6. CONCLUSION
Cet essai d'analyse des politiques publiques
s'était donné pour but de comprendre et d'expliquer d'une part
les facteurs d'influence du processus de mise en oeuvre de la
décentralisation du système de santé du Burkina et de
juger de l'effectivité du fonctionnement des districts sanitaires comme
des entités décentralisées d'autre part. Pour ce faire,
nous sommes allés à la rencontre des acteurs du processus, munis
de deux approches théoriques : le modèle de Walt et Gilson (1994)
qui comprend quatre éléments fondamentaux à savoir le
contenu de la politique, les stratégies de mise en oeuvre, le contexte
et enfin les acteurs, nous a permis d'expliquer les facteurs d'influence de
l'implantation de la décentralisation. ; le cadre de Kochen et Deutsch
(1980) composé de huit variables (pluralité, dispersion,
spécialisation, sensibilité, aplatissement,
délégation, participation courante, participation reconfigurante)
a été utilisé pour estimer le niveau de
décentralisation des districts sanitaires.
L'application du modèle de Walt et Gilson nous
a offert l'occasion de comprendre que certains contenus de cette réforme
ne rencontraient pas l'assentiment des acteurs clés. En effet, les
médecins ne semblent pas satisfaits de ce que la décentralisation
leur réserve. C'est ainsi qu'ils mettent tout en oeuvre en dépit
de la formation complémentaire qu'ils reçoivent pour travailler
hors des districts. Aussi, le paiement direct des actes est de loin ce que les
populations pouvaient attendre de la décentralisation.
Il nous a également été
donné de constater que les stratégies utilisées dans le
cadre de la mise en oeuvre de la décentralisation n'avaient pas fait
l'objet d'expérimentation à travers un projet pilote. Or, il est
indéniable qu'un projet pilote offre une opportunité aux acteurs
d'une intervention de tester de la pertinence, de l'efficacité et de
l'efficience des stratégies d'intervention. C'est aussi le meilleur
moment pour peaufiner et ajuster certains mécanismes, comprendre les
ambitions, les aspirations et les attentes des acteurs afin d'en tenir compte
lors de la phase d'extrapolation du projet. La décentralisation du
système de santé n'a pas obéit à cette logique. Les
conséquences de cette démarche d'intervention restent
l'inadéquation de certaines stratégies, le coût exorbitant
de certains choix, le difficile fonctionnement de certaines structures
d'accompagnement des districts, une faible utilisation des services de
santé par les communautés.
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Aussi, la décentralisation du système de
santé intervient dans un contexte politique dominé par la
suprématie écrasante du parti du pouvoir qui se traduit par une
monopolisation de la gestion des affaires publiques ; ce qui écarte du
coup les compétences des autres formations politiques qui pouvaient
être mis à contribution dans la mise en oeuvre de ce processus. En
sus, le niveau de pauvreté élevé des ménages
annihile ou amenuise les capacités contributives des populations au
financement de la santé. La faible scolarisation qui caractérise
le pays se répercute au niveau de la gestion des CoGes qui se composent
pour la majorité d'illettrés.
En somme, le modèle de Walt et Gilson s'adapte
à l'analyse de la mise en oeuvre des politiques publiques. Toutefois,
nous estimons qu'il ne prend pas en compte l'ensemble des facteurs qui
caractérisent l'implantation des politiques publiques dans un contexte
africain. En effet, le caractère exogène des politiques
publiques, le poids considérable des opérateurs5
politiques, l'imprécision des objectifs des politiques sont autant de
facteurs qui pourraient enrichir le modèle de Walt et
Gilson.
L'expérimentation du cadre de Kochen et Deutsch
relatif au niveau de décentralisation d'un service nous autorise
à corroborer la pertinence de modèle. L'application de ce
modèle au cas d'un district dans le contexte du Burkina a
révélé que le fonctionnement des districts en tant que
système décentralisé contient de nombreuses insuffisances
qui émoussent l'autonomie de ces structures de soins. En effet, la
décentralisation n'a pas permis de résoudre le problème
des ressources humaines, d'accorder suffisamment de pouvoir aux districts dans
la gestion financière ainsi que l'administration du personnel. Nous
estimons que décentraliser un service, c'est aussi réduire les
longues procédures de dépenses, tout élément qui
permet de gagner aussi bien en tant qu'en qualité. En dépit de la
décentralisation, on constate que les procédures de
dépenses des services de santé décentralisés
continuent à souffrir du poids des mécanismes de
décaissement qui impliquent une longue liste d'acteurs qui ne
relèvent pas de la santé. Aussi, les services de santé
rentent toujours inaccessibles à ceux qui en n'ont le plus besoins,
c'est-à-dire les plus démunis.
5 Ce sont les organisations onusiennes et certaines ONG
internationales que nous désignons sous ce vocable
57
Il est admis que pour qu'un système fonctionne
convenablement, en plus du fait que les rôles et responsabilités
des acteurs doivent être clairement définis, il est indispensable
que des relations de confiance s'installent entre les parties prenantes du
système car « un système de santé fondé sur
les relations de confiance entre les acteurs impliqués est en mesure
d'apporter une contribution importante à la construction des valeurs
sociales » .(Ridde, 2005) Dans le cas de la décentralisation du
système de santé du Burkina, on note un manque de confiance entre
les acteurs tant de l'intérieur que de l'extérieur. On observe un
manque de confiance des populations à l'offre de soins qui se
caractérise par une faible utilisation des services de santé, un
manque de confiance entre le niveau central et la périphérie qui
s'exprime dans la lourdeur des procédures et la pléthore de
commissions, un manque de confiance des partenaires financiers à l'Etat
qui se constate dans les mécanismes de décaissement , de
dépenses et de contrôle qu'imposent ces partenaires, enfin un
manque de confiance de certains ministères (MATD, MFB)à celui de
la santé qui se manifeste par la présence de leurs agents dans
les commissions d'attribution des marchés des districts sanitaires.
Cette confiance pourrait être générée par un
débat sincère, franc et direct avec tous les acteurs.
Tout système, toute organisation tire son
existence et alimente son fonctionnement à partir d'une gamme de valeurs
; et pour que tout se déroule normalement, l'ensemble des acteurs doit
se reconnaître en ces valeurs ; nous pensons que tel ne semble pas le cas
dans le processus de décentralisation du système. La
communalisation intégrale peut être une occasion pour ajuster le
processus et établir la confiance minimum indispensable entre les
acteurs.
L' analyse de la décentralisation
procède de l'analyse des politiques publiques, ce faisant nous aurons pu
l'aborder sous l'angle de l'identification du problème et son
inscription sur l'agenda politique(genèse), à travers le
processus de sa formulation et son adoption ou par les mécanismes du
suivi -évaluation. En choisissant de l'analyser à travers sa mise
en oeuvre, nous pensions que le processus étant en cours depuis plus
d'une dizaine d'année, notre étude viendra en appoint dans
l'identification des obstacles au déroulement du processus et
éventuellement pourrait aboutir à des propositions de solutions
pour une amélioration de la performance du système de
santé. Il est souhaitable que d'autres études abordent la
décentralisation du système de santé du
Burkina
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Faso sous d'autres angles avec divers cadres
conceptuels; ce qui permettra de disposer à la longue
d'éléments d'appréciation sur cette politique dans sa
globalité.
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