1.3.3. Laura Calabrese : Rectifier le discours
d'information médiatique
Dans son article, Laura Calabresse (2014) explique que le
discours d'information n'est pas caractérisé par une
obscurité sémantique. Et si ce discours fait appel à des
discours spécialisés, il n'en produit pas autant lui-même.
Selon l'auteure, le discours d'expert est gage de réalité, de
sérieux, jouant le plus souvent le rôle de preuve ou expliquant un
phénomène de société, un problème public, un
évènement. Elle conçoit que le discours d'expert est
souvent convoqué et fait partie des protocoles de rédaction des
journalistes, mais n'est pas constitutif du discours d'information.
Elle avance que la matière sur laquelle est construit
le discours d'information est constituée de connaissances mondaines (au
sens de phénomènes) auxquelles les citoyens lambda n'ont pas
d'accès direct, c'est effectivement l'inscription socio-professionnelle
des acteurs qui légitime ce discours et qui lui permet d'accéder
au rang de discours spécialisé. Ce n'est donc pas la nature de la
connaissance qui importe ici, mais son mode de donation médiatisé
et asymétrique.
Dans cette optique, nous pensons que le processus de
légitimation du discours médiatique, tel que conçu dans le
cadre de cette étude, se limite à démontrer les
éléments qui ont participé à la construction des
événements politiques et à déterminer leur mise en
forme. Notre intention n'est pas de reprendre la conception de Laura
Calabresse. Ce que nous recherchons, c'est d'approcher la matière sur
laquelle est construit le discours.
1.3.4. Patrick Charaudeau : Ethique du discours
médiatique
Patrick charaudeau (2009, 51-57) analyse la sphère
médiatique par une double logique. Cette sphère fonctionne par la
logique symbolique qui s'inscrit dans une finalité démocratique
en se mettant idéalement au service de l'opinion publique et de la
citoyenneté en l'informant sur des événements qui se
produisent dans l'espace public et en contribuant au débat social et
politique par la mise en scène de la confrontation des idées.
Charaudeau explique que la logique pragmatique cherche
à capter le public, car pour pouvoir survivre, tout organe d'information
doit tenir compte de la concurrence sur le marché de l'information, en
mettant en oeuvre des stratégies de séduction qui entrent en
contradiction avec le souci de bien informer. C'est dans cette contradiction,
selon lui, que se trouve le discours médiatique.
Charaudeau fait une démarcation entre le dispositif
socio-communicationnel et l'acte de mise en scène du discours. Pour
lui, le dispositif fait partie des conditions contractuelles de production de
l'acte langagier, avec les instructions qu'il donne au sujet, mais il n'en
constitue pas la totalité. Dans cette démarcation,
découlent deux actes de communication (englobant) et
d'énonciation (spécifiant).
Ainsi, il nait deux situations de communication et
d'énonciation. Charaudeau soutient que la situation de communication
surdétermine en partie le sujet en lui imposant des instructions
discursives, celui-ci dispose d'une certaine marge de liberté pour
procéder à une mise en scène qui d'ailleurs peut avoir,
à terme, une influence sur le contrat lui-même.
L'auteur explique ce qui différencie le récit
médiatique du récit historique. Le temps de l'histoire n'est pas
celui des médias, écrit-il. Les évènements
rapportés par les médias doivent faire partie de
l'actualité, c'est-à-dire d'un temps encore présent,
considéré nécessairement comme tel, car il est ce qui
définit "la nouvelle". Celle-ci a donc une existence en soi, autonome,
figée dans le présent de son énonciation. Les
événements dont s'occupe l'histoire appartiennent à un
passé qui n'a plus de connexion avec le présent et dont
l'existence dépend d'un réseau évènementiel que
l'historien doit ordonner et rendre cohérent.
Selon l'auteur, la mise en scène du discours
rapporté devrait également satisfaire à un principe de
distance et de neutralité qui oblige le rapporteur journaliste à
s'effacer et dont la marque essentielle est l'emploi des guillemets encadrant
le propos rapporté. C'est là encore se soumettre à l'enjeu
de crédibilité. Charaudeau pense que le discours journalistique
ne peut se contenter de rapporter des faits et des dits, son rôle est
également d'en expliquer le pourquoi et le comment afin
d'éclairer le citoyen. Le discours explicatif journalistique se
présente sous la modalité de l'affirmation: modaliser serait une
preuve de faiblesse au regard de la visée de crédibilité
de la machine informative. En cela, le discours de commentaire journalistique
s'apparente davantage à un discours de vulgarisation sans avoir la
prétention, car ce serait contreproductif.
Insistant sur le discours journalistique qui rapporte des
évènements et propose des explications, l'auteur estime que
l'objectif de ce discours est de capter le public en se livrant à une
certaine dramatisation qu'il définit comme un processus de
stratégie discursive qui consiste à toucher l'affect du
destinataire. Un affect socialisé, ce pourquoi il est possible d'avoir
recours à des procédés discursifs qui ont des chances
d'avoir un certain impact sur le récepteur. Les médias en usent
et abusent parce qu'il est le meilleur moyen de satisfaire l'enjeu de
captation. Reiffel (2005, 177) considère la dramatisation comme une
sorte de théatralisation qui, selon lui, consiste à assimiler la
politique à un spectacle, à jouer constamment sur les affects aux
dépens des programmes, des propositions et des idéologies.
D'où trois types de discours que développe Charaudeau: de
victimisation, de portrait de l'ennemi, d'héroïsation, le tout
obtenu par un procédé d'amalgame. Ainsi, Charaudeau estime que
ces trois types de discours sont à la base de cette dramatisation, qu'il
appelle aussi une surdramatisation. Il parle du discours de
victimisation, de portrait de l'ennemi et d'héroisation.
