Partie I : L'Effacement des autorités nationales
dans le cadre des compétences exclusives de la Banque centrale
européenne
La BCE s'est vue conférer, par le règlement MSU,
certaines compétences exclusives, la plus parlante d'entre elles est
certainement la possibilité d'octroyer et de retirer l'agrément
(Section 1). L'agrément bancaire se définit comme un acte
émanant des autorités, quelle qu'en soit la forme, qui
confère le droit d'exercer l'activité49.
L'agrément est donc un élément indispensable pour toute
entité souhaitant exercer une activité bancaire. Accorder
l'agrément aux établissements de crédit était l'un
des rôles fondamentaux des autorités de surveillance nationales.
Le retrait d'agrément, quant à lui, est, en quelque sorte, l'arme
de dernier recours à l'encontre d'un établissement de
crédit ne remplissant plus les conditions de son autorisation.
Au delà de la procédure relative à
l'agrément, la BCE s'est vue conférer d'autres compétences
exclusives, en matière d'acquisitions de participations
qualifiées dans un établissement de crédit et dans le
cadre de la liberté d'établissement (Section 2). Ces
compétences seront examinées de manière moins approfondie
que les compétences relatives à l'agrément, surtout la
compétence exclusive de la BCE dans le cadre de la liberté
d'établissement qui, au vu des règlements, semble peu claire.
La plupart de ces compétences exclusives sont
appelées : « procédures communes » par le
règlement cadre de 201450. L'emploi de ces termes signifie
bien que les autorités nationales ne seront pas dépourvues de
toute fonction. Les autorités nationales continueront, certes, d'avoir
un rôle, cependant, ce dernier ne sera quasiment jamais décisif
puisque le pouvoir sera entre les mains de la Banque centrale
européenne. Il est donc permis de penser que, si le Mécanisme de
surveillance unique n'est pas, en lui même, un simple transfert de
souveraineté quant à la surveillance prudentielle des
établissements de crédit, il est difficile de regarder autrement
les compétences exclusives de la BCE.
Section 1 : La modestie du rôle des
autorités nationales lors de l'accès à l'exercice de
l'activité bancaire
Il conviendra d'évoquer premièrement la
procédure de délivrance de l'agrément (I) qui, tout en
ôtant
49Article 4(1)42) du Règlement (UE) n°
575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant
les exigences prudentielles applicables aux établissements de
crédit et aux entreprises d'investissement et modifiant le
règlement (UE) n°648/2012
50Partie V du Règlement (UE) n° 468/2014
de la Banque centrale européenne du 16 avril 2014 établissant le
cadre de la coopération au sein du mécanisme de surveillance
unique entre la Banque centrale européenne, les autorités
compétentes nationales et les autorités désignées
nationales (BCE/2014/17).
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le droit pour les autorités nationales d'octroyer une
autorisation, leur laisse la possibilité de la leur refuser. Pour ce qui
est de la procédure de retrait (II), cette dernière s'analyse
comme une interaction entre BCE et autorités nationales qui peuvent
toutes deux prendre l'initiative de retirer une autorisation d'exercer.
Cependant le retrait effectif nécessitera forcément une
intervention de la Banque centrale européenne.
I. L'impossibilité dommageable pour les
autorités nationales de délivrer l'agrément
indépendamment d'une décision de la BCE
L'octroi de l'agrément sera désormais soumis
à une sorte de double autorisation : le candidat à l'obtention de
l'autorisation d'exercer l'activité bancaire devra mener la
procédure devant les autorités nationales (A) mais la
décision d'octroi effectif ne pourra être prise que par la Banque
centrale européenne malgré l'opinion favorable que pourraient
avoir les autorités nationales sur un dossier leur ayant
été soumis (B).
A) Une procédure largement menée par les
autorités nationales pouvant aboutir à un rejet de la demande
d'agrément
*
Les établissements de crédit ne devront pas
soumettre leur demande d'autorisation directement devant la BCE. En effet, les
autorités nationales continueront d'être compétentes.
