2. Conséquences sur l'organisation
du travail dans les entreprises
Que signifie concrètement l'industrie 4.0 pour
l'organisation du travail ?
Changement de la nature du travail
Konrad Klingenburg, directeur du bureau de Berlin du principal
syndicat allemand de l'industrie, IG Metall, analyse les changements attendus
sur six dimensions (graphique 8).
Les savoir-être, la capacité à
échanger, à partager, à s'accorder, l'autonomie et la
créativité vont prendre une importance capitale dans l'industrie
du futur. Les relations horizontales tendront à se substituer aux
rapports hiérarchiques verticaux. Les collaborations s'étendront
hors de l'entreprise dans une logique d'entreprise-réseau ou
entreprise-plateforme.
Changement des formes d'organisation
À ces changements dans la nature du travail
répond toute une gamme de formes d'organisation des entreprises, allant
de l'organisation polarisée à l'organisation en essaim - en
passant par des variantes issues d'une conjugaison de ces deux
modèles.
L'organisation polarisée s'appuie sur
l'hétérogénéité des tâches, des
qualifications et des emplois au sein de l'entreprise. Elle répond aux
besoins des systèmes de production qui consistent à maintenir un
nombre limité d'opérateurs en charge de tâches simples,
n'offrant que peu ou pas de marges de manoeuvre, et un groupe croissant de
techniciens et de spécialistes, dont le niveau de qualification est
nettement supérieur à celui des ouvriers qualifiés
traditionnels. Ces salariés sont non seulement chargés des
tâches de maintenance (par exemple, gestion des pannes), mais assument
aussi diverses tâches de gestion de la production.
À l'autre bout du spectre se trouve l'organisation en
essaim (en France, on parle plutôt d'« entreprise
libérée », ce qui introduit un jugement de valeur assez
contestable, ou encore d'holacratie). Cette forme d'organisation du travail se
caractérise par un réseau plus souple de salariés
très qualifiés et opérant sur un pied
d'égalité. Dans cette forme d'organisation, on ne trouve plus de
tâches simples, nécessitant peu de qualifications, celles-ci ayant
été en grande partie automatisées. Les tâches ne
sont pas définies pour chacun des salariés : le collectif de
travail opère en s'auto-organisant et en s'adaptant à chaque
situation (figure 8).
Figure 8. Changement de la
nature du travail
Source : Zukunft der Arbeit - IG Metall
Figure 9. Organisation
polarisée versus en essaim
Source : Hirsch-Kreinsen
Dans chacune de ces hypothèses, l'homme reste au centre
de l'activité mais sa dépendance à l'égard des
données augmente fortement. C'est l'une des raisons pour lesquelles la
sécurité et la protection des données revêtent une
importance particulière.
Risques et opportunités pour les travailleurs
Les changements dans la nature du travail, ainsi que dans les
modèles d'organisation, ouvrent pour les travailleurs des risques et des
opportunités. Le représentant d'IG Metall les résume dans
le tableau ci-contre.
Il estime probable que, le travail quittant de plus en plus
ses formes et ses lieux classiques, on observera une forte augmentation du
« travail à distance » et du « travail sur le cloud
», effectué par des personnes moins bien payées, travaillant
en freelance, bénéficiant d'une moindre protection sociale et
sans accès à la participation. Ce crowdworking se
déploiera d'abord et prioritairement dans le monde des nouvelles
technologies, mais pourrait à court terme essaimer et « contaminer
» les entreprises traditionnelles. Il faut donc s'attendre à un
creusement des inégalités entre actifs (salariés versus
travailleurs indépendants et indépendants économiquement
dépendants), particulièrement en matière de protection
sociale, d'accès au crédit et aux assurances.
Laurent Berger, secrétaire général de la
CFDT, va dans le même sens en soulignant que la pression sur les
salariés risque encore d'augmenter en raison du décloisonnement
entre vie professionnelle et vie privée, d'astreintes « en continu
» et d'une surveillance accentuée, concrétisant le «
panoptique » cher à Michel Foucault. La géo-localisation des
chauffeurs de poids lourds en offre déjà un exemple.
Dans les prochaines années, l'organisation du travail
devrait devenir l'un des principaux enjeux du dialogue social.
|