5.1.8 La décentralisation, une question d'approche
au changement
« Le concept de changement est
généralement entendu et défini soit comme un processus,
soit comme un écart dans le contenu de ce qui est observé. Dans
le premier cas, le terme changement est utilisé pour désigner la
progression des évènements, le cheminement entre des
situations
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Analyse de la politique de décentralisation du
système de santé du Burkina Faso
différentes dans le temps. Dans le second,
il est utilisé afin de décrire le bilan des différences
observables empiriquement dans la forme, la qualité ou l'état des
situations elles-mêmes ». (Dufour Y ; Lamothe L, 1999). Les
politiques de santé conduisent généralement à des
changements dans l'organisation des différentes fonctions du
système de santé que sont l'administration
générale, le fonctionnement, la prestation des services et la
génération des ressources (OMS, 2000). Les résultats
mitigés de la décentralisation du système de santé
nous commandent à nous interroger sur la façon dont les
changements escomptés ont appréhendés et
suscités.
La littérature offre aux perspectives
d'analyses, quatre approches au changement dans les systèmes de
santé (Rouleau et Séguin 1995, cités par Doufour et
Lamothe, 1999). Ce sont l'approche classique, l'approche contingente,
l'approche du comportement organisationnel et l'approche politique. La
différence fondamentale entre ces différentes approches se
focalise sur les places qu'elles accordent aux structures, au processus, aux
mécanismes de gestion, à l'environnement et aux acteurs dans le
processus de changement ; ce qui fait dire à Dufour et Lamothe que
« l'approche classique et celle des contingences considèrent
l'organisation comme un système technique alors que l'approche politique
et celle du comportement la voient plutôt comme un système social
». En effet, les aspects techniques, la qualité du contenu et
la formulation, les démarches de mise en oeuvre du changement, la forme
organisationnelle, l'environnement restent les éléments qui
cristallisent les attentions lorsqu' on adopte l'approche classique et celle
des contingences. Ce sont donc un noyau d'experts qui conçoit le
changement et l'importe dans un milieu donné. Le changement dans cet
ordre n'est pas endogène ; il est exotique. Par contre les approches du
comportement organisationnel et celle politique prônent que les individus
doivent être mis à contribution dans la mise en oeuvre du
changement organisationnel car l'aboutissement d'une réforme passe par
une authentique adhésion des acteurs à l'objectif poursuivi un
engagement soutenu envers l'organisation. En effet, il pas utile de rappeler
qu'une organisation est une somme d'individus qui partagent des traits de
personnalités, des attitudes, des valeurs, des aspirations auxquels ils
sont sérieusement attachés. Or, ces caractéristiques ne
sont pas épargnées par le changement. C'est pourquoi, il est
fortement indispensable de réserver une place de choix aux individus, ce
qui permet sans aucun doute de prendre en compte leurs préoccupations et
d'agir en conséquence. Nous pensons que ces
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Analyse de la politique de décentralisation du
système de santé du Burkina Faso
caractéristiques ne sont pas sans
conséquence sur la motivation, la mobilisation et la coopération
des individus dans un projet de changement comme celui de la
décentralisation du système de santé.
Nos données empiriques nous laissent affirmer
que les approches de changement promues par la politique de
décentralisation du système de santé au Burkina n'ont pas
fait de places, aux préoccupations de certains acteurs pourtant
essentiels (le personnel médical et paramédical, les
communautés) dans la réussite de cette réforme. C'est une
entorse grave au processus en ce sens que sans une motivation, un engagement
sincère des médecins et des infirmiers, des communautés
à ce processus, on aurait beau mobiliser les ressources
financières que le projet n'atteindrait pas les résultats
escomptés. Il ne faut pas oublier que le changement est porté par
des individus, des acteurs qui ne peuvent être mobilisés que sur
la base de leurs intérêts. L'instabilité des
médecins, cette grosse épine qui entrave le bon fonctionnement
des districts, pourrait être évitée si et seulement si, on
avait mis pris sérieusement en compte les besoins du personnel en lieu
et place de ceux de la structure. « Nous pensons que le rôle des
acteurs est central dans la mise en oeuvre et l'appropriation d'un changement.
Il nous semble que cela soit d'autant plus le cas lorsque nous avons affaire
à une politique publique où des conflits liés aux valeurs
peuvent amener les acteurs à tenter de bloquer ou d'entraver les
réformes sanitaires » (Ridde, 2005). Ce faisant, il est important
de choisir une approche de changement qui accorde une importance aux acteurs
à travers une meilleure prise en compte de leurs préoccupations
et de leurs intérêts. Notre idée est faite que la politique
de décentralisation s'est plus focalisée sur les innovations,
oubliant qu'elles se matérialisent à travers des acteurs.
S'appuyer sur les approches politique et celle du comportement nous semble
indiqué et indispensable pour garantir une meilleure réussite au
processus de décentralisation sanitaire en cours depuis plus d'une
décennie.
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