Ainsi, par exemple, le code monétaire et financier dispose, même
après sa modification liée au MSU, que l'Autorité de
contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) : « est
chargée d'examiner les demandes d'autorisations ou de dérogations
individuelles qui lui sont adressées »51. La
solution a été reprise dans le règlement cadre de 2014 :
« l'autorité compétente nationale à laquelle est
soumise une demande examine si le requérant satisfait à toutes
les conditions d'agrément prévues par le droit national pertinent
de l'Etat membre de l'autorité compétente nationale
»52. Ce choix de ne pas impliquer tout de suite la Banque
centrale européenne peut paraître judicieux. Il aurait
été difficile pour la Banque centrale de gérer les
procédures de demandes d'agrément de tous les candidats de la
zone euro.
Le guide relatif à la surveillance bancaire confirme le
fait que les demandes d'agrément sont adressées à
l'autorité compétente nationale. Il est, de plus,
précisé qu'il s'agit de l'autorité de l'État membre
dans
51Article L612-1(II)1° du code monétaire
et financier
52Article 74 du Règlement (UE) n° 468/2014
de la Banque centrale européenne du 16 avril 2014
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lequel l'entité candidate souhaite
s'établir53. Ce renseignement n'est pas sans importance,
notamment dans le cas d'un groupe transfrontalier. En réalité le
guide ne fait qu'expliquer les dispositions du règlement MSU : «
Toute demande d'agrément pour l'accès à
l'activité d'un établissement de crédit devant être
établi dans un État membre participant est soumise aux
autorités compétentes nationales de l'État membre
où l'établissement de crédit doit être établi
»54.
Les autorités nationales auxquelles le dossier aura
été soumis examineront la demande au regard, certes, du droit
européen, mais également de leurs droit nationaux respectifs qui
sur certains points peuvent varier. En effet, le règlement MSU, lui
même, rappelle que « outre les conditions d'agrément des
établissements de crédit (...) prévus par le droit de
l'Union, les États membres peuvent actuellement prévoir d'autres
conditions d'agrément »55. Les examens des demandes
risquent de souffrir des différences substantielles entre Etats membres
puisque, inévitablement, certains États ajouteront des conditions
tandis que d'autres ne le feront pas. En outre, les États, même si
les conditions d'octroi de l'agrément sont plus ou moins les
mêmes, auront leur propre opinion sur les situations qui leur seront
présentées et une entité qui aurait pu obtenir un projet
de décision favorable dans un État membre risque de se le voir
refuser dans un autre. A cet égard, sans revenir sur le principe qui est
de soumettre les demandes d'autorisation à la Banque centrale, peut
être faudrait-il exiger des droits nationaux qu'ils aient tous les
mêmes conditions d'agrément et interdire d'en greffer davantage.
En effet la solution prévue actuellement paraît
profondément injuste et une harmonisation totale serait souhaitable.
Les autorités nationales procèderont donc
à l'analyse des dossiers et pourront, si elles considèrent que
les entités candidates remplissent les conditions de leur droit
national, soumettre une proposition favorable à la Banque centrale
européenne : « Si le demandeur satisfait à toutes les
conditions d'agrément prévues par le droit national de cet Etat
membre, l'autorité compétente nationale arrête, dans le
délai prévu par le droit national, un projet de décision
proposant à la BCE d'octroyer l'agrément
»56.
En ce qui concerne le délai, il semblerait que chaque
autorité compétente doive se conformer à son droit
national. Le règlement cadre vient néanmoins préciser que
l'autorité nationale doit notifier la réception de la demande
d'autorisation à la BCE dans les quinze jours ouvrables en l'informant
du délai dans lequel une décision concernant l'agrément
doit être prise et notifiée au requérant
53Guide relatif à la surveillance
bancaire-Septembre 2014
54Article 14(1) du Règlement (UE)
n°1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013 55Considérant
21 du Règlement (UE) n°1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013
56Article 14(2) du Règlement (UE) n°1024/2013 du Conseil
du 15 octobre 2013
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conformément au droit national pertinent. Cela semble
indiquer que le délai ne prend pas seulement en compte la partie de la
procédure conférée aux autorités nationale mais sa
globalité. Par exemple, en France, l'ACPR dispose de 6 mois pour
délivrer un agrément à compter de la réception d'un
dossier complet57 ; en cas de projet de décision favorable,
la décision de la BCE devrait être rendue avant l'expiration de
ces 6 mois. Ainsi le règlement cadre prévoit légitimement
une période minimale qu'il faut impérativement laisser à
la BCE pour qu'elle se prononce sur le projet de décision favorable :
« L'autorité compétente nationale veille à ce que
le projet de décision d'agrément soit notifié à la
BCE et au requérant au moins vingt jours ouvrables avant l'expiration de
la période maximale d'examen définie par la législation
nationale pertinente »58. La Banque centrale aura donc 20
jours pour se prononcer sur le projet de décision. Ce délai
paraît un peu court et ne laissera pas le temps à la BCE de
procéder à une analyse détaillée de la demande.
