CHAPITRE II : APPLICABILITE ET VALIDITE DU PRINCIPE DE
RECOURS A LA FORCE FACE AU PRINCIPE DE NON IMMIXTION DANS LES AFFAIRES
INTERIEURES DES ÉTATS
Les principes de non-recours à la force et de
non-immixtion ayant un caractère coutumier, ils sont toutefois soumis
à certains fléchissements ou exceptions. Pour dire que dans
certaines circonstances les Etats peuvent recourir à la force ou
s'immiscer dans les affaires relevant de la compétence exclusive des
autres soit aux fins humanitaires (section I), ou soit dans une perspective de
faire respecter le droit international (section II). Cependant, ces exceptions
ne vont pas sans soulever des critiques ou des observations du point de vue des
relations internationales (section III).
Section I : L'INTERVENTION AUX FINS HUMANITAIRES
§1. Genèse de l'intervention humanitaire
En réalité, l'histoire des relations
internationales a été marquée depuis longtemps par la
pratique des interventions d'humanité, développée surtout
au XIXe siècle et ayant principalement pour but la protection
des nationaux de l'Etat intervenant, au cas où leurs vies étaient
menacées46. Ainsi, les premiers balbutiements doctrinaux de
cette notion remontent de très longtemps.
En effet, parmi les auteurs classiques de l'école du
droit naturel qui se sont penchés sur la notion d'intervention
d'humanité, on peut citer notamment Saint Thomas D'Aquin47
qui estime qu'« un souverain a le droit d'intervenir dans les affaires
intérieures d'un autre lorsque ce dernier maltraite ses sujets »,
et Grotius48. Grotius écrivait, en évoquant la
souveraineté des Etats : « Mais le droit de la
société humaine ne sera pas exclu pour cela, lorsque l'oppression
est manifeste... C'est ainsi que Constantin prit les armes contre Maxence et
contre Licinius ; que d'autres empereurs des Romains les prirent, ou
menacèrent
46 Hajer Gueldich, droit d'ingérence et
interventions humanitaires : état de la pratique et du droit
international, Paris, Dalloz,p.54.
47 Saint thomas d'Aquin cité par C-H.Thuan,
« De l'intervention humanitaire au droit d'ingérence », in
FENET, Paris PUF, 1994, p. 100.
48 Grotius cité par O. Corten et P. Klein ,
« Droit d'ingérence ou obligation de réaction non
armée », in RBDI, 1990/2, p.369.
21
de les prendre contre les Perses, s'ils cessaient de
persécuter les chrétiens à cause de leur religion
».
Leurs idées ont été soutenues par
d'autres auteurs tels que Vattel49, Puffendorf, Suarez, De Vittoria
et même Saint Augustin. Sur la base de toutes ces pensées, allait
se développer, au XIXe siècle, la doctrine
d'intervention d'humanité.
De même, Gustave Rolin-Jacquemyns, avait écrit
à propos de la légitimité de la pratique d'intervention :
« lorsqu'un gouvernement, tout en agissant dans la limite de ses droits de
souveraineté, viole les droits de l'humanité, par des
excès de cruauté et d'injustice qui blessent profondément
nos moeurs et notre civilisation, le droit d'intervention est légitime.
Car quelque respectables que soient les droits de souveraineté et
d'indépendance des Etats, il y a quelque chose de plus respectable
encore, c'est le droit de l'humanité ou de la souveraineté
humaine qui ne doit pas être outragé »50.
En dépit du fit que le droit naturel a
été remplacé au XIXe siècle par le droit
positif, en tant que socle du droit international, cela n'en en rien
empêché la persistance de la thématique de l'intervention
pour des fins humanitaires dans les doctrines française, britannique et
américaine.
A ce sujet, Stowell enseigne que lorsque les habitants d'un
pays sont de manière persistante victimes des atrocités graves et
abusives, et qui dépassent les limites de raison et de justice dans
lesquelles doit se maintenir le gouvernement, un Etat tiers peut intervenir
à juste titre et employer la force pour secourir les
victimes51. Dans l'affaire Espagne c/Grande Bretagne (sentence du 23
octobre 1923), l'arbitre Max Hubert avait souligné que : «
L'intérêt d'un Etat de pouvoir protéger ses ressortissants
et leurs biens doit primer le respect de la souveraineté territoriale,
et cela même en l'absence d'obligations conventionnelles. Ce droit
d'intervention a été revendiqué par tous les Etats, ses
limites seules peuvent être discutées
»52.
L'intervention humanitaire, dite au XIXe
siècle « intervention d'humanité », a souvent servi
d'excuse légale aux politiques des grandes puissances. Dans bien des
cas, elle
49 J-M. Henckaerts, Droit international
humanitaire coutumier,vol.1,Bruxelles, Bruyllant,2006,p.357.
50 G. Rolin-Jacquemyns,op. cit., p.675.
51 E. StowelL , « La théorie et la
pratique de l'intervention », in RCADI, 1932/II, page 138.
52 Affaire Espagne c/Grande Bretagne, Rapport
du 23 octobre 1924, in RSA, volume II, page 641.
22
dissimulait mal ses mobiles politiques53. Elle a
notamment été mise en avant pour la protection de personnes et
spécialement de nationaux contre un péril imminent les
opérations d'Entebbe par Israël en 1976, de Kolwezi par la France
en 1978 et de Taba par les États-Unis en 1980). La Cour internationale
de Justice a indirectement émis une appréciation négative
à l'égard de cette dernière opération dans son
arrêt relatif à l'affaire du Personnel diplomatique et consulaire
américain à Téhéran.54
La résolution de Wiesbaden sur le principe de
non-intervention dans les guerres civiles, l'Institut de droit international a
avancé la règle d'après laquelle : « les États
tiers s'abstiendront d'assister les parties à une guerre civile
sévissant sur le territoire d'un autre État ». Il a
cependant admis à l'article 4 de la même résolution, la
règle d'après laquelle : « devrait être tenu pour
licite l'envoi de secours ou d'autres formes d'aides purement humanitaires en
faveur des victimes d'une guerre civile ».C'était
déjà dégager la voie qui devait conduire à
l'affirmation, quelques années plus tard, du « devoir
d'ingérence humanitaire ».
|