B. L'industrie du future vue par les
industriels
« L'industrie du futur est un sujet trop important pour
le laisser entre les seules mains de l'État ». C'est par ces mots
que Philippe Darmayan, président de l'Alliance Industrie du futur, du
Groupement des fédérations industrielles et d'Arcelor- Mittal
France, a ouvert la séquence du 20 avril 2017 consacrée à
la conception et l'organisation de l'usine du futur dans les entreprises
industrielles.
Du point de vue des industriels, le sujet de l'industrie du
futur reste trop souvent associé dans le débat public au
thème de la robotisation et à la question sociale qui en
résulte. Cela relève d'une mauvaise compréhension de ses
enjeux. À la différence des précédentes
révolutions industrielles et technologiques, l'industrie 4.0 ne concerne
pas prioritairement la productivité du travail.
Selon Philippe Darmayan, les enjeux de l'industrie du futur
vus par les industriels sont de quatre ordres :
· la différenciation de l'offre par une
adaptation plus fine à la demande (personnalisation) ;
· la compétitivité (baisse des
coûts, amélioration continue, robotisation, traitement des
données) ;
· la réduction des capitaux engagés
(rapidité de traitement, chaînage entre conception et usine,
réduction des besoins en fonds de roulement, maintenance
prédictive) ;
· la transformation des business models.
Les industriels doivent s'impliquer dans les grandes questions
transversales, telles que la gestion prévisionnelle des emplois et des
compétences et la standardisation. Les entreprises européennes
laissent trop souvent à d'autres le soin de définir les standards
et les normes. Sur ce point, le leadership américain est incontestable.
Des questions telles que les infrastructures européennes du cloud, le
marché intérieur numériqueet son cadre juridique
européen, revêtent une importance capitale, sous peine pour
l'Europe de devenir un « Tiers-monde numérique », selon le
terme de Laurent Alexandre auditionné au Sénat le 19 janvier 2017
sur l'intelligence artificielle.
Dans la pratique, le concept d'industrie du futur
présente une certaine plasticité : il varie selon les
priorités des entreprises et les secteurs d'activités. Passage en
revue de quelques cas d'application.
1. Industrie du futur et
compétitivité
- Le cas Vallourec
Pour Philippe Crouzet, président du directoire de
Vallourec, l'usine du futur ouvre trois champs d'opportunités :
· une meilleure maîtrise des
procédés de production (y compris dans des industries très
anciennes comme celle de l'acier), qui permet des gains de productivité
par la baisse de la non-qualité (grâce notamment aux capteurs et
aux nouvelles capacités d'analyse de données) ;
· une meilleure utilisation des actifs (diminution du
besoin en fonds de roulement, nouvelle jeunesse pour les équipements
anciens, disparition des stocks intermédiaires) ;
· une amélioration significative de l'offre aux
clients (services et produits).
Les tubes que Vallourec fabrique pour l'industrie
pétrolière et gazière, par exemple, disposent
désormais d'une fiche d'identité technique très
détaillée grâce à l'utilisation des data de la
production, qui permet aux clients de gérer différemment leurs
stocks et de mettre en oeuvre les tubes en fonction de leurs propres besoins.
Ceci a ouvert pour Vallourec un nouveau champ de réflexion, afin d'aider
les clients à optimiser l'ordre dans lequel ils positionneront les tubes
dans le sol. Les nouvelles technologies permettent ainsi de
générer une nouvelle valeur ajoutée pour les clients -
sans qu'il soit question de robots ou de baisse d'effectifs. Remplacer les
hommes par des robots n'est pas du tout l'objectif de l'industrie 4.0.
- Le cas Valeo
Valeo est un fournisseur de premier rang de l'industrie
automobile. Jean-Luc di Paola- Galloni, directeur du développement de
Valeo, indique la triple évolution que va connaître l'automobile :
· l'électrification des produits
(véhicules hybrides et électriques) ;
· la connectivité et la progressive
automatisation des véhicules (véhicules autonomes) ;
· les services de mobilité liés au
digital.
