Section II : L'OBLIGATION DE PROTEGER OU DE FAIRE
RESPECTER LE DROIT INTERNATIONAL
§1. Contexte de l'élaboration de l'obligation
de protéger
Héritière du « droit d'ingérence
»56 la théorie de l'obligation de protéger a
été élaborée par une commission internationale
intitulée « La Commission internationale de l'intervention et de la
souveraineté des États (CIISE) », mandatée par le
gouvernement canadien. Constituée en 2000 et co-présidée
par M. Gareth Evans et Mohamed Sahnoun, cette commission a rendu public en
décembre 2001 son rapport intitulé « La
responsabilité de protéger ».
Du « droit d'ingérence » à la «
responsabilité de protéger ». À la demande du
Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, le
Conseil de sécurité de l'ONU a discuté en mai 2002, un
rapport sur le « devoir d'ingérence » rebaptisé d'une
manière plus neutre « responsabilité de protéger
» les populations en grave détresse humanitaire. Le rapport se
prononce pour une responsabilité principale exercée par le
Conseil de sécurité lui-même afin de prendre l'initiative,
dans le cadre de l'ONU, de ce type d'interventions ; la détresse
à laquelle ces actions seraient destinées à
remédier sont définies par « des pertes considérables
en vies humaines, effectives ou présumées, qu'il y ait ou non
intention génocidaire, attribuables soit à l'action
délibérée de l'État sur le territoire duquel
l'action est déployée, soit à sa négligence, son
incapacité à agir, sa défaillance ». L'intervention
militaire est désignée comme modalité de dernier
recours.
Elle devrait être proportionnée et avoir des
perspectives raisonnables d'atteindre ses objectifs. La question de la
légitimité des interventions militaires dans un tel contexte
renvoie directement au problème de l'usage du veto de la part
de l'un ou l'autre des membres du Conseil de sécurité. À
la proposition du représentant permanent de la France de ne faire usage
du veto que lorsqu'un intérêt jugé d'ordre «
vital » serait en cause pour l'un des membres permanent, la Russie,
pensant à la crise tchétchène, a opposé un refus de
principe.
Le document final du sommet mondial de 2005 (GTDIP no
2) adopté par les chefs d'État et de gouvernement lors de la
session de l'Assemblée générale s'inspire directement
des
56 Lire à ce sujet d'informations, voir
http://www.icrc.org/fre/resources/documents/misc/5fzg3n.htm.
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conclusions du rapport précité. Après
avoir affirmé que « c'est à chaque État qu'il incombe
de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du
nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité », le document
envisage la mise en place éventuelle d'un « dispositif d'alerte
rapide » par les Nations Unies pour leur permettre d'aider chaque
État membre qui le solliciterait à faire face à ses
obligations. Il prévoit également si nécessaire la mise en
oeuvre des « moyens diplomatiques, humanitaires et autres moyens
pacifiques appropriés, conformément aux Chapitres VI et VII de la
Charte afin d'aider à protéger les populations du
génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes
contre l'humanité ».
C'est dans ce contexte que les chefs d'État et de
gouvernement se disent « prêts à mener en temps voulu une
action collective résolue, par l'entremise du Conseil de
sécurité, conformément à la Charte, notamment son
Chapitre VII, au cas par cas et en coopération, le cas
échéant, avec les organisations régionales
compétentes, lorsque ces moyens pacifiques se révèlent
inadéquats et que les autorités nationales n'assurent
manifestement pas la protection de leurs populations » contre les
fléaux précités57.
Ce texte est à la fois non négligeable et peu
innovant. Non négligeable, parce qu'il manifeste au moins deux choses,
D'une part, un rappel ; celui que chaque État, pour reprendre la
terminologie propre à l'article 1er commun aux quatre Conventions de
Genève de 1949, depuis lors passé dans le droit coutumier, a
l'obligation de « respecter et faire respecter » le droit
international humanitaire auquel s'ajoutent ici les droits fondamentaux de la
personne ; d'autre part, la volonté politique, au moins affichée,
de récupérer sous l'appellation nouvelle de «
responsabilité de protéger » le droit existant allié
aux acquis tirés des crises décrites plus haut (Kurdistan,
Somalie, Bosnie, Kosovo, etc.). Il s'agit en même temps d'un utile
recadrage. L'un des messages principaux est d'insister sur le fait qu'en
dépit du caractère individuel, pour chaque État, d'une
telle responsabilité, l'action en faveur de sa réalisation peut
bénéficier de l'action collective des autres membres de la
communauté internationale, mais dans le cadre et le respect du droit des
Nations Unies
Quoi qu'il en soit, le texte reste peu innovant. Comme dit
plus haut, l'obligation de « respecter et faire respecter » existait
déjà depuis les Conventions de Genève. La Cour
internationale de Justice a eu l'occasion, à cet égard, de
préciser la portée d'un tel engagement
57 « Responsabilité de protéger »,
rapport de la CIISE, publié par le Centre de recherches pour le
développement international, Ottawa (Canada),
http://www.idrc.ca/FR/Resources/Publications/Pages/IDRCBookDetails.aspx?
PublicationID=237 consulté le 14 novembre 2021 à 14 heures.
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dans son avis sur les Conséquences juridiques de
l'édification du mur dans les territoires palestiniens du 9 juillet
2004. L'obligation consignée à l'article premier s'impose
à tous les États. Elle a pour eux diverses implications dont
celle de ne pas reconnaître les situations créées par des
violations du droit international, comme, en l'espèce, l'entrave
persistante à l'expression du droit du peuple palestinien à
exercer son droit à l'autodétermination. Mais le même avis
souligne aussi que l'ONU elle-même est appelée par le droit
humanitaire en vigueur à coopérer à la mise en oeuvre tout
au moins des « principes intransgressibles du droit international
coutumier » au nombre desquels figure précisément
l'obligation de « faire respecter » l'ensemble du « droit de
Genève ».
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