L'auteur avance que le discours de victimisation est celui qui
met en scène toutes sortes de victimes: des victimes
présentées en grand nombre (pour compenser leur anonymat), des
victimes singulières différemment qualifiées de
célèbres pour qu'elles soient dignes d'intérêt, des
victimes de la logique de guerre, des victimes du hasard ou de la
fatalité pour l'incompréhension angoissante, des victimes
innocentes. Un tel discours, explique l'auteur, est une invite de la part de
l'énonciateur à partager la souffrance des autres, d'autant plus
que celle-ci est rapportée soit par les victimes elles-mêmes, soit
par des témoins extérieurs mais proches, et l'on sait que paroles
des victimes et paroles de témoins sont indiscutables. Lecteur, auditeur
ou téléspectateur se trouvent alors dans la position de devoir
entrer dans une relation d'empathie.
Pour ce qui est du portrait de l'ennemi, Patrick Charaudeau
considère que ce discours est centré sur la description de
l'agresseur. Il consiste à mettre en scène le portrait de
l'ennemi. Et là, la surdramatisation est encore à l'oeuvre, car
ce n'est que dans la figure du "méchant absolu" que pourrait se produire
un effet de "catharsis" sociale. Le méchant, représentant du mal
absolu, est à la fois objet d'attirance et objet de rejet, autrement dit
de fascination. C'est la cité d'obscur de force, la puissance du diable
que l'on retrouve de façon omniprésente dans les fictions
fantastiques du cinéma moderne.
Pour le discours d'héroisation, l'auteur rappelle que
ce discours met en scène une figure de héros réparateur
d'un désordre social ou du mal qui affecte ces victimes. Cette figure
peut être celle des sauveteurs occasionnels et anonymes qui interviennent
pour porter assistance aux victimes d'un attentat, d'un bombardement ou d'une
catastrophe naturelle. Ce peut être aussi celle d'un grand sauveur
porteur des valeurs symboliques comme fut présenté George W. Bush
après l'attentat du 11 septembre 2001. La recherche d'une figure de
héros est si forte dans ce type de discours que parfois sont
montées en épingle les actions d'une personne ordinaire,
dès lors que celle-ci semble avoir accompli un acte de solidarité
humaine extraordinaire, comme cela est mis en scène dans les
télé-réalités. Mais sont également
glorifiées les actions d'une personnalité lorsque celle-ci se
prévaut d'avoir réussi une entreprise jugée impossible.
Mais, lorsque l'enjeu de captation est dominant et il l'est souvent, indique
l'auteur, la visée informative disparaît au profit d'un jeu de
spectacularisation et de dramatisation. Il finit par produire des
dérives qui ne répondent plus à l'exigence
d'éthique qui est celle de l'information citoyenne.
Deux procédés discursifs transforment
l'actualité événementielle en "suractualité" en
produisant des effets déformants. Le procédé de
focalisation qui consiste à amener un événement sur le
devant de la scène (par les titres de journaux, l'annonce en
début de journal télévisé ou du bulletin
radiophonique). Il produit un effet de grossissement. La nouvelle
sélectionnée est mise en exergue, et du même coup elle
envahit le champ de l'information donnant l'impression qu'elle est la seule
digne d'intérêt. Cela participe d'un phénomène
discursif plus général: toute prise de parole est un acte
d'imposition de sa présence de locuteur sur l'interlocuteur, et donc
celle-ci doit pouvoir être justifiée. Ce qui la justifie est que
le propos qu'elle véhicule est obligatoirement digne
d'intérêt, c'est-à-dire: pertinent. On retrouve là
le principe d'intentionnalité. Dans la communication médiatique,
le sujet qui informe étant légitimé par avance (contrat de
communication), le propos véhiculé prend encore plus d'importance
au point de faire oublier d'autres nouvelles possibles. Il impose une
"thématisation" du monde.
Le procédé de répétition qui
consiste à passer une même information en boucle d'un bulletin
d'information à l'autre, d'un journal télévisé
à l'autre, d'un journal à l'autre et d'un jour à l'autre.
Cette information, répétée de la même façon
ou avec des variantes, produit un effet de réification: la nouvelle
prend une existence en soi, se trouve par là même
authentifiée, se fige et donc s'inscrit de façon
indélébile dans la mémoire. A preuve que ce sont ces
nouvelles qui sont ensuite le plus facilement colportées dans les
conversations ordinaires, se transformant parfois en rumeur. Il s'agit
là encore d'un phénomène discursif général:
la répétition d'un propos dans une configuration identique
à elle-même donne l'impression d'être le gage d'une
vérité.
Par ces deux procédés et les effets qu'ils
produisent l'énonciateur journaliste a beau disparaître
derrière une absence de marques personnelles ou l'emploi de marques
impersonnelles, la prise de parole focalisante et la récurrence
essentialisante imposent au récepteur de la nouvelle une
suractualisation événementielle.
Dans le cadre de ce mémoire, le procédé
de focalisation est compris comme participant à la spectacularisation en
ce sens qu'il devient un outil qui nous permet de voir les
éléments sur lesquels ont insisté les médias
pendant la campagne électorale, la personne (Qui ?), l'objet
(Quoi ?), le lieu (Où ?) que nous retenons comme indicateurs.
Et nous ne ferons pas usage du procédé de
répétition comme le suggère Patrick Charaudeau. Cependant,
nous le privilégierons, dans notre analyse, pour constater les
personnalités politiques, les institutions politiques et autres
à partir desquelles les médias ont reconstruit les
événements dans une logique de médiatisation.
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