SECTION II : CADRE THEORIQUE
La pensée économique s'est toujours
intéressée à l'étude du rôle et de l'impact
de l'investissement en capital humain, notamment par les biais de
l'éducation et de la formation sur la croissance économique et le
développement d'une nation. Les approches théoriques
défendent des thèses et des arguments multiples et
différents à ce sujet. Pour les théories du capital humain
et de la croissance endogène, nous affirmons que l'éducation est
un vecteur fondamental pour créer et stimuler la croissance et le
développement. On établit un lien très étroit entre
le niveau de scolarisation de la population et la qualité du
système éducatif d'une part et les performances
économiques et humaines d'autre part.
18 J. M. Keynes, Op.cit. P. 60.
18
Notre objectif dans cette deuxième section est de
présenter et d'analyser les thèses et arguments de ces approches
théoriques. Il s'agit d'analyser et discuter les fondements et bases
théoriques sur lesquels nous attendons construire notre argumentaire
dans les deux prochains chapitres.
Cette section sera divisée en deux parties. Dans la
première partie, nous allons nous concentrer sur l'étude de
l'impact positif de l'éducation sur la croissance économique
à travers l'augmentation et l'amélioration de la
productivité des individus; des chances de leur employabilité;
des salaires; et du progrès technologique. Alors que dans la
deuxième partie, nous allons mettre l'accent sur les bienfaits non
marchands de l'éducation en matière de développement
humain. La littérature théorique affirme que :
? L'éducation favorise l'émergence et la
constitution d'une société démocratique ; le renforcement
des liens de cohésion et de paix sociales ; l'amélioration de la
santé maternelle et des enfants ; la réduction de la taille des
familles ; et, la scolarisation des générations futures.
II.1. ÉDUCATION ET CROISSANCE ECONOMIQUE
Pour bien saisir le débat théorique concernant
l'impact de l'éducation sur la croissance économique, nous avons
opté pour l'étude et l'analyse des positions de quatre approches
théoriques, que nous considérons parmi les plus
représentatives et celles qui ont le plus travaillé sur les
questions d'économie politique d'éducation. Il s'agit de la
théorie classique ; la théorie du capital humain ; la
théorie néolibérale, et les théories de la
croissance endogène.
II.1.1. Le Lien Education-Croissance Dans La
Pensée Economique Classique
Dans la perspective de la théorie classique, la
principale source de création des richesses et de la croissance
économique est l'accumulation des facteurs de production, à
savoir le capital et le travail. D. Ricardo, affirme que l'augmentation de la
productivité est le résultat de l'augmentation de la
quantité et de la qualité des facteurs à la disposition
des travailleurs. A. Smith dans son chef d'oeuvre: La Richesse des Nations,
publié en 1776, considère que « l'investissement dans
l'apprentissage et l'éducation est un des moyens permettant
l'accroissement de la productivité des individus et de la nation,
malgré les coûts qu'il entraîne pour son acquisition19
». Cette attention accordée par A. Smith, à
l'investissement en éducation
19 Jean Luc de Meulemeester et Claude Diebolt, (2007), «
Éducation et croissance : Quel lien, pour quelle Politique ? »,
Association française de Clinométrie, Working papers n° 8,
p. 3.
19
s'explique à notre avis par l'évolution des
contextes politique et socio-économique pendant cette période
(XVIIIe siècle) en Europe. Il s'agit notamment, du renforcement de la
pénétration du capital dans la production industrielle et
l'entrée des producteurs dans un rapport de concurrence salariale pour
la réduction de leurs coûts ; l'amélioration de leur
compétitivité ; et, l'augmentation de leurs profits. Dans ce
contexte, deux questions principales ont occupé la réflexion des
classiques : Premièrement, faut-il instruire les ouvriers et si oui
quelle instruction leur donner ? Et deuxièmement, comment produire et
financer cette offre d'instruction ? Sur le premier niveau, les classiques ont
insisté sur la nécessité de l'instruction
élémentaire des travailleurs qui n'ont besoin que de leurs forces
physiques pour l'accomplissement de leurs tâches.
L'objectif étant « de les domestiquer, leur
apprendre le bon sens et faire en sorte qu'ils se conforment à l'ordre
et la discipline (ponctualité et régularité, respect de
l'autorité et sobriété et morale) au sein des lieux de
travail20 ».
Il en résulte, que dans une perspective classique
l'éducation a une double fonction. « Elle n'est pas seulement
considérée comme un moyen pour le développement des
capacités productives des individus mais également comme un moyen
d'amélioration morale21 ».
Sur le niveau de développement de la
productivité des individus et travailleurs, J. S. Mill, considère
que: « L'instruction rend le travailleur plus avisé, plus prompt,
plus honnête dans son travail quotidien: c'est donc un facteur important
dans la production de richesses matérielles22». D'un
autre côté, A. Smith, défend le droit d'un travailleur
éduqué et en charge d'un travail exigeant une grande
habileté à un salaire lui permettant non seulement d'indemniser
les coûts et frais occasionnés par sa formation, mais
également de lui permettre de réaliser un certain niveau de
profit dans une période donnée du temps. II affirme à cet
effet que :
« Quand on a établi une machine
coûteuse, on espère que la quantité supplémentaire
de travail qu'elle accomplira avant d'être usée remplacera le
capital employé à l'établir, avec les profits ordinaires
tout au moins. Un homme éduqué au prix de beaucoup de travail et
de temps en vue de l'une de ces professions qui exigent une habileté
supérieure
20 Jean-Jacques Paul, Op.cit., p. 304.
21 Éric Delmotte, (1998), Une introduction à la
pensée économique en éducation, Presse universitaire de
France (PUF), p. 37.
