II.1.3 Du corps objet au corps humain
Comme vu précédemment, la médecine s'est
fondée sur une perception fragmentée du corps. Cette approche a
été remise en cause par les médecins, les soignants et les
usagers, car ils considéraient qu'elle ne prenait pas suffisamment en
compte le sujet.
A cause de la croissance de la spécialisation en
médecine, les patients sont confiés aux spécialistes selon
leur atteinte organique et une médecine sur la concurrence se
développe. De plus, le patient subit le jargon médical, la
complexité des actes médicaux et le pouvoir de décision du
spécialiste en question. Ce modèle dit « paternaliste »
repose sur l'idée selon laquelle le médecin se voit comme gardien
de l'intérêt du patient en prenant des décisions pour lui
en respectant seulement un principe de bienfaisance. Le malade est alors
réduit au statut d'enfant, il est maintenu dans l'ignorance et s'en
remet à la décision médicale qui agira pour son bien,
ainsi ce qui justifie l'acte n'est pas le consentement mais la finalité
thérapeutique. Lorsque le patient consulte, il subit un interrogatoire
puis des examens en vu d'un diagnostic. En plus de devoir supporter cette
situation, il souffre de l'aspect physiologique et psychologique
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de sa maladie. Il se retrouve dans une situation où
l'appel au soulagement le conduit à accepter les soins
décidés par les soignants en faisant confiance à leurs
compétences.
Le médecin apprend à aborder le sujet par son
corps, ses plaies et ses dysfonctionnements en les observant, les
écoutant ou les palpant. Il n'est pas pour autant familier avec celui-ci
car comme dans la société, le corps reste tabou1,
comme l'aurait énoncé le médecin et écrivain
Norbert Bensaïd « Le corps existe, mais les médecins n'aiment
pas penser qu'il est habité. Sinon ça s'érotise et les
angoisses surgissent. ».
En revanche, depuis quelques années, des mouvements en
faveur de la dignité du patient a permis une prise de conscience
progressive. De plus, l'évolution des techniques et des technologies
associées à une rationalisation économique permet
l'indignation d'un grand nombre de soignants subissant cette
instrumentalisation croissante qui engendre une distanciation avec le
patient.
La considération du patient comme un individu
émerge dans les soins infirmiers notamment grâce à Virginie
Henderson, chercheur, enseignante et infirmière du XXème
siècle grâce à ses célèbres quatorze besoins
fondamentaux2. Elle réalise ce classement avec une approche
à la fois biologique, physiologique, psychologique, sociale et
spirituelle. A propos des quatorze besoins, la moitié se détache
de l'approche corporelle traditionnelle du patient.
Grâce à la théorie Kohlberg puis l'analyse
de Carol Gillian et surtout le psychanalyste et pédopsychiatre Donald
Winnicott, les notions du cure et du care émergent. Le
cure pourrait s'illustrer par les pratiques techniques
réalisées au XVIIème siècle, portées sur la
pathologie et l'organe malade plutôt que la personne. En revanche, le
care sera axé précisément sur le sujet, ce qu'il
éprouve et ce qu'il ressent et renvoie à la notion positive du
soin qui porte sur l'attention et l'accompagnement du patient.
C'est ainsi que la prise en compte de l'ensemble des
affections physiques et psychologiques s'inscrit dans le décret relatif
au études préparatoires et aux épreuves du diplômes
d'état infirmier le 5 septembre 1972 (renouvelé le 11
février 2002).
1 HAMON, H.1994 dans Mon voyage sur la
planète médicale
2 Cf Annexes III
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En 1979, Marge Reddington complète la démarche
de V. Henderson par sa grille des Besoins Humains1 : ses besoins ne
sont pas hiérarchisés contrairement à la
célèbre pyramide de Maslow. Ici, en plus du traditionnel item
qu'est « le niveau physique » nous trouvons « le niveau
psychologique », « le niveau spirituel » et ce qu'elle nomme
« la partie communicante des âmes » qui établirait le
besoin de se relier à soi et aux autres.
Le travail d'une équipe pluridisciplinaire permet
d'aborder différentes approches dans la prise en charge du patient.
L'équipe soignante travaille avec l'entièreté du corps du
patient et ce qu'il représente pour lui. C'est la raison pour laquelle
la place du psychologue et des socio-esthéticiens sont primordiales dans
les établissements de santé tout comme les médecines
parallèles qui s'adaptent à chaque patient selon leur
expérience et leur sensibilité à ces approches.
Nous ne pouvons pas parler du corps sans introduire la notion
d'autonomie qui lui est propre. En effet, chaque sujet serait souverain de
soi-même et donc de son propre corps. Selon Michela Marzano dans
L'éthique appliquée : « le droit de disposer de
son corps et de sa personne, en définitive, devient un véritable
pouvoir : une liberté de disposer, intégrée à
l'autonomie et liée au principe de l'autodétermination de chaque
personne ». C'est la raison pour laquelle il est intéressant
de déterminer ce qu'est l'autonomie dans ce contexte.
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