En parallèle, une révolution a lieu dans les
usines, du côté des processus. Valeo est présent dans plus
de 30 pays dans le monde, y compris la France et l'Allemagne. Mais l'usine de
Valeo la plus avancée en matière de robotisation se situe en
Tchéquie.
Plus que des robots, elle utilise des cobots : des robots
collaboratifs. Non seulement cette utilisation ne supprime pas
nécessairement des emplois, mais en plus elle améliore la
qualité du travail des opérateurs. Chez un équipementier
automobile, la valeur ajoutée innovante provient essentiellement du
niveau de maîtrise des opérations. Les opérateurs
deviennent donc des quasi-techniciens, voire des quasi-ingénieurs.
L'évolution vers l'industrie du futur permet
d'accompagner les changements sur les sites industriels en termes de produits,
en améliorant leur valeur ajoutée. À Nogent-le- Rotrou,
par exemple, Valeo exerçait des métiers de plus faible valeur
ajoutée. Grâce à la modernisation, la production a pu
être rattachée à un autre business group.
En outre, là où il existe des enjeux de
qualité extrême (moins de cinq défauts par million de
pièces produites, par exemple), l'industrie 4.0 aide à
l'amélioration de la transmission des données depuis
l'approvisionnement jusqu'à la sortie des produits finaux. Elle retire
notamment un certain nombre de charges dans des métiers très
stratégiques, comme la logistique des usines : l'introduction des
véhicules automatisés à l'intérieur des usines
apporte un vrai plus, mais également davantage de
sécurité. Enfin, elle apporte une amélioration très
nette des outils de gestion, des interconnexions de données et des
échanges entre les différents métiers, qui sont sources
d'innovation. La numérisation et la digitalisation au sein des
entreprises sont donc capitales pour prendre de l'avance en matière de
produits innovants.
Certes, tout cela représente un coût. Sur ce
point, l'Allemagne a été un pays extrêmement
précurseur dans les dispositifs de financement collaboratif
public-privé, mais la France y vient également.
En tant que co-gestionnaire de la plateforme de recherche
automobile auprès de la Commission européenne, Jean-Luc di Paola-
Galloni constate que les programmes en place fonctionnent, mais qu'il convient
d'aller plus loin, car les entreprises ont besoin à la fois de
programmes digitaux et numériques spécifiques à leur
secteur, et de programmes plus transverses. Les systèmes cyber-physiques
(embarqués), par exemple, affectent plusieurs industries. Mettre en
commun tous les programmes de financement pluri-industriels à
l'échelle européenne est donc capital. Dans cette optique, sans
doute faut-il davantage harmoniser les schémas nationaux et les
schémas européens.
Enfin, les coopérations sur ces sujets doivent aussi
aller au-delà du cadre européen. Valeo a ainsi
décidé d'aider le gouvernement tunisien, de la même
façon que PSAet Renault aideront le gouvernement marocain qui
s'apprête à disposer d'une base industrielle automobile
inédite.
Jouer la carte franco-allemande, européenne et
euro-méditerranéenne est un atout pour l'avenir.
- Le cas Cuisines Schmidt
Schmidt Groupe est allé loin dans la
numérisation et la robotisation avec son projet lancé il y a dix
ans : une cuisine fabriquée en un jour livrée au bout de dix
jours avec une qualité de 100 %. Le vendeur crée virtuellement
une cuisine avec les clients ; la commande est traitée par
échange de données informatiques ; la fabrication est
robotisée. Une commande standard peut ainsi être
réalisée presque sans intervention humaine. Mais les
collaborateurs n'ont pas perdu leurs emplois comme ils pouvaient le craindre :
ils se sont transformés en opérateurs et en pilotes
d'installations complexes. Cela a nécessité du temps beaucoup de
formation et de la confiance facilitée par la dimension familiale de
l'entreprise. L'entreprise croît désormais jusqu'en Chine et
réalise un CA de 1,5 milliard d'euros.
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