22 J. S. Mill, (1848), Principles of Political Economy, London;
Longmans, Green and Co. L. 1. Chap. VII. §. 5.
20
peut être comparé à l'une de ces
machines coûteuses. On doit espérer que la fonction à
laquelle il se prépare lui rendra, outre les salaires du simple travail,
de quoi l'indemniser de tous les frais de son éducation, avec au moins
les profits ordinaires d'un capital de même valeur. Il faut aussi que
cette indemnité se trouve réalisée dans un temps
raisonnable, en ayant égard à la durée très
incertaine de la vie des hommes, tout comme on a égard à la
durée plus certaine de la machine. C'est sur ce principe qu'est
fondée la différence entre les salaires du travail qui demande
une grande habileté et ceux du travail ordinaire23.
»
A. Smith, distingue entre les individus en fonction de leurs
qualifications et leurs capacités acquises par l'éducation.
« La différence entre les hommes adonnés aux professions les
plus opposés, entre un philosophe, par exemple et un portefaix, semble
provenir beaucoup moins de la nature que de l'habitude et de
l'éducation24 ». Cela dit, il explique les
différences de salaire et de rémunération du travail par
« Les coutumes, moeurs, et police de l'Europe », en affirmant que
:
« La police de l'Europe considère comme
travail demandant de l'habileté celui de tous les ouvriers, artisans et
manufacturiers et comme travail commun celui de tous les travailleurs de la
compagne. Il peut en être ainsi dans certains cas ; mais le plus souvent
il en est autrement. Ainsi les lois et coutumes d'Europe, afin de rendre
['ouvrier capable d'exercer la première de ces deux espèces de
travail, lui imposent la nécessité d'un
apprentissage25 ».
Il invoque également, l'impact de l'éducation sur
la productivité à travers la division
du travail:
« Les plus grandes améliorations dans la
puissance productive du travail, et la plus grande partie de l'habilité,
de l'adresse et de l'intelligence avec laquelle il est dirigé ou
appliqué, sont dues, à ce qu'il semble, à la division du
travail (...) l'augmentation dans la quantité d'ouvrage qu'un même
nombre de bras est en état de fournir, en conséquence de la
division du travail, est due à trois circonstances différentes:
premièrement, à un accroissement d'habilité dans chaque
ouvrier individuellement; deuxièmement, à l'épargne du
temps qui se perd ordinairement quand on passe d'une
23 A. Smith, Op. Cit., p. 175.
24 A. Smith, Op. Cit. P.50.
25 A. Smith, Op. Cit. p. 51
21
espèce d'ouvrage à un autre;
troisièmement, à l'invention d'un grand nombre de machines qui
facilitent et abrègent à un homme de remplir la tâche de
plusieurs26 ».
Le raisonnement d'A. Smith s'inscrivait dans le cadre de
l'institution corporative d'apprentissage. Une institution dont la mission est
non seulement la formation de la main d'oeuvre, mais également de
rationner l'accès de nouveaux producteurs au marché.
L'idée est de justifier que, l'on ne peut imposer les coûts de
longs apprentissages aux apprentis que si ceux-ci sont certains de pouvoir
rentabiliser ultérieurement leurs investissements éducatifs sur
le marché du travail. Il s'agit d'une théorie de la demande
d'éducation en fonction des revenus anticipés. « Ce n'est
pas la formation qui explique et justifie le revenu, mais à l'inverse,
la coalition des producteurs pour assurer la sécurité de leurs
revenus qui explique et justifie l'institution d'une barrière à
l'entrée, dans ce cas les institutions corporatives
d'apprentissage27 ». Dans cette optique, l'éducation est
envisagée non pas comme un investissement productif, mais comme un
placement financier, réductible à un simple calcul rationnel en
termes pécuniaires. L'éducation ne serait entreprise par les
individus que si les perspectives de rendement sont au moins égales
à celles des affectations alternatives des ressources de l'individu. En
ce qui concerne la deuxième question, à savoir celle de la
production et de financement de l'offre éducative, la théorie
classique défend deux arguments principaux basés sur le principe
de la libre concurrence. « Premièrement, des marchés du
travail concurrentiels représentent le meilleur moyen pour assurer une
affectation rationnelle des ressources à l'éducation dans la
sphère économique et, deuxièmement, une concurrence en
matière de l'offre éducative permettrait un meilleur rapport
qualité/prix pour les demandeurs de l'éducation28
».
Un point en commun entre les idées et les écrits
de l'école classique est de ne pas traiter de l'éducation en
général, mais souvent d'un seul type d'éducation en
particulier, ou plus précisément de l'instruction d'un groupe
social déterminé. C'est le cas par exemple, d'A. Smith, qui
traitait des formes sociales de l'éducation dans différents
chapitres dans son oeuvre « La Richesse des Nations ».
En général, on peut affirmer que la
théorie classique établit un lien d'interaction positive entre
éducation et croissance économique. L'augmentation et
l'amélioration de la productivité des travailleurs, des salaires
et de la croissance économique sont en partie le
26 A. Smith, Op. Cit. p. 52
27 A. Smith, Op. Cit, P. 58.
28 Jean-Jacques Paul, Op.cit. p. 304.
22
résultat d'un accroissement, augmentation et
amélioration de l'éducation des individus. Les affirmations de la
théorie classique ont été reprises et
développées par la théorie du capital humain pour en
montrer et prouver que les différences de niveaux de croissance
économique entre pays ne sont en fin de compte que le résultat
tout à fait logique des différences dans la conception du
rôle et de la place du système éducatif et des niveaux de
scolarisation de la population.
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