II.1.2. La place du corps dans la médecine
Même si le corps connaît une place
privilégiée dans la médecine, un tournant s'opère
au cours du XIXème siècle grâce aux avancées
scientifiques, techniques et sociologiques. En effet, les scientifiques
distinguent la santé de la maladie, le corps normal de l'anormal, la vie
et la mort, dans une société qui se médicalise de plus en
plus.
Il reste tout de même important de noter que la
Renaissance marque une époque conséquente dans l'avancée
de la médecine notamment grâce à l'évolution des
études expérimentales sur le corps. L'observation et la
dissection permettent les premiers enseignements de l'anatomie grâce au
célèbre médecin belge André Vésale
(1514-1564). Au XVIIème siècle l'apparition des études
microscopiques permet la découverte des différentes
systèmes (sanguin, lymphatique et pulmonaire).
Ces expérimentations sur le corps humain ont permis ces
avancées : le corps est alors devenu l'objet privilégié
des scientifiques. Ces études ont fait du corps une matière
savante sur laquelle les médecins ne voulaient avoir aucun doute. Le
discours médical dissocie le corps sain du
1 MARAIS, A. 2018. P.163
2 Substratum : le support de la personne.
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corps malade qui fait de la personne une simple structure
modélisable.1 Le XXème siècle tente de trouver
un équilibre entre cette dépossession et réappropriation
du corps. La médecine a réduit le patient à son
corps-objet en oubliant qu'il pouvait être corps-sujet. Elle a alors
limité la maladie à une altération des fonctions
biologiques plutôt que l'expérience émotionnelle et
personnelle du malade. En oubliant le ressenti du malade, la médecine se
centre de plus en plus sur les signes, symptômes et état clinique
du patient afin d'établir un diagnostic sans considérer le
vécu, le retentissement et l'expérience du malade.
Ce processus d'observation des symptômes et des effets
cliniques d'une pathologie se retrouve dans la démarche
expérimentale des médecins SS utilisée dans les camps de
concentration lors de la Seconde Guerre Mondiale sur les populations
déportées. Les nazis avaient pour objectif de soigner le peuple
allemand des races dites métissées considérées
comme des parasites. Les nazis estimaient que le sacrifice des « faibles
et indésirables » permettait la survie de la race allemande. De
cette manière, envieux des avancées médicales et
technologiques de l'Europe à cette époque, les médecins SS
dirigèrent des expérimentations dans des conditions cruelles et
barbares mutilant et tuant des cobayes humains avec des apports
scientifiques discutables. Les différentes expériences
étaient effectuées sur les corps vivants afin de réaliser
des recherches sur la gémellité, sur la stérilisation des
hommes et des femmes, sur les brûlures, sur les maladies parasitaires,
comme la malaria, ou encore sur l'absorption d'eau de mer associée
à l'hypothermie2.
Le 20 novembre 1945 débutera le Procès de
Nuremberg et permettra la mise en place du Procès des médecins
accusant les médecins et fonctionnaires nazis de crime contre
l'humanité et crime de guerre. Ce jugement donnera naissance au Code de
Nuremberg3 : une liste de dix critères indiquant ce qui est
considéré comme « acceptable » dans
l'expérimentation sur le corps humain. Ces dix critères
reprennent des éléments fondamentaux qui étaient
déjà connus au début du XXème siècle mais
ils permettent l'élaboration du premier texte législatif
universel à ce sujet. Le premier article rappelle la
nécessité exclusive du consentement, point de départ du
droit de possession et de respect de son corps.
1 MARZANO, Michela. 2002, pp. 47-81.
2 CYMES, M.2016,p.91-98,p.149-164, p.191-192.
3 Cf Annexes I
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En juillet 1994, la France se dote de nouvelles lois à
propos du droit de disposer de son corps : la loi relative au respect du corps
humain introduisant l'obligation du recueil du consentement de la personne,
préalablement à toute intervention thérapeutique. En 1995
est alors adoptée la charte du patient hospitalisé
précisant que le patient n'est pas seulement un malade mais une personne
avec des droits et des devoirs.
Le 4 mars 2002 est promulguée la loi relative aux
droits des malades et à la qualité du système de
santé aussi appelée loi Kouchner. Cette loi introduit la notion
de démocratie sanitaire qui a pour objectif de donner la parole aux
usagers et de permettre aux citoyens d'être informés sur la
politique de santé et d'exprimer leurs besoins et leurs attentes. Le
patient devient alors acteur et il est donc nécessaire de l'informer, de
recueillir son consentement et considérer sa participation active
à son traitement. Cette loi repose sur une stratégie de soins ou
de prévention en adéquation avec le respect de la personne, le
respect de sa dignité et de son autonomie, fondement de la prise de
décision.
Cette évolution de la considération du corps
dans la société et dans la médecine nous conduit à
nous questionner sur la manière dont il est humanisé dans les
soins et la place qu'il occupe pour les soignants.
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