expulsion forcée, la terreur
ou le viol.
Le facteur risque est donc suffisant pour intervenir
militairement dans un pays donné. Bien qu'elle soit consciente des
manipulations au niveau des informations, la CIISE ne pose pas comme condition
une mission sur le terrain pour vérifier les allégations, mais se
contente de la recommander « si l'on dispose du temps nécessaire
» Ce qui nous ramène à la théorie de guerre
préventive58.
B. perspectives raisonnables
Par perspectives raisonnables, cette commission entend le
succès de l'intervention militaire. Sur ce point, cette dernière
fait preuve d'un réalisme « déconcertant » quand elle
affirme exclure toute action militaire contre l'un des cinq membres permanents
du Conseil de sécurité « même si toutes les autres
conditions de l'intervention décrites plus haut sont réunies.
» Et elle justifie sa position en ces termes : « le fait qu'on ne
puisse pas intervenir dans tous les cas où une intervention se justifie
ne justifie pas que l'on n'intervienne dans aucun cas ».
Bien que le rapport CIISE insiste sur la protection des
populations civiles et que les droits humains y occupent une bonne place, la
« responsabilité de protéger », à l'instar des
deux précédentes théories présentées, ne
vise à protéger que le droit à la vie et encore à
la condition que sa violation soit le fait d'un génocide, de nettoyages
ethniques, de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité. Il sied
de souligner que les rédacteurs du rapport sont accès explicites
sur ce point. Ils soutiennent que : « les violations des droits de l'homme
qui, bien que graves, ne vont pas jusqu'au meurtre caractérisé ou
au nettoyage ethnique, par exemple la discrimination raciale
systématique, l'emprisonnement systématique ou d'autres formes de
répression politique des opposants » ne constituent pas un motif
d'intervention militaire.
Cette obligation de protéger peut être
résumée en trois piliers selon les rédacteurs de ce
rapport : la prévention, la réaction (intervention armée)
et la reconstruction, pouvant être décrits comme suit :
58 Rapport de la Commission internationale de
l'intervention et de la souveraineté des États, p.24.
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D'abord la responsabilité de prévenir :
éliminer à la fois les causes profondes et les causes directes
des conflits internes et des autres crises produites par l'homme qui mettent en
danger les populations ;
Ensuite, la responsabilité de réagir :
réagir devant des situations où la protection des êtres
humains est une impérieuse nécessité, en utilisant des
mesures appropriées pouvant prendre la forme de mesures coercitives
telles que des sanctions et des poursuites internationales et, dans les cas
extrêmes, en ayant recours à l'intervention militaire ;
Enfin, la responsabilité de reconstruire : fournir,
surtout après une intervention militaire, une assistance à tous
les niveaux afin de faciliter la reprise des activités, la
reconstruction et la réconciliation, en agissant sur les causes des
exactions auxquelles l'intervention devait mettre un terme ou avait pour objet
d'éviter.
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