CONCLUSION GENERALE
En définitive, le droit du travail
sénégalais, qui était, jadis, fort protecteur envers le
salarié, s'est progressivement relâché, au rythme des
multiples réformes qu'il a souffert dans une perspective d'adaptation
aux contingences du monde économique. Aujourd'hui, il est partagé
entre l'économie et le social, l'épanouissement de l'entreprise
et la protection des salariés. En même temps qu'il protège
les travailleurs, il légitime, autorise leur soumission272.
Le législateur a-t-il atteint, aujourd'hui, son ambition de 1997
lorsqu'il réformait le droit du travail ? Dans le projet de la loi
n° 97-17 du 1er décembre 1997 portant sur le nouveau Code du
travail, on pouvait lire « le présent projet de loi a pour objet de
réformer le Code du travail pour l'adapter aux réalités
économiques et sociales de notre pays, en faire un vecteur dynamique de
croissance (...) ; il a pour ambition de moderniser les relations sociales, de
poser les jalons de l'épanouissement de l'entreprise sans
déprotéger les travailleurs ».
Ce qui est certain aujourd'hui, c'est que la
précarité a atteint un niveau très élevé et
l'on se demande si l'intérêt de l'entreprise n'a pas pris le
dessus sur la protection des salariés. La neutralisation légale
de l'effectivité de la protection des travailleurs a été
accompagnée, de manière subtile, par l'inefficience des organes
de contrôle. L'inspection du travail et de la sécurité
sociale s'est vue, progressivement et de manière indirecte,
dépouillée de ses prérogatives la privant des moyens
indispensables à l'accomplissement de ses missions. Par ailleurs, les
difficultés d'accès à la justice, ajoutées à
celles d'exécution des décisions qu'elle rend, ont fini par
réduire les possibilités de faire sanctionner les dérives
des praticiens qui tendent à abuser des formes souples de mise au
travail273.
La représentation collective que l'on croyait
être la panacée pour décanter la situation par
l'élaboration de normes professionnelles, garantes d'une prise en compte
des intérêts divergents des partenaires sociaux, reste encore
insuffisamment assurée. Les syndicats et les
délégués du personnel, seuls organes de
représentation, restent encore victimes de certaines pesanteurs. Ils
n'ont pas accès à l'information économique et, bien
souvent, manquent d'expertise274 alors Malheureusement, le projet
d'Acte Uniforme relatif au droit du travail ne semble pas avoir pris la mesure
de cette orientation. Tout au plus, envisage-t-il une présence syndicale
dans l'entreprise sans en définir le contour. De même, on retrouve
la même inertie dans l'application
272 E. PESKINE, C. WOLMARK, op. cit., p. 10
273 Y. BODIAN., « Précarité de l'emploi et
droit du travail sénégalais », op. cit., p. 368.
274 I.Y. NDIAYE, Droit du travail sénégalais et
transfert de normes, op. cit., p. 176.
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des conventions internationales
ratifiées275. Il s'agit là autant de situations qui
obscurcissent davantage la face du droit du travail
sénégalais.
Une auteur s'interrogeait d'ailleurs sur l'avenir radieux que
pourrait avoir un droit du travail dans un système de relations
professionnelles dominé par des exigences antagonistes, entre un
État envahi par les programmes d'ajustement et de réduction de
déficit, de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire
International, des entreprises préoccupées par leur survie et des
objectifs de rentabilité dans un environnement économique
marqué par une concurrence impitoyable, et des travailleurs plus
soucieux de maintenir leurs emplois que de se lancer à la conquête
de nouvelles conditions de travail plus avantageuses, pour ne pas dire plus
humaines276. Assurément, la problématique demeure
complexe.
Certes, il demeure pertinent de s'interroger sur la
construction d'un modèle de politiques juridiques cohérentes et
socialement acceptables qui assurent l'efficacité économique tout
en évitant d'être trop défavorables aux travailleurs. Un
droit du travail adapté aux réalités
sénégalaises susceptible de prendre en charge tous les secteurs
économiques277 y compris les relations professionnelles dans
le secteur informel, secteur essentiel de la population active dans notre
économie. Un droit du travail où l'interventionnisme
législatif est quasi-néant mais, remplacé par une
participation féconde des partenaires sociaux pour une
libéralisation du domaine de la négociation collective dans
l'entreprise. Nous estimons que la contractualisation du droit du travail est
le meilleur moyen pour l'adapter à nos réalités
actuelles.
275 Ibid.
276 M. SAMB., Réformes et réception des droits
fondamentaux du travail au Sénégal, op. cit.
277 Ibid.
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