Elle devra donc inévitablement se reposer sur le travail des
autorités nationales. Se pose alors la question de l'utilité de
soumettre tous les octrois d'agrément à la Banque centrale.
La Banque centrale semble pouvoir intervenir dès
l'examen des demandes. Le règlement cadre dispose que « si la
demande n'est pas complète, l'autorité compétente
nationale, soit de sa propre initiative, soit à la demande de la BCE,
demande au requérant de fournir les informations supplémentaires
requises »59. Cela signifie qu'une fois informée de
la réception d'une demande par l'autorité nationale, la Banque
centrale peut, dès à présent, considérer que le
dossier n'est pas complet et exiger de l'autorité compétente
qu'elle requière les documents manquants. Cette possibilité,
à ce stade de la procédure, n'est pas souhaitable. L'examen
devrait relever exclusivement de la compétence de l'autorité
nationale. Si cette dernière considère que le dossier est
complet, la BCE ne devrait pouvoir intervenir qu'au moment où elle
statue sur l'octroi de l'agrément et non au moment de l'analyse du
dossier.
*
Si les autorités nationales ne peuvent plus octroyer
l'agrément, elles ont encore la possibilité de ne pas l'accorder.
Le règlement cadre précise que « les autorités
compétentes nationales rejettent les demandes qui ne remplissent pas les
conditions d'agrément prévues par le droit national pertinent
»60. Le maintien de la compétence de refus
d'agrément aux autorités nationales est opportun. En effet, cela
permettra de ne pas surcharger la Banque centrale européenne pour des
demandes qui n'auraient eu
57Site de l'ACPR :
https://acpr.banque-france.fr/agrements-et-autorisations/procedures-secteur-assurance/agrement-
administratif/delivrance-de-lagrement.html
58Article 76(2) du Règlement (UE) n°
468/2014 de la Banque centrale européenne du 16 avril 2014
59Article 73(3) du Règlement (UE) n°
468/2014 de la Banque centrale européenne du 16 avril 2014
60Article 75 du Règlement (UE) n° 468/2014
de la Banque centrale européenne du 16 avril 2014
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aucune chance d'être acceptées. Cependant, comme
évoqué plus haut, en raison des disparités nationales
certaines autorités refuseront de délivrer un agrément que
d'autres auraient octroyé.
Sans aller jusqu'à rejeter purement et simplement
l'agrément, l'autorité nationale pourra proposer à la BCE
de limiter l'agrément ou de l'assortir de « conditions
particulières visant à préserver l'équilibre de la
structure financière de l'entreprise et le bon fonctionnement du
système bancaire ». Enfin, elle peut aussi proposer de
subordonner l'octroi de l'agrément au respect d'engagements souscrits
par l'entreprise requérante61.
Il appartiendra encore à l'autorité nationale de
notifier au demandeur d'agrément la décision finale, que ce soit
le refus d'octroyer l'agrément, les objections soulevées par la
BCE à l'encontre du projet de décision d'agrément ou
encore la décision d'agrément prise par cette
dernière62.
L'autorité nationale aura donc un rôle tout au
long de la procédure et ne sera absente, en réalité, que
dans le processus de décision effective de délivrance de
l'agrément, autrement dit, au moment le plus important pour l'avenir de
l'entité requérante. Seule la BCE a le pouvoir d'accorder le
droit, à une entité, d'exercer l'activité bancaire.
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